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trainé à faire la guerre par les moyens ordinaires? L'auteur reconnait que cela est possible, mais non vraisemblable. Comment croire, en effet, que le duc de Lorraine osat braver une armée qu'aucun prince vivant, s'il jouit de son bon sens, n'aurait la hardiesse d'attendre en rase campagne? Mais si le duc était assez présomptueux pour ne pas fuir devant de pareilles forces, il faudrait donner cours à la justice et exécuter la sentence de l'Écriture: Celui qui n'obéira pas au prince mourra. A plus forte raison celui qui s'efforce de le tuer ou de vaincre son armée (1).

Un autre argument pouvait être opposé c'est que le plus grand roi qui eût jamais existé, Charlemagne, n'avait pas eu d'autre tactique que celle dont l'auteur conseillait l'abandon (2). Notre anonyme répond d'abord que Charlemagne, à cause de sa longévité extraordinaire et de son ardeur infatigable, n'était pas obligé d'éviter les guerres longues et pénibles. Ainsi, lorsqu'à son retour d'Espagne, où il avait combattu continuellement pendant trente ou trente-deux ans, les ambassadeurs du pape Adrien implorèrent son secours contre Didier, roi des Lombards, il proposa de suite à ses barons de partir pour l'Italie, et les força de le suivre sans leur permettre même d'entrer dans leurs maisons (3). En second lieu, Charlemagne a presque toujours combattu des païens, qu'il est avantageux de tuer. Enfin, il n'aurait pu tenter d'affamer ses ennemis, parce que la population, qui était peu nombreuse alors, trouvait, dans de vastes forêts, le gibier nécessaire à son existence. Mais aujourd'hui tout est changé. L'accroissement prodigieux de la population, la brièveté de la vie, la délicatesse des habitudes sont autant de causes qui obligent à modifier l'ancienne tactique militaire (4).

Arrivé à ce point de son argumentation, l'auteur semble abandonner sa thèse pour présenter des considérations qui, au premier coup d'œil, ne s'y rattachent nullement. Il pose en principe que tous ceux qui veulent examiner comment les princes du monde ont gouverné et gouvernent encore leurs sujets, reconnaissent qu'il serait à désirer, pour le salut de la société, que l'univers fût soumis à la domination des Français, pourvu toutefois que leur roi fût engendré, mis au monde, élevé et instruit en France, où l'expérience a prouvé que les astres se présentent sous un meilleur aspect, et exercent une influence plus heureuse

(1) Fol. 5 verso.

(2) Ibid.

(3) Fol. 6 recto. (4) Fol. 6 verso.

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que dans les autres pays. En effet, dit-il, la prouesse et le caractère des fils que les Français engendrent dans les pays étrangers s'altèrent presque toujours, au moins à la troisième " ou quatrième génération, comme on a pu l'observer jadis dans la personne des princes français qui ont passé dans d'autres pays. C'est un mérite particulier aux Français d'avoir un jugement plus sûr que les autres peuples, de ne pas agir inconsidérément et de ne pas se mettre en opposition avec la droite raison. Or il est de l'intérêt de tous les hommes d'avoir un maître doué de ces qualités; car un prince inconsidéré compro« met ou laisse compromettre le salut des âmes (1). » De ces considérations, l'auteur conclut que le roi doit chercher les moyens de soumettre sans injustice les peuples et les royaumes du monde. Voici le plan qu'il propose.

