Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

nité, et qu'on analysait, en Italie, les préférences et les rigueurs de sa maîtresse 1.

L'Europe, et en particulier la France, ont failli perdre tous les avantages du génie naturel par l'imitation des écrivains de l'Italie. Les beautés qui immortalisent les poëtes italiens appartiennent à la langue, au climat, à l'imagination, à des circonstances de tout genre qui ne peuvent se transporter ailleurs, tandis que leurs défauts sont très-contagieux. Si quelques passions profondes ne s'étaient pas conservées dans le Nord, sous cette atmosphère nébuleuse où la force de l'âme entretient seule la vie, les femmes n'auraient apporté dans l'existence des hommes qu'une galanterie flatteuse et recherchée, qui aurait fini par étouffer pour toujours la simplicité des sentiments naturels.

L'affectation est, de tous les défauts des caractères et des écrits, celui qui tarit de la manière la plus irréparable la source de tout bien, car elle blase sur la vérité même dont elle imite l'accent.

Dans quelque genre que ce soit, tous les mots qui ont servi à des idées fausses, à de froides exagérations, sont pendant longtemps frappés d'aridité; et telle langue même peut perdre entièrement la puissance d'émouvoir sur tel sujet, si elle a été trop souvent prodiguée à ce sujet même. Ainsi peut-être l'italien est-il, de toutes les langues de l'Europe, la moins propre à l'éloquence passionnée de l'amour, comme la nôtre est maintenant usée pour l'éloquence de la liberté.

Dans le temps même où Pétrarque mettait dans ses poésies une exagération trop romanesque, Boccace se jeta dans un genre tout à fait contraire. Il composa les contes les plus indécents; et la plupart des comédies italiennes sont infiniment plus libres qu'aucune pièce française. C'est encore une des funestes conséquences de la recherche maniérée des sentiments que d'inspirer le goût de l'extrême opposé pour réveiller de la langueur et de

Entre mille exemples de l'affectation italienne, j'en citerai un assez remarquable. Pétrarque perdit sa mère lorsqu'elle n'avait que trente-huit ans; il fit un sonnet sur sa mort, composé de trente-huit vers, pour rappeler, par l'exactitude de ce nombre, d'une manière assurément bien touchante et bien naturelle, le regret qu'il avait d'avoir perdu sa mère à cet age,

l'ennui que ce ton sentimental fait éprouver. L'affectation de l'amour porte les esprits au ton licencieux, comme l'hypocrisie de la religion à l'athéisme.

Pétrarque cependant, et quelques poëtes célèbres qui ont écrit dans le même genre, méritent d'être lus, par le charme de leur langue harmonieuse : elle rappelle quelques-uns des effets de la musique céleste dont elle est si souvent accompagnée. Ce n'est pas néanmoins que des mots aussi sonores soient un avantage pour tous les genres du style, ni même pour tous les genres de poésie. Le bruit retentissant de l'italien ne dispose ni l'écrivain, ni le lecteur à penser; la sensibilité même est distraite de l'émotion par des consonnances trop éclatantes. L'italien n'a pas assez de concision pour les idées; il n'a rien d'assez sombre pour la mélancolie des sentiments. C'est une langue d'une mélodie si extraordinaire, qu'elle peut vous ébranler, comme des accords, sans que vous donniez votre attention au sens même des paroles. Elle agit sur vous comme un instrument musical.

Quand on lit dans le Tasse ces vers :

[blocks in formation]

il n'est personne qui ne soit transporté d'admiration. Cependant, en examinant le sens de ces paroles, on n'y trouve rien de sublime : c'est comme grand musicien que le Tasse vous fait trembler dans cette strophe; et les beaux airs de Iomelli produiraient sur vous un effet à peu près semblable. Voilà l'avantage de la langue; en voici l'inconvénient:

La mort de Clorinde, tuée par Tancrède, est peut-être la situation la plus touchante que nous connaissions en poésie; et le charme inexprimable de cet épisode, dans le Tasse, ajoute encore à son effet. Cependant le dernier vers qui termine le récit :

'Le son rauque de la trompette du Tartare appelle les habitants des ombres éternelles; les vastes et noires cavernes en frémissent, et l'air obscur répète au loin ce bruit terrible.

Passa la bella donna, et par che dorma ',

est trop harmonieux, trop doux, glisse trop mollement sur l'âme, pour être d'accord avec l'impression profonde que doit produire un tel événement.

La foule d'improvisateurs assez distingués qui font des vers aussi promptement que l'on parle, est citée comme une preuve des avantages de l'italien pour la poésie. Je crois, au contraire, que cette extrême facilité de la langue est un de ses défauts, et l'un des obstacles qu'elle offre aux bons poëtes pour élever trèshaut la perfection de leur style. Les gradations de la pensée, les nuances du sentiment, ont besoin d'être approfondies par la méditation; et ces paroles agréables qui s'offrent en foule aux poëtes italiens pour faire des vers, sont comme une cour de flatteurs qui dispensent de chercher, et souvent empêchent de découvrir un véritable ami.

L'esprit national influe sur la nature de la langue d'un pays; mais cette langue réagit, à son tour, sur l'esprit national. L'italien cause souvent une sorte de lassitude de la pensée; il faut plus d'efforts pour la saisir à travers ces sons voluptueux que dans les idiomes distincts, qui ne détournent point l'esprit d'une attention abstraite. En Italie, tout semble se réunir pour livrer la vie de l'homme aux sensations agréables que peuvent donner les beaux-arts et le soleil.

