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damna à mort..... qui fit lier des fagots sur le dos de cinq anabaptistes hollandais, et se donna le joyeux spectacle de cinq auto-da-fé errants. Il eut un jour un beau sujet de sonnet romantique : du haut d'une colline solitaire du parc de Richmond, il épia la nouvelle du supplice d'Anne de Boleyn; il tressaillit d'aise au signal parti de la Tour de Londres. Quelle volupté! le fer avait tranché le cou délicat, ensanglanté les beaux cheveux auxquels le roi poëte avait attaché ses fatales caresses. »>

M. de Châteaubriand, auquel nous avons emprunté ce pas sage, s'écrie, en parlant des effets du protestantisme : « L'histoire présente des spectacles bien divers en offre-t-elle de plus extraordinaire que celui de la querelle de Luther et de Henri VIII, quand on songe à ce que furent ces deux champions, et la révolution qu'ils ont produite! Voilà les instituteurs des peuples, les anachorètes du rocher, les austères enfants des doctes déserts d'une nouvelle Thébaïde, auxquels des hommes de raison, de lumière, de vertu, de liberté, ont soumis leur conscience et leur génie! Qui mène donc le genre humain? >>

Henri VIII, paisible possesseur du trône, est gouverné par le cardinal Wolsey, ministre tout-puissant, et détesté des seigneurs anglais. Le duc de Buckingham laisse voir sa haine contre ce favori. Wolsey le fait accuser par de faux témoins, et lui fait perdre la tête sur un échafaud. La reine, Catherine d'Aragon, qui s'est intéressée pour ce seigneur, accuse le cardinal de concussion. Wolsey, pour se venger, fait naître dans l'âme de Henri des scrupules sur son mariage avec cette princesse, et lui montre Anne Boleyn, dont il devient éperdûment amoureux. Il profite de cette passion pour achever de perdre la reine, et faire rompre son mariage; mais, ne voulant pas pour souveriane Anne Boleyn, il entrave la procédure du divorce. Ses menées secrètes étant découvertes, il est chassé de la cour, le divorce est prononcé, et le roi épouse Anne Boleyn. Cranmer, qui a remplacé Wolsey, est accusé par Gardiner, évêque de Winchester; mais le roi le protége, et veut qu'il soit parrain de la princesse Élisabeth, fille d'Anne Boleyn. Catherine d'Aragon meurt de chagrin.

Cette pièce historique, écrite probablement en 1601, comprend une période de douze ans. Elle commence à la douzième année du règne de Henri, en 1521, et finit au baptême

d'Elisabeth en 1533, elle a toujours été représentée, avec pompe et magnificence; aussi a-t-elle toujours attiré un grand concours de spectateurs.

Catherine d'Aragon, la plus jeune des quatre filles du roi Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille, naquit à Alcala, en 1485. Elle avait hérité de la hauteur et de l'opiniâtreté de caractère de la reine sa mère, mais non de sa beauté ni de ses talents supérieurs. Son éducation, dirigée par cette femme extraordinaire, grava dans son esprit les plus austères principes de vertu, les plus hautes idées de décence, le plus scrupuleux attachement pour les exercices de la religion, et cet orgueil excessif de la naissance et du rang, qui distinguait sa famille et sa nation. Sous d'autres rapports, Catherine avait un jugement sain, une intelligence forte, un esprit naturellement simple et sérieux, et un cœur porté à la douceur et à la bienveillance. A l'âge de cinq ans, elle fut solennellement fiancée à Arthur, prince de Galles, l'aîné des fils de Henri VII. En 1501, elle débarqua en Angleterre, après avoir échappé à un naufrage; elle fut reçue à Londres avec de grands honneurs, et unie aussitôt au jeune prince qui n'avait que quinze ans; elle en avait dix-sept.

