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campagne, on sort du lieu principal, et on fait des stations au pied des croix: pourquoi cela, mes frères? c'est pour nous entretenir de cette pensée, que nous ne sommes ici-bas que des pèlerins et des voyageurs, que nous n'y avons point de cité permanene; et que nous en cherchons une meilleure: afin d'y parvenir un jour, nous implorons l'assistance de tous les saints dans le ciel; nous nous adressons d'abord aux trois personnes de l'adorable Trinité, ensuite à la Mère de Dieu et aux saints anges, puis aux apôtres et aux martyrs, après aux confesseurs de Jésus-Christ, et enfin aux vierges et aux veuves; nous sollicitons par leur intercession le pardon des péchés, les secours nécessaires pour la vie spirituelle et corporelle, la conservation de tous les ordres dont l'Eglise est composée, l'union et le bonheur de tout le peuple chrétien, la paix de de l'Eglise et de l'Etat, l'éloignement des maux qui pourraient nous troubler; et parce que l'intercession des saints, séparée des mérites de Jésus-Christ, serait inutile, nous le conjurons par tous les mystères de sa vie, de sa mort et de sa résurrection, d'avoir pitié de nous. Voilà une idée abrégée, et des choses que nous demandons en récitant les litanies, et de la manière dont nous devons les demander en suivant la procession.

Vous devez y marcher avec ordre, sans précipitation, et chacun dans son rang; y être recueillis, les yeux baissés, sans parler à d'autres qu'à Dieu, à moins qu'il n'y ait nécessité d'interrompre vos prières; y réciter et chanter celles que fait l'Eglise, ou vous occuper de ces motifs dont je viens de vous entretenir, vous représentant tantôt comme un criminel qui a cent fois mérité la mort, tantôt comme un pauvre mendiant qui ne vit que des libéralités de son Dieu, et tantôt comme un étranger qui soupire continuellement après sa chère patrie.

Est-ce là, mes frères, la manière dont vous Vous êtes conduits jusqu'à présent dans ces temps de pénitence? de quelle édification sont aujourd'hui es processions de l'Eglise ? ou vous vous en absentez sans raison légitime, et par indifférence pour les cérémonies de piété, ou vous vous contentez d'en être les oisifs spectateurs, comme si les raisons de ces pieux usages vous intéressaient moins que le reste des hommes, ou si vous y assistez, c'est avec une dissipation scandaleuse; vous y parlez sans nécessité, vous y riez avec éclat, vous portez vos regards indifféremment de tout côté, vous prononcez à peine quelques formules de prières auxquelles votre coeur n'a aucune part; les processions les plus courtes vous paraissent encore trop longues, vous sortez quelquefois d'une église où on est en station, pour aller ailleurs boire et manger; l'abstinence que vous observez dans ces jours est plus propre à flatter votre sensualité qu'à mortifier votre goût; il faudrait aujourd'hui des processions publiques pour expier les péchés qu'on commet dans nos processions publiques; ces cérémonies, auire fois si augustes par la religion des fidèles, sont devenues méprisables par l'irréligion avec

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laquelle on les exerce; le même zèle qui les a établies fait aujourd'hui souhaiter leur abrogation. Mais que dis-je? non, mes frères, n'est pas la cessation de nos solennités que je désire, mais la cessation des désordres qui avilissent nos solennités aux yeux des fidèles: ce que je demande, ce n'est pas que vous n'y paraissiez point, mais que vous n'y paraissiez qu'avec un esprit pénitent, et un cœur rempli de désirs pour le ciel.

