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>> Le moment est venu où les noeuds de l'association doivent être serrés; tous les fils qu'ils ont à rassembler sont dorénavant démêlés.

» Guidé par cet intérêt, qui est le principe de toute stipulation, chaque individu stipule qu'il sera protégé dans sa vie, sa liberté, sa propriété, son honneur, et c'est ainsi qu'il acquiert des droits.

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Mais, considérée abstraitement, la société n'est qu'un être moral qui n'a point d'action; son engagement ne vaut que par celui de ses membres; et après avoir assuré des droits à ceux-ci il faut leur imposer des devoirs.

» De même donc que l'individu a stipulé de la société la protection dont il lui importe de jouir, de même à son tour la société stipule une juste coopération qui, multipliée par le nombre des individus, produira la somme de sa force.

>> Des publicistes ont dit avec raison que le délit consiste dans la violation d'un ou de plusieurs devoirs : ils n'ont pas tout exprimé quand ils ont dit que la peine consiste dans la perte d'un ou de plusieurs droits.

» La vie, la liberté, la propriété, l'honneur même sont des faits: le droit a pour objet la protection de la société : il s'ensuivrait d'une telle définition de la peine que l'action de la société s'y bornerait à retirer sa protection, et qu'elle n'aurait pas elle-même des droits à exercer.

» Alors il n'y aurait pas de véritable droit de punir; la société n'aurait fait qu'une stipulation inutile, et sa protection retiréc laisserait la carrière libre aux vengeances individuelles, qu'elle est destinée à faire taire.

>> Si la société a donné des droits aux individus ils ne les ont pas reçus gratuitement; il s'en est fait comme un échauge contre la soumission au droit de punir, que la société a acquis, et sans lequel elle ne saurait subsister.

>>> Cette soumission est réelle parce qu'elle est nécessaire; elle est graduée dans son application parce qu'elle est fondée sur les rapports des divers droits aux divers devoirs ; elle est bornée dans chaque occurrence par la mesure du besoin social, parce qu'elle a ce besoin pour cause: mettez-vous à la place de l'homme naturel qui s'associe, et vous conce

vrez que telle est sa prévoyance, telles sont ses conditions.

» La raison dit que l'individu doit exposer comme gage cè qui lui est garanti comme droit, et, autant qu'il est en lui, obliger pour la sûreté de ce qu'il doit l'équivalent de ce qu'il obtient.

» Dans l'état social la société mème est le premier droit, l'élément dans lequel tous les autres subsistent; la mise de l'individu ne doit rien excepter; tout ce qu'il est, tout ce qu'il a, voilà la caution de sa fidélité dans un si grand intérêt.

› Ensuite les pactes vont comme but à but; c'est la vie qui répond pour la vie, la liberté pour la liberté, la propriété pour la propriété, l'honneur pour l'honneur.

» La conséquence de tout cela n'est pas la loi du talion, cette règle simple des peuples naissans, prise dans la nature, calculée pour ainsi dire immédiatement sur la stipulation encore récente qui a lié les hommes; elle ne convient plus dans cet état de sociabilité avancé où tout se complique, les délits comme les rapports, les jugemens comme les lois.

>> Toutefois je dis qu'il ne faut pas mépriser cette loi grossière, mais la perfectionner. Le droit de punir s'exerce sur la vie, la propriété, la liberté, l'honneur, en compensation de ce que la vie, la propriété, la liberté, l'honneur sont protégés par la société : si vous attentez à mes droits, si vous abusez des vôtres à mon préjudice, je véux que l'abus et l'attentat soient réprimés dans leur objet même, et que les peines soient des topiques.

» La convention sociale peut être violée par le même fait dans une ou plusieurs de ces conditions; la violation peut être plus ou moins grave; tout cela doit être combiné dans la distribution des peines; il y faut comme en chimie une science de l'analogie, des mixtions et des doses.

» Et par exemple, l'honneur est un agent précieux de la législation qui s'applique à tout; comme il n'a pas un principe antérieur à la société, il dépend entièrement d'elle, et c'est un trésor dont la dispensation est entrée dans tous les articles de la stipulation sociale.

» Ainsi encore il n'y a pas de délit où l'on ne trouve le droit de propriété blessé sous quelque rapport, et un retour à la liberté naturelle, qui est un abus de la liberté sociale.

» Le talion rend aveuglément le fait pour le fait : la bonne législation, raisonnant son action, ne tient pas à cette justesse arithmétique ; mais elle lie les peines aux délits tellement qu'elles en paraissent la suite naturelle, et que, ne laissant presque pas apercevoir l'intervention de la loi, elles offrent comme l'idée simple de l'effet attaché à sa cause.

» Je n'honore pas du nom de législation ces tarifs dont les barbares qui déchirèrent l'empire romain firent tout le secret de leur police sociale; je le refuse à ces institutions asiatiques où, dans la terreur qui gouverne des esclaves, la personne répond de tout; je ne le dounerais point au code qui ne saurait agir que par l'infamie ou par les atteintes à la liberté; il n'y a qu'insuffisance dans ces systèmes exclusifs; pour que la loi soit avouée par la raison il faut qu'elle repose sur les principes, et que, toujours en mesure, elle combine sur les circonstances la séparation ou l'amalgame des peines corporelles, des peines pécuniaires, des peines infamantes.

