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la justice, c'est-à-dire qu'elle doit connaître ce qui est juste et injuste, dans les choses divines comme dans les choses humaines : « Jurisprudentia est divinarum atque « humanarum rerum notitia, justi atque injusti scien«tia. » C'est pourquoi le jurisconsulte ou le législateur doit bien connaître et distinguer le juste et l'injuste, la loi n'étant que l'expression de ce qui est bon et équitable. C'est donc à juste titre qu'Ulpien s'exalte sur la mission du jurisconsulte lorsqu'il dit : « Cujus merito « quis nos sacerdotes appellet: justitiam namque coli«mus, et boni et æqui notitiam profitemur, æquum ab iniquo separantes, licitum ab illicito discernentes; « bonos non solum metu pœnarum, verum eliam præ<< miorum quoque exhortatione, efficere cupientes; veram (nisi fallor) philosophiam, non simulatam, affectan<< tes2. » Mais comment l'homme de loi accomplirait-il cette noble mission s'il n'avait constamment devant les yeux le type immuable du droit, quod semper æquum ac bonum est ? Ce type parfait servit de modèle au préteur romain pour corriger les imperfections de la loi écrite.

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17. Tous les grands philosophes et publicistes modernes, depuis Descartes et Leibnitz jusqu'à Kant et Jouffroy, ont lutté courageusement pour asseoir cette idée que toute loi humaine doit avoir sa base dans la loi naturelle.

Adversaires de cette opinion, les matérialistes, les panthéistes et les sceptiques cherchèrent à la combattre.

En présence de cette lutte, il est important, afin de donner plus de force à nos idées, d'exposer et de combattre en peu de mots le système des chefs les plus éminents de ces écoles.

1. Id., l. 10, § 2. 2. Dig., De just. et jure, l. 1, § 1.
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3. Id., 1. 11, Paul.

Locke chercha à établir que l'homme n'a aucune idée innée, et que toutes ses connaissances viennent de l'expérience. Ce fut l'application, plus ou moins étendue, de la proposition scolastique : Nihil est in intellectu, nisi quod prius fuerit in sensu. Comme conséquence de ce principe, il s'ensuit que l'homme ne peut connaître a priori aucune règle morale de conduite dans ses relations avec ses semblables. Les hommes vivent pourtant en société; mais, suivant Locke, ils ne s'y conduisent que par des principes de pratique opposés souvent les uns aux autres 2. Ce philosophe n'exclut pas cependant toute espèce de justice absolue; il admet certains devoirs qui sont absolument nécessaires à la conservation de la société humaine: ce sont ceux qui sont ordonnés par ce qu'il appelle loi divine. Il ne pense pas qu'il y ait d'homme assez grossier pour nier que Dieu ait donné une règle propre à diriger nos actions vers ce qu'il y a de meilleur. Quant à la loi civile, Locke la définit une règle à laquelle les hommes rapportent leurs actions afin de juger si elles sont criminelles ou non. Personne ne méprise cette loi, car les peines et les récompenses qui lui donnent du poids sont toujours prêtes et proportionnées à la puissance d'où cette loi émane 3. La loi civile est donc absolument indépendante de la loi morale. On ne jugera de la moralité de nos actions que selon les ordres du législateur. En résumé, la loi civile n'est qu'une compilation de règles pratiques, devenues obligatoires par la volonté du législateur et la force du gouvernement.

Locke s'est gravement trompé sur la valeur de la loi civile: car, dès qu'il admet une justice divine absolument nécessaire à la conservation de la société, il est presque

1. Voyez ses Essais sur l'entend. hum., v. 1, liv. 1 et 2. 2. Id., liv. 1, chap. 2.-3. Id., v. 2, liv. 2, chap. 28.

évident que les règles de pratique qu'il appelle loi civile ne peuvent être qu'une émanation de cette même justice. Il reste à démontrer de quelle manière les hommes ont su faire l'application de cette justice. Or, il est prouvé par l'histoire que les hommes se sont souvent trompés dans la pratique du bien; il s'en est suivi qu'une nation punissait comme crime ce qu'une autre honorait comme vertu. Cette contradiction des jugements humains a frappé Locke, et est devenue la cause de son erreur, comme nous le prouverons plus loin.

