rellement passionnés, et qui ont combattu pour reprendre l'empire; plusieurs de ces jouissances n'appartiennent qu'aux âmes jadis ardentes, et la nécessité de ces sacrifices ne peut être sentie que par ceux qui ont été malheureux. En effet, si l'on n'était pas né passionné, qu'aurait-on à craindre, de quel effort aurait-on besoin, que se passerait-il en soi qui pût occuper le moraliste, et l'inquiéter sur la destinée de l'homme ? Pourrait-on aussi me reprocher de n'avoir pas traité séparément les jouissances attachées à l'accomplissement de ses devoirs, et les peines que font éprouver le remords qui suit le tort, ou le crime de les avoir bravées? Ces deux idées premières dans l'existence s'appliquent également à toutes les situations, à tous les caractères; et ce que j'ai voulu montrer seulement, c'est le rapport des passions de l'homme avec les impressions agréables ou douloureuses qu'il ressent au fond de son cœur. En suivant ce plan, je crois de même avoir prouvé qu'il n'est point de bonheur sans la vertu; revenir à ce résultat par toutes les routes est une nouvelle preuve de sa vérité. Dans l'analyse des diverses affections morales de l'homme, il se rencontrera quelquefois des allusions à la révolution de France; nos souvenirs sont tous empreints de ce terrible événement : d'ailleurs, j'ai voulu que cette première partie fût utile à la seconde; que l'examen des hommes un à un pût préparer au calcul des effets de leur réunion en masse. J'ai espéré, je lerépète, qu'en travaillant à l'indépendance morale de l'homme, on rendrait sa liberté politique plus facile, puisque chaque restriction qu'il faut imposer à cette liberté est toujours commandée par l'effervescence de telle ou telle passion. Enfin, de quelque manière que l'on juge mon plan, ce qui est certain, c'est que mon unique but a été de combattre le malheur sous toutes ses formes, d'étudier les pensées, les sentiments, les institutions qui causent de la douleur aux hommes, pour chercher quelle est la réflexion, le mouvement, la combinaison, qui pourraient diminuer quelque chose de l'intensité des peines de l'âme; l'image de l'infortune, sous quelque aspect qu'elle se présente, et me poursuit et m'accable. Hélas! j'ai tant éprouvé ce que c'était que souffrir, qu'un attendrissement inexprimable, une inquiétude douloureuse s'emparent de moi, à la pensée des malheurs de tous et de chacun; des chagrins inévitables et des tourments de l'imagination; des revers de l'homme juste, et même aussi des remords du coupable; des blessures du cœur, les plus touchantes de toutes, et des regrets dont on rougit sans les éprouver moins; enfin, de tout ce qui fait verser des larmes, ces larmes que les anciens recueillaient dans une urne consacrée, tant la douleur de l'homme était auguste à leurs yeux. Ah! ce n'est pas assez d'avoir juré que, dans les limites de son existence, de quelque injustice, de quelque tort qu'on fût l'objet, on ne causerait jamais volontairement une peine, on ne renoncerait jamais volontairement à la possibilit d'en soulager une; il faut essayer encore si quelque ombre de talent, si quelque faculté de méditation ne pourrait pas faire trouver la langue dont la mélancolie ébranle doucement le cœur, ne pourrait pas aider à découvrir à quelle hauteur philosophique les armes qui blessent n'atteindraient plus. Enfin, si le temps et l'étude apprenaient comment on peut donner aux principes politiques assez d'évidence pour qu'ils ne fussent plus l'objet de deux religions, et par conséquent des plus sanglantes fureurs, il semble que l'on aurait du moins offert un examen complet de tout ce qui livre la destinée de l'homme à la puissance du malheur. DE L'INFLUENCE DES PASSIONS. SECTION I. DES PASSIONS, CHAPITRE PREMIER. De l'amour de la gloire. De toutes les passions dont le cœur humain est susceptible, il n'en est point qui ait un caractère aussi imposant que l'amour de la gloire: on peut trouver la trace de ses mouvements dans la nature primitive de l'homme, mais ce n'est qu'au milieu de la société que ce sentiment acquiert sa véritable force. Pour mériter le nom de passion, il faut qu'il absorbe toutes les autres affections de l'âme, et ses plaisirs comme ses peines n'appartiennent qu'au développement entier de sa puissance. Après cette sublimité de vertu, qui fait trouver dans sa propre conscience le motif et le but de sa conduite, le plus beau des principes qui puisse mouvoir notre âme est l'amour de la gloire. Je laisse au sens de ce mot sa propre grandeur, en ne le séparant pas de la valeur réelle des actions qu'il doit désigner. En effet, une gloire véritable ne peut être acquise par une célébrité relative; on en appelle toujours à l'univers et à la postérité pour confirmer le don d'une si auguste couronne; elle ne doit donc rester qu'au génie ou à la vertu. C'est en méditant sur l'ambition que je parlerai de tous les succès éphémères qui peuvent imiter ou rappeler la gloire; mais c'est d'elle-même, c'est-à-dire de ce qui est vraiment grand et juste, que je veux d'abord m'occuper; et pour juger son influence sur le bonheur, je ne crain drai point de la faire paraître dans toute la séduction de son éclat. Le digne et sincère amant de la gloire propose un beau traité au genre humain; il lui dit : « Je consacrerai mes talents à « vous servir; ma passion dominante m'excitera sans cesse à « faire jouir un plus grand nombre d'hommes des résultats << heureux de mes efforts; le pays, le peuple qui m'est inconnu, < aura des droits aux fruits de mes veilles; tout ce qui pense « est en relation avec moi; et, dégagé de la puissance envi<< ronnante des sentiments individuels, c'est à l'étendue seule de < mes bienfaits que je mesurerai mon bonheur: pour prix de « ce dévouement, je ne vous demande que de le célébrer; char« gez la renommée d'acquitter votre reconnaissance. La vertu, « j'en conviens, sait jouir d'elle-même; moi, j'ai besoin de vous « pour obtenir le. prix qui m'est nécessaire pour que la gloire « de mon nom soit unie au mérite de mes actions. » Quelle franchise, quelle simplicité dans ce contrat! comment se peut-il que les nations n'y soient jamais restées fidèles, et que le génie seul en ait accompli les conditions? C'est, sans doute, une jouissance enivrante que de remplir l'univers de son nom, d'exister tellement au delà de soi, qu'il soit possible de se faire illusion et sur l'espace et sur la durée de la vie, et de se croire quelques-uns des attributs métaphysiques de l'infini. L'àme se remplit d'un orgueilleux plaisir par le sentiment habituel que toutes les pensées d'un grand nombre d'hommes sont dirigées sur vous; que vous existez en présence de leur espoir; que chaque méditation de votre esprit peut influer sur beaucoup de destinées; que de grands événements se développent au dedans de vous, et commandent, au nom du peuple, qui compte sur vos lumières, la plus vive attention à vos propres pensées. Les acclamations de la foule remuent l'âme, et par les réflexions qu'elles font naître, et par les commotions qu'elles excitent: toutes ces formes animées, enfin, sous lesquelles la gloire se présente, doivent transporter la jeunesse d'espérance et l'enflammer d'émulation. Les routes qui conduisent à un si grand but sont remplies de charmes; les occupations que commande l'ardeur d'y parvenir sont elles-mêmes une jouissance; et, dans la carrière des succès, ce qu'il y a souvent de |