Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Deux vers après, il dit que cette passion

Est moins amour en lui qu'excès d'ambition.

Il avoue qu'il a conquis ce bien.

Il dit après :

. . . . Cette flamme où tout mon cœur s'applique
Est le fruit de ma haine et de ma politique.

Ainsi il aime Tullie par les sens, par ambition, et par haine Il faut avouer qu'il est plaisant de voir après cela Tullie venir parler à Catilina dans un temple; d'entendre Catilina qui lui dit :

Qu'il est doux cependant de revoir vos beaux yeux,

Et de pouvoir ici rassembler tous ses dieux! (I, III.)

A quoi Tullie répond que, « si ses yeux sont des dieux, la foudre deviendra le moindre de leurs coups. »

Et Catilina réplique :

Songez.

Que l'amour est déchu de son autorité,

Dès qu'il veut de l'honneur blesser la dignité.

C'est ainsi que presque toute la pièce est écrite.

Les étrangers nous ont reproché amèrement d'avoir applaudi cet ou vrage; mais ils devaient savoir que nous n'avons fait en cela que respecter la vieillesse et la mauvaise fortune, et que cette condescendance est peut-être une des choses qui fait le plus d'honneur à notre public.

LE TRIUMVIRAT. - Il est difficile qu'un auteur ne croie pas qu'on lui a rendu justice, quand on a applaudi son ouvrage. M. de Crébillon, encouragé par ce succès, fit le Triumvirat à l'âge de quatre-vingt-un ans; mais le temps de la compassion était passé. Ce temps est toujours très-court, et on ne peut obtenir grâce qu'une fois. Le Triumvirat se sentait trop de l'âge de l'auteur; on ne le siffla point; il n'y eut ni tumulte ni mauvaise volonté; on l'écouta avec patience, mais bientôt la salle fut déserte. M. de Crébillon eut encore la faiblesse de faire imprimer cette malheureuse pièce avec une épître chagrine, dans laquelle il se plaint de la plus horrible cabale. Il y a quelquefois des cabales en effet; mais quelle cabale peut empêcher le public de revenir entendre un ouvrage s'il en est content?

C'est une chose assez plaisante que les préfaces des auteurs de pièces de théâtre; tantôt il y a eu une conspiration générale contre leur pièce, tantôt ils remercient le public d'avoir bien voulu avoir du plaisir; et lorsque cette préface, si remplie de remercîments, est imprimée, le public a déjà oublié la pièce et l'auteur.

Comme, de toutes les productions de l'esprit, les dramatiques sont

les plus exposées au grand jour, ce sont celles qui donnent le plus de gloire ou le plus de ridicule. Il n'en est pas d'une tragédie comme d'une épître, d'une ode. On ne récita point en public l'ode de Boileau sur la Prise de Namur, ni ses satires sur l'Équivoque, et sur l'Amour de Dieu, devant deux mille personnes assemblées pour approuver ou pour condamner.

Un ouvrage en vers, quel qu'il soit, n'est guère connu que d'un petit nombre d'amateurs; il est d'ordinaire mis au rang des choses frivoles dont la nation est inondée : mais les spectacles sont une partie de l'administration publique; ils se donnent par l'ordre du roi, sous l'inspection des officiers de la couronne et des magistrats; ils exigent des frais immenses. C'est à la fois un objet de commerce, de police, d'étude, de plaisir, d'instruction, et de gloire. Il rassemble les citoyens, il attire les étrangers, et par là il devient une chose importante. Tout cela fait que le succès est plus brillant en ce genre que dans tout autre ; mais aussi la chute est plus ignominieuse, étant plus éclairée. C'est un triomphe ou une espèce d'esclavage. Il s'agit encore d'une rétribution assez honnête pour tirer un homme de la pauvreté; ainsi, un auteur dramatique flotte pour l'ordinaire entre la fortune et l'indigence, entre le mépris et la gloire.

Ce sont ces deux puissants motifs qui ont toujours produit des haines si vives entre tous ceux qui ont travaillé pour le théâtre, depuis Aristophane jusqu'à nous. Ce fut l'unique source de ces abominables couplets dans lesquels M. de Crébillon fut désigné si scandaleusement par Rousseau, qui ne pouvait digérer le succès d'Idoménée, d'Atrée, et d'Électre, tandis qu'il voyait tomber toutes ses comédies: figulus figulo invidet, est un proverbe de tous les temps et de toutes les

nations.

Il est vrai que ce proverbe n'a pas eu lieu entre M. de Voltaire et M. de Crébillon; c'est même une chose assez singulière que M. de Voltaire ayant traité Sémiramis, Electre, et Catilina, et s'étant ainsi trouvé trois fois en concurrence avec lui', l'ait loué toujours publiquement, et lui ait même donné plusieurs marques d'amitié. Ils n'ont jamais eu aucun démêlé ensemble. Cela est rare entre des gens de lettres qui courent la même carrière.