Ces prières sont longues, me direz-vous, et il est difficile de soutenir son attention pendant tout le temps qu'elles durent. Mais, mes frères, fussent-elles plus longues encore, auriez-vous droit de vous plaindre, si vous considériez le peu de proportion qu'elles ont avec ce que vous demandez? ne savez-vous pas que la prière persévérante est la seule que Jésus-Christ ait promis d'exaucer? vous avez vu comment Jésus-Christ vous y exortait par la parabole d'un ami qui vient demander trois pains à son ami. Dieu ne nous traite pas d'importuns comme cet ami de l'Evangile, il ne nous dit pas que la porte de ses miséricordes est fermée, il ne nous excepte pas du nombre de ces amis qui reposent avec lui, il ne nous prétexte aucune impossibilité de nous accorder ce que nous lui demandons; mais quand il nous ferait ces réponses, quel serait son vrai dessein? ce serait de nous engager à prier toujours; à chercher et à frapper sans cesse, afin de remporter, par une persévérance réelle, ce qu'il nous refusait en apparence. Or si c'est là le dessein de Dieu, comme nous ne pouvons en douter, je le demande, pouvons-nous nous plaindre de la longueur des prières? ne devrions-nous pas, au contraire, le remercier de ce qu'il nous permet de lui parler si longtemps? quel honneur n'estce pas pour nous de pouvoir converser avec lui? cette occupation est celle des saints mêmes dans le ciel. Le Psalmiste nous apprend que la gloire commune à tous les saints, même ceux qui sont plus près du trône de l'Eternel, c'est de confesser son nom et de chanter des hymnes composées à sa gloire. Deux grands prophètes (c'est Isaïe et saint Jean) ont vu dans leur extase ce qui se passait à la cour céleste; et ce qu'ils nous apprennent de l'occupation des anges représentés sous l'image de quatre animaux mystérieux, c'est qu'ils répétaient sans cesse ces paroles: Saint, saint, saint, est le Seigneur Dieu des armées: « Requiem non habebant die ac nocte dicentia: Sanctus, sanctus, sanctus, Dominus Deus omnipotens.» (Isa. VI, 1-3; Apoc. Iv, 7, 8.) Enfin lorsque Zacharie demande de savoir quel est celui qui parle, l'ange Gabriel réunit toutes ses autres qualités dans cette seule, qu'il a l'honneur d'être celui qui paraît devant le Seigneur. (Luc. 1, 18, 19.) Or celui qui prie paraît aussi devant Dicu: il fait donc sur la terre ce que les esprits font au plus haut des cieux, et ce qu'il fera lui-même pendant l'éternité, s'il a le bonheur d'y être reçu. Quelle estime ne devrait-il donc pas faire des oraisons les plus longues! elles nous tiennent en la présence du Roi des rois, elles le disposent à nous donner, elles préparent nos cœurs

recevoir ce qu'il nous donnera. Ah! mes frères, persévérez donc dans les prières de l'Eglise, et autant que l'Eglise même dans ces jours demandez les biens de la terre, afin que Dieu vous en donne ce qui sera nécessaire; cherchez le pardon de vos péchés dans les miséricordes du Seigneur, et vous le trouverez; frappez à la porte des cieux par vos désirs, et on vous ouvrira; ce sont les grâces spéciales que vous êtes obligés de demander dans ce temps. Sans la prière vous ne pouvez rien obtenir; Dieu est disposé à ne rien refuser à une bonne prière; ce sont les motifs qui vous obligent à prier toujours sans vous rebuterjamais: Oportet semper orare et non deficere. (Luc .xvi,1.) Ille faut, oportet, la prière continuelle n'est pas de simple conseil, mais d'une obligation très-étroite. Ne point supporter les délais et les retardements de Dieu avec patience, se lasser ou laisser affaiblir sa confiance, c'est un péché contre l'exprès com. mandement du Seigneur de combien de péchés ne sommes-nous donc pas coupables sur ce point, nous qui prions si rarement, si négligemment, si froidement ?

Nous vous en demandons pardon, o mon Dieu, et nous prenons devant vous la résolution de vous prier désormais comme vous nous l'ordonnez; envoyez-nous pour cela votre Esprit qui est un esprit de prière et de grâce, afin qu'il nous en inspire le goût, que nous en fassions nos plus chères délices, que notre cœur ne soit possédé que du désir du ciel, que nous vous exprimions ce désir aux différentes heures du jour. Que ma bouche, Seigneur, soit toujours remplie de vos louanges, afin que je chante votre gloire, et que je sois continuellement appliqué à publier votre grandeur pendant le temps et l'éternité bienheureuse. Je vous la souhaite.

