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à la vérité plus solides, plus résistantes, mais aussi clles seront plus éloignées; elles n'oseront risquer des mouvemens qui les exposeraient à se voir coupées, investies sans espoir d'être secourues. Qu'arriverait-il donc dans ces deux circonstances? Que l'armée du gouvernement, réduite à l'inaction la plus absolue, laissant en liberté l'intérieur du pays, verrait bientôt le colosse de la puissance nationale, rallié par le péril de la patrie, se porter successivement sur chacune de ces portions faibles et incohérentes de la rébellion, les écraser les unes après les autres; ou plutôt que, dédaignant de les frapper, elle se bornerait à les investir dans leurs asiles et les forcerait à périr de misère par la privation des secours de tout genre, qu'ils ne peuvent tirer que de l'inté- . rieur du royaume : car ici c'est le centre qui nourrit les extrémités, c'est le centre qui vivifie la circonférence; une forteresse abandonnée à elle-même périt par sa propre inertie; si vous cessez de lui porter ses besoins elle ne peut se déplacer pour se les procurer, et ses besoins ne peuvent lui parvenir que par vous.

» Dira-t-on que le gouvernement appellera les étrangers et qu'il leur ouvrira le royaume? Cette objection n'en est pas une, car elle est applicable à tous les systèmes, et, soit qu'il existe ou qu'il n'existe pas de forteresses, le gouvernement aura toujours la faculté d'ouvrir l'État à ses ennemis : d'ailleurs celte supposition en entraîne une seconde; c'est celle du pacte, des conditions préliminaires du gouvernement avec ces mêmes ennemis; pense-t-on que les nations lui prêteront gratuitement leurs forces, qu'elles viendront risquer leur or et le sang de leurs sujets pour le scul plaisir de caresser les caprices du despotisme, et peut-on croire qu'un démembrement plus ou moins considérable de l'empire ne serait pas le salaire promis en échange du funeste secours que le gouvernement aurait sollicité ? Nous voilà donc conduits par la discussion à la contemplation de l'anarchie dans tout ce qu'elle a d'horrible, de l'organisation politique parvenue au dernier degré de sa dissolution, enfin du désespoir furieux qui se dévore lui-même; il n'y a plus à raisonner dans cette hypothèse; elle se refuse à tout examen,

et l'imagination flétrie se détourne de ce tableau désolant, qui soulève l'âme sans éclairer l'esprit.

» Reprenons la question, dont nous nous sommes écartés, et voyons la dernière supposition que l'on peut faire. Le gouvernement, dira-t-on, évacuant toutes les forteresses, tiendra l'armée réunie en masse, et lui conservera dans toute sa plénitude la liberté de ses mouvemens et la faculté d'aller rapidement soumettre par la terreur tout ce qui oserait résister........ Je pourrais observer d'abord que puisque les places ne seront pas occupées par les troupes du gouvernement elles ne seront d'aucun danger pour la liberté publique, et qu'elles doivent être au moins regardées comme nulles dans ce cas particulier; mais cette réponse ne dirait pas assez, car s'il est vrai qu'alors elles ne seraient d'aucune utilité aux projets qu'on pourrait supposer au gouvernement il serait faux de dire qu'elles ne lui seraient point nuisibles en effet, elles seraient occupées par le peuple dès l'instant qu'elles auraient été abandonnées par l'armée, et celle-ci, cernée de toute part, sans asile en cas de défaite, perdant en même temps l'espoir de fuir et celui d'échapper, n'aurait pour ressource dernière que celle d'imposer et de maintenir par la force le joug sur la tête de vingt-cinq millions d'individus, dont près de quatre millions sont en état de porter les armes; et dans ce raisonnement n'oublions pas que nous devons aux forteresses l'avantage d'avoir pu réduire l'état habituel de cette armée à cent soixante mille hommes, qu'elle serait sans point d'appui pour seconder ses efforts, et sans lieu de sûreté pour déposer ses besoins.

» Il me paraît donc démontré que sous aucun rapport les places de guerre ne peuvent être considérées comme dangereuses à la liberté publique, et que loin d'être des moyens d'oppression entre les mains du gouvernement elles protégent au contraire en même temps et la liberté contre les atteintes du despotisme intérieur, et les propriétés du peuple contre l'ambition des étrangers.

» Maintenant si Pon cherchait l'origne du préjugé que je viens de combattre on la trouverait dans le sentiment de la crainte, dont le caractère propre est de fausser le jugement,

parce que dans les mouvemens irréguliers de celte passion, l'esprit, fixé sur l'image du danger, perd la faculté de se placer à une distance convenable de l'objet de ses alarmes pour l'examiner dans tous ses rapports, et pour l'apprécier avce justesse d'après la comparaison des temps, des lieux et des circonstances.

