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nous en tenons uniquement à la philosophie et à la poésie; nous osons, en cherchant à nous éclairer, demander comment il faut expliquer ce vers qui est le précis de tout l'ouvrage :

All partial evil a general good.

Tout mal particulier est le bien général.

Voilà un étrange bien général que celui qui serait composé des souffrances de chaque individu! Entendra cela qui pourra. Bolingbroke s'entendait-il bien lui-même, quand il digérait ce système? Que veut dire Tout est bien? Est-ce pour nous? non, sans doute. Est-ce pour Dieu? il est clair que Dieu ne souffre pas de nos maux. Quelle est donc au fond cette idée platonicienne? un chaos, comme tous les autres systèmes; mais on l'a orné de diamants.

:

Quant aux autres Épîtres de Pope qui pourraient être comparées à celles d'Horace et de Boileau, je demanderai si ces deux auteurs, dans leurs Satires, se sont jamais servis des armes dont Pope se sert ? Les gentillesses dont il régale milord Harvey, l'un des plus aimables hommes d'Angleterre, sont un peu singulières; les voici mot pour mot :

Que Harvey tremble! Qui, cette chose de soie!
Harvey, ce fromage mou fait de lait d'ânesse!
Hélas! il ne peut sentir ni satire ni raison.

Qui voudrait faire mourir un papillon sur la roue?

Pourtant je veux frapper cette punaise volante à ailes dorées,
Cet enfant de la boue qui se peint et qui pue,

Dont le bourdonnement fatigue les beaux esprits et les belles,
Qui ne peut tâter ni de l'esprit ni de la beauté :
Ainsi l'épagneul bien élevé se plaît civilement

A mordiller le gibier qu'il n'ose entamer.

Son sourire éternel trahit son vide.....

Comme les petits ruisseaux se rident dans leurs cours,

Soit qu'il parle avec son impuissance fleurie,

Soit que cette marionnette barbouille les mots que le compère lui souffle, Soit que, crapaud familier à l'oreille d'Eve,

Moitié écume, moitié venin, il se crache lui-même en compagnie, En quolibets, en politique, en contes, en mensonges;

Son esprit roule sur des ouï-dire, entre ceci et cela;

Tantôt haut, tantôt bas, petit-maître ou petite-maîtresse;
Et lui-même n'est qu'une vile antithèse,

Être amphibie, qui, en jouant les deux rôles,

La tête frivole, et le cœur gâté,

Fat à la toilette, flatteur chez le roi,

Tantôt trotte en lady, tantôt marche en milord.
Ainsi les rabbins ont peint le tentateur

Avec face de chérubin, et queue de serpent:

Sa beauté vous choque, vous vous défiez de son esprit,
Son esprit rampe, et sa vanité lèche la poussière.

Il est vrai que Pope a la discrétion de ne pas nommer le lord qu'il désigne; il l'appelle honnêtement Sporus, du nom d'un infâme prostitué à Néron.

Les lecteurs pourront demander si c'est Pope ou un de ses porteurs de chaise qui a fait ces vers. Ce n'est pas absolument le style de Despréaux. Ne conclura-t-on pas de ce petit écrit que la politesse d'une nation n'est pas la politesse d'une autre?

Pour mieux faire sentir encore, s'il se peut, cette différence que la nature et l'art mettent souvent entre des nations voisines, jetons les yeux sur une traduction fidèle d'un des plus délicats passages de la Dunciade de Pope; c'est au chant second. La Bêtise a proposé des prix pour celui de ses favoris qui sera vainqueur à la course. Deux libraires de Londres disputent le prix : l'un est Lintot, personnage un peu pesant; l'autre est Curl, homme plus délié : ils courent, et voici ce qui arrive :

Au milieu du chemin on trouve un bourbier

Que madame Curl avait produit le matin :

C'était sa coutume de se défaire, au lever de l'aurore,
Du marc de son souper, devant la porte de sa voisine.

Le malheureux Curl glisse; la troupe pousse un grand cri,
Le nom de Lintot résonne dans toute la rue;

Le mécréant Curl est couché dans la vilainie,

Couvert de l'ordure qu'il a lui-même fournie, etc.

Le portrait de la Mollesse, dans le Lutrin, est d'un autre genre; mais chaque nation a son goût.

