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rite, que les règles et le goût du style peuvent se conserver. Comment, au milieu d'une société grossière, parviendrait-on à créer en soi cette délicatesse d'instinct qui repousse tout ce qui blesse le goût, avant même d'avoir analysé les motifs de sa répugnance?

Le style représente, pour ainsi dire, au lecteur le maintien, l'accent, le geste de celui qui s'adresse à lui; et, dans aucune circonstance, la vulgarité des manières ne peut ajouter à la force des idées, ni à celle des expressions. Il en est de même du style; il faut toujours qu'il ait de la noblesse dans les objets sérieux. Aucune pensée, aucun sentiment ne perd pour cela de son énergie; l'élévation du langage conserve seulement cette dignité de l'homme en présence des hommes, à laquelle ne doit jamais renoncer celui qui s'expose à leurs jugements; car cette foule d'inconnus qu'on admet, en écrivant, à la connaissance de soimême, ne s'attend point à la familiarité; et la majesté du public s'étonnerait avec raison de la confiance de l'écrivain.

L'indépendance républicaine doit donc chercher à imiter la correction des auteurs du siècle de Louis XIV, pour que les pensées utiles se propagent, et que les ouvrages philosophiques soient en même temps des ouvrages classiques en littérature.

On a souvent disputé sur ce qu'il fallait préférer dans les tragédies, de l'imitation de la nature, ou du beau idéal. Je renvoie à la seconde partie de cet ouvrage quelques réflexions sur le système tragique qui peut convenir à un état républicain; cette discussion n'appartient pas à ce chapitre. L'auteur qui a porté au plus haut degré de perfection et le style, et la poésie, et l'art de peindre le beau idéal, Racine, est l'écrivain qui donne le plus l'idée de l'influence qu'exerçaient les lois et les mœurs du règne de Louis XIV sur les ouvrages dramatiques. L'esprit de chevalerie avait introduit dans les principes de l'honneur un genre de délicatesse qui créait nécessairement une nature de convention; c'est

Je sais bien que ce mot la vulgarité n'avait pas encore été employé; mais je le crois bon et nécessaire. Je développerai dans une note de la se. conde partie de cet ouvrage quelles règles il me semble raisonnable d'adop ter aujourd'hui relativement aux mots nouveaux.

à-dire qu'il existait un certain degré d'héroïsme, pour ainsi dire, indispensable à la noblesse, et dont il n'était pas permis de supposer qu'un noble pût être privé. Ce point d'honneur, si susceptible qu'il ne tolérait pas dans les relations de la vie la plus légère expression qui pût blesser la fierté la plus exaltée, ce point d'honneur donnait aussi ses lois à l'imitation théâtrale, aux jeux de l'imagination; et la diversité des caractères qu'on pouvait peindre devait rester dans les bornes prescrites. Il n'était pas permis d'étendre cette diversité aussi loin que la nature; et l'on était contenu par un certain respect envers les classes supérieures, qui ne permettait pas de représenter en elles rien qui pût les avilir.

L'adulation envers le monarque élevait encore plus haut le beau idéal. La nation s'anéantit alors qu'elle n'est composée que des adorateurs d'un seul homme. La grandeur factice qu'il fallait accorder à Louis XIV portait les poëtes à peindre toujours des caractères parfaits, comme celui que la flatterie avait inventé: l'imagination des écrivains devait au moins aller aussi loin que leurs louanges; et le même modèle se répétait souvent dans les tableaux dramatiques. Le caractère d'Achille, dans Iphigénie, avait quelques traits de la galanterie française; on retrouvait dans Titus des allusions à Louis XIV. Le plus beau génie du monde, Racine, ne se permettait pas des conceptions aussi hardies que sa pensée peut-être les lui aurait suggérées, parce qu'il avait sans cesse présents à l'esprit ceux qui devaient le juger.

Le public terrible, mais inconnu, d'une assemblée tumultueuse, inspire moins de timidité que cet aréopage de la cour dont l'auteur voudrait captiver personnellement chaque juge. Devant un tel tribunal, le goût paraît encore plus nécessaire que l'énergie. On veut arriver aux grands effets par beaucoup de nuances, et l'on ne peut alors employer les mêmes moyens dont se servait Shakspeare pour entrainer le flot populaire qui se précipitait à ses pièces.

La peinture de l'amour, sous le règne de Louis XIV, était aussi soumise à quelques règles reçues. La galanterie envers toutes les femmes, introduite par les lois de la chevalerie, la politesse des cours, le langage élégant que l'orgueil des rangs, se réservait comme une distinction de plus, tout multipliait les convenances que l'on devait ménager. Ces difficultés ajoutaient souvent à l'éclat du génie qui savait les vaincre; mais quelquefois aussi l'expression recherchée refroidissait l'émotion. Une sorte d'esprit madrigalique attestait le sang-froid lors même qu'on voulait peindre l'entraînement; et l'on se servait souvent d'un langage qui n'appartenait ni à la raison ni à l'amour.

Il manquait quelque chose, même à Racine, dans la connaissance du cœur humain, sous les rapports que la philosophie seule peut faire découvrir. Mais s'il faut une réflexion approfondie pour démêler ce qu'on pourrait ajouter encore à de tels chefsd'œuvre, les bornes de la philosophie, dans le siècle de Louis XIV, se font sentir d'une manière bien plus remarquable dans les ouvrages littéraires qui n'appartiennent pas à l'art dramatique. Ces bornes sont l'une des principales causes de la médiocrité des historiens.