Après cinq mois de mariage, Arthur mourut. Henri VII, voulant garder la riche dot de l'infante, et conserver les avantages de cette alliance avec un des plus puissants princes de l'Europe, conçut l'idée de faire épouser Catherine à son second fils Henri. Il obtint pour cela une dispense du pape, et Catherine fut fiancée dans sa dix-huitième année à Henri; le jeune prince n'avait que douze ans. Il résista autant qu'il put à ce mariage avec la veuve de son frère; le roi Henri même, dont la santé déclinait, conçut des remords, d'avoir forcé son fils à une pareille union. Avant de mourir, il obligea donc le jeune Henri à signer un acte par lequel il renonçait à son mariage futur avec l'infante. Henri le signa avec répugnance; et Catherine, au lieu de retourner dans sa patrie, resta en Angleterre. C'est que le jeune prince avait changé de sentiments pour elle : sa douceur et son amabilité l'avaient séduit; aussi, après la mort de son père, il déclara qu'il ne prendrait point d'autre femme que Catherine d'Aragon. Le 5 juin 1509, ce mariage fut célébré avec une pompe vraiment royale. Les deux époux vécurent dans une harmonie parfaite jusqu'à l'année 1527, malgré

quelques infidélités passagères du roi, et les longues prières et les austérités religieuses de la reine.

La légalité du mariage du roi Henri VIII avec Catherine ne fut jamais contestée jusqu'en 1527; mais, dans le cours de cette année, Anne Boleyn parut à la cour, et fut nommée fille d'honneur de la reine. Ce fut alors seulement que l'union de Henri avec la veuve de son frère devint pour lui un prétendu sujet de scrupule. Les procédures qu'il fit naître durèrent six mois, sans que l'impatience et le caractère de Henri pussent abréger ce temps. On lit dans une vieille chronique que, si les hommes en général, et plus particulièrement les prêtres et les nobles, étaient du parti de Henri, toutes les dames d'Angleterre étaient du parti contraire.

L'action de la pièce d'Henri VIII renferme les événements qui eurent lieu depuis l'accusation du duc de Buckingham, en 1521, jusqu'à la mort de Catherine, en 1536. Shakspeare, en plaçant cette mort avant la naissance de la reine Elisabeth, a commis un anachronisme non-seulement pardonnable, mais nécessaire.

Si l'on se rappelle aussi, 1o que Catherine est l'héroïne de cette pièce, et qu'elle est présentée, depuis le commencement jusqu'à la fin, comme la reine des reines; 2o que tout l'intérêt roule sur elle et sur Wolsey, l'une rivale offensée, l'autre ennemi d'Anne Boleyn; 3o que ce drame fut écrit sous le règne et pour la cour d'Elisabeth; on appréciera davantage la grandeur morale de l'esprit du poëte, qui dédaigna de sacrifier la justice et la vérité à aucune convenance d'utilité ou de temps.

Schlegel fait observer que l'exactitude littérale et l'apparente simplicité avec lesquelles Shakspeare a adapté quelques événements et quelques caractères historiques à ses plans dramatiques, prouvent également son génie et son jugement. Cette remarque, comme la plupart de celles de Schlegel, est profonde et vraie; sous ce rapport, on peut regarder Catherine d'Aragon comme le triomphe du génie de ce grand écrivain. En effet, non-seulement Shakspeare nous donne ici une belle description du caractère magnanime de Catherine, mais il nous offre une précieuse leçon de morale, en prouvant que la vertu scule est une source suffisante du pathétique le plus profond, sans aucun mélange d'ornements

étrangers car quel autre que Shakspeare eût présenté une reine, une héroïne de tragédie, dépouillée de toutes les pompes royales, privée de toutes les sources ordinaires d'intérêt poétique, jeunesse, beauté, grace, imagination, intelligence supérieure? quel autre, sans aucun appel à notre imagination, sans aucune violation de la vérité historique ou aucun sacrifice des autres personnages dramatiques, aurait pu, appuyé sur le principe moral seul, remuer le sentiment au fond de nos cœurs, nous toucher, et nous élever au milieu des plus pures et des plus saintes impulsions de notre nature.