HOMÉLIE XXVII.

ÉVANGILE DU DIMANCHE DANS L'OCTAVE

DE L'ASCENSION.

En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples: Lorsque le Consolateur sera venu, cet esprit de vérité qui procède du Père, et que je vous enverrai de la part de mon Père, c'est lui qui rendra témoignage de moi. Et vous aussi vous en rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi dès le commencement. Je vous ai dit ces choses, afin que vous ne soyez point scandalisés lorsqu'elles arriveront. Ils vous banniront de leurs assemblees; et l'heure est venue, que celui qui vous fera mourir, croira rendre un service très-agréable à Dieu. Ils vous feront ces outrages, parce qu'ils ne connaissent point mon Père, ni moi. Je vous dis donc ceci, afin qu'en ce temps-là il vous souvienne que je vous l'ai prédit. (Joan. xv. 26, 17. xvi, 1-4.)

Sur les souffrances.

Ce que le Sauveur du monde annonce ici à ses apôtres, il le dit à tous les Chrétiens : tous sont destinés à souffrir dans leur fortune, dans leur honneur, dans leur corps, dans leur âme, et dans tout ce qui leur est cher

ou sensible. Y a-t-il quelque chose de plus constamment, de plus universellement annoncé et répété dans l'Evangile que la nécessité des souffrances? partout on lit que celui qui ne porte pas sa croix, et ne suit pas Jésus-Christ, n'est pas digne de lui (Matth. x, 38); que si quelqu'un veut aller à lui, il faut qu'il renonce à soi-même, qu'il so charge de sa croix et qu'il la porte tous les jours (Luc. Ix, 23); que celui qui ne porte pas sa croix et ne va pas à Jésus-Christ, ne peut être son disciple. (Luc. XIV, 27.) Voilà ce que nous lisons dans cet endroit de l'Evangile, sans en trouver un seul qui adoucisse cet article sévère de la morale chrétienne; ce point est le même partout pour le riche et pour le pauvre, le grand et le petit, le prêtre et le peuple, le vieillard et le jeune homme: Dicebat ad omnes. (Luc. ix, 23.) La loi des souffrances est générale et sans exception, ni de temps, ni de lieu, ni de personnes; comme hommes, nous y sommes condamnés par la loi de la nature; comme Chrétiens, nous y sommes obligés par la loi évangélique; comme disciples de JésusChrist, nous y sommes engagés par l'exemple que ce divin Maitre nous a laissé; comme citoyens du ciel, nous y sommes invités par la récompense abondante qui nous est promise. Que faire, mon cher auditeur, dans la nécessité indispensable où nous sommes de souffrir? Le voici, et il serait bien étonnant que vous l'eussiez ignoré jusqu'à présent; c'est de changer cette nécessité en vertu, de vous soumettre avec résignation aux misères de cette vie, de souffrir pour Dieu ce que vous souffririez pour le monde et pour vous, de lui offrir toutes les peines que vous êtes obligés de prendre pour gagner votre vie et celle de votre famille, de lui faire le sacrifice de toutes les pertes dont il vous afflige, et que vous ne pouvez empêcher. Si jusqu'aujourd'hui vous aviez eu soin d'offrir ainsi tous vos maux à Dieu en esprit de pénitence et pour sa plus grande gloire, vous seriez actuellement comblés de mérites, vous auriez acquis des richesses infinies pour le ciel; vous avez souffert, vous souffrez pour la plupart dans votre état et par votre état seul. tout ce qu'il faut souffrir pour gagner le royaume des cieux; il ne vous manque que de rapporter à Dieu tout ce que vous endurez. Pourquoi donc ne le lui rapportez-vous pas? la chose en elle-même paraît aisée; en ne la faisant pas, vous perdez tout pour l'éternité, et vous vous privez des vraies consolations dans le temps; en la faisant, nonseulement vous thésaurisez pour le ciel, mais dès ce moment l'onction de grâce diminue le poids de nos afflictions. Pourquoi donc n'offrez-vous pas toutes vos peines à Dieu en esprit de sacrifice? c'est peut-être que vous n'avez pas encore assez compris ces vérités de notre sainte religion, et c'est, hélas! ce que vos murmures, vos aigreurs, vos inégalités ne montrent que trop. Il est donc juste que j'ajoute ici ce qui manquait à l'homélie du troisième dimanche après Pâques, où je traitais la même matière; que je vous

