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tolèrent en elles la dégradation du cœur en faveur de la médiocrité de l'esprit, tandis que l'honnêteté la plus parfaite pourrait 'à peine obtenir grace pour une supériorité véritable.

Je développerai les diverses causes de cette singularité. Je commence d'abord par examiner quel est le sort des femmes qui cultivent les lettres dans les monarchies, et quel est aussi leur sort dans les républiques. Je m'attache à caractériser les principales différences que ces deux situations politiques doivent produire dans la destinée des femmes qui aspirent à la célébrité littéraire, et je considère ensuite d'une manière générale quel bonheur la gloire peut promettre aux femmes qui veulent y prétendre.

Dans les monarchies, elles ont à craindre le ridicule, et dans les républiques la haine.

Il est dans la nature des choses que, dans une monarchie où le tact des convenances est si finement saisi, toute action extraordinaire, tout mouvement pour sortir de sa place, paraisse d'abord ridicule. Ce que vous êtes forcé de faire par votre état, par votre position, trouve mille approbateurs; ce que vous inventez sans nécessité, sans obligation, est d'avance jugé sévèrement. La jalousie naturelle à tous les hommes ne s'apaise que si vous pouvez vous excuser, pour ainsi dire, d'un succès par un devoir; mais si vous ne couvrez pas la gloire même du prétéxte de votre situation et de votre intérêt, si l'on vous croit pour unique motif le besoin de vous distinguer, vous importunerez ceux que l'ambition amène sur la même route que vous.

En effet, les hommes peuvent toujours cacher leur amour-propre et le désir qu'ils ont d'être applaudis sous l'apparence ou la réalité de passions plus fortes et plus nobles; mais quand les femmes écrivent, comme on leur suppose en général pour premier motif le désir de montrer de l'esprit, le public leur accorde difficilement son suffrage. Il sent qu'elles ne peuvent s'en passer, et cette idée fait naître en lui la tentation de le refuser. Dans toutes les situations de la vie, l'on peut remarquer que dès qu'un homme s'aperçoit que vous avez éminemment besoin de lui, presque toujours il se refroidit pour vous. Quand une femme publie un livre, elle se met tellement dans la dépendance de l'opinion, que les dispensateurs de cette opinion lui font sentir durement leur empire.

A ces causes générales, qui agissent presque également dans tous les pays, se joignent diverses circonstances particulières à la monarchie française. L'esprit de chevalerie qui subsistait encore s'opposait, sous quelques rapports, à ce que les hommes mêmes cultivassent trop assidûment les lettres. Ce même esprit devait inspirer plus d'éloignement encore pour les femmes qui s'occupaient trop exclusivement de ce genre d'étude, et détournaient ainsi leurs pensées de leur premier intérêt, les sentiments du cœur. La délicatesse du point d'honneur pouvait inspirer aux hommes quelque répugnance à se soumettre eux-mêmes à tous les genres de critique que la publicité doit attirer; à plus forte raison pouvait-il leur déplaire de voir les êtres qu'ils étaient chargés de protéger, leurs femmes, leurs sœurs ou leurs filles, courir les hasards des jugements du public, ou lui donner seulement le droit de parler d'elles habituellement.

Un grand talent triomphait de toutes ces considérations; mais il était néanmoins difficile aux femmes de porter noblement la réputation d'auteur, de la concilier avec l'indépendance d'un rang élevé, et de ne perdre rien, par cette réputation, de la dignité, de la grace, de l'aisance et du naturel qui devaient caractériser leur ton et leurs manières habituelles.

On permettait bien aux femmes de sacrifier les occupations de leur intérieur au goût du monde et de ses amusements, mais on accusait de pédantisme toute étude sérieuse; et si l'on ne s'élevait pas, dès les premiers pas, au-dessus des plaisanteries qui assaillaient de toutes parts, ces plaisanteries parvenaient à décourager le talent, à tarir la source même de la confiance et de l'exaltation.

Une partie de ces inconvénients ne peut se retrouver dans les républiques, et surtout dans une république qui aurait pour but l'avancement des lumières. Peut-être serait-il naturel que, dans un tel État, la littérature proprement dite devînt le partage des femmes, et que les hommes se consacrassent uniquement à la haute philosophie.

On a dirigé l'éducation des femmes, dans tous les pays libres, selon l'esprit de la constitution qui y était établie. A Sparte, on les accoutumait aux exercices de la guerre ; à Rome, on exigeait - d'elles des vertus austères et patriotiques. Si l'on voulait que le principal mobile de la république française fût l'émulation des lumières et de la philosophie, il serait très-raisonnable d'encourager les femmes à cultiver leur esprit, afin que les hommes pussent s'entretenir avec elles des idées qui captiveraient leur intérêt.

Néanmoins, depuis la révolution, les hommes ont pensé qu'il était politiquement et moralement utile de réduire les femmes à la plus absurde médiocrité; ils ne leur ont adressé qu'un misérable langage sans délicatesse comme sans esprit; elles n'ont plus eu de motifs pour développer leur raison: les mœurs n'en sont pas devenues meilleures. En bornant l'étendue des idées, on n'a pu ramener la simplicité des premiers âges; il en est seulement résulté que moins d'esprit a conduit à moins de délicatesse, à moins de respect pour l'estime publique, à moins de moyens de supporter la solitude. Il est arrivé ce qui s'applique à tout dans la disposition actuelle des esprits: on croit toujours que ce sont les lumières qui font le mal, et l'on veut le réparer en faisant rétrograder la raison. Le mal des lumières ne peut se corriger qu'en acquérant plus de lumières encore. Ou la morale serait une idée fausse, ou il est vrai que plus on s'éclaire, plus on s'y attache.

