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dernière soit semblable à la leur ? « Moriatur anima mea morte justorum, et fiant novissima mea horum similia. » (Num. XXIII, 10.) Mais à quoi servirait ce souhait, s'il ne vous faisait prendre de saintes résolutions pour la réforme de votre conduite? Ce prophète qui l'a conçu était un méchant vendu à l'iniquité, un impie qui faisait un trafic honteux des dons les plus sacrés; on peut désirer de mourir comme les justes, et cependant mourir en pécheur. Que ferez-vous donc pour mériter de mourir entre les bras du Seigneur? Vous retiendrez les réflexions suivantes, et vous en ferez la règle de vos mœurs, vous vous direz souvent:

Je mourrai certainement un jour; la raison, l'expérience, toutes les créatures me l'assurent, de manière à ne me laisser sur ce point aucun doute; la raison me dit que je meurs tous les jours, que je suis déjà mort autant de fois que j'ai vécu de moments, parce qu'aucun de ces moments ne sera plus jamais pour moi; que chaque instant de ma vie est un pas qui m'avance vers le tombeau, et que tous les jours, à toutes les heures, s'exécute l'arrêt de mort porté contre moi; l'expérience me montre que depuis près de six mille ans que le monde existe, personne n'a été exempt de la mort; l'histoire de tous les hommes qui ont vécu dans les siècles précédents se termine toujours en disant qu'ils sont morts, et qu'ils ont été réunis à leurs pères. Que sont devenus tant de puissants empires dont l'histoire nous a conservé la mémoire? que sont devenus les peuples qui les composaient, et les princes qui y commandaient? Ces royaumes ont disparu, et ces peuples sont morts avec les rois qui les commandaient? Que sont devenues tant de personnes que nous avons connues, et avec lesquelles nous étions liés de société ? hélas ! elles sont mortes, et bientôt nous mourrons comme elles. Ce monde est comme une prison où sont renfermés autant de coupables; à chaque moment on vient en tirer quelqu'un pour lui faire subir la peine qu'il a méritée pour ses crimes voilà l'idée véritable que nous devons nous former de cette vallée de larmes où nous habitons, c'est ce que l'expérience de tous les âges nous apprend. Ils ne nous fournissent l'exemple que de deux hommes (Enoch et Elie) qui, ayant disparu de ce monde sans mourir, encore reparaîtront-ils à la fin des siècles pour payer à la mort le tribut que lui doivent tous les hommes; toutes les créatures se joignent à la raison et à l'expérience pour me rappeler l'idée de la mort; je la vois partout gravée, sur la terre où je marche, et qui semble m'ouvrir son sein pour me recevoir, sur le marbre et le bronze qui couvrent les cendres des faibles mortels qui me précèdent dans les horreurs du tombeau, sur nos cimetières et nos ossuaires qui m'avertissent sans cesse de me souvenir que je ne suis que poussière, et que je retournerai en poussière, sur la place que j'occupe, qui m'annonce que j'ai eu un prédécesseur qui n'est plus, et que j'aurai un successeur qui est proche; sur la maison que i'habite qui était habitée par d'autres avant

avant moi, et qui le sera par d'autres apres moi. Je la trouvé, cette idée, dans mon sommeil, ma nourriture, mes récréations, la vicissitude des saisons, le vol des oiseaux, le cours rapide des fleuves, et dans toutes les créatures, et au dedans et au dehors de moimême : il est donc certain que je mourrai, c'est un arrêt irrévocable et prononcé par le Juge suprême: Statutum est. (Hebr ix, 27.) Je mourrai, c'est-à-dire, que rien de ce monde

ne

sera plus pour moi, que rien de ce monde ne me suivra que mes actions; il faut donc que je fasse provision de bonnes cuvres, que je meure d'une mort évangélique à tous les objets de ce monde, pour mourir un jour de la mort des saints. Pourquoi m'attacher à des biens qui passent à mon égard, et à l'égard desquels je passerai? première conséquence qui suit de la pensée de la mort.