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« Par la médiation du roi de Sicile, on pourra obtenir de l'Église romaine que le titre de sénateur de Rome appartienne « aux rois de France, qui en exerceraient les fonctions par un délégué. Ils pourraient en outre obtenir le patrimoine de l'Église, à la charge d'estimer tout ce que rapportent la ville de Rome, la Toscane, les côtes et les montagnes, la Sicile, l'Angleterre, l'Aragon et tous les autres pays, afin de remettre au pape les sommes qu'il en retire ordinairement, et de recevoir . en échange les hommages des rois et des autres princes, et « l'obéissance des cités, des châteaux et des villes, avec tous les « revenus que le pape a coutume de percevoir (2). » Ce traité serait avantageux aux deux parties. En effet, quoiqu'il appartienne au pape d'exercer tous les droits impériaux dans les terres qu'il tient de la libéralité de Constantin, cependant il n'a jamais pu et il ne peut encore en jouir sans contestation, à cause de la malice et de la fraude des habitants. « Il y a plus comme ou ne le craignait point, par la raison qu'il n'était pas guerrier (comme en effet il ne doit pas l'être), des guerres nombreuses « ont éclaté, nombre de princes ont été condamnés par l'Église « avec leurs adhérents, et dans ces circonstances il est mort plus « de personnes qu'on ne pourrait le calculer, dont les âmes sont probablement descendues dans les enfers, et que le pape était pourtant tenu de surveiller et de préserver de tout danger. D'ailleurs, on n'élit ordinairement pour papes que des

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« vieillards souvent décrépits, dont la plupart, étrangers à la noblesse, n'ont aucune expérience de la guerre. Comment donc « supposer que, privés comme ils le sont d'amis belliqueux qui «<leur soient attachés par les liens du sang, ils puissent, pen« dant leur courte existence, réprimer l'orgueil, les rébellions et les complots de leurs coupables sujets (1)?....................... Le pape, à « cause du caractère de sainteté dont il est revêtu, doit prétendre « seulement à la gloire de pardonner, vaquer à la lecture et à « l'oraison, prêcher, rendre au nom de l'Église des jugements équitables, rappeler à la paix et à la concorde tous les princes «< catholiques, et les y maintenir afin de pouvoir rendre à Dieu « toutes les âmes qui lui sont confiées. Mais quand il se montre auteur, promoteur et exécuteur de tant de guerres et d'homicides, il donne alors un exemple pernicieux: il fait ce qu'il déteste, ce qu'il blâme, ce qu'il accuse, ce qu'il empêche chez les << autres. Si donc il dépend de lui de conserver ses ressources ordinaires sans en avoir les charges, sans être détourné du soin « des âmes, de se débarrasser de ces occupations terrestres, d'éviter les occasions de tant de maux, et que cependant il ne craigne pas de refuser un si grand avantage, n'encourra-t-il pas les reproches de tous pour sa cupidité, son orgueil et sa « téméraire présomption? Quel est donc l'homme qui puisse et qui ose se donner pour capable de manier l'un et l'autre glaive « dans de si vastes États (2) P.....

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« D'un autre côté, ne pas reconnaître combien il importe aux rois de France d'obtenir le souverain domaine, l'obéissance et « l'administration des royaumes, des cités, des châteaux et des « villes qui dépendent du pape, ce serait manquer de sens, ce « serait douter si la neige est blanche, si les corbeaux sont noirs. « Il est de fait que s'il importe à un prince d'avoir des sujets riches, il importe aussi aux sujets d'avoir un maître opulent. Or, aux yeux des juges les plus éclairés, la prééminence du royaume des Français consiste surtout en ce que le roi est de « tous les princes du monde celui qui peut commander à un plus grand nombre d'hommes nobles et puissants (3). » Quant à l'opulence du roi, elle peut s'accroître de plus d'une manière. Les lois humaines, le droit canon et les coutumes admettent beaucoup de cas dans lesquels les fiefs des vassaux peuvent retourner

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(1) Fol. 7 recto.

(2) Fol. 7 verso.

(3) Ibid.

à leurs seigneurs. Ensuite il est bien probable que le patrimoine de l'Église, dont les papes n'ont jamais eu la pleine jouissance, rapportera des revenus bien plus considérables entre les mains d'un prince capable de dominer par la force des armes. Enfin, cette première conquête en préparera d'autres plus importantes encore (1).

