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ce que le monde connu n'existait pas depuis longtemps. On trouve beaucoup de longueurs dans certains sujets, de l'ignorance et de l'erreur sur plusieurs autres. Les Romains sont supérieurs aux Grecs dans la carrière de la pensée: mais combien toutefois dans cette même carrière ne sont-ils pas au-dessous des modernes!

La principale cause de l'admiration qui nous saisit en lisant le petit nombre d'écrits qu'il nous reste de la première époque de la littérature romaine, c'est l'idée que ces écrits nous donnent du caractère et du gouvernement des Romains. L'histoire de Salluste, les lettres de Brútus 1, les ouvrages de Cicéron, rappellent des souvenirs tout-puissants sur la pensée; vous sentez la force de l'âme à travers la beauté du style; vous voyez l'homme dans l'écrivain, la nation dans cet homme, et l'univers aux pieds de cette nation.

Sans doute Salluste et Cicéron même n'étaient pas les plus grands caractères de l'époque où ils ont vécu : mais des écrivains d'un tel talent se pénétraient de l'esprit d'un si beau siècle; et Rome vit tout entière dans leurs écrits.

Lorsque Cicéron plaide devant le peuple, devant le sénat, devant les prêtres ou devant César, son éloquence change de forme. On peut observer dans ses harangues, non-seulement le caractère qui convenait à la nation romaine en général, mais toutes les modifications qui doivent plaire aux différents esprits, aux différentes habitudes des hommes en autorité dans l'État. Le parallèle de Cicéron et de Démosthène se trouve donc presque entièrement dans la comparaison qu'on peut faire de l'esprit et des mœurs des Grecs avec l'esprit et les mœurs des Romains. La verve injurieuse de Démosthène, l'éloquence imposante de Cicéron, les moyens que Démosthène emploie pour agiter les passions dont il a besoin, les raisonnements dont Cicéron se sert pour repousser celles qu'il veut combattre, ses longs développements, les rapides mouvements de l'orateur grec, la mul

Brutus, dans ses lettres, ne s'occupait point de l'art d'écrire: il n'avait pour but que de servir les intérêts politiques de son pays; et cependant la lettre qu'il adresse à Cicéron, pour lui reprocher les flatteries qu'il prodiguait au jeune Octave, est peut-être ce qui a été écrit de plus beau dans la prose latine.

titude d'arguments que Cicéron croit nécessaires, les coups répétés que Démosthène veut porter, tout a rapport au gouvernement et au caractère des deux peuples.

L'écrivain solitaire peut n'appartenir qu'à son talent; mais l'orateur qui veut influer sur les délibérations politiques, se conforme avec soin à l'esprit national, comme un habile général étudie d'avance le terrain sur lequel il doit livrer le combat.

CHAPITRE VI.

C

De la littérature sous le règne d'Auguste.

L'on regarde ordinairement Cicéron et Virgile comme appartenant tous les deux au même siècle appelé le siècle d'or de la littérature latine. Cependant les écrivains dont le génie s'était formé au milieu des luttes sanglantes de la liberté, devaient avoir un autre caractère que les écrivains dont les talents s'étaient perfectionnés sous les dernières années du paisible despotisme d'Auguste. Ces temps sont si rapprochés qu'on pourrait en confondre les dates; mais l'esprit général de la littérature latine, avant et depuis la perte de la liberté, offre à l'observation des différences remarquables,

Les habitudes républicaines se prolongèrent encore pendant quelques années du règne d'Auguste; plusieurs historiens en conservent les traces. Mais tout, dans les poëtes, rappelle l'influence des cours: la plupart d'entre eux, désirant de plaire à Auguste, vivant auprès de lui, donnèrent à la littérature le caractère qu'elle doit prendre sous l'empire d'un monarque qui veut captiver l'opinion, sans rien céder de la puissance qu'il possède. Ce seul point d'analogie établit quelques rapports entre la littérature latine et la littérature française, dans le siècle de Louis XIV, quoique d'ailleurs ces deux époques ne se ressemblent nullement.

La philosophie, à Rome, précéda la poésie; c'est l'ordre habituel renversé, et c'est peut-être la principale cause de la perfection des poëtes latins.

