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» Le soldat est dans le dernier cas; sa position est un effort, et dans les dangers, dans les rudes épreuves de son métier c'est la passion de l'honneur qui doit le soutenir : l'état militaire est sur ce pivot une espèce de jeu magique, la législation y entretient le mouvement, et elle en profite.

» C'est donc à la liberté que le soldat a abdiquée, c'est à l'honneur qui lui a été promis, de fournir le plan du code penal militaire : des fers et de la honte, voilà le texte à developper.

» Mais il est écrit dans un beau livre qu'il ne faut pas punir le vilain dans son honneur, parce que le vilain n'a point d'honneur; c'est au livre VI, chap. X de l'Esprit des Lois que le grand Montesquieu a fait au genre humain cette grande offense, de le partager en deux classes dont l'une est jetée dans la boue.

>> Le simple soldat est ordinairement un vilain, un être propriétaire de sa vertu, qui n'emprunte pas celle des morts.

Cette considération-là ne m'arrête pas: ce vilain connaît le bon, le véritable honneur; et puis dans le soldat qui est aujourd'hui en faction à la porte d'un courtisan autrefois général-né je vois l'homme qui a l'ambition de le commander une fois à son tour, et à qui cette ambition est dorénavant permise.

>> J'arrive ainsi tout naturellement à ma troisième difficulté; et je vais vous dire en quel sens les rangs doivent avoir de linfluence sur l'appréciation des devoirs et la distribution des peines militaires.

» S III. Il y a le soldat qui conduit et le soldat qui marche, le soldat officier et le soldat sans office; ce sont des accidens confondus dans les principes généraux.

» Dans l'application l'ancien régime distinguait, et je crois aussi qu'il faut distinguer; mais nous nous rencontrons dans le mot et non dans la chose, car je serre le noeud là où il le relâchait.

» J'ai parcouru des ordonnances volumineuses, j'ai vu leur sévérité dirigéé contre le simple soldat; à peine y peut-on démêler quelques dispositions contre les chefs.

» Dans les fastes de l'armée on trouve des exemples rares

de l'action de la loi contre les chefs, et encore des passions secrètes provoquèrent souvent des rigueurs que la loi n'avouait pas ainsi que l'état civil, l'armée connaissait ses priviléges et ses lettres de cachet.

>> On disait qu'il y avait une loi militaire; mais elle opprimait la faiblesse et glissait sur la puissance; elle était écrite, et souffrait des extensions, des exceptions, qui ne l'étaient pas nous étions à la merci de ce despotisme qui a honte de luimême et se couvre du masque des lois; mais le sait échapper les traits de sa figure déloyale.

masque lais

» Dans un pays libre, après une constitution dont le premier principe est l'égalité des droits, la loi ne peut être ni un mot illusoire ni une volonté incertaine et capricieuse : celle qui régit l'armée doit peser franchement sur toutes les têtes qui composent l'armée; il ne faut pas qu'elle caresse l'orgueil des uns par des distinctions, et pousse les autres au découragement par son incurie.

» Si l'obligation du soldat officier diffère de celle du simple soldat, c'est à mon sens en ce qu'elle a plus d'étendue. » Celui-ci n'a promis que sa personne, et ne répond que de sa personne; celui-là a promis et pour lai et pour d'autres ; il répond de plusieurs.

» Le soldat officier doit aussi action et dépendance; mais s'il n'agit pas la société perd et le mouvement qu'elle attendait de lui et le mouvement qu'il devait communiquer; mais s'il ne dépend pas il soustrait au lien de l'obéissance commune, lui d'abord, et ensuite ceux dont il a été constitué le guide.

» La subordination est à son égard active et passive; il pêche dans un sens par l'abus, et dans l'autre par l'infraction.

» Placé au devant de plusieurs, il est leur perspective et leur exemple; il éteint le feu de l'émulation s'il ne l'allume pas.

» Il est posté plus près de cet honneur, but du soldat et récompense de ses travaux, et ce n'est pas merveille que la société qui lui donne plus, exige plus de lui.

» Enfin, si l'on accorde quelque dispense à l'officier sur le simple soldat, le premier pas fait on ne voit plus le terme;

bientôt il faudra donner quelque chose au simple soldat sur le citoyen, et c'est ainsi que peu à peu naissent et se conso'lident le gouvernement militaire et la tyrannie.

» La loi, qui énumère les devoirs militaires et en apprécie la violation, doit donc plus de surveillance et de sévérité au seldat officier, et moins au simple soldat.

» A cela près le soldat officier et le simple soldat sont égaux devant la loi, et lorsqu'elle punit les fautes de l'un, elle ne pardonne pas les méfaits de l'autre.

» Ces vérités ne sont pas nouvelles dans la théorie; elles vont paraître étranges dans leurs conséquences pratiques.

>>> Quand j'ai considéré un devoir militaire j'ai voulu ne laisser échapper aucun de ses rapports; je les ai trouvés réduits à des idées simples à l'égard du soldat qui obéit, étendus à des idées composées à l'égard du soldat qui commande; mais je n'ai vu qu'un lien.

» Quand j'ai articulé un délit militaire je n'ai pas su commander à ma prévoyance de s'arrêter où commencent les grades : j'ai vu des hommes au premier comme au dernier rang, et dans mon canevas j'ai tracé des dispositions communes.