Je mourrai certainement, mais quand mourrai-je? sera-ce le soir ou le matin, au milieu du jour ou pendant la nuit? je n'en sais rien; ce que je sais, c'est que je mourrai dans un moment où je penserai que la mort est encore éloignée de moi: il n'y a point de vieillards, point de malades, point de criminels qui ne se promettent un moment de vie de plus. Mourrai-je cette année, cette semaine, ou ce jour? Dans un mois, quelqu'un de ceux qui composent cette assemblée, n'aura-t-il pas franchi les pas terribles de son éternité ? nous l'ignorons: or Dieu, dit saint Augustin, a voulu nous cacher notre dernière heure pour nous rendre attentifs sur nous-mêmes tous les jours de notre vie: Latet ultimus dies ut observentur omnes dies. Il faut donc veiller sur nous, sur notre cœur, et sur toutes nos actions avec une grande crainte du Seigneur; il faut, par exemple, nous dire le matin en nous levant : Je ne sais si je verrai le soir, et le soir en nous couchant: Je ne sais si je verrai le matin, ou bien en commençant une action: Celle-ci est peut-être la dernière de ma vie; si cela était, comment voudrais-je l'avoir faite? seconde conséquence qui suit de la pensée de la mort.

Je mourrai sûrement, mais je ne sais de quel genre de mort; mourrai-je subitement, ou à la suite d'une longue maladie? aurai-je le temps de prévoir ma mort et de me disposer? ou serai-je tout à coup emporté dans les horreurs du tombeau ? Dieu, qui a arrêté le nombre de mes jours, le sait seul; ah! il faut donc, je ne dis pas me préparer, mais être prêt à chaque moment à paraître devant Dieu Estote parati. (Matth. XXIV, 44.)

Je mourrai, j'en suis sûr, mais dans quel état serai-je alors? serai-je en état de grâce? serai-je coupable de quelque péché mortel? tiendrai-je encore à cet objet criminel qui m'enchante? mon cœur sera-t-il tout à Dieu? ce sont là des ténèbres épaisses dont je ne puis sonder la profondeur; cependant de l'état où je serai alors dépend celui où je serai éternellement, parce que je ne mourrai qu'une fois : Statutum est hominibus semel mori. L'arbre restera dans le même endroit où il sera tombé. (Eccle. x1, 3.) Si je meurs dans la grâce du Seigneur, je serai assuré de ne la

perdre jamais, et sa possession me rendra heureux du bonheur de Dieu même pendant une éternité; si au contraire la mort me surprend dans l'état du péché, jamais je n'en effacerai la tache, il subsistera toujours dans mon âme, il sera toujours puni des tourments éternels, sans être jamais expié. La terrible alternative, mes frères! oh! que cette pensée d'un état qui nous fixe éternellement dans le bien ou le mal, est propre à nous faire concevoir la nécessité et les avantages d'une bonne mort!

Demandons-la au Seigneur, et prions-le d'opérer sur nos âmes le miracle qu'il opère sur le corps du jeune homme de notre Evangile: Il s'approche, il touche le cercueil, il fait arrêter ceux qui le portent, et dit : Jeune homme, levez-vous, je vous le commande. « Et accessit et tetigit loculum; hi autem qui portabant steterunt, et ait: Adolescens, tibi dico: Surge. » Demandons-lui de vouloir bien s'approcher de nous, de toucher notre cœur, d'arrêter le cours des passions où notre âme est ensevelie, et de la rendre docile à cette voix qui marque le souverain domaine du Seigneur sur toutes choses: Levez-vous de l'état du péché; tibi dico: Surge. Il est dit qu'à cette voix le jeune homme se leva en son séant, qu'il commença à parler, et que Jésus Le rendit à sa mère : Et resedit qui erat mortuus et cæpit loqui, et dedit illum matri suæ. C'est aussi le miracle qui s'opérera spirituellement en nous nous nous relèverons de nos chutes, nous commencerons à parler du Seigneur, nous serons rendus à l'Eglise notre Mère, et alors tous ceux qui avaient été témoins de nos égarements, seront saisis de frayeur, glorifieront Dieu, comme les peuples qui disaient qu'un grand prophète avait paru au milieu d'eux, et que Dieu avait visité son peuple; c'est ainsi que nous mériterons tous ensemble de passer à la glorieuse immortalité, que je vous souhaite. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus sancti.

