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..quilles sur leurs approvisionnemens, sur leurs communications, libres dans tous leurs mouvemens, attendraient avec sécurité que la direction des efforts auxquels il faudrait résister fût décidément connue; et pour lors on les verrait, sous l'abri des chaînes de forteresses, se porter rapidement et sans danger partout où la résistance serait jugée nécessaire; observer l'ennemi, le harceler dans tous ses mouvemens, l'attaquer quand il ferait des fautes, se borner à lui en imposer, à le menaçer partout lorsqu'il marcherait avec circonspection, et le braver enfin avec d'autant moins de danger qu'en cas d'échec pour nos troupes leurs asiles sont tout prêts, qu'une suite de positions rétrogrades sont toutes disposées pour les recevoir, et que quatre cent mille hommes armés sont là pour réparer leurs pertes.

» En examinant quels sont les besoins de l'armée que nous supposons en défense, nous trouverons qu'ils consistent non-seulement dans des munitions de toute espèce, mais principalement dans des lieux de sûreté pour les contenir, dans des points résistans, des centres de force placés de distance en distance pour soutenir la ligne de ses opérations, pour favoriser la marche et la communication de ses convois, et, en cas de revers, dans des asiles où elle puisse se reposer, réparer ses pertes et attendre le moment de venger ses défaites.

» Ce que j'ai dit d'une armée sur la défensive lui est presque entièrement applicable dans le cas où elle devrait agir offensivement; car dans l'une comme dans l'autre supposition il lui faut des dépôts pour ses besoins, des appuis pour en favoriser le transport, et des abris dans ses revers.

»Tous les moyens de surveillance et de sûreté qui conviennent aux deux hypothèses se trouvent remplis, si des forteresses réparties avec intelligence garnissent la frontière sur laquelle cette armée doit agir.

» Les points qu'elle devra nécessairement occuper ont été reconnus à l'avance; l'art s'est emparé des sites; il en a corrigé les défauts, il en a multiplié les obstacles en adaptant les ressources dont il dispose à des positions prévues; il a économisé les forces mobiles qui doivent les défendre;

et tel poste de la plus haute importance qui dans son état naturel eût exigé pour sa garde un corps de troupes considérable, pris aux dépens de l'armée, se trouve par le secours de l'industrie n'avoir besoin pour sa sûreté que d'une garnison de quelques bataillons: alors se manifeste le double avantage des places fortes, savoir, celui de donner la protection la plus efficace à tous les mouvemens, à toutes les dispositions de l'armée, pour laquelle elles existent, et celui de tenir l'ennemi dans une inquiétude continuelle sur le sort de ses approvisionnemens, de l'obliger à morceler ses forces pour veiller à la garde de ses communications ou à la sûreté de ses flancs, et de finir nécessairement par le réduire à l'alternative de l'inaction ou de l'entreprise toujours longue, toujours dispendieuse, toujours périlleuse du siége 'd'une bonne forteresse celui de Lille coûta presqu'une campagne entière à M. le Prince Eugène; il y dépensi des sommes immenses; il y ruina sa cavalerie; il y perdit quinze mille hommes; et le jour de la reddition de la place M. le prince Eugène n'avait conquis que le territoire de Lille.

» C'est un des progrès les plus estimables qu'ait faits notre siècle dans l'étude de la guerre (1) » que celui d'avoir re» connu que l'art de s'approprier les accidens locaux pour » renforcer une position était précisément le même que celui » qu'on déploie pour fortifier un simple poste, d'avoir considéré les places fortes comme des points d'appui déterminés d'avance, préparés de longue main, rendus susceptibles par des ouvrages permanens d'une résistance bien supérieure à celle qu'on peut attendre des travaux imparfaits qu'exigent les besoins du moment, conséquemment capables d'être gardés avec bien moins de monde, toujours liés, toujours nécessaires aux systèmes des combinaisons offensives et défensives, enfin comme une arme particulière dont l'objet est de corroborer et de faire valoir toutes les autres et dont le caractère propre est la résistance passive, l'immobilité, la force d'inertie.

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(1) De la force militaire, par le colonel Darçon.

VIL.

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»Un des grands maîtres de l'art, Frédéric, appréciait toute l'influence des forteresses sur les événemens de la guerre lorsque, vainqueur à Torgau, mais arrêté dans sa victoire et près d'en perdre les fruits par la position qu'avaient prise les vaincus sous les remparts de Dresde, il s'écriait : vanité des batailles!

>> Cet accent du dépit était aussi celui de la conviction; Frédéric répéta depuis cette vérité qu'il avait profondémeut sentie; et quoi qu'on en ait pu dire, une multitude de traits de sa conduite attestent son opinion sur l'art fortifiant et sur la manière dont il concevait que le système des for`teresses se liant à celui des grandes opérations de la guerre, devait en seconder les combinaisons.