nes, qui essuiera leurs larmes, allégera la pesanteur de leur joug. Comment cela? tantôt en répandant dans leurs cœurs cette douce onction de la grâce, qui faisait dire depuis à saint Paul qu'il se glorifiait dans les afflictions, sachant que l'affliction produit la patience. la patience l'épreuve, et l'épreuve une espérance qui n'est point trompeuse; parce quo l'amour de Dieu était répandu dans son cœur par le Saint-Esprit qui lui avait été donné (Rom. v. 3, 5), tantôt en les revêtant de cette force divine, qui, en les rendant supérieurs à tous les dangers, les a fait courir au-devant des croix et regarder comme un bonheur d'avoir été méprisés pour le nom de JésusChrist; et tantôt enfin en leur découvrant comme esprit de vérité tous les avantages que procurent les souffrances, quand on s'y soumet avec amour, ou au moins avec patience.

conduise jusque dans le sanctuaire du Seigneur, que je découvre les desseins de miséricorde qu'il a sur ceux qu'il châtie, et que je vous montre le danger auquel s'exposent ceux qui n'entrent pas dans ce dessein. Quelle vaste carrière s'offrirait ici à moi, si je pouvais la parcourir tout entière ! je vous montrerais que les souffrances, lorsqu'on y joint la patience, glorifient le Seigneur, lui prouvent notre fidélité, nous assurent de notre attachement sincère à lui, affermissent notre espérance, purifient notre charité, nous détachent des créatures et nous conduisent à Dieu; j'ajouterais que si nous ne souffrons en ces vues, ou nous souffrons en philosophes païens, et dès lors nos souffrances sont inutiles et infructueuses, ou en mauvais Chrétiens et en pécheurs impénitents, et dès lors nos souffrances sont pour nous des sujets de scandale et de péché; mais je ne puis tout dire, et ce que je dirai suffira pour faire comprendre ce que la brièveté du temps m'obligera de taire. Voici donc le plan dans lequel je renfermerai l'explication de notre Evangile combien les souffrances sont avantageuses quand on y joint les vues de la religion, c'est ce que je ferai voir dans mon premier point: combien elles sont dangereuses quand on en sépare les vues de la religion, vous le verrez dans mon second point. Demandons tous ici à Dieu de nous apprendre à porter utilement notre croix; tous les jours et plusieurs fois le jour nous en imprimons le signe sur notre corps, prions notre divin Sauveur de nous en imprimer l'amour dans le cœur, afin que nous suivions avec courage la voie étroite et pénible qui nous conduit au ciel.

PREMIER POINT.

Lorsque le Consolateur, l'Esprit de vérité qui procède du Père, que je vous enverrai de la part de mon Père, sera venu, il rendra témoignage de moi : « Cum venerit Paracletus quem ego mittam vobis a Patre Spiritum veritatis qui a Patre procedit, ille testimonium perhibebit de me. n