Depuis que ce pays a perdu l'empire du monde, on dirait que son peuple dédaigne toute existence politique, et que, suivant l'esprit de la maxime de César, il aspire au premier rang dans les plaisirs plutôt qu'à de secondes places dans la gloire.

Le Dante, ayant joué, comme Machiavel, un rôle au milieu des troubles civils de son pays, a montré, dans quelques morceaux de son poëme, une énergie qui n'a rien d'analogue avec la littérature de son temps, mais les défauts sans nombre qu'on peut lui reprocher sont, sans doute, le tort de son siècle. Ce n'est que sous Léon X qu'on a pu remarquer un goût très-pur dans

La belle femme expire, et l'on dirait qu'elle dort.

la littérature italienne. L'ascendant de ce prince tenait lieu d'unité aux gouvernements italiens.

Les lumières se réunissaient dans un seul foyer : le goût pouvait s'y former aussi; et c'était d'un mème tribunal que partaient tous les jugements littéraires.

۲۰

Après le siècle des Médicis, la littérature italienne n'a plus fait aucun progrès, soit qu'un centre fût nécessaire pour rallier les esprits, soit surtout parce que la philosophie n'était point cultivée en Italie. Lorsque la littérature d'imagination a atteint dans une langue le plus haut degré de perfection dont elle est susceptible, il faut que le siècle suivant appartienne à la philosophie, pour que l'esprit humain ne cesse pas de faire des progrès. Après Racine nous avons vu Voltaire, parce que, dans le dix-huitième siècle, on était plus penseur que dans le dix-septième. Mais qu'aurait-on pu ajouter à la perfection de la poésie après Racine? Les Italiens, arrêtés par leurs gouvernements et par leurs prêtres dans tout ce qui pouvait avoir rapport aux idées philosophiques, n'ont pu que repasser sur les mêmes traces, et par conséquent s'affaiblir.

Ils n'ont point de romans, comme les Anglais et les Français, parce que l'amour qu'ils conçoivent n'étant point une passion de l'âme, ne peut être susceptible de longs développements. Leurs mœurs sont trop licencieuses pour pouvoir graduer aucun intérêt de ce genre.

Leurs comédies ont beaucoup de cette gaieté bouffonne qui tient à l'exagération des vices et des ridicules; mais on n'y trouve point, si l'on en excepte quelques pièces de Goldoni, la peinture frappante et vraie des vices du cœur humain, comme dans les comédies françaises. L'observation, poussée en ce genre jusqu'à la plus parfaite sagacité, est un travail qui pourrait conduire à toutes les idées philosophiques. Les Italiens n'ont pensé qu'à faire rire en composant leurs pièces; tout but sérieux, même déguisé sous les formes les plus légères, ne peut y être aperçu; et leurs comédies sont la caricature de la vie, et non son portrait. Les Italiens se moquent dans leurs contes, et souvent même sur le théâtre, des prètres auxquels ils sont d'ailleurs entièrement asservis. Mais ce n'est point sous un point de vue philosophique qu'ils attaquent les abus de la religion; ils n'ont pas, comme quelques-uns de nos écrivains, le but de réformer les défauts dont ils plaisantent: ce qu'ils veulent seulement, c'est s'amuser d'autant plus que le sujet est plus sérieux. Leurs opinions sont, dans le fond, assez opposées à tous les genres d'autorité auxquels ils sont soumis; mais cet esprit d'opposition n'a de force que ce qu'il faut pour pouvoir mépriser ceux qui les commandent. C'est la ruse des enfants envers leurs pédagogues ; ils leur obéissent, à condition qu'il leur soit permis de s'en moquer.

Il s'ensuit que tous les ouvrages des Italiens, excepté ceux qui traitent des sciences physiques, n'ont jamais pour but l'utilité; et, dans quelque genre que ce soit, ce but est nécessaire pour donner aux pensées une force réelle. Les ouvrages de Beccaria, de Filangieri, et un petit nombre d'autres encore, font exception à ce que je viens de dire. L'émulation philosophique peut se communiquer des pays étrangers en Italie, et produire quelques écrits supérieurs; mais la nature des gouvernements et des préjugés qui les dirigent s'oppose à ce que cette émulation soit nationale; elle ne peut avoir son mobile dans les institutions du pays.

Une question me reste encore à examiner. Les Italiens ont-ils poussé très-loin l'art dramatique dans leurs tragédies? Malgré le charme de Métastase et l'énergie d'Alfieri, je ne le pense pas. Les Italiens ont de l'invention dans les sujets, et de l'éclat dans les expressions; mais les personnages qu'ils peignent ne sont point caractérisés de manière à laisser de profondes traces, et les douleurs qu'ils représentent arrachent peu de larmes. C'est que, dans leur situation politique et morale, l'âme ne peut avoir son entier développement; leur sensibilité n'est pas sérieuse, leur grandeur n'est pas imposante, leur tristesse n'est pas sombre. Il faut que l'auteur italien prenne tout en lui-même pour faire une tragédie, qu'il s'éloigne entièrement de ce qu'il voit, de ses idées et de ses impressions habituelles; et il est bien difficile de trouver le vrai de ce monde tragique, alors qu'il est si distant des mœurs générales.

La vengeance est la passion la mieux peinte dans les tragé

« ZurückWeiter »