HOMÉLIE XLIV.

ÉVANGILE DU SEIZIÈME DIMANCHE APRÈS
LA PENTECOTE.

En ce temps-là, Jésus entra un jour de Sabbat dans la maison d'un des principaux pharisiens pour y prendre son repas et ceux qui étaient là l'observaient. Ór, il y avait devant lui un homme hydropique. Jésus s'adressant donc aux docteurs de la loi et aux pharisiens, leur dit: Est-il permis de quérir les malades au jour du Sabbat? Mais ils ne répondirent pas un mot. Et lui, prenant cet homme par la main, le guérit et le renvoya. Puis il leur dit : Qui de vous, si son âne ou son bœuf vient à tomber dans un puits, ne l'en retire pas aussitôt le jour même du Sabbat? Et ils ne pouvaient rien répondre à cela. Il proposa aussi cette parabole aux conviés, remarquant qu'ils choisissaient les premières places: Quand vous serez invité à des noces, leur dit-il, ne vous mettez point à la première place, de peur qu'il ne se trouve parmi les conviés quelqu'un plus considérable que vous; et que celui qui vous aura invités tous deux,

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ne vienne vous dire : Cédez la place à celui-ci; et qu'alors vous n'ayez la honte d'être mis à la dernière place. Mais lorsque vous serez invité, allez vous mettre à la dernière place; afin que celui qui vous a invité vous dise, quand il viendra: Mon ami, montez plus

haut. Alors vous serez comblé d'honneur devant ceux qui sont à table avec vous. Car quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé. (Luc. XIV, 1. 11.)

Sur l'humilité.

Reconnaître que de nous-mêmes nous n'avons que l'ignorance et le péché, qu'au dedans de nous tout est propre à nous humilier, qu'au dehors rien ne serait capable de nous enorgueillir, si nous considérons tout ce qui nous environne dans les vues de religion: voilà l'objet de l'humilité de l'esprit dont nous vous parlâmes en expliquant l'Evangile du troisième dimanche de l'Avent. Outre cette humilité, il en est une autre qu'on appelle l'humilité du cœur, c'est surtout celle-ci que le Sauveur a dessein de nous apprendre dans l'Evangile de ce jour pour cela il nous dépeint l'orgueil qui lui est opposé dans ses principaux caractères, il nous le représente sous les couleurs les plus noires et les plus propres à le faire détester, comme une passion vaine, présomptueuse, jalouse, basse et rainpante, qui fait seule la croix la plus pesante que l'orgueilleux ait à porter; comme une passion qui nous fait mépriser et fuir de tout le monde; comme une passion que Dieu couvre d'ignominie, quelquefois dans le siècle même et toujours dans l'éternité. Quel portrait pourrait nous inspirer plus d'horreur de ce vice? à ce portrait de l'orgueil notre divin maître joint celui de l'humilité du cœur, il nous en donne des exemples, il nous en fait des leçons, il nous en montre les récompenses; il nous en donne des exemples dans la conduite qu'il tient avec les pharisiens de notre Evangile; il nous en fait des leçons en nous apprenant quelles sont les places dont nous devons nous contenter; il nous en montre les récompenses pour nous engager à la pratique de cette vertu.