Pour comprendre le sens de ces paroles, il faut y joindre ce que le Sauveur venait de dire à ses apôtres auparavant. Il leur avait déclaré qu'il avait été haï sans sujet, et que bientôt il serait couvert d'ignominies de la part des Juifs; que ses disciples seraient trahis de même, qu'à cause de son nom ils seraient aussi haïs, persécutés et exposés à toutes sortes de mauvais traitements: Hæc omnia facient vobis propter nomen meum. (Joan. xv, 21.) Une semblable prédiction avait fait sur les apôtres l'impression qu'elle ferait naturellement sur tous les cœurs. La vue d'un avenir dans lequel ils n'apercevaient que souffrances, les avait jetés dans une tristesse profonde; la seule vue de leurs croix les intimidait, celles de Jésus-Christ les scandalisaient que fait donc ce maitre charitable pour lever ce scandale, relever ce courage déjà abattu? Il leur promet un Esprit consolateur au milieu de leurs afflictions: Cum venerit Paracletus; un Esprit qui les consolera dans leurs afflictions, qui adoucira leurs pei

Je l'ai déjà remarqué, ce que ce divin Sauveur dit ici à ses apôtres touchant les souffrances, il le dit à chacun de vous, et par conséquent c'est à chacun de vous qu'il est important de faire connaitre les avantages des souffrances, pour lui apprendre à les sanctifier. Quels sont donc ces avantages? J'en remarque ici trois principaux, qui regardent le passé, le présent et l'avenir; le premier est d'expier les désordres du passé, le second est de mortifier nos passions actuelles, et le troisième est de nous assurer des récompenses du ciel.

Premièrement les souffrances nous sont avantageuses à tous, parce qu'elles servent à expier les désordres de notre vie. Quel est, mes frères, parmi nous, celui qui n'a point commis de péchés, qui n'en commet pas encore tous les jours? qui de nous, hélas! n'a pas à déplorer les égarements d'une jeunesse dissipée et malheureusement livrée aux passions du jeu, de la table et des plaisirs que la sainteté de cette chaire me défend de nommer? quel est, dans cet auditoire, le juste dont le cœur soit libre et dégagé de toute affection terrestre, des affections de haine et de jalousie, d'ambition et de vanité, de prodigalité et d'avarice? Nous avons tous péché en bien des manières, dit saint Jacques: In multis offendimus omnes (Jac. II, 2); et: Si nous disons, ajoute un autre apôtre, que nous n'avons point de péché, nous faisons Dieu menteur, et sa parole n'est point en nous : a Si dixerimus quoniam non peccavimus, mendacem facimus eum, et verbum ejus non est in nobis.» (I Joan. 1, 10.) Il est donc pour nous tous d'une nécessité indispensable de nous avouer pécheurs, c'est-à-dire de reconnaître que nous sommes des objets de haine et d'abomination aux yeux du Seigneur, que nous sommes dignes d'une mort éternelle et de supplices sans fin (à moins que nos fautes ne nous aient été pardonnées, et encore alors reste-t-il des peines à expier, qui, dans l'autre vie, ne s'expient que par le feu dévorani du purgatoire). Quel plus grand malheur pouvons-nous imaginer, mes frères, que de demeurer dans cet état? Est-il, au contraire, un plus grand bonheur que celui d'en sortir, de faire notre paix avec Dieu, de rentrer dans

son amitié, de recouvrer notre ancien droit du royaume des cieus, d'où le péché nous avait exclus? Tel est le précieux avantage que nous procurent les souffrances; en voici quelques preuves tirées de l'histoire sainte.

Quelle était la voie ordinaire par laquelle le Seigneur ramenait autrefois son peuple à son devoir? n'était-ce pas celle des souffrances? Tantôt il fermait les cataractes des cieux pour empêcher de pleuvoir et pour rendre les campagnes stériles; tantôt il appelait des extrémités de la terre des nations belliqueuses pour faire le dégât sur les terres d'Israël et pour les enrichir de ses dépouilles; et d'autres fois il les livrait, les uns au tranchantile l'épée, et les autres à de longues et de dures captívités. Que faisait ce peuple accablé sous le poids de ces différents fléaux pour ses infidélités? il gémissait, dit le Prophète, il rentrait en lui-même, il étudiait la loi du Seigneur, il reconnaissait ses égarements, il recherchait le Seigneur, il retournait à lui et se hâtait de le trouver: Cum occideret eos, quærebant eum, et revertebantur, et diluculo veniebant ad eum. (Psal. LXXVII, 34.)

