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donner souvent à nous, la première est la nature du sacrement sous lequel est renfermé son corps et son sang; la seconde est le commandement exprès qu'il nous fait par ses ministres de nous en approcher; et la troisième est le sens dans lequel les ministres qu'il envoie ont toujours entendu son commandement.

Un homme, dit le Sauveur, fit un jour un grand souper auquel il invita plusieurs personnes: « Homo quidam fecit cœnam magnam e vocavit multos. »Cet homme, je l'ai déjà fait observer, c'est Jésus-Christ mêine qui s'est revêtu d'une chair mortelle semblable à la nôtre; ce souper, c'est la Cène eucharistique qu'il institua la veille de sa passion. Elle est grande, cette cène, et elle l'est à tous égards; grande par celui qui la donne: ce n'est pas un roi de la terre, c'est le Roi des rois, c'est l'HommeDieu; grande par la qualité de la nourriture qui nous y est servie : ce n'est pas la chair des anciennes victimes, c'est le corps, le sang, l'âme et la divinité de Jésus-Christ; grande par le motif qui a engagé notre Sauveur a instituer ce divin sacrement, c'est son amour infini pour chacun de nous; grande par les avantages qu'elle nous procure, celui qui y participe dignement reçoit toutes les fois de nouveaux gages de la vie éternelle; grande par le nombre des conviés, ce sont tous les justes et même les pécheurs qui ont ordre de se convertir, afin de goûter de ce pain des anges; grande par l'étendue des lieux où elle se fait, c'est dans tout l'univers chrétien; grande enfin par le désir sincère qu'a JésusChrist de s'y donner à nous, et par la manière dont il nous le témoigne en instituant le sacrement de son corps adorable. Pour nous en persuader plus facilement, donnons un moment d'attention à ce que fit Jésus-Christ dans l'institution de cet auguste mystère. Ce Père commun de tous les hommes voulait que les pauvres aussi bien que les riches pussent participer à son banquet, pour cela il choisit la nourriture la plus commune; il voulait que la crainte ne prévalût point sur l'amour, et pour cela quel prodige d'humilité n'opéra-t-il point! Au lieu de paraître comme autrefois sur le Thabor, environné de sa gloire, ou d'annoncer sa présence par le bruit des tonnerres, il se dépouilla, pour ainsi dire, de sa propre grandeur, il s'anéantit jusqu'à se revêtir, non plus comme autrefois d'une chair passible, non pas même d'une substance, mais des viles espèces du pain; il voulait qu'aucun ne pût prétexter de répugnance naturelle, pour cela il offrit son corps sous l'apparence d'une nourriture que les hommes prennent sans répugnance; il voulait qu'on prît souvent cette nourriture, et pour le marquer il la donna sous la figure d'un aliment dont nous usons tous les jours, comme s'il nous eût dit alors que, de même que le pain matériel est la nourriture ordinaire de nos corps, aussi le pain sacré de l'Eucharistie devait être la nourriture ordinaire de notre âme. Quelle bonté de Dieu pour nous ! quelle prodigieuse condescendance! Il la porte plus loin encore; nous lisons dans notre Evangile qu'à l'heure