1. Depuis la mort de Crébillon, Voltaire s'est mis une quatrième fois en concurrence avec lui: voy. Les Pelopides. (ED.)

PIÈCES ORIGINALES

CONCERNANT LA MORT DES SIEURS CALAS, ET LE JUGEMENT RENDU A TOULOUSE.

(1762.)

Extrait d'une lettre de la dame veuve Calas.

Du 15 juin 1762.

Non, monsieur, il n'y a rien que je ne fasse pour prouver notre innocence, préférant de mourir justifiée, à vivre et à être crue coupable. On continue d'opprimer l'innocence, et d'exercer sur nous et notre déplorable famille une cruelle persécution. On vient encore de me faire enlever, comme vous le savez, mes chères filles, seuls restes de ma consolation, pour les conduire dans deux différents couvents de Toulouse on les mène dans le lieu qui a servi de théâtre à tous nos affreux malheurs: on les a même séparées. Mais si le roi daigne ordonner qu'on ait soin d'elles, je n'ai qu'à le bénir. Voici exactement le détail de notre malheureuse affaire, tout comme elle s'est passée au vrai.

Le 13 octobre 1761, jour infortuné pour nous, M. Gobert Lavaisse, arrivé de Bordeaux (où il avait resté quelque temps) pour voir ses parents, qui étaient pour lors à leur campagne, et cherchant un cheval de louage pour les y aller rejoindre sur les quatre à cinq heures du soir, vient à la maison; et mon mari lui dit que, puisqu'il ne partait pas, s'il voulait souper avec nous, il nous ferait plaisir; à quoi le jeune homme consentit; et il monta me voir dans ma chambre, d'où, contre mon ordinaire, je n'étais pas sortie. Le premier compliment fait, il me dit : « Je soupe avec vous, votre mari m'en a prié; » je lui en témoignai ma satisfaction, et le quittai quelques moments pour aller donner des ordres à ma servante. En conséquence je fus aussi trouver mon fils aîné, Marc-Antoine, que je trouvai assis tout seul dans la boutique, et fort: rêveur, pour le prier d'aller acheter du fromage de Roquefort. Il était ordinairement le pourvoyeur pour cela, parce qu'il s'y connaissait mieux que les autres; je lui dis donc : << Tiens, va acheter du fromage de Roquefort, voilà de l'argent pour cela, et tu rendras le reste à ton père; » et je retourne dans ma chambre joindre le jeune homme Lavaisse, que j'y avais laissé. Mais peu d'instants après il me quitta, disant qu'il voulait retourner chez les fenassiers voir s'il y avait quelque cheval d'arrivé, voulant absolument partir le lendemain pour la campagne de son père; et il

sortit.

Lorsque mon fils aîné eut fait l'emplette du fromage, l'heure du 1. Ce sont les loueurs de chevaux.

souper arrivée1, tout le monde se rendit pour se mettre à table, et nous nous y plaçâmes. Durant le souper, qui ne fut pas fort long, on s'entretint de choses indifférentes, et entre autres des antiquités de l'hôtel de ville; et mon cadet, Pierre, voulut en citer quelques-unes, et son frère le reprit, parce qu'il ne les racontait pas bien ni juste.

Lorsque nous fûmes au dessert, ce malheureux enfant, je veux dire mon fils aîné, Marc-Antoine, se leva de table, comme c'était sa coutume, et passa à la cuisine 2. La servante lui dit : « Avez-vous froid, monsieur l'atné? chauffez-vous. » Il lui répondit : « Bien au contraire, je brûle, » et sortit. Nous restâmes encore quelques moments à table; après quoi nous passâmes dans cette chambre que vous connaissez, et où vous avez couché, M. Lavaisse, mon mari, mon fils, et moi; les deux premiers se mirent sur le sofa, mon cadet sur un fauteuil, et moi sur une chaise, et là nous fimes la conversation tous ensemble. Mon fils cadet s'endormit; et environ sur les neuf heures trois quarts à dix heures, M. Lavaisse prit congé de nous, et nous réveillâmes mon cadet pour aller accompagner ledit Lavaisse, lui remettant le flambeau à la main pour lui faire lumière, et ils descendirent ensemble.

Mais lorsqu'ils furent en bas, l'instant d'après nous entendîmes de grands cris d'alarme, sans distinguer ce que l'on disait, auxquels mon mari accourut, et moi je demeurai tremblante sur la galerie, n'osant descendre, et ne sachant pas ce que ce pouvait être.