Quelle fut la voie dont Dieu se servit pour expier le crime de David? ne fut-ce pas celle des souffrances? Ce roi pénitent fut persécuté par son propre fils, déshonoré dans ses femmes légitimes, abandonné de la plupart de ses sujets, obligé de fuir pieds nus et pleurant de Jérusalem. Quelles étaient les vues du Seigneur en permettant tous ces crimes énormes? de punir celui d'un prince qui avait été selon son cœur, c'est ce que reconnaît cet illustre pénitent. Au moment qu'il est comme environné des plus vives tribulations, Seméï, ce sujet perfide, si connu dans l'histoire sainte par ses insultes sacriléges, rencontre David dans sa fuite, il lui jette des pierres, il le maudit en ces termes : Sors, sors, homme de sang et homme de Bélial, le Seigneur a fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül, parce que tu as usurpé le royaume pour te mettre en sa place. Les officiers du roi, indignés contre ce malheureux, demandent la permission de l'exterminer et de lui faire porter la juste peine de ses blasphèmes. Qu'y a-t-il entre vous et moi, leur répond David avec son zèle ordinaire? laissez-le faire, car le Seigneur lui a ordonné de me maudire: et qui osera lui demander pourquoi il l'a fait?... Mon fils qui est sorti de moi cherche à m'ôter la vie : combien plus un fils de Gémini me traitera-til de la sorte! laissez-le faire, laissez-le maudire selon l'ordre qu'il en a reçu du Seigneur, peut-être qu'il regardera mon affliction, et qu'il me fera quelque bien pour les malédictions que je reçois aujourd'hui : Si forte respicial Dominus afflictionem meam et reddat mihi Dominus bonum pro maledictione hac hodierna. (II Reg. xvi, 9-12.) C'est ainsi que David marchait dans la voie des souffrances pour obtenir la rémission de son péché.

N'est-ce pas encore celle qu'a suivie David

pour opérer la rédemption de tous les hoinmes? de quels opprobres n'a-t-il pas été couvert à Jérusalem il a été persécuté des Juifs, ses frères selon la chair, et ses enfants selon la divinité; il y a été traîné de tribunal en tribunal, condamné comme un malfaiteur et mis au rang des scélérats; il en est sorti chargé du bois de sa croix. Lorsqu'il y était attachó sur le Calvaire, de tous côtés on le chargeait. de malédictions; les étrangers qui passaient, les scribes et les sénateurs qui étaient spectateurs de son supplice, des voleurs qui mouraient à ses côtés, presque tous se moquaient de lui, en disant qu'il avait sauvé les autres et qu'il ne pouvait se sauver lui-même. (Matth. XXVII, 42.) Et pourquoi cet Homme-Dieu at-il été traité de la sorte? la foi nous l'enseigne, mes frères, c'est pour vos péchés et les miens: Traditus est propter delicta nostra. (Rom. IV, 25). Ah! il est donc bien juste que nous souffrions aussi, nous qui sommes les coupables; il est bien juste que nous consentions à être méprisés, outragés, calomniés, frappés dans notre corps par les maladies, dans notre honneur par la noire détraction, dans nos biens par la perte d'un procès ou par d'autres accidents. « Soyez loué, » devons-nous dire alors avec un grand saint,« soyez loué, ô mon Dieu, qui m'avez poursuivi lorsque je fuyais de toutes mes forces, et qui vous êtes souvenu de moi lorsque je vous avais oublié. Gratias tibi, Deus meus, qui fugientem te persecutus es, et oblitum tui non es oblitus » (S. AUG., Confess.). Oui, mon Dieu, devons-nous ajouter encore, je me soumets de tout mon cœur à cette croix que vous m'avez préparée, je l'accepte en esprit de pénitence, je l'unis à celle de mon Sauveur, je m'y étendrai volontiers pour devenir une victime d'expiation; coupez, Seigneur, coupez, tranchez et ne m'épargnez pas dans ce temps, afin de m'épargner dans l'éternité. Quel malheur ne serait-ce pas pour moi si vous me laissiez endormi dans le sein des délices! j'oublierais que je suis mortel, je négligerais l'affaire importante de mon salut, je vivrais et peut-être mourrais-je impénitent: voilà le terme fatal où me conduirait la prospérité de ce siècle, si j'en jouissait longtemps; mais dans l'état où vous me réduisez, je comprends enfin qu'il est juste que celui qui est mortel ne s'égale pas à l'Etre souverain, qu'il lui soit soumis, qu'il ne vive et qu'il ne meure que pour lui, qu'il publie sa puissance et qu'il frères, les sentiments de conversion que prohonore la majesté de son nom. Tels sont, mes duisent les souffrances dans une âme qui en sent le vif aiguillon: sentiments, prenez-y garde néanmoins, qui sont souvent équivoques et trompeurs. Antiochus, ce cruel persécuteur de la nation sainte, croyait les siens bien sincères, il promettait de faire autant de bien aux Juifs qu'il leur avait fait de maux, il se disposait à faire connaître par toute la terre le Dieu souverain qui le châtiait, il voulait contribuer à la magnificence de son culte en faisant au temple de Jérusalem de riches offrandes; cependant il est écrit de ce prince malheureux qu'il priait le Seigneur de qui il ne devait point recevoir miséricorde : « Orabat