La contradiction apparente qui résulte du contraste entre les dispositions naturelles de Catherine, la situation où elle est placée, son orgueil castillan et son extréme simplicité de langage et de conduite, l'inflexible fermeté avec laquelle elle soutient son droit, sa douce résignation aux duretés et aux affronts, l'impatience de caractère perçant à travers l'humilité d'un esprit subjugué par un profond sentiment de religion, et une certaine austérité couvrant sa bienveillance réelle, toutes ces qualités opposées et cependant en harmonie, Shakspeare les a mises en jeu dans un petit nombre de scènes admirables. Catherine nous est d'abord montrée, plaidant devant le roi en faveur du peuple accablé par les extorsions illégales de Wolsey. Dans cette scène, qui est historique, nous avons une preuve frappante de son esprit droit et élevé, de sa fermeté de résolution, de sa piété et de sa bienveillance. Sa dignité, qui ne recule point devant le cardinal, mais qui ne va point jusqu'à le braver, sa sévère réprimande à l'intendant du duc de Buckingham, sont aussi caractéristiques. C'est en nous montrant ainsi Catherine investie de tous les droits et de toute l'influence de la femme d'un roi, que les situations où elle va se trouver ensuite feront plus d'impression sur nous. Elle est placée d'abord à une telle hauteur dans notre estime et notre respect, qu'au milieu de l'abandon, de l'humiliation, et de la pitié profonde qu'elle nous inspirera, la première impression restera la même, et Catherine ne tombera jamais au-dessous.

Au commencement du second acte, nous sommes préparés aux procédures du divorce; et notre respect pour Catherine reçoit un nouveau degré d'élévation de la sympathie générale pour la bonne reine, et du bel éloge que le duc de Norfolk fait de son caractère.

Peu de temps après, Anne Boleyn monte sans répugnance sur ce trône, d'où sa royale maîtresse a été și cruellement éloignée! On a cité avec raison la belle scène de la comparution de Catherine à Black-Friars, et le portrait d'Anne Boleyn, rayonnante de beauté à son couronnement; elle est placée immédiatement avant la scène de mort de Catherine. Quant à la scène de la procédure, tirée mot à mot des vieilles chroniques et des registres, le génie et le talent du poëte ont tempéré et élevé tout ce que les lois avaient de sec et de dur.

La comparution précitée de Catherine à la cour de BlackFriars, accompagnée d'une noble suite de dames et de prélats de son conseil, et son refus de répondre à la citation, sont des faits historiques. Son discours au roi est extrait de la vieille chronique de Hall; il n'y a presque d'autre changement que celui de la prose en vers blancs.

La reine. Sire, je vous conjure de me rendre justice, et de m'accorder votre pitié; car je suis une malheureuse femme, une étrangère née loin de vos États: je n'ai ici aucun juge impartial, et je ne puis espérer un égal partage de bienveillance et de protection. (Elle se lève.) Hélas! seigneur, en quoi vous ai-je offensé? Quel motif de mécontentement vous a donné ma conduite, pour vouloir ainsi me bannir et me retirer vos bonnes graces? Le ciel m'est témoin que j'ai été pour vous une femme humble et fidèle, soumise dans tous les temps à vos volontés, toujours tremblante dans la crainte de vous déplaire, attentive à vos moindres signes, triste ou gaie, selon que je voyais votre front sombre ou riant. Quand m'est-il arrivé de m'opposer à vos désirs, ou de ne pas y conformer les miens? Quel est celui de vos amis pour lequel je n'aie pas essayé de vaincre mon aversion, quoiqu'il fût mon ennemi? Y a-t-il un seul de mes amis auquel j'aie conservé mon affection, lorsqu'il avait encouru votre disgrace? En est-il un seul que je n'aie pas éloigné pour vous plaire? Sire, rappelez en votre mémoire qu'étant votre épouse depuis plus de vingt ans, je ne me suis jamais écartée de cette obéissance, et que j'ai cu le bonheur de vous donner plusieurs enfants: si, dans ce long espace de temps, vous pouvez citer et prouver un seul fait coutre mon honneur, mes serments, mon amour et mes devoirs, contre votre personne sacrée, au nom de Dieu, chassez-moi,

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