du souper le maître envoya un serviteur dire aux conviés de venir, parce que tout était pret: « Et misit servum suum hora cœnæ dicere invitatis ut venirent, quia jam parata sunt omnia.» Que signifie cette heure du souper dont parle ici Jésus-Christ? elle signifie le temps de cette vie, tout celui qui s'écoulera depuis Jésus-Christ jusqu'à la consommation des siècles. Ces paroles de l'Evangile nous marquent donc que notre divin Sauveur habitera toujours avec nous dans nos divins tabernacles, il n'y aura pas un seul instant où on ne puisse dire que tout est prêt; il y sera, non-seulement pour recevoir nos hommages, écouter nos prières et exaucer nos vœux, mais pour s'unir à nous par la communion de son corps adorable : tous les évangélistes qui rapportent l'histoire de cette cène nous apprennent que telle a été sa principale intention en instituant l'auguste sacrement de nos autels. Quel excès de l'amour divin! quelle charité de Jésus-Christ envers nous! qu'elle est forte! qu'elle est généreuse! Ce divin Sauveur prévoyait qu'il y aurait des Judas qui le trahiraient, des hérétiques qui l'outrageraient, de mauvais Chrétiens qui le crucifieraient de nouveau par leurs sacriléges; ni ces sacriléges, ni ces outrages, ni ces perfidies n'ont été capables de l'arrêter, il faisait ses délices d'être avec les enfants des hommes, et il a voulu y être jusqu'à la fin des temps; il veut être avec nous dans nos églises, il veut y être jusque dans nos propres cœurs, en y faisant sa demeure, en nous incorporant à lui, en nous changeant en lui, et en élevant l'homme jusqu'à la nature de Dieu. O prodige, ô excès de tendresse d'un Dieu! insensibilité ! ingratitude de l'homme encore plus incompréhensible car ce que dit Jésus-Christ dans la parabole de notre Evangile, n'est-il pas une image naturelle de ce qui se passe sous nos yeux? Il y est dit que tous les conviés de concert commencèrent à s'excuser: « Et cœperunt tunc omnes excusare. » Il y est dit que le premier répondit au serviteur qui lui était envoyé, qu'il avait acheté une terre, qu'il fallait nécessairement qu'il l'allat voir, et qu'il le priait de l'excuser: Primus dixit: Villam emi et necesse habeo exire et videre illam, rogo te, habe me excusatum. » Or que signifie, je vous prie, ce premier convié qui s'excuse sur l'achat d'une terre? il signifie les grands du siècle, répond saint Augustin: Ambitio sæculi. (Serm. 33 De verb. Dom.) C'est-à-dire, mes frères, que les grands du siècle sont les premiers qui s'excusent de se trouver au banquet sacré auquel ils sont invités de la part de Jésus-Christ, et voilà sans doute ce qui n'est pas trop ordinaire dans le monde et dans cette paroisse en particulier. Il est vrai qu'il en est encore dont la tendre et solide piété nous édifie; il en est qui seraient des inodèles, si par zèle ils faisaient en public les communions que leur humilité ou plutôt un reste de crainte humaine dérobe à notre connaissance; mais ce nombre est petit! nous n'en faisons la réflexion qu'en gémissant. Les premiers, selon le monde, sont partout les derniers pour le salut; depuis une Paque

jusqu'à l'autre nous n'en voyons point ou presque point qui approchent de la sainte table. Et que dis-je ? n'en est-il pas même ici qui n'ont pas satisfait au devoir pascal? Quel scandale pour des domestiques, pour un maître, pour tout ce peuple qui s'en aperçoit! quelle damnable négligence pour son salut! On dit pour s'excuser qu'on est dans un tourbillon continuel d'affaires, qu'on a des devoirs de bienséance à remplir, qu'il faut pendant les hivers rendre et recevoir des visites, que pendant l'été on va visiter ses terres, et qu'on n'y trouve pas les commodités qu'on souhaiterait, ou si on les a, on est sans cesse interrompu par des personnes à qui il faut faire compagnie Villam emi et necesse habeo exire et videre illam. Quel pitoyable prétexte! Hé quoi donc mon frère, occupez-vous dans le monde un rang supérieur à celui qu'y occupait un saint Etienne, roi de Hongrie, un saint Edouard, roi d'Angleterre, un saint Henri, empereur, un saint Louis en France? Cependant ces saints communiaient tous trèsfréquemment; saint Louis s'approchait exactement des sacrements tous les vendredis. Etes-vous plus exposés au milieu du grand monde que ces princes? avez-vous plus de plaintes à entendre, plus d'audiences à donner, plus d'hommages à recevoir que ces rois? Ne dites donc plus que votre état vous dérobe le recueillement nécessaire à la communion, mais avouez sincèrement que si vous fréquentez si peu les sacrements, c'est faute de bonne volonté, faute de goût pour les choses saintes, peut-être même faute de foi: ah! qu'elle est rare aujourd'hui chez les grands! Avouez que ce qui vous en éloigne, c'est l'ambition qui vous aveugle, l'ambition qui vous donne une idée basse de nos saints mystères, l'ambition qui vous présente comme quelque chose de grand tout ce qui vous environne. Premier obstacle à la fréquente communion.