Avant le règne d'Auguste, l'émulation n'avait point été portée vers la poésie. Les jouissances du pouvoir et des intérêts politiques l'emportent presque toujours sur les succès purement littéraires; et quand la forme du gouvernement appelle les talents supérieurs à l'exercice des emplois publics, c'est vers Péloquence, l'histoire et la philosophie, c'est vers la partie de la littérature qui tient le plus immédiatement à la connaissance des hommes et des événements, que se dirigent les travaux. Sous l'empire d'un seul, au contraire, les beaux-arts sont l'unique moyen de gloire qui reste aux esprits distingués; et quand la tyrannie est douce, les poëtes ont souvent le tort d'illustrer son règne par leurs chefs-d'œuvre.

Cependant Virgile, Horace, Ovide, malgré les flatteries qu'ils ont prodiguées à Auguste, se sont montrés beaucoup plus philosophes, beaucoup plus penseurs dans leurs écrits, qu'aucun des poëtes grecs. Ils doivent en partie cet avantage à la raison profonde des écrivains qui les ont précédés. Toutes les littératures ont leur époque de poésie. De certainės beautés d'images et d'harmonie sont transportées successivement dans la plupart des langues nouvelles et perfectionnées; mais quand le talent poétique d'une nation se développe, comme à Rome, au milieu d'un siècle éclairé, il s'enrichit des lumières de ce siècle. L'imagination, sous quelques rapports, n'a qu'un temps dans chaque pays; elle précède ordinairement les idées philosophiques: mais lorsqu'elle les trouve déjà connues et développées, elle fournit sa course avec bien plus d'éclat.

Les poëtes, sous le règne d'Auguste, adoptaient presque tous dans leurs écrits le système épicurien; il est d'abord très-favorable à la poésie, et de plus, il semble qu'il donne quelque noblesse à l'insouciance, quelque philosophie à la volupté, quelque dignité même à l'esclavage. Ce système est immoral, mais il n'est pas servile; il abandonne la liberté, comme tous les biens qui peuvent exiger un effort, mais il ne fait pas du despotisme un principe, et de l'obéissance un fanatisme, comme le voulaient les adulateurs de Louis XIV. Cette brièveté de la vie, dont Horace mêle sans cesse le souvenir à ses peintures les plus riantes, cette pensée de la mort, qu'il ramène continuellement à travers toutes les prospérités, rétablissent une sorte d'égalité philosophique, à côté même de la flatterie. Ce n'est pas avec une vertueuse sensibilité que ces poëtes nous peignent la passagère destinée de l'homme; si leur âme se montrait capable d'émotions profondes, on leur demanderait de combattre la tyrannie au lieu de chanter l'usurpateur. Mais on se les représente voyant passer la vie, comme ils regardent couler le ruisseau qui rafraîchit leur climat brûlant, et l'on finit presque par leur pardonner d'oublier la morale et la liberté, comme ils laissent échapper le temps et l'existence.

Malgré cette mollesse de caractère qui se fait remarquer sous le règne d'Auguste dans la plupart des poëtes, on trouve en eux un grand nombre de beautés réfléchies. Ils ont emprunté des Grecs beaucoup d'inventions poétiques, que les modernes ont imitées à leur tour, et qui semblent devoir être à jamais les éléments de l'art. Mais ce qu'il y a de tendre et de philosophique dans les poëtes latins, eux seuls en ont la gloire.

L'amour de la campagne, qui a inspiré tant de beaux vers, prend chez les Romains un autre caractère que chez les Grecs. Ces deux peuples se plaisent également dans les images qui conviennent aux mêmes climats. Ils invoquent, ils rappellent avec délices la fraîcheur de la nature, pour échapper à leur soleil dévorant; mais les Romains demandent de plus à la campagne un abri contre la tyrannie: c'était pour se reposer des sentiments pénibles, c'était pour oublier un joug avilissant qu'ils se retiraient loin des cités habitées. Des réflexions morales se mêlent à leur poésie descriptive; on croit apercevoir des regrets et des souvenirs dans tout ce que les poëtes écrivaient alors; et c'est sans doute par cette raison qu'ils réveillent plus que les Grecs une impression sensible dans notre âme. Les Grecs vivaient dans l'avenir, et les Romains aimaient déjà, comme nous, à porter leurs regards sur le passé.