Hobbes, disciple exagéré de Locke, pousse le sys. tème de celui-ci jusqu'à ses conséquences les plus funestes. De son opinion erronée que l'état naturel des hommes est la guerre, il tire la conclusion que par la loi naturelle ou divine on doit entendre tout ce qui sert à la conservation individuelle. Il n'existe donc rien de fixe dans cette loi; tout dépend de la conduite des autres à notre égard, de sorte que, dit-il, « s'il arrivait que quelques uns, plus modestes que les autres, s'adonnassent à cette équité et à cette condescendance que la droite raison leur dicte, ils se conduiraient, à mon avis, fort déraisonnablement 1». En d'autres termes, cette loi n'admet pour règle du juste ou de l'injuste que le seul intérêt de notre conservation. Quant à la loi civile, elle est tout entière dans la volonté du prince. Veut-on savoir si un fait constitue un vol, un meurtre, un adultère ou toute autre injure, il faut se reporter à la loi civile; si elle dit que ce fait est une vertu, il faut le considérer comme tel 2.

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Une pareille opinion n'a pas besoin de commentaire, elle se combat d'elle-même.

Quant à l'école panthéiste, on doit renoncer à trouver

1. Hobbes, Les fond. de la polit., sect. 1, chap. 3, § 27. 2. Id., chap. 4, S 16, s.

dans sa doctrine une loi naturelle source de la loi écrite, puisque les panthéistes confondent Dieu avec le monde, c'est-à-dire la cause avec l'effet, et ils n'admettent aucune liberté d'agir ni en Dieu ni dans l'homme. Spinosa, le plus logique représentant de cette école, identifie la nature avec Dieu, l'effet avec la cause ; il soutient que tout est un dans ce monde, considéré tour à tour comme substance et comme mode, comme cause et comme effet, comme infini et comme fini; il définit Dieu la substance en soi, avec deux attributs infinis, la pensée et l'étendue; et il affirme que l'homme, c'est-àdire l'âme et le corps, ne sont que deux modes de la substance divine; enfin il refuse toute espèce de liberté à l'homme et à Dieu, et il admet une nécessité fatale à laquelle tout doit obéir. Après avoir avancé de pareils principes, il cherche, on ne sait comment, à établir une morale ou une règle de conduite 1. Mais ici sa logique ordinaire lui fait certainement défaut; car où est la loi morale sans le libre arbitre, sans l'ordre moral? Or, il les nie tous les deux. Le libre arbitre et le sentiment du bien et du mal ne sont pour lui que des faits, que les résultats d'une nécessité absolue. Il n'existe pas plus de liberté dans l'homme qu'il n'en existe en Dieu 2. Mais si Dieu n'est pas libre, comment établira-t-il une loi morale? Si l'homme ne jouit pas de son libre arbitre, et s'il n'a pas le sentiment du bien et du mal, comment se donnera-t-il une loi, et pourquoi la lui donnera-t-on? Pressé cependant par la nature des choses, Spinosa consent à reconnaître une loi divine et une loi humaine. Seulement la définition qu'il en donne les dénature toutes les deux. Citons ses propres paroles : « Le nom de loi, pris d'une manière absolue, signi

1. Voir son Ethique, part. 1.

2. Ethique, part. 1, prop. 19 et suiv.

fie ce qui impose une manière d'agir fixe et déterminée à un individu quelconque ou à tous les individus de la même espèce, ou seulement à quelques-uns. Cette loi dépend d'une nécessité naturelle, ou de la volonté des hommes: d'une nécessité naturelle, si elle résulte nécessairement de la nature même ou de la définition des choses; de la volonté des hommes, si les hommes l'établissent pour la sécurité et la commodité de la vie, ou pour d'autres raisons semblables. Dans ce dernier cas elle constitue proprement le droit 1.» En d'autres termes, la loi divine est le résultat d'une fatalité aveugle; la loi humaine n'est que la simple expression de la volonté des hommes. Il est cependant évident qu'aucune de ces lois ne saurait exister à cette condition : car la première, faisant partie de l'ordre universel et ayant pour but le bien souverain, ne peut résulter que d'une cause libre et intelligente, or le Dieu de Spinosa est sans liberté et sans entendement; la seconde, fondée sur l'idée du juste et ayant pour objet le bien social, ne peut être que le produit d'un être libre et capable de connaître le bien et le mal, or l'homme, d'après Spinosa, n'a pas de libre arbitre, et le bien et le mal ne lui sont imposés que comme des faits provenant d'une nécessité logique. Avec un pareil système, toute morale et toute loi sont anéanties.

L'école sceptique est moins exclusive que l'école panthéiste. Les sceptiques, comme les matérialistes, admettent une justice divine immuable et universelle ; mais les uns et les autres, partant de points de vue différents, nient que l'homme ait de cette loi une conscience constante, et que les lois humaines soient fondées sur elle. Nous avons vu que les matérialistes arrivent à cette conclusion par suite de leur croyance que

1. Traité théologico-politique, chap. 4.

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