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notre infortune, vous nous en punissez! Mais ces parsis, ces mages, plus anciens que nous, ces premiers Persans, qui furent autrefois nos vainqueurs et nos maîtres, et qui nous apprirent à lire et à écrire, ne sont-ils pas dispersés comme nous sur la terre? Les banians, plus anciens que les parsis, ne sont-ils pas épars sur les frontières des Indes, de la Perse, de la Tartarie, sans jamais se confondre avec aucune nation, sans épouser jamais de femmes étrangères? Que dis-je? vos chrétiens, gens vivant paisiblement sous le joug du grand padicha des terres, épousent-ils jamais des musulmanes ou des filles du rite latin? Quels avantages prétendez-vous donc tirer de ce que nous vivons parmi les nations sans nous incorporer à elles?

Votre démence va jusqu'à dire que nous ne sommes dispersés que parce que nos pères condamnèrent au supplice celui que vous adorez. Ignorants que vous êtes! pouviez-vous ne pas voir qu'il ne fut condamné que par les Romains? nous n'avions point alors le droit de glaive; nous étions gouvernés alors par Quirinus, par Varus, par Pilatus; car, Dieu merci, nous avons presque toujours été esclaves. Le supplice de la croix était inusité chez nous. Vous ne trouverez pas dans nos histoires un seul exemple d'un homme crucifié, ni la moindre trace de ce châtiment. Cessez donc de persécuter une nation entière pour un événement dont elle ne peut être responsable.

Je ne veux que vos propres livres pour vous confondre. Vous avouez que Jésus appelait publiquement nos Pharisiens et nos prêtres, races de vipères, sépulcres blanchis 2. Si quelqu'un parmi vous allait continuellement par les rues de Rome appeler le pape et les cardinaux vipères et sépulcres, le souffrirait-on? Les Pharisiens, il est vrai, dénoncèrent Jésus au gouverneur romain, qui le fit périr du supplice usité chez les Romains. Est-ce une raison pour brûler des négociants juifs et leurs filles dans Lisbonne?

Je sais que les barbares, pour colorer leur cruauté, nous accusent d'avoir pu connaître la divinité de Jésus-Christ, et de ne l'avoir pas connue. J'en appelle aux savants de l'Europe, car il y en a quelquesuns: Jésus, dans leur Évangile, s'appelle quelquefois fils de Dieu, fils de l'homme, mais jamais Dieu; jamais Paul ne lui a donné ce titre.

Fils de l'homme est une expression très-ordinaire dans notre langue. Fils de Dieu signifie homme juste, comme bélial signifie méchant. Pendant trois cents ans, Jésus fut bien reçu par les chrétiens comme médiateur envoyé de Dieu, comme la plus parfaite des créatures. Ce ne fut qu'au concile de Nicée que la majorité des évêques constata sa divinité, malgré les oppositions des trois quarts de l'empire. Si donc les chrétiens eux-mêmes ont nié si longtemps sa divinité, s'il y a même encore des sociétés chrétiennes qui la nient, par quel étrange renversement d'esprit peut-on nous punir de la méconnaître ? Elevons nos cœurs à l'Éternel!

Nous ne récriminons point ici contre plusieurs sectes de chrétiens : nous laissons les reproches qu'elles se font les unes aux autres d'avoir

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falsifié tant de livres et de passages, d'avoir supposé des oracles de sibylles, d'avoir forgé tant de miracles : leurs sectes se font sur toutes ces prévarications plus de reproches que nous ne pourrions leur en faire. Je me borne à une seule question que je leur ferai. Si quelqu'un, sortant d'un auto-da-fé, me dit qu'il est chrétien, je lui demanderai en quoi il peut l'être. Jésus n'a jamais pratiqué ni fait pratiquer la confession auriculaire; la Pâque n'est certainement point celle d'un Portugais. Trouve-t-on l'extrême-onction, l'ordre, etc., dans l'Évangile? Il n'institua ni cardinaux, ni pape, ni dominicains, ni curés, ni inquisiteurs; il ne fit brûler personne; il ne recommanda que l'observation de la loi, l'amour de Dieu et du prochain, à l'exemple de nos prophètes. S'il reparaissait aujourd'hui au monde, se reconnaîtrait-il dans un seul de ceux qui se nomment chrétiens?

Nos ennemis nous font aujourd'hui un crime d'avoir volé les Égyptiens, d'avoir égorgé plusieurs petites nations dans les bourgs dont nous nous emparâmes, d'avoir été d'infâmes usuriers, d'avoir aussi immolé des hommes, d'en avoir même mangé, comme dit Ezéchiel. Nous avons été un peuple barbare, superstitieux, ignorant, absurde, je l'avoue mais serait-il juste d'aller aujourd'hui brûler le pape et tous les monsignori de Rome, parce que les premiers Romains enlevèrent les Sabines, et dépouillèrent les Samnites?