Jésus-Christ nous en montre un autre dans notre Evangile; il dit que le second des conviés répondit à l'envoyé : J'ai acheté cinq couples de bœufs, et je m'en vais les éprouver, je vous prie de m'excuser: « Et alter dixit: Juga boum emi quinque, et eo probare illa, rogo te, habe me excusatum. » Que signifie encore cet homme qui s'excuse sur l'acquisition qu'il a faite de cinq couples de bœufs? Selon l'explication de saint Augustin dans le même endroit, il signifie tous ceux qui travaillent à acquérir les biens de la terre, concupiscentia oculorum. Eh! qu'y a-t-il encore de plus ordinaire que de voir ces hommes s'excuser, et refuser de se trouver à la salle du festin? Celui qui manie les deniers du roi ou qui est chargé des affaires publiques, s'excuse en disant, qu'il faut vaquer à l'intérêt commun, qu'il lui suffit de communier une fois l'an. Celui qui exerce le négoce, s'excuse en disant qu'il est difficile d'allier la profession dangereuse du commerce avec la communion fréquente. L'artisan s'excuse en disant qu'il travaille toute une semaine, et qu'il n'a que le dimanche pour se récréer. Une mère de famille s'excuse en disant qu'elle est trop occupée

des soins de sa maison; tous s'excusent sur le peu de temps dont ils disposent, tous disent avec le convié de l'Evangile, qu'il faut exercer leur art, eo probare illa. Sans doute, mes frères, qu'il faut exercer chacun votre art; mais n'avez-vous jamais compris ce que dit le Sauveur dans l'Evangile, qu'il faut faire l'un sans omettre l'autre, qu'il faut rendre à César ce qui est dû à César, et à Dieu ce ce qui est dû à Dieu? Ne devez-vous pas à Dieu de paraître à sa table lorsqu'il vous y invite? Votre salut qui doit être à la tête de tous les intérêts, ne demande-t-il pas que Vous y paraissiez, non pas une fois, mais plusieurs fois pendant l'année? Les dangers de l'état où l'ordre de la Providence vous a placés, n'augmentent-ils pas le besoin que vous avez de celui qui peut vous en délivrer? avant d'y aller, ne pouvez-vous pas vous occuper des devoirs de votre état? Après y être allés, ne pouvez-vous pas retourner à vos travaux ordinaires? quelle est la préparation qu'on vous demande, sinon d'avoir vécu saintement? quelle est l'action de grâces qu'on exige de vous, sinon qu'au milieu de vos occupations vous vous rappeliez la grâce que le Seigneur vous a faite, et que votre vie soit une continuelle disposition à en recevoir de nouvelle? Or quel temps faut-il pour tout cela? nous en trouvons si aisément pour amasser des biens qui périront: ah ! si nous aimions autant ceux qui ne périssent pas, si nous pensions aussi sérieusement à les acquérir; quel est l'homme si chargé d'affaires, qui manquerait d'une heure pour aller entendre une Messe et communier dévotement? Il n'en est certainement aucun parmi nous qui ait les mêmes occupations qu'un saint François de Borgia, duc de Candie et viceroi de Catalogne, ou qu'un Thomas Morus, grand chancelier d'Angleterre et martyr pour la foi; cependant le premier étant encore dans le monde, communiait tous les huit jours, le second tous les jours; et quand on lui reprochait qu'un laïque communiât si souvent malgré ses emplois, son travail et ses embarras: «Vous m'apportez justement, » leur dit-il, « les raisons que j'ai de communier tous les jours. Ma dissipation est grande, je me recueille en communiant; les occasions d'offenser Dieu se présentent tous les jours, et je me fortifie tous les jours contre elles par la communion; j'ai besoin de lumières et de sagesse pour démêler des affaires trèsembarrassantes, c'est pourquoi je vais tous les jours consulter Jésus-Christ dans la communion. » Vivons, mes frères, vivons de la foi comme ces saints, nous trouverons comme eux le temps de manger le pain de la foi. Non, ce ne sont pas les nécessités de l'état et de la vie, c'est ou l'ambition, ou l'attachement aux biens de la terre, ou le penchant aux plaisirs, qui forment les plus grands obstacles à la communion; et de ces trois, le plus difficile à vaincre, c'est l'amour des plaisirs.