»Il détestait les places fortes, ont dit quelques partisans de leur destruction: sans doute il les détestait lorsqu'elles étaient des moyens de résistance pour ses ennemis; lorsque, situées sur la direction de ses efforts, elles suspendaient ses succès, elles ralentissaient sa marche, elles arrêtaient ses triomphes certes. l'homme étonnant qui, forcé de lutter avec l'Europe presqu'entière conjurée contre lui; qui, sans cesse occupé à suppléer par les ressources de son génie à l'insuffisance de ses forces et aux revers de la fortune; celui qui, surpris et défait à Hochkirch, se transportait dans l'arrière saison à la tête d'une armée,de Saxe en Silésie, de Silésie en Saxe, retournait en Silésie, délivrait Neiss, Kosel, Dresde, Leipsick, Torgau et Colberg, et cela dans l'espace de sept semaines; celui-là, dis-je, devait craindre de rencontrer sur 1 sa route de ces obstacles qui, bravant la rapidité des mouvemens et les saillies du courage, exigent pour être surmontés des formes méthodiques et la lenteur des procédés réguliers; mais il ne détestait plus les forteresses lorsqu'elles assuraient ses positions, lorsqu'elles conservaient ses approvisionnemens ou qu'elles couvraient ses frontières. Voyez ses quartiers d'hivers de 1744 à 1745; il ne se contente pas de les établir derrière une chaîne de places fortes; il fait retrancher encore les parties faibles de leurs intervalles et les points qui pouvaient donner accès sur ses flancs. Voyez ses frontières de la Silésie; en a-t-il fait démolir les remparts? bien loin de

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là, il les a entretenus avec soin; il les a augmentés en Taisant fortifier à neuf Neiss et Siberberg.

» Enfin ouvrez son histoire, parcourez ses écrits; partout yous trouverez les preuves multipliées de son opinion sur l'importance des places fortes: il est même bien surprenant qu'après avoir lu les expressions formelles et précises de plus de vingt passages de ses instructions à ses généraux, on ait cru pouvoir s'étayer de son avis pour accréditer le projet funeste de démolir une partie des boulevarts de nos frontières, et d'exposer ainsi le royaume à l'invasion des étrangers; que méconnaissant l'autorité de ce grand homme, les leçons récentes de l'histoire, un siècle d'expérience, on un ait conçu la pensée de renoncer à la protection sûre, éprouvée des forteresses, et qu'on ait youlu faire dépendre le sort de l'Etat des fragiles combinaisons de la tactique, du bon ou du mauvais succès de quelques campagnes et du hasard des batailles!

»Je pourrais étendre bien d'avantage le raisonnement qui prouve l'utilité des forteresses permanentes; en les examinant sous leurs autres rapports j'offrirais le complément de cette première digression, et dans ce moment je me borne à vous soumettre une considération simple; c'est que s'il existait en thèse générale quelqu'incertitude sur les avantages des places fortes, considérées comme moyens de puissance militaire, du moins cette question ne serait pas douteuse dans le cas particulier, d'un peuple qui prenant pour base de sa politique la renonciation à tout projet de conquête, réduirait l'art de la guerre à la science de défendre et de conserver ses foyers.

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Mais peut-être qu'en étudiant les forteresses sous d'autres points de vue on reconnaîtra que leur utilité militaire ne dédommage pas de leurs inconvéniens politiques; quelques partisans de leur destruction leur ont fait le reproche de compromettre la liberté publique: cette inculpation mérite d'être examinée, et pour plus de simplicité, je vais la considérer dans l'application qu'on peut en faire à la France.

Comment nos forteresses, qui sont, ainsi que je l'ai dit, des masses inertes et purement passives, menaceraient-elles

la liberté publique? Ce ne pourrait-être que dans le cas où un gouvernement oppresseur rompant les liens qui l'attachent à l'Etat, et abusant du pacte social, qui lui laisse la disposition des forces et des moyens militares pour la défense commune, voudrait les faire servir à l'oppression du peuple; mais dans ce cas il est aisé de prouver que les förteresses, loin de favoriser ses projets, y apporteraient au contraire le plus grand des obstacles.

»En effet, poussons l'hypothèse jusqu'à l'absurde; supposons la réunion de toutes les circonstances qui peuvent seconder ses vues, la totalite de l'armée dévouée à la tyrannie, et des fonds tout prêts pour en soudoyer les agens : quel usage le gouvernement fera-t-il alors des places fortes? Les abandonnera-t-il ou se décidera-t-il à les occuper? Avant d'examiner ces deux cas observons d'abord que le premier avantage que nous procurent les forteresses c'est celui de n'entretenir habituellement qu'une armée peu nombreuse en comparaison de l'état militaire de nos voisins; et je ne erains pas d'attester tous les hommes de guerre qui ont Dréfléchi sur cette question que si nous venions à effacer toutes les places qui forinent nos barrières nous ne suppléerions pas à leur défaut par une augmentation de cent mille hommes dans notre armée de ligne : j'ajouterai' que cette armée de cent soixante mille hommes dans son état ordinaire est de près de moitié trop faible pour garder à la fois toutes nos places contre le soulèvement du dedans et contre les attaques du dehors.

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» Cela posé, revenons à la question.

>> Si le gouvernement fait occuper par l'armée les places soit en totalité, soit en partie, il anéantit ses forces en les partageant; son armée, dispersée sur un immense développement, n'offrirà dans ses divisions morcelées que des corps affaiblis, sans relation, sans correspondance, incapables de s'entr-ejsecourir: je dis incapables de s'entre-secourir, car si le gouvernement garde toutes les forteresses, d'après l'observation que j'ai faite plus haut, les garnisons, trop peu nombreuses, seront dans l'impuissance de quitter leur enceinte; et s'il en abandonne une partie, les divisions seront

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