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l'on dépend du caractère et de la volonté d'un seul homme ou d'un petit nombre de ses délégués, chacun s'étudie à connaître les plus secrètes pensées des autres, les plus légères gradations des sentiments et des faiblesses individuelles'. Mais lorsque l'opinion publique et la réputation populaire ont la première influence, l'ambition délaisse ce dont l'ambition n'a pas besoin, et l'esprit ne s'exerce point à saisir ce qui est fugitif quand il n'a point d'intérêt à le deviner.

Les Anglais n'ont point parmi eux un auteur comique tel que Molière; et s'ils le possédaient, ils ne sentiraient pas toutes ses finesses. Dans les pièces mêmes telles que l'Avare, le Tartufe, le Misantrhope, qui peignent la nature humaine de tous les pays, il y a des plaisanteries délicates, des nuances d'amour-propre, que les Anglais ne remarqueraient seulement pas; ils ne s'y reconnaîtraient point, quelque naturelles qu'elles soient; ils ne se savent pas eux-mêmes avec tant de détails; les passions profondes et les occupations importantes leur ont fait prendre la vie plus

en masse.

Il y a quelquefois dans Congrève de l'esprit subtil et des plaisanteries fortes; mais aucun sentiment naturel n'y est peint. Par un singulier contraste, plus les mœurs particulières des Anglais sont simples et pures, plus ils exagèrent, dans leurs comédies, la peinture de tous les vices. L'indécence des pièces de Congrève n'eût jamais été tolérée sur le théâtre français: on trouve dans le dialogue des idées ingénieuses; mais les mœurs que ces comédies représentent sont imitées des mauvais romans français, qui n'ont jamais peint eux-mêmes les mœurs de France. Rien ne ressemble moins aux Anglais que leurs comédies.

On dirait que, voulant être gais, ils ont cru nécessaire de s'éloigner le plus possible de ce qu'ils sont réellement, ou que, respectant profondément les sentiments qui faisaient le bonheur de leur vie domestique, ils n'ont pas permis qu'on les prodiguât sur leur théâtre.

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Congrève et plusieurs de ses imitateurs entassent, sans me

L'Angleterre est gouvernée par un roi; mais toutes ses institutions sont éminemment conservatrices de la liberté civile et de la garantie politique.

sure comme sans vraisemblance, des immoralités de tous les genres. Ces tableaux sont sans conséquence pour une nation telle que la nation anglaise; elle s'en amuse comme des contes, comme des images fantasques d'un monde qui n'est pas le sien. Mais en France, la comédie, peignant véritablement les mœurs, pourrait influer sur elles, et il devient bien plus important alors de lui imposer des lois sévères.

Dans les comédies anglaises, on trouve rarement des caractères vraiment anglais : la dignité d'un peuple libre s'oppose peutêtre chez les Anglais, comme chez les Romains, à ce qu'ils laissent représenter leurs propres mœurs sur le théâtre. Les Français s'amusent volontiers d'eux-mêmes. Shakspeare et quelques autres ont représenté dans leurs pièces des caricatures populaires, telles que Falstaff, Pistol, etc.; mais la charge en exclut presque entièrement la vraisemblance. Le peuple de tous les pays est amusé par des plaisanteries grossières; mais il n'y a qu'en France où la gaieté la plus piquante soit en même temps la plus délicate.

M. Shéridan a composé en anglais quelques comédies où l'esprit le plus brillant et le plus original se montre presque à chaque scène; mais outre, qu'une exception ne changerait rien aux considérations générales, il faut encore distinguer la gaieté de l'esprit du talent dont Molière est le modèle. Dans tous les pays, un écrivain capable de concevoir beaucoup d'idées est certain d'arriver à l'art de les opposer entre elles d'une manière piquante. Mais comme les antithèses ne composent pas seules l'éloquence, les contrastes ne sont pas les seuls secrets de la gaieté; et il y a, dans la gaieté de quelques auteurs français, quelque chose de plus naturel et de plus inexplicable: la pensée peut l'analyser, mais la pensée seule ne la produit pas ; c'est une sorte d'électricité communiquée par l'esprit général de la nation.

La gaieté et l'éloquence ont quelques rapports ensemble, en cela seulement que c'est l'inspiration involontaire qui fait atteindre, en écrivant ou en parlant, à la perfection de l'une et de l'autre. L'esprit de ceux qui vous entourent, de la nation où vous vivez, développe en vous la puissance de la persuasion ou de la plaisanterie beaucoup plus sûrement que la réflexion et l'étude.

Les sensations viennent du dehors, et tous les talents qui dépendent immédiatement des sensations ont besoin de l'impulsion donnée par les autres. La gaieté et l'éloquence ne sont point les simples résultats des combinaisons de l'esprit; il faut être ébranlé, modifié par l'émotion qui fait naître l'une ou l'autre, pour obtenir les succès du talent dans ces deux genres. Or, la disposition commune à la plupart des Anglais n'excite point leurs écrivains à la gaieté.

Swift, dans Gulliver et le conte du Tonneau, de même que Voltaire dans ses écrits philosophiques, tire des plaisanteries très-heureuses de l'opposition qui existe entre l'erreur reçue et la vérité proscrite, entre les institutions et la nature des choses. Les allusions, les allégories, toutes les fictions de l'esprit, tous les déguisements qu'il emprunte, sont des combinaisons avec lesquelles on produit de la gaieté; et, dans tous les genres, les efforts de la pensée vont très-loin, quoiqu'ils ne puissent jamais atteindre à la souplesse, à la facilité des habitudes, au bonheur inattendu des impressions spontanées.

