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L'esprit convulsionnaire est-il aussi dangereux que l'esprit jésuitique? c'est un grand problème.

Celui-ci a toujours cherché à tromper l'autorité royale pour en abuser; celui-là s'élève contre l'autorité royale: l'un veut tyranniser avec souplesse; l'autre fouler aux pieds les petits et les grands avec dureté. Les jésuites sont armés de filets, d'hameçons, de piéges de toute espèce; ils s'ouvrent toutes les portes en minant sous terre les convulsionnaires veulent renverser les portes à force ouverte. Les jésuites flattent les passions des hommes pour les gouverner par ces passions mêmes les Saint-Médardiens s'élèvent contre les goûts les plus innocents, pour imposer le joug affreux du fanatisme.

:

Les jésuites cherchent à se rendre indépendants de la hiérarchie; les Saint-Médardiens à la détruire les uns sont des serpents, et les autres des ours; mais tous peuvent devenir utiles: on fait de bon bouillon de vipère, et les ours fournissent des manchons.

La sagesse du gouvernement empêchera que nous ne soyons piqués par les uns, ni déchirés par les autres.

Mes frères, soyons de bons citoyens, de bon sujets du roi; fuyons les sots et les fripons, et, pour Dieu, ne soyons ni jansénistes ni molinistes.

PETIT AVIS A UN JÉSUITE1.

(1762.)

Il vient de paraître une petite brochure édifiante d'un frère de la troupe de Jésus, intitulée : Acceptation du défi hasardé par l'auteur des Répliques aux Apologies des jésuites. A Avignon, aux dépens des libraires.

Il traite le respectable et savant auteur de ces Répliques de faiseur de libelles. Le prétendu libelle que le frère de la troupe de Jésus attaque est un ouvrage très-solide et très-lumineux d'un conseiller au parlement de Paris, et ce prétendu libelle ne contient rien dont la substance ne se retrouve dans les arrêts des parlements qui ont condamné les jésuites. On cherche d'ordinaire à fléchir ses juges; mais notre frère leur parle comme s'il étaient sur la sellette, et lui sur le grand banc. Notre frère (page 5) appelle le conseiller Médée, Don Quichotte, Goliath, Miphiboseth, Esope. Il est difficile qu'un conseiller au parlement soit tout cela ensemble; notre frère prodigue un peu les épithètes.

Il dit (page 6) : « Loin de moi ces grossièretés indécentes, ces injures audacieuses! » Notre frère n'a pas de mémoire.

1. Les jésuites, après s'être laissé chasser comme des capucins, écrivirent contre les parlements de gros volumes d'injures que personne ne put lire; ensuite ils se mirent à prècher contre les philosophes, à écrire contre eux des mandements, des dictionnaires, des brochures, ce qui leur valut un peu d'argent, et l'honneur de dîner à la table des valets de chambre de l'archevêque de Paris, Beaumont, qui, se souvenant qu'il était gentilhomme avant d'être prêtre, ne mangeait point avec des prêtres roturiers. (Ed. de Kehl.)

Il prend (page 8) le parti de Suarez, de Vasquez, de Lessius, etc., Notre frère n'est pas adroit.

etc.

Il prétend (page 15) que ceux qui condamnent les jésuites détestent le ciel : «< Oui, le ciel, dit-il, qui a signalé par des miracles la sainteté de quelques jésuites. » Je voudrais bien, mon cher frère, que tu nous disses quels sont ces miracles. Jésus a nourri une fois cinq mille hommes avec cinq pains, etc., comme il est rapporté; et frère Lavalette a ôté le pain à près de cinq mille personnes par sa banqueroute : sont-ce là les miracles dont tu veux parler?

Frère Bouhours, dans la première édition de la Vie du bonhomme Ignace, écrit que ce grand homme, après s'être fait fesser au collége de Sainte-Barbe, alla se confesser à un habitué de paroisse. Le confesseur, émerveillé de la sainteté du personnage, s'écria : « O mon Dieu, que ne puis-je écrire la vie de ce saint! » Ignace, qui entendit ces paroles, et qui était fort malade, craignit qu'en effet son confesseur ne trahît sa modestie après sa mort; il pria le bon Dieu de faire mourir l'habitué le plus tôt que faire se pourrait, et le pauvre diable mourut d'apoplexie.

Le même frère Bouhours assure, dans la Vie de frère François Xavier, qu'un jour son crucifix étant tombé dans la mer, un cancre vint le lui rapporter.

Le même Bouhours assure que frère Xavier était dans deux endroits à la fois et comme cela n'appartient qu'à l'Eucharistie, le trait m'a paru gaillard.

De quoi t'avises-tu, frère, de parler (page 57) de frère Malagrida, et de dire que la marquise de Tavora lui apparut plusieurs fois après son exécution? Est-ce encore là un de tes miracles?