Jésus-Christ nous le fait entendre dans notre Evangile, lorsqu'il ajoute ces paroles: Et le troisième dit à l'envoyé : J'ai épousé une femme, et ainsi je ne puis y aller Et alius

dixit: Uxorem duxi, et ideo non possum venire » Cet homme qui a épousé une femme, est, suivant la pensée de saint Augstin, la figure des voluptueux et de tous ceux qui sont attachés à la vie des sens, d'un époux qui aime moins Dieu que son épouse; d'une femme plus attentive à plaire à son mari qu'à Jésus-Christ; d'un jeune homme engagé dans une habitude dont il craint d'être délivré; d'une fille mondaine, plus occupée des piéges qu'elle tendra, que du soin d'éviter ceux qu'on lui tend. Il n'est pas possible, disent ces personnes livrées à la corruption de leur cœur, il n'est pas possible que nous participions au banquet qui nous est préparé; y paraître avec nos dispositions actuelles, ce serait une horrible profanation, un crime énorme, qui mettrait le comble à nos péchés, et qui serait comme le sceau de notre réprobation quel malheur pour nous! Y paraître avec des dispositions dignes du sacrement, ce serait renoncer à une amitié qui est chère, à une société qui charme; ce serait couper son bras droit, arracher son œil, mourir à ce qu'on aime le plus tendrement, s'ensevelir avant sa mort quel sacrifice! nous n'en sommes point capables: Ideo non possum venire. Ainsi raisonnent tous les esclaves de la volupté, les époux sensuels dans l'état du mariage, les jeunes gens dans leur état de liberté, les militaires dans leur état périlleux et ce raisonnement, tout faux et tout impie qu'il est suffit pour les éloigner des années entières des saints mystères.

Hé quoi! puis-je dire à tous ces pécheurs, et plût à Dieu que le nombre en fût moins grand dans cet auditoire! Quoi, mes frères', vons ne pouvez rompre les chaînes de votre honteuse captivité, et vous disposer à communier saintement! mais Dieu vous ordonne de sortir de cet état malheureux du péché; mais. Dieu ne vous commande rien d'impossible; mais Dieu vous accorde au moins la grâce de le prier, pour obtenir les autres qui vous sont nécessaires. Vous pouvez donc mortifier cette passion qui domine dans votre cœur, renoncer à ce commerce qui vous perd, éloigner de votre esprit toutes ces pensées qui nourissent vos criminelles habitudes; vous pouvez tout cela, et à la mort vous voudriez l'avoir fait. Ah! faites-le donc aujourd'hui qu'il est encore temps; rentrez en vous-mêmes, considérez la brièveté du temps qui vous reste à vivre, et la longueur de l'éternité; représentez-vous ce moment où, étendus sur un lit de douleur, vous recevrez la visite de JésusChrist dans le Saint-Sacremeut, la visite de ce Jésus que vous aurez négligé pendant la vie, de ce Jésus dont vous aurez fui la présence, de ce Jésus sur lequel une vile créature aura eu la préférence dans votre cœur, de ce Jésus qui vous invitait à venir à lui, et à qui vous aurez répondu qu'il fallait vous occuper des plaisirs incompatibles avec son invitation; pensez que vous touchez à ce moment fatal, où votre conscience vous accablera de tous ces reproches, et faites tout ce que vous inspirera cette pensée. Quel miracle de grâce s'operera tout à coup! vos yeux s'ouvriront,