Aussi en faut-il de semblables, surtout dans le siècle malheureux où nous vivons, siècle, s'il en fût jamais, rempli d'orgueil, et déshonoré par tous les vices inséparables de l'orgueil, par la vanité des parures, par le luxe des habits et des meubles, par la fade présomption de ses talents, par l'ambition démesurée des premières places, par l'amour des nouveautés, surtout en matière de religion, par l'attachement opiniâtre à ses sentiments, par la désobéissance à ses supérieurs légitimes. Exposons-les donc, ces motifs, et comprenons une bonne fois les dernières paroles de notre Evangile pour ne les oublier jamais, que celui qui s'élève sera abaissé, et que celui qui s'abaisse sera élevé. Arrêtonsnous à ces deux pensées, qui feront tout le sujet de cette Homélie voyons d'abord l'orgueil abaissé, ce sera le sujet de mon pre

mier point; considérons ensuite l'humilité exaltée, ce sera le sujet de mon second point.

PREMIER POINT.

Qu'est-ce que l'orgueil considéré en lui-même? qu'est-ce que l'orgueil considéré par rapport aux hommes? qu'est-ce que l'orgueil considéré par rapport à Dieu? Examinons ces trois questions en suivant notre Evangile, et concevons, par l'examen que nous en ferons, combien l'orgueil est une passion détestable et véritablement détestée. L'orgueil, disent les théologiens, est un appétit déréglé de sa propre excellence et de son élévation. L'orgueil est un appétit, c'est-à-dire, ou un désir, par exemple, des honneurs et des dignités, ou un attachement opiniâtre à ses pensées, un amour excessif de soi-même, comme si l'on était quelque chose de fort excellent, ou une secrète complaisance en soi-même, en ses talents, en ses emplois, et en choses semblables. C'est un appétit déréglé, et déréglé en une infinité de manières : déréglé, parce que l'orgueilleux s'estime beaucoup plus qu'il n'est, et croit avoir ce qu'il n'a pas; déréglé, parce que l'orgueilleux fait consister sa grandeur et son mérite en ce qui n'en suppose aucun, par exemple, dans les biens de la fortune, les charges, la noblesse et les qualités purement naturelles; déréglé, parce que l'orgueilleux est trop attaché à son sentiment et à sa volonté; déréglé, parce qu'il n'est pas assez persuadé qu'il n'a rien dans l'ordre de la nature et de la grâce qu'il n'ait reçu de Dieu; déréglé enfin, parce que l'orgueilleux, ne connaissant pas assez ses propres forces, entreprend quelquefois beaucoup plus qu'il ne peut. Cet appétit déréglé a pour objet l'excellence propre, c'està-dire, que l'orgueilleux rapporte tout à l'idée de sa propre excellence, et qu'elle est comme le centre et la fin dernière de ses actions, en sorte que, s'il jeûne, s'il fait une aumône, s'il travaille, c'est le désir de sa propre satisfaction qui le fait agir, et non celui de la gloire de Dieu : voilà l'idée que les théologiens nous donnent du vice capital de l'orgueil; idée, comme vous allez le voir, qui n'est que trop justifiée par la conduite que tiennent les pharisiens dans notre Evangile.

Un jour de Sabbat, Jésus entra dans la maison d'un des principaux d'entre eux pour y manger du pain, c'est-à-dire pour y prendre son repas: Cum intraret Jesus in domum cujusdam principis pharisæoram manducare panem. Considérons et approfondissons le sens de ces paroles et des suivantes de notre Evangile, nous trouverons dans les pharisiens presque tous les déréglements de l'orgueil dont je viens de parler. Donner un verre d'eau au dernier des hommes en vue de Dieu, c'est faire une action digne du royaume des cieux; recevoir un prophète et un juste, comme prophète et comme juste, c'est mériter la récompense de l'un et de l'autre; exercer l'hospitalité envers le juste par excellence, c'est donc faire l'œuvre de miséricorde la plus parfaite, et le pharisien qui l'a faite eût mérité une récompense indicible, si son invitation n'eût été corrompue par les vues qu'il se proposait. Mais que le ver de l'orgueil est un ver dangereux ! il se glisse