Il existe cependant une sorte de gaieté dans quelques écrits anglais, qui a tous les caractères de l'originalité et du naturel. La langue anglaise a créé un mot, humour, pour exprimer cette gaieté qui est une disposition du sang presque autant que de l'esprit; elle tient à la nature du climat et aux mœurs nationales ; elle serait tout à fait inimitable là où les mêmes causes ne la développeraient pas. Quelques écrits de Fielding et de Swift, Peregrin Pickle, Roderick Random, mais surtout les ouvrages de Sterne, donnent l'idée complète du genre appelé humour.

Il y a de la morosité, je dirais presque de la tristesse, dans cette gaieté; celui qui vous fait rire n'éprouve pas le plaisir qu'il cause. L'on voit qu'il écrit dans une disposition sombre, et qu'il serait presque irrité contre vous de ce qu'il vous amuse. Comme les formes brusques donnent quelquefois plus de piquant à la louange, la gaieté de la plaisanterie ressort par la gravité de son auteur'. Les Anglais ont très-rarement admis sur la scène le genre

Je suis entrée à Londres, une fois, dans un cabinet de physique amusante, et j'ai vu les tours les plus grotesques, à la bague, au sautoir, à l'esd'esprit qu'ils nomment humour; son effet ne serait point théàtral.

Il y a de la misanthropie dans la plaisanterie même des Anglais, et de la sociabilité dans celle des Français: l'une doit se lire quand on est seul, l'autre frappe d'autant plus qu'il y a plus d'auditeurs. Ce que les Anglais ont de gaieté conduit presque toujours à un résultat philosophique ou moral; la gaieté des Français n'a souvent pour but que le plaisir même.

Ce que les Anglais peignent avec un grand talent, ce sont les caractères bizarres, parce qu'il en existe beaucoup parmi eux. La société efface les singularités, la vie de la campagne les con

serve toutes.

L'imitation sied particulièrement mal aux Anglais; leurs essais dans le genre de grace et de gaieté qui caractérise la littérature française, manquent pour la plupart de finesse et d'agrément. Ils développent toutes les idées, ils exagèrent toutes les nuances, ils ne se croient entendus que lorsqu'ils crient, et compris qu'en disant tout. Une remarque singulière, c'est que les peuples oisifs sont beaucoup plus difficiles sur l'emploi du temps qu'ils donnent à leurs plaisirs que les hommes occupés. Les hommes livrés aux affaires sont habitués aux longs développements; les hommes livrés au plaisir se fatiguent bien plus promptement, et le goût très-exercé éprouve la satiété très-vite.

Il y a rarement de la finesse dans les esprits qui s'appliquent toujours à des résultats positifs. Ce qui est vraiment utile est très-facile à comprendre, et l'on n'a pas besoin d'un regard perçant pour l'apercevoir. Un pays qui tend à l'égalité est aussi moins sensible aux fautes de convenance. La nation étant plus une, l'écrivain prend l'habitude de s'adresser dans ses ouvrages au jugement et aux sentiments de toutes les classes; enfin, les pays libres sont et doivent être sérieux.

Quand le gouvernement est fondé sur la force, il peut ne pas craindre le penchant de la nation à la plaisanterie; mais lorsque l'autorité dépend de la confiance générale, lorsque l'esprit public en est le principal ressort, le talent et la gaieté qui font découvrir le ridicule et se plaire dans la moquerie, sont excessivement dangereux pour la liberté et l'égalité politique. Nous avons parlé des malheurs qui sont résultés pour les Athéniens de leur goût immodéré pour la plaisanterie; et la France nous fournirait un grand exemple à l'appui de celui-là, si la puissance des événements de la révolution avait laissé les caractères à leur développement naturel..

carpolette, exécutés par des hommes fort âgés, du maintien le plus roide et du sérieux le plus imperturbable. Ils se livraient à ces exercices pour leur santé, et n'avaient pas l'air de se douter que rien au monde n'était plus risible que le contraste de leur extérieur pédantesque et de leurs jeux enfantins.

CHAPITRE XV.

De l'imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans.

L'invention des faits et la faculté de sentir et de peindre la nature sont deux genres d'imagination absolument distincts : l'une appartient plus particulièrement à la littérature du Midi, l'autre à celle du Nord. J'en ai développé les diverses causes. Ce qu'il me reste à examiner maintenant, c'est le caractère particulier à l'imagination poétique des Anglais.

Ils n'ont point été inventeurs de nouveaux sujets de poésie, comme le Tasse et l'Arioste. Les romans des Anglais ne sont point fondés sur des faits merveilleux, sur des événements extraordinaires, tels que les contes arabes ou persans : ce qui leur reste de la religion du Nord, ce sont quelques images, et non une mythologie brillante et variée, comme celle des Grecs; mais leurs poëtes sont inépuisables dans les idées et les sentiments que fait naître le spectacle de la nature. L'invention des faits surnaturels a son terme; ce sont des combinaisons très-bornées, et peu susceptibles de cette progression qui appartient à toutes les vérités morales, de quelque genre qu'elles soient: lorsque les poëtes s'attachent à revêtir des couleurs de l'imagination les pensées philosophiques et les sentiments passionnés, ils entrent en quelque manière dans cette route où les hommes éclairés avancent sans cesse, à moins que la force ignorante et tyrannique ne leur enlève toute liberté.

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