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vos chaînes tomberont, vous courrez aux sacrés tribunaux de la pénitence, et de là à la table des anges où le Seigneur vous appelle, où il vous fait un commandement exprès de vous approcher, nouvelle preuve de la volonté sincère qu'il a de se donner à vous.

D'abord il vous la témoigne par le choix qu'il fait du pain et du vin pour se communiquer sous les apparences de l'un et de l'autre, ensuite il vous la témoigne par son invitation et par les prières les plus douces et les plus engageantes: Venez, vous dit-il, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé: « Venite, comedite panem meum, et bibite vinum quod miscui vobis.» (Prov. 1x, 5.) Et pour vous faire comprendre que son invitation est un ordre auquel il ne vous est point libre de résister, voici ce que Jésus-Christ ajoute dans la parabole de notre Evangile Le serviteur étant venu, rapporta à son maître la manière indigne dont les conviés s'étaient excusés: Et reversus servus, nuntiavit hæc domino suo. Alors le père de famille se mit en colère et dit à son serviteur: Allez-vous-en vitement dans les places et dans les rues de la ville, et amenez ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux: « Exi cito in plateas et vicos civitatis, et pauperes ac debiles et claudos et cacos introduc huc. » Dans ce texte seul combien de preuves qui établissent incontestablement au moins la nécessité de la communion! (Prenez garde, s'il vous plaît, je dis de la communion, précisément, et non de la fréquente communion, parce qu'il me paraît qu'à la vérité l'Ecriture en insinue la nécessité, mais qu'elle ne va pas jusqu'à déterminer combien elle doit être fréquente, et que pour le connaître, il faut y joindre les réflections que je vous faisais jeudi dernier.) Vous voyez ici que le père de famille se met en colère contre ceux qui refusent de participer au banquet qu'il leur a préparé, iratus. Il ordonne à ses ministres d'en inviter d'autres qui prennent la place des premiers conviés. Il leur recommande d'amener tous ceux qu'ils rencontreront, après les avoir disposés et jugés dignes d'entrer dans la salle du festin; or l'obligation est ici réciproque. Nous ne sommes obligés de vous inviter, de vous conduire à la table sacrée, qu'autant que vous êtes obligés de vous rendre à nos invitations: mais peut-être serez-vous encore plus convaincus par ce que nous lisons dans le chapitre vie de saint Jean.

Dans cet endroit de l'Evangile on lit que Jésus-Christ, après avoir parlé du pain de la foi et de la nécessité de croire en lui, promit aux Juifs de leur donner son corps à manger et son sang à boire; que le Juif charnel fut révolté de cette proposition; que ses propres disciples en furent scandalisés; que tous regarderent comme un crime de manger le corps et de boire le sang du Fils de l'homme; on n'y voit que l'horreur d'une manducation si grossière, le respect dû au corps de Jésus, l'indignité de l'homme tout les éloignait de celte pensée que le Chrétien dût jamais prendre en nourriture le corps et