Tu conviens (page 71) que plusieurs jésuites ont enseigné la doctrine du parricide, et, pour les disculper, tu prouves qu'ils ont pris cette doctrine dans saint Thomas d'Aquin, quoique grands ennemis de Thomas, et que plus de vingt jacobins ont précédé les jésuites dans cette charitable doctrine: que veux-tu inférer de là? que la Somme de Thomas est un fort mauvais livre, et qu'il faut chasser les jacobins comme les jésuites? On pourra te répondre : Très-volontiers; lis attentivement l'excellent discours de M. le procureur général de Rennes1, tu verras à quoi sont bons la plupart des moines dans un Etat policé.

mais

Tu ne passes pas Jacques Clément et Bourgoin aux jacobins ; songe que les jacobins ne te passeront pas frère Guignard, frère Varade, frère Garnet, frère Oldcorn, frère Girard, frère Malagrida, etc., etc. On disait que les jésuites étaient de grands politiques; mais tu ne me parais pas trop habile en attaquant à la fois les moines tes confrères et les parlements tes juges.

Quand nous aurons le bonheur de voir en France quelque nouveau Le Tellier qui fera une constitution, qui l'enverra signer à Rome, qui trompera son pénitent, qui recevra les évêques dans son anticham

1. Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, mort le 12 juillet 1785. (ED.)

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bre, qui prodiguera les lettres de cachet, tu pourras alors écrire hardiment, et te livrer à ton beau génie mais à présent les temps sont changés; ce n'est pas le tout d'être chassé, mon frère, il faut encore être modeste.

AVIS

CONCERNANT L'ÉDITION DES OEUVRES DE PIERRE CORNEILLE, PAR M. DE VOLTAIRE.

1762.)

On imprime avec la plus grande diligence le commentaire historique et critique sur la plupart des tragédies et des comédies de Pierre Corneille, avec quelques réflexions sur ses pièces qui ne sont plus représentées.

On joint à cet ouvrage la traduction de l'Héraclius espagnol avec des notes au bas des pages; la traduction littérale en vers du Jules César de Shakespeare; un commentaire sur la Bérénice de Racine, comparée à celle de Corneille; un commentaire sur les tragédies d'Ariane et du Comte d'Essex de Thomas Corneille, qui sont restées au théâtre. On joint à cette édition plusieurs écrits concernant les pièces de théâtre de Pierre Corneille, lesquelles (sic) n'ont été imprimées dans aucun recueil. Le tout est orné de très-belles estampes dont la plupart sont dessinées par M. Gravelot. Les souscripteurs pourront s'adresser à Paris chez la veuve Brunet, libraire, rue SaintJacques; Duchesne, rue Saint-Jacques; Brocas et Humblot, rue SaintJacques; et Pissot, quai de Conti.

ÉLOGE DE M. DE CRÉBILLON.

(1762.)

M. de Crébillon avait plus de génie que de littérature; il s'appliqua cependant assez tard à la poésie dramatique. Il fut, dans sa jeunesse, homme de plaisir et de bonne compagnie; et ce ne fut qu'à l'âge de trente ans qu'il composa sa première tragédie. Il était né, en 1674, à Dijon, ville qui a produit plus d'un homme d'esprit et de génie. Il donna, en 1705, son Idoménée.

IDOMÉNÉE. Cette tragédie eut treize représentations. On jouait alors les pièces nouvelles plus longtemps qu'aujourd'hui, parce qu'alors le public n'était point partagé entre plusieurs spectacles, tels que la comédie italienne et la foire il fallait environ vingt représentations pour constater le succès passager d'une nouveauté. Aujourd'hui on VOLTAIRE. XVIII.

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regarde une douzaine de représentations comme un succès assez rare; soit que l'on commence à être rassasié de tragédies, dans lesquelles on a vu si souvent des déclarations d'amour, des jalousies et des meurtres; soit parce que nous n'avons plus de ces acteurs dont la voix noble comme celle de Baron, terrible comme celle de Baubourg, touchante comme celle de Dufresne, subjugue l'attention du public; soit qu'enfin la multitude des spectacles fasse tort au théâtre le plus estimé de l'Europe.

On trouva quelques beautés dans l'Idoménée, mais elle n'est point restée au théâtre; l'intrigue en était faible et commune, la diction lâche, et toute l'économie de la pièce trop moulée sur ce grand nombre de tragédies languissantes qui ont paru sur la scène, et qui ont disparu.

ATRÉE.