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» Voilà la base établie; c'est là-dessus que le législateur doit élever perpendiculairement son édifice; la moindre divergence en préparerait la ruine.

» Le développement et l'application générale de ces principes n'entrent pas dans mon plan, après les avoir indiqués je les ramène dans le cercle où mon sujet est circonscrit, et je considère la loi dans son application aux délits et aux peines militaires.

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§. II. Au commencement des sociétés on ignore la distinction de l'état civil et de l'état militaire; le même citoyen fouit la terre, harangue le peuple, exerce les magistratures et marche contre l'ennemi.

» Alors tout est militaire dans la cité, tout est civil à l'armée, et il n'y a qu'une loi pour régir la ville et les camps.

Mais quand la société s'agrandit, quand elle occups

un vaste territoire et le couvre d'une population nombrense, un autre régime se produit.

"Alors la tâche commune est distribuée; quand les uns se vouent à l'agriculture, au commerce et aux arts, d'autres sont appelés aux fonctions publiques ; d'autres enfin portent les armes, et réunis, constituent pour le service de la société une force habituellement disposée à agir.

» Je n'examine pas quels sont pour le peuple les dangers d'une armée constamment entretenue et de la force publique dégénérée en un métier; lorsqu'on retrouve partout cette menaçante institution celui-là serait regardé comme un traftre ou comme un insensé qui tenterait d'en dissuader son pays : le jour de la vérité jette une lueur encore incertaine; on croit céder à la nécessité lorsque probablement. on obéit à l'erreur; on est accoutumé à l'usage d'un poison corrosif, et ceux qui veulent le salut du corps politique sont réduits à l'atténuer en le modifiant.

» Dans cette période de l'état social, du moins si la législation n'est pas séparée de sa racine, les hommes qui com→ posent l'armée ne cessent pas d'être citoyens, et soumis à la loi commune; comme les fonctionnaires, ils ont contracté en particulier des devoirs nouveaux; ils n'ont pas été affranchis des obligations générales.

» Ainsi la loi commune ne cesse pas d'avoir son action sur tous; mais on a besoin au-delà de lois supplétives pour régler la dette du fonctionnaire et celle du soldat.

» A l'égard du fonctionnaire, des formes diverses ne sont pas nécessaires ; il est élancé dans la police générale, comme les autres citoyens, par la stabilité de son domicile et de ses rapports avec la société et avec les individus, et il est toujours atteint par les formes communes.

» Il n'en est pas de même du soldat; comme tel il n'a pas un vrai domicile, et ses rapports varient comme sa position; l'armée est dans la société comme une autre société mobile qui échapperait à la police générale, et qui a besoin de sa police particulière.

>> Cette police, ces règles sont le supplément de la loi commune, et le soldat leur obéit comme soldat; mais elles ne sont plus que le système du désordre si elles empiètent,

et si le soldat, comme citoyen, y trouve des détours pour échapper à la loi commune.

Il est une situation violente où il n'y a plus de cité, plus de citoyens; les tyrans existent, et sous eux il y a des satellites armés qui servent leur domination, et des sujets qui la souffrent dans le silence; la fièvre chaude tourmente une partie du corps politique; l'asphyxie engourdit l'autre.

» Alors la société intervertie fournit en elle-même au despotisme la force qui la tient sous le joug; voué aux desseins et aux caprices du maître, le soldat connaît des devoirs bizarres, et en dédommagement il est affranchi de la loi commune; il porte des fers aussi, mais cachés sous quelque parure, et quand la loi militaire est tout pour le soldat, alors en effet il n'y a plus de loi.

>> Telles sont parmi les nations, si l'on peut ainsi s'exprimer, les phases de l'état militaire.

» Maintenant si d'une part vous croyez ne pouvoir remonter à l'institution originaire et dispenser la nation des risques d'une force qui n'est pas elle tout entière, vous aurez donc des soldats et une armée.

» Si d'autre part vous ne voulez pas que vos nouvelles lois composent une soudure pour rejoindre dans leurs anneaux les chaînes que vous avez rompues, vous abolirez donc à jamais la barrière qui séparait l'armée de la cité.

» Un peuple libre, une armée permanente sont le sujet d'un grand conflit; le problême est d'y maintenir l'équilibre. Si l'on a droit de l'espérer c'est lorsque l'ordonnance est tellement compassée que les soldats ne peuvent oublier qu'ils sont citoyens; que l'armée n'est qu'un accessoire de la cité et un moyen dont elle dispose ; qu'enfin la loi commune est établie sur toutes les têtes, et que la force même lui obéit.

» Il est aisé d'après ces idées de définir la loi militaire; elle consiste dans ce régime subordonné qui, appliqué à l'armée, commence là seulement où finit le régime civil.

» Le soldat est un associé qui appartient à la loi commune tant qu'elle le revendique, et c'est de son silence que date la loi militaire: celle-là, fondée sur les grandes obligations déduites dans la convention sociale, prescrit les devoirs de

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