Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

devoirs des individus, et de faire exécuter la loi. Dans le droit privé il ne doit agir que sur la demande de la partie lésée; dans le droit pénal il peut agir indépen– damment de cette demande. Cela provient de ce que dans ce second cas l'ordre social est plus sérieusement attaqué que dans le premier.

Ainsi la société ou le pouvoir public a le droit de punir, parcequ'il est de la nature de ce pouvoir de faire respecter et exécuter les lois sociales. Tout acte qui tendrait à empêcher ou à interrompre le cours de ces lois doit être puni. C'est là le seul fondement légitime de l'exercice de la loi pénale.

De cette manière on évitera la regrettable confusion entre la base de la loi pénale et celle de l'exercice de cette loi. Qu'on ne dise pas que, par ce moyen, on donnera libre cours à l'arbitraire du pouvoir public: car une fois que nous avons posé que la loi pénale doit avoir pour élément la justice, et pour condition l'intérêt social, ce danger ne peut plus exister.

Ainsi un coupable adressant au pouvoir public cette question En vertu de quelle loi me punissez-vous ? le pouvoir lui répondra: Je vous punis en vertu d'une loi que la justice commande et que l'intérêt social exige. -A cette autre question: En vertu de quel droit me punissez-vous? le pouvoir répondra : En vertu du droit qui me donne le devoir de veiller au dépôt de cette loi; je dois punir tout acte qui tendrait à la renverser ou à la faire mépriser.

CHAPITRE III.

LIMITE ENTRE LE DROIT CIVIL ET LE DROIT PÉNAL.

36. Toute loi positive n'est qu'une transformation en mode impératif de la loi naturelle, quand l'intérêt social l'exige. La loi pénale, comme toute autre loi écrite, a la même nature. La loi positive determine nos droits et nos devoirs à l'égard de nos semblables et les conséquences qui en résultent. La loi pénale a pareillement en vue des droits à faire respecter et des devoirs à imposer. De plus, chaque disposition de la loi positive est dotée d'une sanction qui lui donne une force réelle, et que le pouvoir public doit appliquer. La loi pénale a aussi une sanction sans laquelle elle serait inutile et ne garantirait point les droits qu'elle veut faire respecter. Ces deux ordres de lois ont donc les mêmes caractères généraux. Serait-on tenté de les confondre? On l'a déjà fait. Quant à nous, nous examinerons quelle est la limite qui sépare ces deux sortes de lois.

37. D'abord, quel est l'intérêt de cette question? Cet intérêt se trouve dans les différences importantes qui séparent la loi pénale de la loi civile. En laissant de côté les questions de compétence, de procédure et de prescription, qui ne peuvent pas trouver place ici, nous mentionnons les différences fondamentales. Ces différences sont au nombre de trois : a) Les lois de police et de sûreté, c'est-à-dire les lois pénales, s'appliquent à tous

ceux qui habitent un pays, indigènes ou étrangers, tandis que la loi civile, dans la plupart de ses dispositions, ne s'applique qu'aux membres qui font partie d'une nation. b) La loi pénale, en outre des dommages intérêts que le coupable doit payer à la partie civile, donne lieu à une peine publique, amende ou toute autre pénalité; tandis que la loi civile ne donne lieu, ordinairement, qu'à une simple réparation envers celui qui a subi quelque dommage. c) La loi pénale donne lieu à deux actions : l'action publique et l'action civile; ces actions sont indépendantes l'une de l'autre, et chacune peut s'exercer séparément; dans la loi civile, au contraire, il n'y a qu'une seule action, celle de la partie lésée. Ces différences sont importantes, et portent avec elles de graves conséquences pratiques. Leur raison d'être se comprend facilement. Dans la loi civile l'intérêt général est moins engagé, la société souffre moins de ses violations; aussi est-elle plus restreinte dans son action. La loi pénale, au contraire, intéresse directement l'ordre social, sa violation trouble le repos général, amène avec soi l'incertitude et le manque de sûreté, la peur s'empare de toutes les âmes, et une stagnation ou une léthargie générale serait le résultat de l'impunité des criminels : aussi la société a-t-elle pris plus de précautions pour faire exécuter et respecter cette loi.