Que les prévaricateurs, qui dans leur propre loi ont besoin de tant d'indulgence, cessent donc de persécuter, d'exterminer ceux qui comme hommes sont leurs frères, et qui comme juifs sont leurs pères.

Que chacun serve Dieu dans la religion où il est né, sans vouloir arracher le cœur à son voisin par des disputes où personne ne s'entend.

Que chacun serve son prince et sa patrie, sans jamais employer le prétexte d'obéir à Dieu pour désobéir aux lois. O Adonaï, qui nous as créé tous, qui ne veux pas le malheur de tes créatures! Dieu, père commun, Dieu de miséricorde, fais qu'il n'y ait plus sur ce petit globe, sur ce moindre de tes mondes, ni fanatiques, ni persécuteurs! Elevons nos cœurs à l'Éternel! Amen.

MÉLINDE.

L'ÉDUCATION DES FILLES.

(1761.)

Eraste sort d'ici, et je vous vois plongée dans une rêverie profonde. Il est jeune, bien fait, spirituel, riche, aimable, et je vous pardonne de rêver.

SOPHRONIE.
MÉLINDE.

- Il est tout ce que vous dites, je l'avoue. Et de plus, il vous aime.

SOPHRONIE. Je l'avoue encore.

MÉLINDE. SOPHRONIE. de vous faire.

Je crois que vous n'êtes pas insensible pour lui.

C'est un troisième aveu que mon amitié ne craint point

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Ajoutez-y un quatrième; je vois que vous épouserez

SOPHRONIE. - Je vous dirai, avec la même confiance, que je ne l'épouserai jamais.

SOPHRONIE.

MÉLINDE. Quoi! votre mère s'oppose à un parti si sortable? Non, elle me laisse la liberté du choix; j'aime Eraste, et je ne l'épouserai pas.

MELINDE.

- Et quelle raison pouvez-vous avoir de vous tyranniser ainsi vous-même?

SOPHRONIE. La crainte d'être tyrannisée. Éraste a de l'esprit, mais il l'a impérieux et mordant; il a des grâces, mais il en ferait bientôt usage pour d'autres que pour moi je ne veux pas être la rivale d'une de ces personnes qui vendent leurs charmes, qui donnent malheureusement de l'éclat à celui qui les achète, qui révoltent la moitié d'une ville par leur faste, qui ruinent l'autre par l'exemple, et qui triomphent en public du malheur d'une honnête femme réduite à pleurer dans la solitude. J'ai une forte inclination pour Éraste, mais j'ai étudié son caractère; il a trop contredit mon inclination : je veux être heureuse; je ne le serais pas avec lui; j'épouserai Ariste que j'estime et que j'espère aimer.

MÉLINDE. Vous êtes bien raisonnable pour votre âge. Il n'y a guère de filles que la crainte d'un avenir fâcheux empêche de jouir d'un présent agréable. Comment pouvez-vous avoir un tel empire sur vousmême ?

SOPHRONIE. Ce peu que j'ai de raison, je le dois à l'éducation que m'a donnée ma mère. Elle ne m'a point élevée dans un couvent, parce que ce n'était pas dans un couvent que j'étais destinée à vivre. Je plains les filles dont les mères ont confié la première jeunesse à des religieuses, comme elles ont laissé le soin de leur première enfance à des nourrices étrangères. J'entends dire que dans ces couvents, comme dans la plupart des colléges où les jeunes gens sont élevés, on n'apprend guère que ce qu'il faut oublier pour toute sa vie; on ensevelit dans la stupidité les premiers de vos beaux jours. Vous ne sortez guère de votre prison que pour être promise à un inconnu qui vient vous épier à la grille; quel qu'il soit, vous le regardez comme un libérateur; et, fûtil un singe, vous vous croyez trop heureuse : vous vous donnez à lui sans le connaître; vous vivez avec lui sans l'aimer : c'est un marché qu'on a fait sans vous; et bientôt après les deux parties se repentent. Ma mère m'a crue digne de penser de moi-même, et de choisir un jour un époux moi-même. Si j'étais née pour gagner ma vie, elle m'aurait appris à réussir dans les ouvrages convenables à mon sexe; mais née pour vivre dans la société, elle m'a fait instruire de bonne heure dans tout ce qui regarde la société; elle a formé mon esprit, en me faisant craindre les écueils du bel esprit; elle m'a menée à tous les spectacles choisis qui peuvent inspirer le goût sans corrompre les mœurs, où l'on étale encore plus les dangers des passions que leurs charmes, où la bienséance règne, où l'on apprend à penser et à s'exprimer. La tragédie m'a paru souvent l'école de la grandeur d'âme; la comédie,

l'école des bienséances; et j'ose dire que ces instructions, qu'on ne regarde que comme des amusements, m'ont été plus utiles que les livres. Enfin, ma mère m'a toujours regardée comme un être pensant dont il fallait cultiver l'âme, et non comme une poupée qu'on ajuste, qu'on montre, et qu'on renferme le moment d'après.