Jésus-Christ. L'homme attentif a peine à comprendre comment un Homme-Dieu s'abaissera jusqu'à devenir sa nourriture, et comment un homme osera se nourrir du pain des anges? un seul mystère en présente à son esprit mille autres également obscurs. Cet esprit curieux et borné se demande d'abord comment cet Homme-Dieu peut donner sa chair à manger, comment il vivra s'il la distribue; comment il la distribuera s'il est mort; comment cette chair profitera si elle inanimée; comment on pourra la manger si elle est vivifiée par l'esprit; comment elle se changera en nous, ou comment nous serons changés en elle; comment elle subsistera dans un corps qui se détruit tous les jours; ce qu'elle deviendra, si elle cesse d'exister en ce corps; comment elle sera tout à la fois dans le ciel et sur la terre; comment elle sera dans le même instant placée sur un million d'autels; comment dans tous les lieux du monde on immolera une victime sainte qui sera partout la même; comment ici elle sera dans un tabernacle fait de mains d'hommes, là dans le cœur des fidèles fait de la main de Dieu? Quomodo, s'écrie cet homme animal avec le capharnaïte et le calviniste, quomodo potest hic nobis carnem suam dare ad manducandum: « Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger? » (Joan. vi, 53.) Or à toutes ces difficultés, comment le Sauveur du monde répond-il? les unes sont de pure curiosité, et à celles-là non-seulement Jésus-Christ ne fait aucune réponse, mais même il les augmente pour confondre l'orgueil de l'esprit humain. Il ajoute : Si à présent que je converse avec vous sur la terre, vous avez peine à croire que je puisse me donner à vous, que sera-ce done si vous voyez le Fils de l'Homme monter où il était auparavant? Si ergo videritis Filium hominis ascendentem ubi erat prius? (Ibid., 63.) Les autres difficultés sont des répugnances qui naissent de la vénération due à la personne de Jésus, et celles-ci, Jésus les lève par le commandement le plus positif: Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, leur dit-il, vous n'aurez pas la vie en vous, vous mourrez à la vie de la grâce, vous vous rendrez dignes de la damnation éternelle: Nisi manducaveritis carnem Filii hominis..... non habebitis vitam in vobis. (Ibid., 54.) Voilà le précepte de la communion; précepte qui oblige sous peine de damnation éternelle, tant il est rigoureux; précepte qui condamnent la fausse dévotion de ceux qui s'en éloignent sous prétexte d'humilité; précepte qui oblige les pécheurs à s'en approcher saintement; précepte enfin qui, étant affirmatif, oblige au moins trèssouvent dans la vie; et ce qui achève de le prouver invinciblement, c'est l'Oraison dominicale que nous récitons tous les jours.

Là nous demandons à Dieu qu'il nous donne notre pain de chaque jour. Quel est-il ce pain quotidien que nous prions Dieu de nous accorder? est-ce ce pain matériel dont nous nourrissons nos corps? ce pain dont nous avons ordre de ne pas nous inquiéter? Non, vous répondent les Pères, mais c'est le pain

eucharistique; et ce qui le démontre, c'est qu'il s'agit d'un pain qu'un évangéliste appelle pain au-dessus de toute substance: Panem supersubstantialem.. (Matth. vi, 11.) Or le seul corps de Jésus-Christ est un pain au-dessus de notre substance, par conséquent c'est le corps même de Jésus-Christ que nous avons ordre de demander tous les jours. Oui, Dieu nous commande de demander tous les jours son corps et son sang précieux pour nourriture, et par conséquent de le désirer sincèrement tous les jours, de prendre tous les jours les moyens de contenter ces pieux désirs. Nous sommes donc obligés de communier fréquemment; cette conséquence essentiellement liée aux principes que je viens de poser, acquerra une force toute nouvelle, si nous y joignons le sens dans lequel le précepte de la communion a été entendu dans tous les temps.

Je l'ai déjà remarqué, ce serviteur que le père de famille envoie jusqu'à trois fois, est la figure de tous les ministres sacrés qui ont été envoyés pour inviter les fidèles au banquet sacré de la divine Eucharistie; ce serviteur comprenait sans doute la pensée de son maître, et les ministres de l'autel celle de Jésus-Christ; voyons donc en quel sens ceuxci ont entendu le précepte de la communion, et nous serons sûrs d'en avoir l'explication véritable.