>> Tous les soldats sont de même nature; tous sont enfans et défenseurs de la patrie; tous lui doivent l'action et l'obéissance qui constituent essentiellement les devoirs militaires; nul donc ne peut se croire étranger à ces devoirs, et regarder comme n'étant pas faite pour lui la loi qui punit la transgression.

J'appelle de vous à vous-mêmes sur l'inexplicable loi de discipline que je vais vous dénoncer.

>> Est-ce donc en effet la loi qui dit : seront réputées fautes >> contre la discipline toutes voies de fait, coups ou mauvais »propos d'un supérieur vis-à-vis de son subordonné, ainsi que toute punition injuste.... » (1) Si la loi a dit cela elle est coupable elle-même d'un attentat insigne ; elle a trahi le droit de l'humanité; elle a déchiré la Constitution.

>> Je ne dirai pas à quel point précis l'Africain esclavo

(1) Art. 6 du décret du 15 septembre 1790, sur la discipline militaire. Voyez ci-dessus le rapport sur cette loi, par M. Bouthillier.

est abandonné au despotisme du colon de Saint-Domingue, et quelle protection la loi met entre eux; je vois que l'intérêt du maître y agit avant elle, et peut-être plus qu'elle.

>> Ici la loi me donne à apercevoir d'un coup-d'œil quel compte elle fait des serviteurs de la patrie; ils n'ont pas même, comme les nègres, l'intérêt personnel pour patron, et quinze jours de prison militaire sont le dernier terme de la satisfaction que doit le supérieur insolent ou brutal!

>> Je sais bien qu'à côté de la loi et malgré elle l'opinion a établi des procédés qui sont la sauve-garde du soldatofficier; celui-ci connaît des supérieurs; mais il est des momens, il est des circonstances qui mettent en présence des champions et des égaux; la loi naturelle de la vengeance s'établit au-dessus de la subordination, qui n'est pas réglée, et la justice individuelle à la place de la justice publique, qui se tait.

» Mais le simple soldat, maltraité par la loi, l'est aussi par l'opinion, et il semble que son sort est de dévorer des injures.

Je

>> Il pourra donc être frappé; un citoyen sera traité comme un vil esclave, et la loi n'osera dire qu'il y a un délit!........ l'avouerai, je ne m'accoutume pas à cette interversion des principes les plus saints.

» Je crois que celui que la loi soumet à l'obéissance doit encore, comme homme et comme citoyen, être respecté ; je crois que le droit naturel de repousser l'insulte et la violence revivra en faveur de celui que la loi n'aurait pas daigné en garantir; je crois que la bonne discipline demande la justice froide du supérieur comme la soumission muette du subordonné, et qu'il n'y a pas véritablement de loi si elle ne réprime aussi sévèrement la passion d'une part que la révolte de l'autre.

>> Sans doute le décret que vous avez rendu commande mon respect; une loi achevée ne doit plus être parmi ceux qui l'ont faite le sujet d'un débat..... Je ne nie pas mon devoir; mais je vois la raison et la justice offensées; je vois une loi de détail qui détruit des lois de principe, un texte qui abroge l'égalité des droits, et la révolte de mon cœur ne saurait être contenue.

» Il m'est démontré que cette loi absurde ne peut subsister; j'ai même quelque droit de dire qu'elle n'a pas été faite.

>> Quel était votre objet le 14 et 15 septembre? La discipline de l'armée, dans cette acception particulière qui répond à la police civile; cette surveillance qui s'exerce sur les fautes afin de prévenir les délits. Vous ne pûtes vouloir, vous ne voulûtes pas aller au-delà et vous lier dans votre travail ultérieur par des dispositions anticipées.

» L'offense grave, de mauvais traitemens, la punition injuste ne peuvent être placés au nombre des fautes légères, où de simples corrections suffisent; de tels excès sont des délits, des délits considérables, et on ne les a pas dénaturés pour les avoir un instant comptés parmi les péchés véniels de discipline.

» C'est aujourd'hui seulement que vous abordez la discussion d'une loi sur les délits et les peines militaires; aujourd'hui vous ne pouvez être retenus par les expressions jetées accidentellement dans une précédente loi, et faire à l'erreur de sa nomenclature le sacrifice de vos principes.

>> Il y a pour le soldat de tous les rangs un honneur délicat qui ne doit pas être blessé; il y a une dignité d'homme et de citoyen que le soldat n'a pas abdiquée; il y a un devoir sacré imposé à tout fonctionnaire qni juge et qui punit: l'injure faite au subordonné, la voie de fait, la punition ordonnée par une secrète passion sont donc de vrais délits.

» Si l'approbation générale n'est pas accordée à cette conséquence, je fais une autre remarque qui va provoquer le préjugé à de plus longs murmures, à une critique plus amère.

» Montesquieu avait voulu trouver dans l'honneur le ressort moral du gouvernement monarchique; mais après en avoir défini la proprieté il en modifiait à son gré l'action selon les accidens de la scène qu'il avait sous les yeux et qu'il expliquait; au lieu que l'essence d'un principe est d'être invariable, la mobilité du sien se prêtait à touț, et l'on peut dire qu'il guidait son guide.

» Il n'y a rien, disait-il, que l'honneur prescrive plus à la >> noblesse que de servir le prince à la guerre; mais en im» posant cette loi l'honneur veut en étre l'arbitre, et s'il se

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