En 1707 il donna Atrée, qui eut beaucoup plus de succès. On la joua dix-huit fois. Elle avait un caractère plus fier et plus original. Le cinquième acte parut trop horrible. Il ne l'est cependant pas plus que le cinquième de Rodogune; car certainement Cléopatre, en assassinant un de ses fils, et en présentant du poison à l'autre, n'ayant à se plaindre d'aucun des deux, commet une action bien plus atroce que celle d'Atrée, à qui son frère a enlevé sa femme. Ce n'est donc point parce que la coupe pleine de sang est une chose horrible qu'on ne joue plus cette pièce; au contraire, cet excès de terreur frapperait beaucoup de spectateurs, et les remplirait de cette sombre et douloureuse attention qui fait le charme de la vraie tragédie; mais le grand défaut d'Atrée, c'est que la pièce n'est pas intéressante. On ne prend aucune part à une vengeance affreuse, méditée de sang-froid, sans aucune nécessité. Un outrage fait à Atrée, il y a vingt ans, ne touche personne; il faut qu'un grand crime soit nécessaire, et il faut qu'il soit commis dans la chaleur du ressentiment. Les anciens connurent. bien mieux le cœur humain que ce moderne, quand ils représentèrent la vengeance d'Atrée suivant de près l'injure.

L'auteur tombe encore dans le défaut tant reproché aux modernes, celui d'un amour insipide. Ce qui a achevé de dégoûter à la longue de cette pièce, c'est l'incorrection du style. Il y a beaucoup de solécismes et de barbarismes, et encore plus d'expressions impropres. Dès les deux premiers vers il pèche contre la langue et contre la raison.

Avec l'éclat du jour je vois enfin paraître

L'espoir et la douceur de me venger d'un traître.

Comment voit-on paraître un espoir avec l'éclat du jour? comment voit-on paraître la douceur? Le plus grand défaut de son style consiste dans des vers boursouflés, dans des sentences qui sont toujours hors de la nature :

Je voudrais me venger, fût-ce même des dieux :

Du plus puissant de tous j'ai reçu la naissance;

Je le sens au plaisir que me fait la vengeance. (I, III.)

La Fontaine à dit aussi heureusement que plaisamment: ....Je sais que la vengeance

Est un morceau de roi; car vous vivez en dieux.

Mais une telle idée peut-elle entrer dans une tragédie?

Thyeste y raconte un songe qui n'est au fond qu'un amas d'images incohérentes, une déclamation absolument inutile au nœud de la pièce : à quoi sert

Un songe

Une ombre qui perce la terre? (II, II.)

Qui finit par un coup de tonnerre?

Ce sont de grands mots qui étourdissent les oreilles. « Les songes de la nuit qui ne se dissipent que par le jour qui les suit, sont d'infortunés présages qui asservissent son âme à de tristes images. » Tout cela n'est ni bien écrit ni bien pensé.

On y voit une foule d'expressions vagues, rebattues, et sans objet déterminé, comme :

Athène éprouvera le sort le plus funeste. (I, III.)
Au milieu des horreurs du sort le plus funeste. (Id.)
.........Pour venger l'affront le plus funeste. (Id.)
Allez, que votre bras à l'Attique funeste. (I, IV.)
Ne comptez-vous pour rien un amour si funeste? (I, vii.)
Quoi! tu peux t'arrêter dans ce séjour funeste! (II, II.)
Tes soupçons et ta haine funeste. (II, v.)

Puis-je encor m'étonner d'une ardeur si funeste? (III, I.)
Ce billet seul contient un regret si funeste. (IV, v.)

.Dans un jour si funeste. (Id.)

Cette rime oiseuse tant de fois répétée n'est pas la seule qui fatigue les oreilles délicates. Il y a trop de rimes en épithètes. En général, la pièce est écrite avec dureté. Les vers sont sans harmonie, la versification négligée comme la langue. La plupart de nos auteurs tragiques n'ont pas su toujours bien écrire, et faire dire aux personnages ce qu'ils devaient dire. Il est vrai que tous ces devoirs sont très-difficiles à remplir. Pour faire une tragédie en vers, il faut savoir faire des vers, il faut posséder parfaitement sa langue, ne se servir jamais que du mot propre, n'être ni ampoulé, ni faible, ni commun, ni trop singulier. Je ne parle ici que du style. Les autres conditions sont encore plus nécessaires et plus difficiles. Nous n'avons aucune tragédie parfaite, et peutêtre n'est-il pas possible que l'esprit humain en produise jamais. L'art est trop vaste, les bornes du génie trop étroites, les règles trop gênantes, la langue trop stérile, et les rimes en trop petit nombre. C'est bien assez qu'il y ait dans une tragédie des beautés qui fassent pardonner les défauts

ÉLECTRE. - Électre, jouée en 1708, eut autant de représentations qu'Atrée; mais elle eut l'avantage de rester plus longtemps au théâtre. Le rôle de Palamède, qui fut le mieux joué, était aussi celui qui impo

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