partout, il se nourrit des meilleures actions, il se repaît des jeûnes et des abstinences dont il a soin d'imprimer des vestiges sur le visage et tout le corps; il se nourrit des longues prières qu'il affecte de réciter en public; il se repaît des aumônes qu'il expose au grand jour le plus qu'il peut; il se repaît de ses propres cendres; les pratiques de l'humilité la plus profonde sont souvent la nourriture de l'orgueil le plus fin. Tel était celui du pharisien de notre Evangile, comme on peut le conjecturer par ce que dit le Sauveur des hommes à sa secte; sa passion dominante est de passer aux yeux du peuple pour un homme juste et craignant Dieu, et parce qu'il sait que le grand moyen de se faire cette réputation, c'est de voir des personnes d'une piété rare, de conserver avec elles des relations, d'entrer bien avant dans leur amitié et leur confiance; il invite JésusChrist à manger, afin que la ville soit bien informée que celui que tout Israël regarde comme un grand prophète, fréquente sa maison et y prend même sa nourriture, premier caractère de l'orgueil du pharisien et peut-être du vôtre; cet orgueil fait servir à votre vanité les actions les plus saintes, les longues prières, les communions fréquentes, la fréquentation des églises, l'assistance à toutes les cérémonies de dévotion, la visite des pauvres et toutes les œuvres de charité; il ne peut souffrir qu'on ignore les relations que vous avez avec les grands du monde, avec les hommes qui se sont fait un nom parmi les savants, avec ceux qui se distinguent par leur éminente piété. Un orgueilleux se croit grand, savant et pieux, du moins il veut qu'on pense tout cela de lui, parce qu'il voit des personnes qui ont ces qualités : quelle folle vanité de l'orgueil

L'Evangéliste remarque que les pharisiens qui étaient invités pour faire compagnie à Jésus-Christ l'observaient : Et ipsi observabant eum. Observer la conduite d'un saint dans la vue de s'instruire et de s'édifier, rien n'est plus conforme à la pratique des vrais fidèles, rien n'est plus utile et plus propre à inspirer le goût de la vertu; les instructions les plus solides n'ont pas tant de force, et l'exemple des bons ministres de l'Evangile en convertit plus que leurs prédications. Aussi saint Paul, qui connaissait toute la force et toute l'efficacité du bon exemple, recommandait surtout aux Philippiens d'observer ceux qui se conduisaient selon le modèle qu'ils avaient vu en lui: Observate eos qui ita ambulant sicut habetis formam nostram. (Philip. ш, 17.) Ces pharisiens de l'Evangile eussent donc suivi un conseil de la plus haute perfection, s'ils avaient observé les actions du Sauveur pour les imiter, pour devenir humbles et charitables comme lui. Mais dans quel dessein l'observaient-ils ? Ils étaient jaloux de la réputation de Jésus-Christ, ils cherchaient à la diminuer, et pour cela ils observaient, non pas ce qu'il ferait de bien pour l'imiter, mais s'il ne ferait rien contre la loi pour l'en reprendre et le diffamer; leur malice allait plus loin encore. Dans ce que saint Luc dit qu'il y avait devant lui un homme hydropique : Et ecce

homo quidam hydropicus erat ante illum, plusieurs interprètes prétendent trouver un nouveau trait de la jalousie des pharisiens: ils pensent qu'ils avaient fait venir cet hydropique exprès pour tenter Jésus-Christ, et pour voir s'il guérirait un jour de Sabbat. Second caractère de l'orgueil. Celui qui est tourmenté de cette passion ne peut se résoudre à bien penser de son prochain, il se croit toujours plus parfait que le reste des hommes, il ne trouve rien de bien que ce qu'il dit ou ce qu'il fait lui-même; if est, à son jugement, le seul qui entende les affaires, il n'écoute qu'avec un air de mépris l'avis des autres; s'il examine ce que disent ou ce que font ceux-ci, ce n'est que pour leur en montrer le faible et pour les humilier; il leur tendra même des piéges pour les surprendre et les faire tomber; il craint que le mérite de ceux qui l'environnent n'efface le sien et ne diminue la bonne estime qu'on a de lui; il emploie le mensonge, la ruse et même la religion, pour déprimer et avilir ceux qui lui font ombrage: quelle indigne jalousie de l'orgueil! A ce caractère ne vous reconnaissez vous pas ?

