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gissait que de rétablir le travail de mon honorable collègue sur des principes militaires.

» Pour découvrir ces principes et procéder avec fruit, je dois commencer par me former une idée juste de l'être auquel je veux donner des lois, afin de ne pas lui en donner qui ne conviennent point à sa nature.

» Qu'est-ce qu'une armée ? Une armée salariée et toujours sur pied est un être destiné à défendre ou à conquérit, propre à l'un et à l'autre, et cet être à un maître quelconque.

Mais pour qu'il remplisse son objet le maître doit l'organiser de manière à ce qu'il ait la plus grande force possible dans les mouvemens qu'il lui commande, et à ce qu'il ne puisse que ce que veut son maître.

» Je vois done que cet être est en état de dépendance et non en état de liberté, et que s'il appartient à une congrégation d'individus il est hors de la congrégation et non dans lá congrégation; qu'ainsi il n'a pas les mêmes droits, et qu'il ne vit pas sous les mêmes lois que les individus de la société à laquelle il appartient.

» Il résulte de cette définition que la nature de cet être est telie qu'il ne peut rester ce qu'il est qu'aussi long-temps qu'il vit sous les lois de dépendance qui constituent sa natare; que s'il pouvait s'en trouver affranchi'et se voir appelé à partager la liberté dout jouit la congrégation c'en serait fait et de l'être, et de la liberté, et de la société ; le tout se dissoudrait dans l'anarchie et la licence, et offrirait un de ces exemples dont les princes savent mieux profiter que les peuples.

» Le despote, qui veut la même chose que la congrégation et qui retient pour lui seul la liberté qu'il a ravie à son peuple, a une armée esclave; et si son armée cessait d'être esclave c'en serait fait de la liberté du despote comme de celle de la congrégation."

» Placez la liberté où vous voudrez; partout sa force conservatricé ne devra connaître que l'obéissance passive, sous peine de voir cette divinité orgueilleuse et jalouse remplacée par la discorde et la servitude : l'histoire en fournit mille

exemples, et si Rome n'a été libre qu'aussi long-temps que ses légions restèrent disciplinées, si elle n'est tombée dans les fers que par l'anarchie de ses armées, comment la liberté s'établirait-elle au milieu de l'anarchie qui règne dans les nôtres? Ce qui a toujours donné la mort pourrait-il jamais donner la vie?

» Une armée salariée et toujours sur pied est un être factice, un accessoire calculé sur les dangers extérieurs qui peuvent menacer le corps social; c'est, en d'autres termes, un mécanisme physique et moral dans lequel les ressorts de l'opinion jouent le principal rôle. L'expérience établit facilement ces ressorts quand elle n'est pas traversée par cet esprit de théorie qui, spéculant dans les nues, ne considère pas les frottemens qu'il n'a pas éprouvés; quand elle n'est pas contrariée par cet esprit d'abstraction qui veut appliquer les principes du gouvernement à un mal néces saire à la conservation de ce même gouvernement : car c'est ainsi que je considère cet être collectif qu'on appelle une armée; cet être qui, étant une exception, ne peut recevoir l'application des lois générales sans se décomposer aussitôt, et sans montrer, au lieu d'une force organisée, des baades inutiles et des individus sans frein.

» Il faut donc considérer une armée comme un être hors de la société, une création de la société, et soumettre cet être au régime le plus propre à la destination pour laquelle la société l'a imaginé, sans égard au régime adopté par le corps social, avec lequel il ne doit partager que ceux des droits naturels qu'il n'a pas été nécessaire qu'aliénassent les individus dont est formé cet être collectif.

» Tant que nous ne partirons pas de cette vérité nous n'aurons ni armée ni liberté, et il est à craindre que son évidence ne dessille trop tard les yeux de ceux qui fondent leur sécurité sur la bravoure et l'énergie du patriotisme d'un grand peuple; parce que, sans parler de la fluctuation populaire dont des factieux peuvent profiter pour former des partis désolateurs, l'art de la guerre étant aujourd'hui plus dans les jambes que dans les bras, il n'est point de génie qui puisse suppléer au défaut d'ensemble dans des mou

mens combinés que l'on n'obtient que de la plus aveugle obéissance.

» C'est de la considération attachée aux grades que découle la magie de ce pouvoir qui fait que cent mille obéissent à un seul, non paree que cela leur convient après suffisante délibération, mais parce que l'obéissance est devenue chez eux un instinct, et que c'est un instinct qu'elle doit être pour la promptitude des exécutions qui décident des succès à la guerre. Une armée raisonneuse ne sera à tout jamais qu'une source de fléaux ; et comme l'habitude est une seconde nature, est-il sage d'admettre les militaires aux clubs délibérans ? (1) O vous, brûlans, mais également aveugles amans de la liberté, vous vous flattez d'obtenir les faveurs de l'objet de votre culte par les principes exagérés que vous vous efforcez de répandre, lorsque, tout en partageant avec vous la plus belle des passions, moi je ne vois dans vos maximes que l'origine des maux inutiles qui nous déchirent, et la cause de perdition de cette idole dont vous avez fait profaner le temple à vos crédules adeptes, et déserter à tant de sincères adorateurs!