Que j'ouvre d'abord le Livre des Actes des apôtres (11, 42), j'y trouverai que les fidèles qui formaient l'Eglise naissante de Jérusalem persévéraient dans la doctrine des apôtres et dans la communion de la fraction du pain. Ce sont les paroles de saint Luc: Erant perseverantes in doctrina et in communicatione fractionis panis. C'est-à-dire, comme l'expliquent les Pères et les interprètes, qu'on consacrait le corps et le sang de Jésus-Christ dans toutes les assemblées des fidèles, et qu'on y rompait les apparences du pain qui alors n'avaient pas encore la forme qu'on lui donne aujourd'hui, et que tous les fidèles communiaient à toutes les Messes qu'ils entendaient. Voilà ce que faisaient les trois mille personnes qui furent converties par le premier discours de saint Pierre; aussitôt qu'elles eurent reçu le baptême, et cela parce qu'elles persévéraient dans la doctrine des apôtres; ainsi nous ne pouvons douter que les apôtres n'aient insisté sur la fréquente

communion.

Qu'ont fait depuis les dispensateurs des saints mystères? Saint Justin nous l'apprend dans son Apologie; ils distribuaient le pain sacré à ceux qui étaient présents, et ils l'envoyaient aux absents par le moyen des diacres; et afin que les fidèles ne fussent pas pendant la semaine privés de cette nourriture divine, on leur perinettait de l'emporter en leurs maisons pour en user à leur dévotion. Saint Epiphane nous l'apprend dans son troisième Livre contre l'hérésie; ils admettaient les fidèles à la sainte table aux fêtes solennelles selon l'ordre des apôtres, et ces jours solennels, selon le même saint, étaient le mercredi, le samedi et le dimanche de chaque

semaine. Saint Jérôme nous l'apprend dans sa Lettre à Licinius; ils avaient réglé dans les Eglises de Rome et d'Espagne qu'on commu-nierait tous les jours, et leur règlement était en usage. Voilà donc un usage de communier tous les jours dans les Eglises les plus célèbres, un usage de la plus haute, de la plus éclairée et de la plus pieuse antiquité, un usage connu et confirmé par la doctrine des Pères, des docteurs, et de toute l'Eglise, par la doctrine de saint Chrysostome, qui enseignait à son peuple qu'on « n'était pas digne d'assister à la célébration des saints mystères quand on était indigne de communier (Hom. 60, Ad popul. Antioch.), et que celui qui n'était pas coupable de péché mortel pouvait communier tous les jours. » (Hom. 8 in Matth.) Par la doctrine de saint Ambroise, qui parlait ainsi à son peuple : « Si l'Eucharistie est le pain quotidien, pourquoi ne la recevez-vous qu'au bout d'un an? recevez-la tous les jours, afin qu'elle vous profite tous les jours. » (De sacram, lib. IV.) Par la doctrine d'un saint Augustin, qui disait dans un sermon aux nouveaux baptisés, « qu'ils devaient recevoir tous les jours le corps de Jésus - Christ, »> et dans une de ses Lettres (Epist. 198, in Joan.), « qu'il était le remède quotidien aux maladies de l'âme.» Par la doctrine de saint Bernard, qui disait « que le péché était une blessure, que le sacrement de l'Eucharistie en était le remède, et qu'en le recevant tous les jours on en serait guéri; » par la doctrine de saint Thomas, qui décidait dans sa Somme, qu'il est utile à l'homme de recevoir l'Eucharistie tous les jours, afin d'en recueillir chaque jour les fruits; par la doctrine d'un saint Bonaventure, qui déclare qu'il est louable de communier tous les jours; enfin par la doctrine de toute l'Eglise assemblée. Voici les termes du concile de Båle Tous les docteurs catholiques enseignent, disent les Pères, que quand on veut avancer dans les voies du Seigneur, il est avantageux et même nécessaire de communier souvent et dévolement. Le Concile de Trente est conforme à celui de Bâle. D'abord les Pères de cette assemblée distinguent (sess. 13, cap. 3) trois manières de communier; ensuite ils ajoutent, en parlant de la communion spirituelle et sacramentelle Le saint synode avertit avec une affection toute paternelle, il exhorte, il prie, il conjure par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, de vénérer les saints mystères du corps et du sang de Jésus-Christ, de manière à recevoir souvent le pain céleste. Dans la session vingtdeuxième, ils souhaitent que les fidèles vivent assez saintement pour participer nonseulement de cœur et d'affection, mais réellement, à cet auguste Sacrement. Voilà le souhait que formait l'Eglise la dernière fois qu'elle s'est assemblée. Enfin voici comment un grand saint s'expliquait depuis sur la fréquente communion, c'est saint François de Sales dans sa Vie dévote: « Vous savez, » disait ce grand évêque de Genève, « vous savez ce qu'on dit de Mitridate, roi de Pont en Asie, lequel avait inventé une sorte de nourriture

