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sa fille témoigne pour Thurio, parle de ce changement de caractère. «< Elle devient, dit-il, fantasque, de mauvaise humeur, >> intraitable, désobéissante, opiniâtre; elle manque à son de>> voir; elle ne se souvient plus qu'elle est ma fille; elle ne me >> craint plus comme son père. >>

>> Silvie témoigne beaucoup de compassion et une douce sympathie pour Julie, dont le jeune page lui raconte la douleur. Protéo lui fait demander son portrait; elle répond: « Dites>> lui de ma part que Julie, que son esprit changeant oublie, >> figurerait mieux dans sa chambre que cette ombre. » Le page lui présente une lettre : « Je ne lirai pas la lettre de ton maître, >> dit-elle; je sais qu'elle est pleine de protestations et de ser>>ments nouveaux, qu'il brisera aussi aisément que je déchire » ce papier. » Le page s'adresse à Silvie : « Il vous envoie >> aussi cet anneau. » Silvie lui répond : « Honte à lui, qui me >> l'envoie! car je lui ai entendu dire mille fois que sa Julie le >> lui avait donné à son départ. Puisque son doigt trompeur a » profané l'anneau, je ne ferai point tort à Julie. »

>> Tels sont les nobles sentiments qui animent Silvie. Aussi cet éloge sort-il de la bouche même de sa rivale : « Vertueuse, >> douce et belle personne!..... Julie te remerciera un jour, si > jamais tu la connais. >>

>> Nous ne suivrons pas la série d'aventures par lesquelles notre héroïne, tombée entre les mains des brigands, est délivrée par Protéo. Elle a supporté patiemment tous les revers; mais son désespoir éclate lorsqu'elle se voit au pouvoir de ce dernier. Dans sa douleur elle s'écrie:

« Que n'ai-je été la proie d'un lion affamé! J'aimerais mieux >> avoir assouvi sa faim dévorante, que d'avoir été sauvée par » le perfide Protéo. O ciel! juge à quel point j'aime Valentin, >> dont la vie m'est plus chère que mon âme, et à quel point je » déteste le parjure Protéo ! »

» Il y aurait peut-être un piquant parallèle à faire entre les deux rivales; nous aurions complété notre tâche en comparant les caractères de la brune Silvie et de la blonde Julie; mais il serait trop téméraire à moi d'empiéter sur le domaine du spirituel collaborateur qui s'est chargé d'esquisser l'autre portrait. >>

ARTAUD,

Inspecteur général de l'Université.

MESURE POUR MESURE.

DRAME.

Analyse et traduction de madame Louise Sw. BELLOC.

Mesure pour Mesure est une des pièces de Shakspeare les moins connues en France. C'est cependant un admirable drame où abondent des beautés de premier ordre: il est vrai qu'elles se trouvent mêlées à une grande licence de mœurs et de langage, que le sujet motive; mais il est facile de dégager l'or de cet alliage. Cinq ou six scènes isolées feront juger la marche dramatique de l'action et la profondeur de philosophie, de poésie, de morale, qui animent et vivifient cette belle création.

Sur le premier plan se trouve tout d'abord la noble et chaste figure d'Isabelle. Il y a dans ce caractère des nuances d'une délicatesse exquise, et telles que le génie sublime, qu'on a longtemps fait passer pour barbare, savait seul les trouver et les rendre. C'est l'apothéose de la force morale, de cette individualité que le christianisme a développée chez les femmes, et qui a fait les martyrs et les saintes. Le drame tout entier semble composé pour servir de piédestal à la vierge chrétienne. Les autres héroïnes du poëte ont des amours et des passions, elles reconnaissent des seigneurs et des maîtres; Isabelle ne relève que de Dieu: c'est un pur esprit enfermé dans un faible et beau corps, envoyé ici-bas pour donner aux forts un exemple de fermeté et de courage.

Vincent, duc de Vienne, surnommé le grand Justicier, voulant mettre un terme au déréglement des mœurs, et exhumer des lois tombées en désuétude, prétexte un voyage et remet son pouvoir et le droit de faire justice à Escalus et Angelo. Il compte sur l'austère vertu de ce dernier; il le fait venir, et lui annonce sa volonté :

« Le ciel fait de nous comme nous faisons des torches; elles >> ne brûlent pas pour elles. Si nos vertus ne se répandaient au >> dehors, autant vaudrait n'en point avoir. Les ames ne sont >> noblement trempées que pour de nobles fins. La nature ne >> prête jamais la moindre parcelle de sa rare excellence qu'en » déesse avare elle ne prélève à sa gloire un tribut de recon>> naissance et d'utilité. » (Elle veut qu'on emploie ce qu'elle donne.)

Angelo se défend, mais avec une secrète confiance en ses forces:

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«Mon bon seigneur, essayez encore un peu de quel métal >> je suis fait, avant d'imprimer sur moi une si noble et si » grande effigie. >>

Il cède; le duc part. La scène change et nous transporte dans une rue de Vienne. Des hommes passent. Ils causent; et leur conversation, leurs plaisanteries montrent l'impudeur qui des mœurs a passé dans le langage. Le vice fourmille; il apparaît sous les plus sales et les plus hideux aspects; la plaic rongeante est là. La débauche a nivelé les rangs. Un bouffon, le dernier des misérables, cause et raille avec des gentilshommes. Cependant le rigide Angelo a sévi contre un coupable: on conduit en prison Claudio, accusé de rapt. Il a reconnu Lucio dans la foule. « Aujourd'hui même, lui dit-il, ma sœur entre au >> couvent. Informe la de mon danger, conjure-la en mon nom >> de se faire un ami du rigide gouverneur : qu'elle l'assaille » de prières. J'ai bon espoir, car il y a dans sa jeunesse un lan>> gage muet et saisissant propre à émouvoir les hommes. De >> plus elle a l'art heureux de manier à son gré la raison, la pa>>role. Personne ne sait mieux persuader. »