» J'ai parlé de la considération nécessaire aux grades, et

(1) Le décret que censure ici M. Wimpfen fut adopté à une grande majorité. Sollicité par le général Kellermann et par le ministre de la guerre (Duportail), présenté par M. Beauharnais, au nom des comités. militaire et de constitution, combattu par MM, Dandré et Destourmel, mais soutenu par MM. de Noailles, Chapelier, Vernier, Prieur, etc., ce décret fat rendu en ces termes, le 1er mai 1791:

« L'Assemblée nationale décrète que les officiers, sous-officiers et soldats de toutes les armes sont libres, hors le temps de leur service militaire, des appels, des exercices, et avant la retraite, d'assister sans armes, et comme les autres citoyens, aux séances des sociétés qui s'assemblent paisiblement dans les villes où ils sont en garnison ou en quartier.

» Décrète en outre que, conformément à l'article 8 du décret du 6 août 1790, aux articles 15 et 16 du décret du 15 septembre, et autres décrets rendus depuis cette époque, qui fixent la forme des réclamations qui doivent être adressées au Corps législatif et au pouvoir exécutif par les individus des troupes de ligne, il est interdit auxdites sociétés et aux mem、 bres qui les composent de s'initier dans les affaires qui intéressent la po lice intérieure des corps, la discipline militaire et l'ordre du service. ■

j'ajouterai que ci-devant les grades empruntaient une partie de leur considération du préjugé de la naissance de ceux qui en étaient revêtus; mais, les nouvelles lois ayant attaqué ce préjugé, il a osé se défendre, et pour l'abattre on a imaginé de ne présenter l'officier que sous l'aspect de sa naissance : alors noble, ennemi de l'égalité, ennemi de la liberté, on a rendu tout cela synonyme, et le soldat, ne voyant plus dans son officier qu'un ennemi de sa patrie, lui a fait la guerre d'opinions et de procédés: il en est résulté un tel nivellement que j'ignore si de long-temps il sera possible de rendre aux grades la force indispensable qui leur a été enlevée, cette considération hiérarchique qui est le pivot d'une armée, et qu'ont entièrement détruite ces idées d'égalité auxquelles le subalterne ne donne aujourd'hui de bornes que celles de ses convenances.

» Le moyen maintenant de réorganiser cette puissance magique d'un seul sur cent mille? C'est dans chaque partie de l'ensemble du code militaire qu'il en eût fallu placerle germe, parce que s'il manque quelque part le produit est incomplet; tout le monde le sait, tout le monde en souffre, tout le monde se plaint des effets; mais les seuls praticiens observateurs en connaissent la cause, et s'ils la découvrent à d'autres aussitôt on les suspecte, on les accuse.... L'organisation matérielle de l'armée est manquée; elle est défectueuse; parce que je ne sais quelles craintes ont fait rejeter le projet de réforme proposé par le comité. Vous avez été justes et bienfaisans dans vos lois sur les retraites; nous avons été nouveaux et sublimes dans le mode de l'avancement décrété sur le rapport de M. Alexandre Lameth; mais tout ce qui touche à la discipline est hérissé de formes inconciliables avec la discipline.

» Quoi qu'il en soit de cet ouvrage vraiment anarchique et de quelques autres très-imparfaits, je rédigerai celui dont je m'occupe en ce moment dans les principes que je viens d'énoncer, sauf à revoir un jour ces œuvres de la suspicion pour y établir une concordance du moins supportable.

» En quoi consiste le germe dont il s'agit? Je réponds que partout il consiste en différence et en puissance. Ici il est question de différencier pour certains cas les peines auxquelles

doivent être soumis les officiers d'avec celles infligées aux soldats; je ne dis pas que la peine appliquée à tel délit doit être moindre pour l'officier que pour le soldat; tant s'en faut: je dis seulement que la peine ne doit pas toujours être de même nature pour l'officier et le soldat, et que surtout elle ne doit point porter un caractère destructif de la considération du grade.

»Ne confondons point une considération à laquelle tous peuvent prétendre et parvenir, avec des priviléges héréditaires; chacun pouvant mériter et obtenir celle-là, le législateur, par des vues profondes et sages, semble accorder à la vanité ce qui est un élément de la chose militaire, qu'il a modifié et placé de manière à ce qu'il agisse principalement sur les imaginations, afin de suppléer par une espèce de fantôme à l'impossibilité de faire des lois pour cette immensité de circonstances dissemblables, où les agens de l'échelle hiérarchique doivent avoir les uns sur les autres une puissance morale capable de contenir et de diriger une masse de forces physiques dont l'explosion aurait des suites funestes, et aussi où quelquefois ses agens supérieurs doivent encore avoir une latitude d'autorité arbitraire proportionnée à l'importance des commissions ou des fonctions dont ils sont chargés.

» Que l'Assemblée nationale ne s'effarouche point de ce mot arbitraire; il est de grâce et de punition, et ne s'étend ni sur la vie, ni sur l'honneur, ni sur l'état du subordonné ; c'est une auréole du commandement, dont les bons effets sont incalculables, les abus à peu près zéro, et sans laquelle il n'y a ni justice ni discipline dans une armée, où les fautes journalières sont toujours en grand nombre, et où la plaidoirie, métamorphosant un camp en barreau, ne présenterait qu'un chaos ridicule et méprisable. Oui, si l'Assemblée se refusait de laisser aux chefs cette portion d'arbitraire qui d'une part abrége et simplifie tout, et de l'autre part répand de la considération sur les grades, l'expérience leur prouverait bientôt qu'une subordination d'opinion est absolument nécessaire dans l'armée, et que cette opinion ne s'établit point par l'assimilation des supérieurs aux inférieurs, ni par de fréquens compromis entre eux.

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