Les guerres religieuses avaient fait naître un esprit de parti qui change plusieurs histoires en plaidoyers théologiques; l'esprit de corps, différent encore de l'esprit de parti, mais non moins éloigné de la vérité, dénature également les faits. Enfin le code de la féodalité donnant pour base à toutes les institutions, à tous les pouvoirs, les droits antérieurs consacrés par le temps, il n'était pas permis de dire la vérité sur le passé, quelque ancien qu'il pût être; les autorités présentes en dépendaient: des erreurs de tous les genres arrêtaient les historiens sur tous les sujets, ou, ce qui était plus fàcheux encore, les historiens adoptaient sincèrement ces erreurs mêmes.

L'homme, environné de tant d'institutions respectées, de tant de préjugés éclatants, de tant de convenances reçues, ne pouvait pas en appeler à l'indépendance de ses réflexions; sa raison ne devait pas tout examiner, son âme n'était jamais affranchie du joug de l'opinion; la solitude même ne ramenait pas sa réflexion aux idées naturelles; l'ascendant du monarque et du culte monarchique avait pénétré dans la conviction intime de tous. Ce n'était pas un despotisme qui comprimait les esprits ni les âmes; c'était un despotisme qui paraissait à tous tellement

dans la nature des choses, qu'on se façonnait pour lui comme pour l'ordre invariable de ce qui existe nécessairement.

Un seul asile restait encore, la religion, et, dans cet asile, un homme, Bossuet, fit entendre quelques vérités courageuses. Tous les intérêts de la vie étaient soumis au monarque; mais, au nom de la mort, on pouvait encore lui parler d'égalité. Ces dogmes, ces cérémonies, cet appareil religieux, étaient alors la seule barrière de la puissance: on la citait devant l'éternité; et si les hommes abandonnaient à un homme la disposition de leur existence, ils en appelaient à Dieu, qui faisait trembler les rois.

De nos jours, si le pouvoir absolu d'un seul s'établissait en France, il nous manquerait ce recours à des idées majestueuses, à des idées qui, planant sur l'espèce humaine entière, consolaient des hasards du sort; et la raison philosophique opposerait moins de digues à la tyrannie que l'indomptable croyance, l'intrépide dévouement de l'enthousiasme religieux.

CHAPITRE XX.

Du dix-huitième siècle jusqu'en 1789.

Cette époque est celle où la littérature a donné l'impulsion à la philosophie. Après la mort de Louis XIV, les mêmes abus n'étant plus défendus par le mème pouvoir, la réflexion s'est tournée vers les questions qui intéressaient la religion et la politique; et la révolution des esprits a commencé. Les philosophes anglais connus en France ont été l'une des premières causes de cet esprit d'analyse qui a conduit si loin les écrivains français ; mais, indépendamment de cette cause particulière, le siècle qui succède au siècle de la littérature est dans tous les pays, comme j'ai tàché de le prouver, celui de la pensée. Heureux si les Français sont assez favorisés par la destinée, pour que le fil des progrès métaphysiques, des découvertes dans les sciences, et des idées philosophiques, ne se rompe pas encore entre leurs mains!

La liberté des opinions a commencé, en France, par des attaques contre la religion catholique; d'abord, parce que c'étaient les seules hardiesses sans conséquence pour l'auteur, et, en second lieu, parce que Voltaire, le premier homme qui ait popularisé la philosophie en France, trouvait dans ce sujet un fonds inépuisable de plaisanteries, toutes dans l'esprit français, toutes dans l'esprit même des hommes de la cour.

Les courtisans ne réfléchissant pas sur la connexion intime qui doit exister entre tous les préjugés, espéraient tout à la fois se maintenir dans une situation fondée sur l'erreur, et se parer eux-mêmes d'un esprit philosophique; ils voulaient dédaigner quelques-uns de leurs avantages, et néanmoins les conserver; ils pensaient qu'on n'éclairerait sur les abus que leurs possesseurs, et que le vulgaire continuerait à croire, tandis qu'un petit nombre d'hommes jouissant, comme toujours, de la supériorité de leur rang, joindraient encore à cette supériorité celle de leurs lumières; ils se flattaient de pouvoir regarder longtemps leurs inférieurs comme des dupes, sans que ces inférieurs se lassassent jamais d'une telle situation. Aucun homme ne pouvait mieux que Voltaire profiter de cette disposition des nobles de France; car il se peut que lui-même il la partageât.

Il aimait les grands seigneurs, il aimait les rois; il voulait éclairer la société plutôt que la changer. La grâce piquante, le goût exquis qui régnaient dans ses ouvrages lui rendaient presque nécessaire d'avoir pour juge l'esprit aristocratique. Il voulait que les lumières fussent de bon ton, que la philosophie fût à la mode; mais il ne soulevait point les sensations fortes de la nature; il n'appelait pas du fond des forêts, comme Rousseau, la tempête des passions primitives, pour ébranler le gouvernement sur ses antiques bases. C'est avec la plaisanterie et l'arme du ridicule que Voltaire affaiblissait par degrés l'importance de quelques erreurs: il déracinait tout autour ce que l'orage a depuis si facilement renversé; mais il ne prévoyait pas, il ne voulait pas la révolution qu'il a préparée.

Une république fondée sur un système d'égalité philosophique n'étant point dans ses opinions, ne pouvait être son but secret. L'on n'aperçoit point dans ses écrits une idée lointaine, un dessein caché : cette clarté, cette facilité qui distinguent ses ouvrages permettent de tout voir, et ne laissent rien à deviner.

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