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aux affaires des autres, que lorfqu'on eft fans inquiétude fur les fiennes.

Mais enfin tout va-t-il bien pour vous? Avezvous à fouhait double estomac, bon Cuisinier, Maitreffe honnête, & repos imperturbable? Ah parlons, parlons: Donnez audience à mon Barbier.

Je fens trop, Monfieur, que ce n'est plus le temps, où, tenant mon manufcrit en réserve, & femblable à la Coquette qui refuse souvent ce qu'elle brûle toujours d'accorder, j'en faifois quelque avare lecture à des Gens préférés, qui croyoient devoir payer ma complaisance par un éloge pompeux de mon Ouvrage.

O jours heureux! Le lieu, le temps, l'auditoire à ma dévotion, & la magie d'une lecture adroite affurant mon fuccès, je gliffois fur le morceau foible en appuyant les bons endroits: puis recueillant les fuffrages du coin de l'œil, avec une orgueilleufe modestie, je jouiffois d'un triomphe d'autant plus doux, que le jeu d'un fripon d'Acteur ne m'en déroboit pas les trois quarts pour fon compte.

Que reste-t-il hélas! de toute cette gibecière? A l'inftant qu'il faudroit des miracles pour vous fubjuguer; quand la verge de Moïfe y fuffiroit à

peine, je n'ai plus même la reffource du bâton de Jacob; plus d'escamotage, de tricherie, de coquetterie, d'inflexions de voix, d'illusion théâtrale, rien. C'est ma vertu toute nue que vous allez juger.

Ne trouvez donc pas étrange, Monfieur, fi; mefurant mon ftyle à ma fituation, je ne fais pas comme ces Écrivains qui fe donnent le ton de vous appeler négligemment, Lecteur, ami Lecteur, cher Lecteur, benin ou Benoist Lecteur, ou de telle autre dénomination cavalière, je dirois même indécente, par laquelle ces imprudens effaient de fe mettre au pair avec leur Juge, & qui ne fait bien souvent que leur en attirer l'animadverfion. J'ai toujours vu que les airs ne féduifoient perfonne, & que le ton modeste d'un Auteur pouvoit feul inspirer un peu d'indulgence à fon fier Lecteur.

Eh! quel Écrivain en eut jamais plus befoin que moi! Je voudrois le cacher en vain: j'eus la foiblesse autrefois, Monfieur, de vous préfenter, en différens temps, deux triftes Drames; productions monftrueuses, comme on fait ! car entre la Tragédie & la Comédie, on n'ignore plus qu'il n'exifte rien; c'est un point décidé, le Maître l'a dit, l'École en retentit, & pour moi j'en fuis tellement convaincu, que, fi je voulois aujourd'hui mettre au Théâtre une fœur une mere éplorée, une époufe trahie

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éperdue, un fils deshérité; pour les préfenter dé cemment au Public, je commencerois par leur fuppofer un beau Royaume où ils auroient régné de leur mieux, vers l'un des Archipels, ou dans tel autre coin du monde : certain après cela, que l'invraisemblance du Roman, l'énormité des faits, l'enflure des caractères, le gigantefque des idées, & la boufiffure du langage, loin de m'être imputés à reproche, affureroient encore mon fuccès.

Préfenter des hommes d'une condition moyenne accablés & dans le malheur! Fi donc! On ne doit jamais les montrer que baffoués. Les Citoyens ridicules, & les Rois malheureux ; voilà tout le Théâtre exiftant & poffible; & je me le tiens pour dit; c'est fait; je ne veux plus quereller avec perfonne.

J'ai donc eu la foibleffe autrefois, Monfieur, de faire des Drames qui n'étoient pas du bon genre ; & je m'en repens beaucoup.

Preffé depuis par les évènemens, j'ai hafardé de malheureux Mémoires, que mes ennemis n'ont pas trouvé du bon ftyle; & j'en ai le remords cruel.

Aujourd'hui je fais gliffer fous vos yeux une Comédie fort gaie, que certains Maîtres de goût

n'eftiment pas du bon ton ; & je ne m'en confole point.

Peut-être un jour oferai-je affliger votre oreille d'un Opéra, dont les jeunes gens d'autrefois diront que la musique n'eft pas du bon françois ; & j'en fuis tout honteux d'avance.

Ainfi de fautes en pardons, & d'erreurs en excuses, je pafferai ma vie à mériter votre indulgence, par la bonne-foi naïve avec laquelle je reconnoîtrai les unes en vous préfentant les autres.

Quant au Barbier de Séville; ce n'est pas pour corrompre votre jugement que je prends ici le ton respectueux : mais on m'a fort assuré que, lorsqu'un Auteur étoit forti, quoiqu'échiné, vainqueur au Théâtre, il ne lui manquoit plus que d'être agréé par vous, Monfieur, & lacéré dans quelques Journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littéraires. Ma gloire est donc certaine, fi vous daignez m'accorder le laurier de votre agrément; perfuadé que plufieurs de Meffieurs les Journalistes ne me refuseront pas celui de leur dénigrement.

Déja l'un d'eux, établi dans Bouillon avec Approbation & Privilége, in'a fait l'honneur encyclopédique

d'affurer à fes Abonnés que ma Pièce étoit fans plan, fans unité, fans caractères, vide d'intrigue & dénuée de comique.

Un autre plus naïf encore, à la vérité fans Approbation, fans Privilége, & même fans Encyclopédie, après un candide expofé de mon Drame, ajoute au laurier de fa critique, cet éloge flatteur de ma perfonne. "La réputation du fieur de Beaumarchais eft' » bien tombée ; & les honnêtes gens font enfin » convaincus que lorsqu'on lui aura arraché les plumes du paon, il ne restera plus qu'un vilain » corbeau noir, avec fon effronterie & fa voracité ».

"

Puifqu'en effet j'ai eu l'effronterie de faire la Comédie du Barbier de Séville; pour remplir l'horofcope entier, je poufferai la voracité jufqu'à vous prier humblement, Monfieur, de me juger vous-même, & fans égard aux Critiques paffés, préfens & futurs; car vous favez que, par état, les Gens de Feuilles font fouvent ennemis des Gens de Lettres; j'aurai même la voracité de vous prévenir qu'étant faifi de mon affaire, il faut que vous foyez mon Juge abfolument, foit que vous le vouliez ou non; car vous êtes mon Lecteur.

Et vous fentez bien, Monfieur, que fi, pour éviter ce tracas, ou me prouver que je raisonne mal, vous

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