Il en est une surtout qu'il faudrait entreprendre d'abord, ou, ce qui serait plus sûr, dont il faudrait s'assurer par une convention secrète. La Lombardie est une riche province qui devrait être soumise au roi d'Allemagne, mais qui refuse de lui obéir, et dont il ne pourrait entreprendre la conquête. Il faut obtenir la cession de ses droits : ce qu'il peut accorder, s'il est vrai, comme on le dit, qu'il possède déjà ou qu'il doive acquérir le droit de transmettre son royaume à ses héritiers. Dans le cas contraire, on peut traiter avec les électeurs de l'Empire, surtout si l'on obtient le consentement du pape : ce qui serait facile, si le pape était animé de bonnes dispositions (2). « On arrêterait ainsi les « excès des Lombards contre les autres nations, les rapines, les « vols, les homicides, les usures, les rébellions, les guerres de « terre et de mer, et beaucoup d'autres péchés dont ils sont no<< toirement coupables. Que si les Lombards vous refusaient « obéissance, vous pourriez, à l'aide de la nouvelle tactique, ra« vager leurs terres, ruiner leur subsistance, fermer facilement « l'entrée aux vivres qui viendraient des pays voisins, les réduire « par la famine à vous rendre les trésors du monde qu'ils ont « amassés par leur astuce et leur malice, enfin les contraindre à << se soumettre pour toujours comme des esclaves. Je ne crois pas a que depuis l'origine du monde on se soit emparé de richesses égales à celles que vous procurerait cette conquête. Et rien ne « serait plus légitime, car rien ne les autorisait à refuser obéis« sance à leur prince; ils seraient donc tenus de vous payer tous a les revenus qu'on aurait pu exiger d'eux depuis qu'ils ont cessé « d'obéir aux rois d'Allemagne (3).

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Les Lombards une fois vaincus par cette tactique nouvelle, comment les autres nations oseraient-elles vous résister? En vain objecterait-on la population de la Lombardie et les forteresses qui la défendent. Le roi de France conduirait ou enverrait contre eux une cavalerie et une infanterie tellement nombreuses

(1) Fol. 8 recto.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

qu'ils n'oseraient paraître en rase campagne et se renfermeraient dans leurs forteresses. Sans espoir de gages ou de solde, par le seul attrait du butin, une multitude infinie de combattants courrait à cette conquête (1). Et d'ailleurs, si cela était nécessaire, on invoquerait le secours des rois de Sicile et d'Allemagne, en s'engageant à leur rendre au besoin le même service. Si le roi de France voulait lever dans ses États une armée de quatre-vingt mille fantassins et de deux mille cavaliers pris parmi ces nobles pauvres qui ne possèdent que peu ou point de terre, et l'envoyer à ses alliés, en admettant que cette armée ne revint pas, la population n'en paraîtrait pas pour cela diminuée le moins du monde dans les différentes provinces (2). «En effet, dit l'auteur, vous possédez un trésor inépuisable d'hommes qui suffirait à toutes « les guerres qui peuvent se présenter. Oui, si Votre Majesté « connaissait les forces de son peuple, elle aborderait sans hési«tation et sans crainte les grandes entreprises que je viens d'ex<< poser, et celles dont je parlerai bientôt, pourvu toutefois qu'elle « fût guidée par des intentions droites, c'est-à-dire par le désir « du bien général (3). »

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L'auteur dévoile ici toute la hardiesse de son plan. Ce qu'il propose à Philippe le Bel, c'est d'acquérir la monarchie de toute la chrétienté en deçà de la mer méridionale. Le roi pourrait d'abord obtenir, pour son frère Charles ou pour quelqu'un des siens, la main de l'héritière de l'empire de Constantinople, et par une convention préalable se faire reconnaitre comme seigneur de cet empire, en reconnaissance des secours qu'il fournirait pour le recouvrer (4).

Le roi suivrait la même marche pour établir son autorité sur l'Espagne. Il promettrait des secours à son cousin, le petit-fils de saint Louis, pour le faire rentrer en possession de ce royaume, mais à la condition que l'Espagne relèverait de la couronne de France et qu'elle aiderait de tout son pouvoir à la conquête des autres nations (5).

« Si, dans l'intérêt de vos amis particuliers, rois ou autres, «< dit l'auteur, vous faites, à l'occasion, tout ce qui dépendra de « vous pour lever des troupes chez les peuples innombrables qui « vous obéissent et pour envoyer à vos dépens sur le territoire

(1) Fol. 8 verso.

(4) Ibid.

(2) Fol 9 recto.
(5) Fol 9 verso.

(3) Ibid.

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