» On est persuadé que la plupart des places fortes, et surtout les citadelles, ont été construites autant dans l'intention de contenir les peuples dans la soumission que dans la vue de les protéger; cette idée reste et l'on oublie et les époques, et les événemens, et tous les motifs divers qui ont déterminé l'établissement de ces moyens de puissance publique; on oublie surtout que l'approbation nationale a, tacitement à la vérité, mais très-réellement sanctionné la construction de forteresses en tant qu'elles devaient être des instrumens d'oppression. Avec une réflexion bien simple ce paradoxe prendra les couleurs de la vérité. Le vœu général d'un peuple civilisé c'est la paix, parce qu'elle seule peut le faire jouir complétement des avantages de la civilisation; mais lorsqu'elle est troublée soit par l'ambition de son gouvernement, soit par l'agression de ses voisins, si le peuple qu'on force à la guerre la fait avec avantage il est fier de ses succès; s'il fait des conquêtes il veut les conserver; il veut au moins que leur possession devienne l'indemnité des efforts qu'il a faits, du sang qu'il a versé, des misères qu'il a souffertes; il approuve alors les précautions que prend son gouvernement pour lui assurer ses propriétés nouvelles: mais en donnant son acquiescement à la construction des forteresses il est loin de vouloir porter atteinte à ses propres intérêts; il ne cherche au contraire qu'à les mettre à couvert; c'est le droit des armes qu'il exerce sur des vaincus qu'il ne peut et n'ose encore considérer comme des citoyens; c'est au profit de la chose publique qu'il croit travailler en appesantissant la chaîne sur un petite portion du corps social. Les forteresses sont donc réellement des moyens d'oppression approuvés par la volonté générale, et toute l'erreur consiste à croire que ces mesures hostiles sont dirigées contre la nation, tandis qu'elles ne le sont en effet que contre une faible por~,,

tion de l'empire suspecte au reste de la société, qui regarde encore ces nouveaux citoyens comme des étrangers.

» Il est donc bien certain que dans un gouvernement libre toutes les fois que les forteresses sont des instrumens d'oppression elles doivent cette propriété à la majorité des vœux du peuple, dont elles tirent toute leur force, et qui ne saurait vouloir son propre dommage.

>> Mais les circonstances changent insensiblement; les peuples conquis perdent le souvenir de leur ancien gouvernement; ils s'accoutument à la domination nouvelle, les liaisons se forment avec le peuple conquérant ; leurs rapports se multiplient, ils amènent la confiance mutuelle; déjà il n'existe plus de différence entre eux, et leur intérêt commun les identifie; alors des deux destinations que dans le principe avaient les forteresses il ne leur en reste plus qu'une seule, celle de la défense commune; c'est la seule qu'approuve et que légitime la volonté nationale; c'est pour ce seul objet que la force publique leur prêtera son appui... Et que scraient des forteresses sans la force et sans la volonté publique!

>> Les terreurs qu'elles inspirent n'existeraient donc pas si l'on se rendait compte des motifs que je viens de développer ; mais le tranquille habitant d'une de nos places de guerre contemple la citadelle qui domine sa demeure; à l'aspect de cet appareil menaçant le sentiment de la dépendance dans laquelle il se croit l'afflige et l'humilie ; il s'indigne d'un esclavage qui n'existe pas; il oublie que l'esprit public, la force du peuple, la volonté générale, qui l'environnent et le défendent sans cesse, interdisent à ces remparts qui l'épouvantent toute autre propriété que celle de servir à sa protection; il oublie surtout que son habitation n'est qu'un point sur la surface de l'empire, que le despotisme n'a point d'intérêt à maîtriser un point isolé, à exercer une violence partielle, et qu'enfin le premier coup de canon qui serait tiré pour l'oppression du peuple serait infailliblement le tocsin de la vengeance et le signal du châtiment des tyrans.

Que le citoyen inquiet s'éclaire et dissipe ses alarmes; qu'il dorme en sûreté à l'ombre de ces remparts sur lesquels un coup d'oeil incertain lui a ait d'abord apercevoir le fan

tôme du danger; qu'il reconnaisse dans leur structure terrible l'égide protectrice qui couvre ses propriétés, l'asile de sa liberté, la dernière ressource des guerriers chargés de mourir pour la défense de ses foyers; et qu'il n'oublie pas surtout que c'est à l'abri de ces masses redoutables que le nourricier de l'État, l'utile agriculteur, inaccessible aux horreurs de la guerre ainsi qu'aux fléaux qu'elle entraîne, recueille en paix les fruits des champs qu'ont fécondés ses

mains.

» A l'appui de ces réflexions je ne puis, messieurs, me refuser à vous citer un passage très-court d'un mémoire manuscrit du maréchal de Vauban sur la ville d'Ypres ; il est sans date, mais le texte prouve évidemment que l'époque doit en être rapportée à celle de la guerre qui précéda le traité de Riswick. Dans l'énumération des divers avantages que nous procurait cette place, alors en première ligne de nos frontières, il compte celui de couvrir et de tenir comme à l'a» bri la plus grande partie de la châtellenie d'Ypres, toutes > celles de Varneton, Bailleul, Cassel, Poperingue, grande » partie du Furnenbach, et même partie du Bas-Artois; qui » tous ensemble font le composé d'un grand pays, le meilleur qui soit sous le ciel, dans l'étendue duquel les paysans >> ne sont non plus inquiétés quant à présent que ceux de >> la plaine de Saint-Denis, chose qu'ils connaissent, qu'ils > admirent, et qu'ils savent bien dire. »

» Il ne me reste qu'à considérer les places sous le rapport de l'économie, et cet examen sera également clair et simple. » Les fonds annuels affectés à l'entretien des fortifications étaient quelquefois de 1,900,000 livres, quelquefois de 2,100,000 livres, terme moyen 2 millions; cette somme était destinée non-seulement à l'entretien des fortifications proprement dites, mais encore à celui des bâtimens de tout genre nécessaires à l'armée. L'entretien de ces bâtimens, celui de quelques plantations, de quelques portions de chaussée, de pavés et autres objets de même genre, emportaient plus de moitié des fonds dont je viens de parler; et vous observerez que, soit que l'on conserve ou qu'on supprime les places de guerre, comme il faudra toujours des casernes pour loger les troupes, des magasins pour contenir leurs besoins, des

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