Jésus, répondant, non pas aux paroles, puisqu'ils ne disaient rien, mais à la pensée des docteurs de la loi et des pharisiens, leur dit: Est-il permis de guérir les malades au jour du Sabbat? « Et respondens Jesus dixit ad legisperitos et pharisæos, dicens: Si licet Sabbato curare? » Quelle était donc la pensée de ces docteurs? Ils pensaient qu'il n'était pas permis de guérir un malade les jours

où la loi défendait toute œuvre servile: ces hommes charnels, lorsqu'il s'agissait de leur intérêt, voyaient assez clair pour décider qu'on pouvait un jour de Sabbat retirer un âne d'un puits; mais lorsqu'il s'agissait des œuvres de charité, la jalousie et l'orgueil les aveuglaient au point de penser qu'on ne pouvait guérir un malade ce jour-là. Quelle erreur grossière! Ils n'osèrent cependant l'avouer, mais ils se turent, dit l'Evangile At illi tacuerunt; pourquoi ? Parce que l'orgueil est non-seulement une passion` vaine, jalouse, hypocrite, critique et aveugle, mais encore lâche et timide: ils demeurent dans le silence lorsque Jésus-Christ les interrogeait; et pourquoi? C'est qu'ils craignent qu'une mauvaise réponse ne les expose à la raillerie. En effet, qu'auraient-ils pu répondre qui n'eût tourné à leur honte et à la gloire de Jésus-Christ? S'ils eussent dit qu'il était permis de guérir les malades, c'était autoriser Jésus-Christ à faire un miracle dans ce moment, et quel secret dépit n'excitaient pas en eux tous ceux qu'ils lui voyaient faire? Si au contraire ils avaient répondu qu'il ne lui était pas permis, que n'avaient-ils pas à crainJre de la force de ses réponses? Ils ne tarJèrent pas de l'éprouver.

Jésus, prenant la main de l'hydropique, le quérit et le renvoya: «Ipse vero apprehensum sanavit eum ac dimisit. » Il voulait par là monrer invinciblement qu'il avait droit de le guécir; il leur dit ensuite pour achever de les confondre Qui est celui d'entre vous qui,

voyant son âne ou son bœuf tomber dans un puits, ne l'en retire aussitôt même le jour du Sabbat? Et respondens ad illos dixit: Cujus vestrum asinus aut bos in puteum_cadet, et non continuo extrahet illum die Sabbati? Comme s'il eût dit: La santé du prochain est un bien que nous devons préférer à un petit bien temporel; cependant l'intérêt d'un vil animal, la crainte de perdre un bœuf ou un âne suffit pour vous dispenser de la loi du Sabbat: quelle raison avez-vous donc de douter que cette loi soit violée par la guérison d'un homme? Ce raisonnement était péremptoire, et les pharisiens ne purent rien répondre Et non poterant ad hæc respondere illi. Remarquez ces paroles, s'il vous plaît, elles nous insinuent qu'à la vérité ces esprits orgueilleux furent réduits au silence, mais qu'ils ne le gardèrent que par nécessité, et qu'ils ne prirent ce parti qu'après avoir fait tous les efforts d'esprit dont ils étaient capables. De là qu'arriva-t-il? Le chagrin de se voir humiliés ne fit que les rendre plus furieux, et comme un abime en attire un autre, au chagrin succédèrent les dépits; aux dépits la colère, à la colère une haine mortelle. Elles nous insinuent donc ces paroles, que tous les vices viennent successivement de la source empoisonnée de l'orgueil.