hic scelestus Dominum a quo non esset misericordiam consecuturus. » II Mach. Ix, 13.) Pourquoi donc le Dieu des miséricordes refusait-il de l'exaucer? c'est parce qu'il connaissait le fond de son cœur, et qu'il le voyait moins touché de son péché que des châtiments que lui avait mérités son péché. Il est vrai, il souffrait horriblement, il était attaqué d'une effroyable douleur dans les entrailles, et d'une colique qui le tourmentait cruellement. De son corps froissé et de ses membres meurtris par une chute, il sortait comme une source de vers, toutes les chairs lui tombaient par pièces avec une odeur si effroyable que toute son armée n'en pouvait souffrir la puanteur, c'est ce qu'en dit l'auteur sacré dans le II livre des Machabées; mais ces maux, il ne les acceptait pas dans cet esprit de pénitence intérieure et surnaturelle qui les sanctifie voilà pourquoi le Seigneur ne l'exauça point. On peut donc, mes frères, on peut souffrir beaucoup et souffrir inutilement pour son salut, parce qu'on souffre sans amour de Dieu, sans cette charité sans laquelle le martyre même ne servirait de rien au sentiment de saint Paul. Ayons-la donc cette charité, c'est-à-dire, souffrons pour la justice et pour témoigner à Dieu notre fidélité; courons avec empressement au-devant des croix, et embrassons-les avec amour lorsqu'elles se présentent, afin de mériter le pardon de nos péchés, c'est le premier avantage qu'elles nous procurent.

Le second est de dompter nos passions et de réprimer en nous la triple concupiscence de la chair, des yeux et de l'orgueil de la vie. C'est à vous, pauvres, qui gémissez sous le poids de l'indígence; c'est à vous, faibles opprimés, qui vivez dans le mépris et les humiliations; c'est à vous à qui de continuelles infirmités rendent la vie amère; c'est à vous tous qui êtes dans un état actuel de souffrances, que j'adresse la parole exposez-nous sincèrement les sentiments de votre cœur, déveJoppez-nous vos pensées sublimes sur la vanité des richesses de ce monde, le néant des honneurs, et l'amertume de ses plaisirs. Les richesses, me dit ce pieux chef de famille que la Providence éprouve par les revers de la fortune, les richesses, hélas! ne sont qu'une tendre fleur qui se fane aux premiers rayons du soleil, elles sont étrangères à l'homme incapable de contenter son cœur; possédez les, elles nous font tomber dans la tentation et dans le piége du démon, et en divers désirs inutiles et pernicieux (I Tim., VI, 9); désirezles, votre passion sera la racine des usures, des rapines, des parjures, des complaisances criminelles et de tous les maux: Radix omnium malorum est cupiditas. (Ibid., 10.) Nous n'avons rien apporté dans ce monde, et il n'est pas douteux que nous n'en pouvons aussi rien emporter. Pourquoi amasser dans le temps ce qui est perdu pour l'éternité? ô qu'il est bien plus sage de thésauriser pour le ciel! Les honneurs, me dit cet innocent qu'on accuse et ce juste qu'on méprise, les honneurs ne sont qu'une ombre qui disparaît et qu'une fumée qui se dissipe, une ombre et une fumée qui obscurcissent les lumières de la foi de