α

Cependant, ne voyant personne venir, je me déterminai de descendre; ce que je fis: mais je trouvai au bas de l'escalier M. Lavaisse à qui je demandai avec précipitation qu'est-ce qu'il y avait. Il me répondit qu'il me suppliait de remonter, que je le saurais; et il me fit tant d'instances que je remontai avec lui dans ma chambre. Sans doute que c'était pour m'épargner la douleur de voir mon fils dans cet état, et il redescendit; mais l'incertitude où j'étais était un état trop violent pour pouvoir y rester longtemps; j'appelle donc ma servante, et lui dis : Jeannette, allez voir ce qu'il y a là-bas; je ne sais pas ce que c'est, je suis toute tremblante. » Et je lui mis la chandelle à la main, et elle descendit; mais ne la voyant pas remonter pour me rendre compte, je descendis moi-même. Mais, grand Dieu! quelle fut ma douleur et ma surprise, lorsque je vis ce cher fils étendu à terre! Cependant je ne le crus pas mort, et je courus chercher de l'eau de la reine d'Hongrie, croyant qu'il se trouvait mal; et comme l'espérance est ce qui nous quitte le dernier, je lui donnai tous les secours qu'il m'était possible pour le rappeler à la vie, ne pouvant me persuader qu'il fût mort. Nous nous en flattions tous, puisque l'on avait été chercher le chirurgien, et qu'il était auprès de moi, sans que je l'eusse vu ni aperçu, que lorsqu'il me dit qu'il était inutile de lui faire rien de plus, qu'il était mort. Je lui soutins alors que cela ne se pouvait pas, et je le priai de redoubler ses attentions et de l'examiner plus exactement, ce qu'il fit inutilement. Cela n'était que trop vrai; et pendant tout ce

1. Sur les sept heures.

2. La cuisine est auprès de la salle à manger, au premier étage.

VOLTAIRE. XVII.

33

temps-là mon mari était appuyé sur un comptoir à se désespérer; de sorte que mon cœur était déchiré entre le déplorable spectacle de mon fils mort, et la crainte de perdre ce cher mari, de la douleur à laquelle il se livrait tout entier sans entendre aucune consolation; et ce fut dans cet état que la justice nous trouva, lorsqu'elle nous arrêta dans notre chambre où l'on nous avait fait remonter.

Voilà l'affaire tout comme elle s'est passée, mot à mot; et je prie Dieu, qui connaît notre innocence, de me punir éternellement, si j'ai augmenté ni diminué d'un iota, et si je n'ai dit la pure vérité en toutes ses circonstances. Je suis prête à sceller de mon sang cette vérité, etc.

Lettre de Donat Calas fils à la dame veuve Calas, sa mère.
De Châtelaine, 22 juin 1762.

Ma chère, infortunée et respectable mère, j'ai vu votre lettre du 15 juin entre les mains d'un ami qui pleurait en la lisant; je l'ai mouillée de mes larmes. Je suis tombé à genoux; j'ai prié Dieu de m'exterminer, si aucun de ma famille était coupable de l'abominable parricide imputé à mon père, à mon frère, et dans lequel vous, la meilleure et la plus vertueuse des mères, avez été impliquée vousmême.

Obligé d'aller en Suisse depuis quelques mois pour mon petit commerce, c'est là que j'appris le désastre inconcevable de ma famille entière. Je sus d'abord que vous ma mère, mon père, mon frère Pierre Calas, M. Lavaisse, jeune homme connu pour sa probité et pour la douceur de ses mœurs, vous étiez tous aux fers à Toulouse; que mon frère aîné, Marc-Antoine Calas, était mort d'une mort affreuse, et que la haine, qui naît si souvent de la diversité des religions, vous accusait tous de ce meurtre. Je tombai malade dans l'excès de ma douleur, et j'aurais voulu être mort.

On m'apprit bientôt qu'une partie de la populace de Toulouse avait crié à notre porte, en voyant mon frère expiré : « C'est son père, c'est sa famille protestante qui l'a assassiné; il voulait se faire catholique ', il devait abjurer le lendemain; son père l'a étranglé de ses mains, croyant faire une œuvre agréable à Dieu; il a été assisté dans ce sacrifice par son fils Pierre, par sa femme, par le jeune Lavaisse. »

On ajoutait que Lavaisse, âgé de vingt ans, arrivé de Bordeaux le jour même, avait été choisi, dans une assemblée de protestants, pour être le bourreau de la secte, et pour étrangler quiconque changerait de religion. On criait dans Toulouse que c'était la jurisprudence ordinaire des réformés.

L'extravagance absurde de ces calomnies me rassurait; plus elles manifestaient de démence, plus j'espérais de la sagesse de vos juges.

1. On a dit qu'on l'avait vu dans une église. Est-ce une preuve qu'il devait abjurer? Ne voit-on pas tous les jours des catholiques venir entendre les prédicateurs célèbres en Suisse, dans Amsterdam, à Genève, etc.? Enfin il est prouvé que Marc-Antoine Calas n'avait pris aucunes mesures pour changer de religion; ainsi nul motif de la colère prétendue de ses parents.

« ZurückWeiter »