Le Saint-Esprit même nous le déclare expressément L'orgueil, dit l'auteur de l'Ecclésiastique (x, 15), est le principe de tout péché: Initium omnis peccati est superbia. Mon fils, disait le saint homme Tobie à son fils, ne laissez point dominer l'orgueil ni dans vos sentiments ni dans vos paroles, car c'est de l'orgueil que vient la perte de tous les hommes: Superbiam nunquam in tuo sensu aut in tuo verbo dominari permittas, in ipsa enim initium sumpsit omnis perditio. (Tob. iv, 14.) Remarquez bien ces dernières paroles: c'est de l'orgueil que vient toute perdition, la perte de tous les hommes; et, comme parle Tobie, toute perte et tout sujet de damnation, la preuve en est sensible. D'où vient notre perte? Le prophète Osée nous l'apprend, elle vient de nous-mêmes: Perditio tua ex te, Israel. (Osee XIII, 9.) C'est-à-dire qu'elle vient de quelque péché mortel qui se consomme dans notre cœur, ce péché mortel est une transgression de la loi divine, cette transgression est une révolte implicite contre Dieu même, cette révolte ne peut être causée que par l'orgueil; ainsi toute révolte, toute violation de la loi, tout péché, toute perte vient de l'orgueil; ainsi c'est par orgueil que Vous recherchez la louange des hommes; c'est par orgueil que vous ennuyez des histoires de votre noblesse, de vos alliances, de vos exploits et de vos intrigues avec les grands, quiconque a la patience de vous entendre; c'est par orgueil que vous critiquez, que vous censurez la conduite de votre prochain; c'est par orgueil que vous usez d'artifice, que vous tendez des piéges et que vous nouez de secrètes intelligences pour perdre votre ennemi; c'est par orgueil que vous êtes lâches et timides; vous n'osez parler, de peur de ne pas bien dire; vous n'osez interroger, de

peur de paraître ignorants; vous n'osez vous opposer à l'injuste vexation que vous souffrez par la crainte d'échouer et de voir triompher votre ennemi. Le dirai-je? c'est même par orgueil qu'on tombe dans les fautes les plus grossières de l'impureté, saint Paul en fait la remarque dans son Epître aux Romains; les philosophes païens se livraient à des passions honteuses et à des infamies dont la pensée seule fait horreur: quelle était l'origine de leur aveuglement? c'était l'orgueil Ils sont devenus insensés, dit l'Apôtre, parce qu'ils se sont attribué le nom de sages Dicentes enim se esse sapientes, stulti facti sunt. (Rom. 1, 22.) Ils s'étaient éloignés de Dieu, et Dieu s'était éloigné d'eux; ils avaient résisté à Dieu, et Dieu leur résistait; or que peut devenir celui à qui Dieu résiste? Il n'est plus de péché dont il ne soit capable, il est capable d'emportement, de violence, d'homicide et de tous les autres péchés : Initium omnis peccati est superbia (Eccli. x,15.) Que dirai-je de plus encore? Ce vice, dit saint Jérôme, est le propre vice du démon, et le premier de tous les péchés: Superbia proprium diaboli primumque peccatum. Le démon, dit Job,est le roi qui commande à tous les enfants de la superbe et de la vanité: Ipse est rex super universos filios superbiæ (Job XII, 25); ce vice est une marque évidente de réprobation: Evidentissimum reproborum signum superbia est (S. GREG.); il est, dit encore saint Bernard, ordinairement suivi de l'impénitence: Superbiam impœnitentia comitatur. Voilà l'idée véritable du péché d'orgueil, en fallait-il autant pour vous apprendre à le condamner? quel vice plus détestable que celui qui me rend capable de tous les vices? non-seulement il est détestable en lui-même, mais il est détesté de tous les hommes, c'est ce qu'insinue Jésus-Christ dans la parabole de l'Evangile.