robent la vue du ciel, et font oublier la gloire immense que Dieu a préparée à ses élus. Qu'est-ce encore que les plaisirs, me dit celui que la nécessité met hors d'état d'en jouir et qui se soumet à cette heureuse nécessité? qu'est-ce que les plaisirs de ce siècle? peines et travaux d'esprit avant d'en jouir, troubles et craintes en en jouissant, regrets et chagrins après en avoir joui. Mon Dieu et ma miséricorde, s'écrie avec saint Augustin un voluptueux dont Dieu vient de briser les chaînes, ô Je fiel amer que vous avez répandu sur mes convoitises charnelles! l'effroyable agitation où se trouvait alors mon âme la jalousie, le soupçon, la crainte, la colère et les querelles étaient comme autant de verges de fer ardentes dont vous me battiez Colligabar.... ut cæderer virgis ferreis ardentibus, zeli et suspicionum et timorum et irarum atque rixarum. La jalousie me transportait hors de moimême, si le complice de mes crimes me paraissait capable d'en commettre avec d'autres, le soupçon me faisait curieusement rechercher ce que je n'eusse jamais voulu rencontrer; la crainte que l'objet de ma passion ne m'échappât ne cessait de m'alarmer; la colère, vice inséparable des fausses amitiés, succédait au moment des protestations les plus passionnées d'une éternelle amitié; les querelles semblaient à chaque moment annoncer un divorce absolu, et de ces nuées sans eau il ne sortait enfin qu'une flamme impure plus vive que la précédente. Telle était ma vie, ô mon Dieu, si cependant une telle vie en mérite le nom Talis vita mea, numquid vita erat, Deus meus? (Lib. II, Confess., cap. 1 et 2.) C'est ce que disait saint Augustin en parlant des supplices continuels qu'éprouve le voluptueux, c'est ce que me dit une âme que le Seigneur en détache par le feu des afflictions.

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Il est vrai, ce parfait détachement ne s'opère pas d'abord; on cherche encore quelque temps des plaisirs qui fuient; on court après des fantômes d'honneur qui échappent à celui qui croit les tenir, on forme de nouveaux projets on invente de nouveaux moyens pour se rendre la fortune plus favorable; mais enfin rebuté de l'ingratitude du monde et fatigué par ses poursuites inutiles, on imite l'enfant prodigue, on ouvre les yeux sur son état, on est pénétré d'horreur à la vue de sa situation, on se rappelle la maison paternelle d'où on est sorti, et les délices qu'on y goûte. Je me leverai, prononce-t-on aussitôt, et je briserai les liens de mon péché, j'irai vers mon Dieu le meilleur de tous les pères, et je lui dirai : Mon Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, et je ne suis pas digne d'être appelé votre fils Surgam et ibo ad patrem, et dicam ei: Pater, peccavi in cœlum et coram te, jam non sum dignus vocari filius tuus. (Luc. xv, 18, 19.) N'est-ce pas là, mes frères, le changement admirable que les souffrances produisirent autrefois dans la personne du roi Manassès et celle de Nabuchodonosor? Le premier était un ennemi déclaré du Dieu de ses pères, un impie qui avait osé dresser des autels à Baal, planter des bois profanes et sacrifier à la milice des cieux; un superstitier

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