Si les Français pouvaient donner à leurs femmes toutes les vertus des Anglaises, leurs mœurs retirées, leur goût pour la solitude, ils feraient très-bien de préférer de telles qualités à tous les dons d'un esprit éclatant; mais ce qu'ils pourraient obtenir de leurs femmes, ce serait de ne rien lire, de ne rien savoir, de n'avoir jamais dans la conversation ni une idée intéressante, ni une expression heureuse, ni un langage relevé; loin que cette bienheureuse ignorance les fixat dans leur intérieur, leurs enfants leur deviendraient moins chers lorsqu'elles seraient hors d'état de diriger leur éducation. Le monde leur deviendrait à la fois plus nécessaire et plus dangereux; car on ne pourrait jamais leur parler que d'amour, et cet amour n'aurait pas même la délicatesse qui peut tenir lieu de moralité.

Plusieurs avantages d'une grande importance pour la morale et le bonheur d'un pays se trouveraient perdus si l'on parvenait à rendre les femmes tout à fait insipides ou frivoles. Elles auraient beaucoup moins de moyens pour adoucir les passions furieuses des hommes; elles n'auraient plus, comme autrefois, un utile ascendant sur l'opinion : ce sont elles qui l'animaient dans tout ce qui tient à l'humanité, à la générosité, à la délicatesse. Il n'y a que ces êtres en dehors des intérêts politiques et de la carrière de l'ambition, qui versent le mépris sur toutes les actions basses, signalent l'ingratitude, et savent honorer la disgrâce quand de nobles sentiments l'ont causée. S'il n'existait plus en France de femmes assez éclairées pour que leur jugement pût compter, assez nobles dans leurs manières pour inspirer un respect véritable, l'opinion de la société n'aurait plus aucun - pouvoir sur les actions des hommes.

Je crois fermement que dans l'ancien régime, où l'opinion exerçait un si salutaire empire, cet empire était l'ouvrage des femmes distinguées par leur esprit et leur caractère: on citait souvent leur éloquence quand un dessein généreux les inspirait, quand elles avaient à défendre la cause du malheur, quand l'expression d'un sentiment exigeait du courage et déplaisait au pouvoir.

Durant le cours de la révolution, ce sont ces mêmes femmes qui ont encore donné le plus de preuves de dévouement et d'énergie.

Jamais les hommes, en France, ne peuvent être assez républicains pour se passer entièrement de l'indépendance et de la fierté naturelle aux femmes. Elles avaient sans doute, dans l'ancien régime, trop d'influence sur les affaires : mais elles ne sont pas moins dangereuses lorsqu'elles sont dépourvues de lumières, et par conséquent de raison; leur ascendant se porte alors sur des goûts de fortune immodérés, sur des choix sans discernement, sur des recommandations sans délicatesse; elles avilissent ceux qu'elles aiment au lieu de les exalter. L'État y gagne-t-il? Le danger très-rare de rencontrer une femme dont la supériorité soit en disproportion avec la destinée de son sexe, doit-il priver la république de la célébrité dont jouissait la France par l'art de plaire et de vivre en société? Or, sans les femmes, la société ne peut être ni agréable ni piquante; et les femmes privées d'esprit, ou de cette grâce de conversation qui suppose l'éducation la plus distinguée, gâtent la société au lieu de l'embellir; elles y introduisent une sorte de niaiserie dans les discours et de médisance de coterie, une insipide gaieté qui doit finir par éloigner tous les hommes vraiment supérieurs, et réduirait les réunions brillantes de Paris aux jeunes gens qui n'ont rien à faire et aux jeunes femmes qui n'ont rien à dire.

On peut découvrir des inconvénients à tout dans les affaires humaines. Il y en a sans doute à la supériorité des femmes, à celle même des hommes, à l'amour-propre des gens d'esprit, à l'ambition des héros, à l'imprudence des âmes grandes, à l'irritabilité des caractères indépendants, à l'impétuosité du courage, etc. Faudrait-il pour cela combattre de tous ses efforts les qualités naturelles, et diriger toutes les institutions vers l'abaissement des facultés! A peine est-il certain que cet abaissement favorisàt les autorités de famille ou celles des gouvernements. Les femmes sans esprit de conversation ou de littérature ont ordinairement plus d'art pour échapper à leurs devoirs; et les nations sans lumières ne savent pas être libres, mais changent très-souvent de maîtres.

Éclairer, instruire, perfectionner les femmes comme les hommes, les nations comme les individus, c'est encore le meilleur secret pour tous les buts raisonnables, pour toutes les relations sociales et politiques auxquelles on veut assurer un fondement durable.

L'on ne pourrait craindre l'esprit des femmes que par une inquiétude délicate sur leur bonheur. Il est possible qu'en développant leur raison, on les éclaire sur les malheurs souvent attachés à leur destinée; mais les mêmes raisonnements s'appliqueraient à l'effet des lumières en général sur le bonheur du genre humain, et cette question me paraît décidée.

Si la situation des femmes est très-imparfaite dans l'ordre civil, c'est à l'amélioration de leur sort, et non à la dégradation de leur esprit, qu'il faut travailler. Í est utile aux lumières et au bonheur de la société que les femmes développent avec soin lear

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