qu'il s'était rendue propre pour se préserver du poison. Il se fit un tempérament si fort, qu'étant sur le point d'être pris par les Romains, et voulant éviter la captivité, il ne put jamais s'empoisonner. N'est-ce pas ce que le Sauveur a fait d'une manière très-réelle dans le très-auguste sacrement de l'Eucharistie, où il nous donne son corps et son sang comme une nourriture à laquelle l'immortalité est attachée? c'est pourquoi quiconque en use souvent avec dévotion, en reçoit tant de force et de vigueur qu'il est presque impossible que le poison mortel des mauvaises affections fasse aucune impression sur son âme.. Non, l'un ne peut vivre de cette chair de vie et mourir de la mort du péché. Si les hommes se fussent préservés de la mort corporelle par l'usage du fruit de l'arbre de vie que le Créateur avait mis dans le paradis terrestre, pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas maintenant se préserver de la mort spirituelle par la vertu du sacrement de vie? Non, les Chrétiens qui se damnent n'auront rien à répondre au juste Juge quand il leur fera voir que sans aucune raison ils se sont laissés mourir spirituellement, eux qui pouvaient si facilement se conserver la vie en se nourrissant de son corps. Misérables, leur dira-t-il, pourquoi êtes-vous morts ayant entre les mains le fruit de la vie ? »

« Communier tous les jours, c'est un usage que je ne loue ni ne blame; mais communier tous les dimanches, c'est une pratique que je conseille à tous les fidèles, et je les y exhorte, pourvu qu'ils ne conservent en eux aucune volonté de pécher. Ce sont les paroles de saint Augustin, dont je prends ici le sentiment, pour ne louer ni ne blâmer la communion quotidienne, sur laquelle je renvoie les fidèles à leurs directeurs. « Voici donc les règles, »> ajoutait ce saint en parlant à sa chère Philotée, « voici les règles que je puis vous donner sur la fréquente communion. Pour communier tous les huit jours, il ne faut avoir aucun péché mortel, ni aucune affection au péché, même véniel, et avoir de plus un grand désir de la communion; mais pour communier tous les jours, il faut encore avoir purifié son âme de presque toutes ses mauvaises inclinations, et ne le faire même que par le conseil de son Père spirituel. »>

Ainsi parlait ce saint, dont je vous prie de ne point oublier les dernières paroles surtout, jusqu'à ce que j'aurai occasion de vous parler plus au long des dispositions à la communion. Ainsi ont parlé les conciles, les Souverains Pontifes, les docteurs et les Pères, les apôtres mêmes, au sujet de la fréquente communion; et leur décision a été suivie par tous les vrais Chrétiens dans tous les temps.

Cependant c'est le grand nombre de cette assemblée qui ne s'y conforme pas, et qui s'approche rarement des sacrements. Ah! mes frères, c'est donc que le grand nombre n'est Chrétien que de nom, et en apparence seulement; c'est que le grand nombre s'éloigne malheureusement de l'esprit de JésusChrist, néglige la doctrine infaillible de ses apôtres, méprise le sentiment unanime des

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