AVERTISSEMENT DE M. DE VOLTAIRE. (1762.)

Plusieurs personnes s'étant plaintes de n'avoir pas reçu de réponse à des paquets envoyés soit à Ferney, soit à Tournay, soit aux Délices, on est obligé d'avertir qu'attendu la multiplicité immense de ces paquets on a été obligé de renvoyer tous ceux qui n'étaient pas adressés par des personnes avec qui l'on a l'honneur d'être en relation.

EXTRAIT

DE LA GAZETTE DE LONDRES,

DU 20 FÉVRIER 1762.

Nous apprenons que nos voisins les Français sont animés autant que nous au moins de l'esprit patriotique. Plusieurs corps de ce royaume signalent leur zèle pour le roi et pour la patrie. Ils donnent leur nécessaire pour fournir des vaisseaux; et on nous apprend que les moines, qui doivent aussi aimer le roi et la patrie, donneront de leur superflu. On assure que les bénédictins, qui possèdent environ neuf millions de livres tournois de rente dans le royaume de France, fourniront au moins neuf vaisseaux de haut bord.

Que l'abbé de Citeaux, homme très-important dans l'Etat, puisqu'il possède, sans contredit, les meilleures vignes de Bourgogne et la plus grosse tonne, augmentera la marine d'une partie de ses futailles. Il fait bâtir actuellement un palais dont le devis est d'un million sept cent mille livres tournois, et il a déjà dépensé quatre cent mille francs à cette maison pour la gloire de Dieu : il va faire construire des vaisseaux pour la gloire du roi.

On assure que Clairvaux suivra cet exemple, quoique les vignes de Clairvaux soient très-peu de chose; mais, possédant quarante mille arpents de bois, il est très en état de faire construire de bons navires.

Il sera imité par les chartreux, qui voulaient même le prévenir, attendu qu'ils mangent la meilleure marée, et qu'il est de leur intérêt que la mer soit libre. Ils ont trois millions de rente en France pour

faire venir des turbots et des soles. On dit qu'ils donneront trois beaux vaisseaux de ligne.

Les prémontrés et les carmes, qui sont aussi nécessaires dans un Etat que les chartreux, et qui sont aussi riches qu'eux, se proposent de fournir le même contingent. Les autres moines donneront à proportion. On est si assuré de cette oblation volontaire de tous les moines, qu'il est évident qu'il faudrait les regarder comme ennemis de la patrie s'ils ne s'acquittaient pas de ce devoir.

Les juifs de Bordeaux se sont cotisés des moines, qui valent bien des juifs, seront jaloux, sans doute, de maintenir la supériorité de la nouvelle loi sur l'ancienne.

Pour les frères jésuites, on n'estime pas qu'ils doivent se saigner en cette occasion, attendu que la France va être incessamment purgée desdits frères.

Post-scriptum.-Comme la France manque un peu de gens de mer, le prieur des célestins a proposé aux abbés réguliers, prieurs, sousprieurs, recteurs, supérieurs, qui fourniront les vaisseaux, d'envoyer leurs novices servir de mousses, et leurs profès servir de matelots. Ledit célestin a démontré, dans un beau discours, combien il est contraire à l'esprit de charité de ne songer qu'à faire son salut, quand on doit s'occuper de celui de l'État : ce discours a fait un grand effet, et tous les chapitres délibéraient encore au départ de la poste.

EXTRAIT

DES SENTIMENTS DE JEAN MESLIER,

ADRESSÉS A SES PAROISSIENS, SUR UNE PARTIE DES ABUS

ET DES ERREURS EN GÉNÉRAL ET EN PARTICULIER.

(1762.)

ABRÉGÉ DE LA VIE DE JEAN MESLIER.

Jean Meslier, curé d'Etrepigni et de But en Champagne, natif du village de Mazerni, dépendant du duché de Mazarin, était le fils d'un ouvrier en serge; élevé à la campagne, il a néanmoins fait ses études, et est parvenu à la prêtrise.

Étant au séminaire, où il vécut avec beaucoup de régularité, il s'attacha au système de Descartes. Ses mœurs ont paru irréprochables, faisant souvent l'aumône, d'ailleurs très-sobre, tant sur sa bouche que sur les femmes.

MM. Voiri et Delavaux, l'un curé de Va, et l'autre curé de Bculzicourt, étaient ses confesseurs, et les seuls qu'il fréquentait.

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