Aussi longtemps que dura la république, il y eut de la délicatesse dans les affections des Romains pour les femmes. Elles n'avaient point encore l'existence indépendante que leur assurent les lois modernes; mais reléguées avec les dieux pénates, elles inspiraient, comme ces divinités domestiques, quelques sentiments religieux. Les écrivains qui ont existé pendant la république, ne s'étant jamais permis d'exprimer les affections qu'ils éprouvaient, c'est dans le court passage des mœurs les plus sévères à la plus effroyable corruption que les poëtes latins ont montré une sensibilité plus touchante que celle qu'on peut trouver dans aucun ouvrage grec. On se rappelait encore, sous le règne d'Auguste, l'austérité républicaine, et la peinture de l'amour empruntait quelques charmes des souvenirs de la vertu 1.

Des vers de Tibulle à Délie, le quatrième chant de l'Énéide, Ceyx et Alcione, Philémon et Baucis, peignent les sentiments de l'âme avec cette langue des Latins dont le caractère est si imposant. Quelle impression ne produit-elle pas, cette langue créée pour la force et la raison, alors qu'on la consacre à l'expression de la tendresse! C'est une puissance majestueuse qui vous émeut d'autant plus en s'abandonnant aux mouvements de la nature, que vous êtes plus accoutumés à la respecter. Cependant le langage vrai d'une sensibilité profonde et passionnée est

'Je cite au hasard deux traits qui peuvent confirmer ce que je dis de la sensibilité des poëtes latins. Lorsque les dieux voyageurs demandent à Philémon, dans les Metamorphoses d'Ovide, ce que Baucis et lui souhaitent de la faveur du ciel, Philémon leur répond :

Poscimus, et quoniam concordes egimus annos,

Auferat hora duos eadem; nec conjugis unquam

Busta meæ videam; neu sim tumulandus ab illa.

Comme nous avons passé ensemble des années toujours d'accord, nous demandons que la même heure termine notre carrière; que je ne voie jamais le tombeau de mon épouse, et que je ne sois point enseveli par elle.

Je choisis dans Virgile, le poëte du monde où l'on peut trouver le plus de vers sensibles, ceux qui peignent la tendresse paternelle; car il faut pour attendrir, sans employer la langue de l'amour, une sensibilité beaucoup plus profonde. Évandre, en disant adieu à son fils Pallas, prêt à partir pour la guerre, s'adresse au ciel en ces termes :

At vos, ô superis, et divum tu maxime
rector,

Jupiter, Arcadii, quæso, miserescite regis,
Et patrias audite preces. Si numina vestra
Incolumem Pallanta mihi, si fata reservant;
Si visurus eum vivo, et venturus in unum:
Vitam oro: patiar quemvis durare laborem.
Sin aliquem infandum casum, Fortuna,

minaris,

Nunc ô, nunc liceat crudelem abrumpere vitam:

Dum curæ ambiguæ, dum spes incerta

futuri;

Dum te, care puer, mea sera et sola vo

Inptas,

Complexu teneo gravior ne nuncius
Vulneret.

aures

Mais vous, o divinités suprêmes! et toi, maître des dieux, Jupiter, ayez pitié du roi d'Arcadie, écoutez les prières paternelles. Si votre volonté, si celle des destins me réservent Pallas, si je dois le revoir et l'embrasser encore, je vous demande de vivre. Je supporterai la peine, quelle que soit sa durée. Mais si le sort le menace de quelque accident funeste, ò dieux! qu'il me soit permis maintenant de briser ma vie malheureuse, tandis que des inquiétudes douteuses, tandis que l'espérance incertaine de l'avenir m'agitent, tandis que je t'embrasse encore, toi mon enfant, toi la seule volupté du soir de ma vie; qu'il me soit permis de mourir, de peur qu'un messager cruel ne déchire mon cœur..,

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