Alors considérant d'un côté comment les convives choisissaient les premières places, et avec quelle ambition chacun cherchait à tenir le premier rang, et de l'autre quel remède serait propre à guérir l'enflure de leur cœur, marquée par l'hydropisie de ce malade qu'il avait guéri, il ne les reprit pas en termes exprès, de peur de les choquer, mais il leur proposa une parabole que chacun pouvait aisément s'appliquer.« Dicebat autem et ad invitatos parabolam, intendens quomodo primos accubitus eligerent. » Quand vous serez convié à des noces, dit-il, ne prenez point la première place, de peur qu'il ne se trouve parmi les conviés une personne plus digne que vous: « Cum invitatus fueris ad nuptias, non discumbas in primo loco, ne forte honoratior te sit invitatus ab illo. » Des égaux ne souffrent pas que leurs égaux s'attribuent ces prérogatives, et affectent de se distinguer d'eux en aucune manière; le soupçon d'orgueil les révolte, et bientôt ils rabaissent le coupable autant qu'il s'était élevé que dirait donc celui qui en aurait invité un plus digne

que vous? peut-être vous dirait-il de donner votre place à celui-ci, et alors vous seriez réduit à vous tenir avec honte au dernier lieu : Et veniens is qui te et illum vocavit, dicat tibi:

Da huic locum, et tunc incipies cumrubore novissimum locum tenere. Voilà une image naturelle de la conduite que tiennent presque tous les hommes à l'égard des orgueilleux. L'Esprit-Saint l'a dit ailleurs, et l'expérience de tous les temps l'a confirmé, qu'un homme superbe était un homme humilié et chargé de la malédiction des autres hommes: Qui tenuerit superbiam, adimplebitur maledictis. (Eccli. x, 15.) Il en est chargé de la part de ses supérieurs, de ses égaux et de ses inférieurs. Un domestique, un enfant, un inférieur quel qu'il soit, en est chargé de la part de ceux qui sont au-dessus de lui, parce qu'un orgueilleux est toujours un homme désobéissant; la désobéissance est, pour ainsi dire, une conséquence nécessaire de l'orgueil. Dès qu'il faut obéir, il faut préférer le jugement des autres au sien, déférer à leur volonté, et reconnaître leur prééminence, et c'est le sacrifice le plus difficile qu'on puisse exiger de l'orgueilleux: sa passion refuse de le faire, et lui fournit mille prétextes pour l'en dispenser; tout le révolte dans le commandement qu'il reçoit, et la personne qui ordonne, et la manière dont elle ordonne, et les choses qu'elle ordonne. On obéit volontiers, dit-on, mais non pas à un père et à une mère qui ne cherchent qu'à abaisser et qu'à chagriner; non pas à un maître ou à une maîtresse, qui n'aiment qu'à faire sentir le poids de leur autorité, qui ne savent ce que c'est que de dire une parole obligeante, qui n'occupent qu'à des choses basses et humiliantes, qu'on ne fait jamais à leur gré. Il désobéit donc, cet inférieur qui raisonne de la sorte, ou s'il obéit, il faisse entrevoir la douleur que lui cause son obéissance; par exemple si on l'a repris de parler trop, il affectera de ne pas parler du tout; de là les justes indispositions d'un maître contre lui, de là la perte de son estime, de là des épreuves plus dures et plus sévères encore; de là un doute légitime sur l'attachement et la fidélité de cet inférieur, de là l'obligation de le renvoyer, et de là enfin la nécessité pour celui-ci de mener une vie errante, et de porter comme Caïn partout avec soi le signe de la malédiction: Qui tenuerit eam, adimplebitur maledictis. L'orgueilleux est encore chargé de la malédiction de ses égaux, c'est un homme ou qui croit toujours avoir raison, ou qui veut toujours paraître l'avoir; on le voit dans ses conversations juger de tout avec un geste et une assurance qui excitent tout ensemble et la compassion et l'indignation de tous ceux qui l'écoutent tout ce qu'il prononce, ce sont des sentences qu'il ne permet à personne d'examiner; si quelqu'un ose y contredire, aussitôt il se sent blessé jusqu'au vif, la douleur de voir qu'on se défie de ses lumières, lui fait élever la voix, il dispute avec force et avec chaleur, et si dans la dispute on lui montre son erreur, il combattra encore contre la vérité qu'on lui aura fait connaître, il cherchera à se justifier par tous les détours que peut inventer la mauvaise foi; s'il se tait, son silence sera quelquefois un silence de mépris pour ce qu'on lui dit et plus souvent une

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