A peine entrée dans la vie, Isabelle s'est détournée des eaux fangeuses qui coulent pour tous. Elle a cherché à l'ombre du cloître une source intarissable et cachée pour étancher sa soif de perfection. A la veille de prononcer ses vœux, elle s'étonne et s'afflige que la règle de l'ordre de sainte Claire ne soit pas plus rigide. Mais une voix d'homme a retenti dans le parloir. C'est Lucio, l'àmi de son frère, compagnon d'orgies et de plaisirs, mouche qui s'ébat au soleil, et se pose indifféremment sur une fleur ou sur un fumier, homme sensuel qui vit au jour

le jour, dont les mauvais penchants ont souillé et voilé l'âme, mais à qui il reste encore du cœur.

Il est venu, à la prière de Claudio; mais, en présence de la vierge, il se sent intimidé pour la première fois. Il ne sait comment aborder le sujet qui l'amène. Cependant Isabelle le presse de questions; il a dit « le malheureux Claudio!» et l'âme de la jeune fille s'est émue. Alors le libertin reparaît tel qu'il est: il parle grossièrement comme il pense, non qu'il veuille insulter à la novice, qu'il tient pour « chose sainte, à demi dans les >> cieux, esprit immortel qui a dit adieu au monde; » mais il n'a pas de mots à l'usage des vierges, lui qui passe sa vie avec des courtisanes. Il explique donc la faute de Claudio avec une dégoûtante verve de licence, et Isabelle ne songe même pas à s'en offenser. Un intérêt plus cher que celui de sa pudeur est en jeu, la vie d'un frère, l'honneur d'une amie. Elle savait Claudio amoureux de Juliette; elle devine qu'il l'a séduite.

<< Oh! qu'il l'épouse! » s'écrie-t-elle. Lucio. Voici le point. Le duc est parti d'une façon étrange; plusieurs gentilshommes en ont conclu, et moi tout le premier, qu'il y avait espoir et chance de guerre; mais nous avons appris, de ceux qui sondent jusqu'aux nerfs et au cœur de l'État, que ce qu'il donnait à entendre était fort loin de son véritable dessein. En son lieu et place, et avec le plein exercice de son autorité, gouverne le seigneur Angelo, homme dont le sang est de glace, qui n'a jamais senti l'aiguillon de la chair ni la révolte des sens, mais qui, au contraire, amortit et émousse la fougue de la nature au profit de l'esprit, par l'étude et le jeûne. Il a (pour terrifier la liberté et l'usage, qui depuis longtemps s'émancipaient jusqu'à s'ébattre auprès de la loi hideuse, comme les souris près du lion), il a exhumé un acte dont l'interprétation rigoureuse demande la vie de votre frère; il a fait arrêter Claudio, et veut, suivant la lettre de la loi, faire de lui un exemple. Toute espérance est vaine, à moins que votre grâce et vos mouvantes prières n'attendrissent Angelo. Telle est la substance de mon message entre votre pauvre frère et

vous.

Isabelle. - En veut-il donc si fort à sa vie?

Luc.

Il l'a déjà condamné, et j'ai ouï dire que le prévôt avait reçu l'ordre pour l'exécution.

Isab.-Hélas! que je puisse si peu!
Luc.-Essayez de votre pouvoir.
Isab.

Mon pouvoir! Hélas! je doute...

Luc. - Nos doutes sont des traîtres qui, nous mettant au cœur la crainte d'entreprendre, nous font perdre le bien que nous pourrions gagner. Allez trouver le seigneur Angelo; qu'il apprenne que, quand les vierges demandent, les hommes donnent comme des dieux ; mais que, lorsqu'elles pleurent et s'agenouillent, leurs requêtes leur sont octroyées aussi largement que si elles-mêmes avaient toute puissance. »>

Isabelle se résout à voir le gouverneur, et Lucio l'accompagne.

Angelo, ce superbe, dont la hautaine vertu n'a jamais douté d'elle-même, qui a fait de son orgueil un rempart contre les tentations, et qui se croit pur parce qu'un vice l'a préservé des autres, cet homme qui regarde en mépris toute la race humaine, a refusé la grâce de Claudio à son collègue Escalus. Il a fermé la bouche au prévôt qui s'apitoyait sur le prisonnier; il a dit, en parlant de Juliette, dont la loi punit de mort le séducteur:

« Veillez à ce que la fornicatrice ait ce qu'il lui faut, rien >> de plus. >>

Mais voici venir la novice de sainte Claire avec sa guimpe et son voile. Attendrira-t-elle ce cœur de bronze? Comprendrat-il tout ce qu'il y a d'angoisse et de pudeur souffrante dans cette chaste requête qui plaide la cause de l'impureté?

Isab.« Il est un vice que j'abhorre entre tous, que je désire surtout voir frappé de la justice; pour lequel je ne voudrais pas plaider, si je ne le devais; pour lequel je ne devrais pas plaider, si mon devoir ne m'imposait ce qui répugne à ma volonté. Ang. Bien. Au fait.

Isab. J'ai un frère condamné à mort. Oh! je vous en conjure, que sa faute meure et non pas lui!

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Le Prévôt (à part.)- Le ciel te donne la grâce d'émouvoir! Ang. Condamner la faute et non le coupable! Mais chaque faute est condamnée d'avance, même avant d'être faite. Mes fonctions se réduiraient à zéro, si, découvrant le délit dont la peine est fixée, je laissais échapper celui qui l'a commis.

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