38. Le jurisconsulte, de même que le législateur, doit donc savoir quelle est la limite où s'arrête la loi civile et où commence la loi pénale, quel est le trait caractéristique qui fait de tel fait un délit, et non une simple lésion civile. Plusieurs écrivains se sont occupés de cette question sans la résoudre effectivement. Nous ne voulons mentionner que Bentham, qui a entièrement confondu les deux lois, civile et pénale. Il croit que « créer les droits et les obligations, c'est créer les délits. »

Mais toute loi crée des droits et des obligations, la loi commerciale, la loi administrative, comme la loi civile proprement dite. L'infraction à toutes ces lois constituerait donc des délits! Le mot certainement changerait entièrement de sens. Il ajoute Chaque loi civile forme un titre particulier qui doit définitivement aboutir à une loi pénale. On peut donc tout ramener au pénal, ou tout ramener au civil1. » Et pourquoi cela ? Parceque chacune de ces lois se trouve dotée d'une sanction. Mais il n'a pas aperçu quelles grandes différences séparent les deux sanctions. C'est ce qui l'a conduit à confondre les deux lois.

M. Ortolan, le premier, a donné la solution la plus satisfaisante sur ce point. C'est aussi cette solution que nous adoptons2. S'agit-il d'une lésion contre laquelle chacun à la possibilité de se prémunir par le seul emploi de ses facultés individuelles, cette lésion constitue un fait civil. La prudence ordinaire suffit pour éviter ces lésions ou pour s'en défendre. Si la justice sociale intervient, son rôle se bornera à contraindre à l'exécution de ce qu'exige le droit, où à faire réparer le préjudice résultant de son inexécution ou de sa violation. S'agit-il, au contraire, de ces lésions à l'égard desquelles les moyens de prévision ou de défense individuelles sont ordinairement insuffisants, la lésion constitue un délit pénal. La société doit dès lors intervenir non seulement pour faire une réparation civile, mais aussi pour infliger une peine.

En effet, toutes les fois qu'on ne veut pas exécuter les obligations dont on est tenu envers moi, ou qu'on me conteste, par mauvaise foi, mes droits de propriétaire, de créancier, d'héritier, mes seules forces suffisent pour

1. Vue générale d'un corps complet de législation, chap. 3. 2. Voyez les Eléments de droit pénal, p. 239.

faire respecter mon droit ; je m'adresse à la justice pour lui voir faire exécuter ce qu'exigera le droit dont j'aurai fait preuve, ou réparer le préjudice résultant de la violation de ce droit. La conservation sociale est assez garantie par cette intervention de la justice. En est-il de même quand il s'agit de coups, d'injures, de calomnie, de vol, d'escroquerie? Quand mes droits ont été attaqués par la violence, par la trahison, par toutes espèces de machinations frauduleuses? On se sent impuissant à prévenir ou à se mettre à l'abri de pareilles violations de droit. La force individuelle fait défaut et cède la place à la force collective. Si la société intervient, ce n'est plus simplement pour réparer le mal commis, c'est aussi pour infliger une peine: car, ces actes injustes, ayant menacé la sécurité générale, la justice et l'intérêt de conservation sociale demandent qu'en outre des dommagesintérêts ils donnent lieu à une peine publique.

Cette question intéresse plutôt le législateur que le juge. Celui-ci n'a qu'à examiner les différentes circonstances et les raisons de droit, afin de constater si tel fait est un délit pénal. C'est au législateur à déterminer les faits qui ne donneront lieu qu'à une réparation civile, et ceux auxquels il doit infliger une peine publique indépendamment des dommages-intérêts.

« ZurückWeiter »