Une autre conclusion que nous oserons tirer encore de la comparai son des petits poëmes détachés avec les grands poëmes, tels que l'épopée et la tragédie, c'est qu'il faut les mettre à leur place. Je ne vois pas comment on peut égaler une épître, une ode, à une bonne pièce de théâtre. Qu'une épître, ou ce qui est plus aisé à faire, une satire, ou ce qui est souvent assez insipide, une ode, soit aussi bien écrite qu'une tragédie, il y a cent fois plus de mérite à faire celle-ci, et plus de plaisir à la voir, que non pas à faire et à lire des lieux communs de morale je dis lieux communs, car tout a été dit. Une bonne épître morale ne nous apprend rien; une bonne ode encore moins; elle peut au plus amuser un quart d'heure les gens du métier; mais créer un sujet, inventer un noeud et un dénoûment, donner à chaque personnage son caractère, le soutenir, le rendre intéressant, et augmenter cet intérêt de scène en scène; faire en sorte qu'aucun d'eux ne paraisse et ne sorte sans une raison sentie de tous les spectateurs; ne laisser jamais le théâtre vide; faire dire à chacun ce qu'il doit dire, avec noblesse et sans enflure, avec simplicité, sans bassesse; faire de beaux vers qui ne sentent point le poëte, et tels que le personnage aurait dû en faire s'il parlait en vers: c'est là une partie des devoirs que tout auteur d'une tragédie doit remplir, sous peine de ne point réussir parmi nous; et quand il s'est acquitté de tous ces devoirs, il n'a encore rien fait. Esther est une pièce qui remplit toutes ces condi

tions; mais quand on l'a voulu jouer en public, on n'a pu en soutenir la représentation. Il faut tenir le cœur des hommes dans sa main; il faut arracher des larmes aux spectateurs les plus insensibles, il faut déchirer les âmes les plus dures. Sans la terreur et sans la pitié, point de tragédie, et quand vous auriez excité cette pitié et cette terreur, si avec ces avantages vous avez manqué aux autres lois, si vos vers ne sont pas excellents, vous n'êtes qu'un médiocre écrivain, qui avez traité selon les règles un sujet heureux.

Qu'une tragédie est difficile ! et qu'une épître, une satire, sont aisées! Comment donc oser mettre dans le même rang un Racine et un Despréaux? Quoi! on estimerait autant un peintre de portrait qu'un Raphael? Quoi! une tête de Rembrandt sera égale au tableau de la transfiguration, ou à celui des noces de Cana?

Nous savons que les Épîtres de Despréaux sont belles, qu'elles posent sur le fondement de la vérité, sans laquelle rien n'est supportable; mais pour les Épitres de Rousseau, quel faux dans les sujets et quelles contorsions dans le style! Qu'elles excitent souvent le dégoût et l'indignation! Que veut dire une Épître à Marot, dans laquelle il veut prouver qu'il n'y a que les sots qui soient méchants? Que ce paradoxe est ridicule !

Sylla, Catilina, César, Tibère, Néron même, étaient-ils des sots? Le fameux duc de Borgia était-il un sot? Et avons-nous besoin d'aller chercher des exemples dans l'histoire ancienne? Peut-on, d'ailleurs, souffrir la manière dure et contrainte dont cette idée fausse est exprimée ?

Et si parfois on vous dit qu'un vaurien
A de l'esprit; examinez-le bien,
Vous trouverez qu'il n'en a que le casque,
Et qu'en effet c'est un sot sous le masque.

Le casque de l'esprit. Bon dieu! est-ce ainsi que Despréaux écrivait? Comment souffrir le langage de l'épître à M. le duc de Noailles, qu'il baptisa dans ses dernières éditions, d'Épitre à M. le comte de ***?

Jaçoit qu'en vous gloire et haute naissance

Soit alliée à titres et puissance,

Que de splendeurs et d'honneurs mérités
Votre maison luise de tous côtés,

Si toutefois ne sont-ce ces bluettes

Qui vous ont mis en l'estime où vous êtes.

Ce malheureux burlesque, ce mélange impertinent du jargon du XVIe siècle et de notre langue, si frondé par un auteur assez connu, ne peut donner de prix à un sujet qui par lui-même n'apprend rien, ne dit rien, n'est ni utile, ni agréable.

Un des grands défauts de tous les ouvrages de cet auteur, c'est qu'on ne se retrouve jamais dans ses peintures; on ne voit rien qui rende l'homme cher à lui-même, comme dit Horace point d'aménité, point de douceur. Jamais cet écrivain mélancolique n'a parlé au cœur. Pres

que toutes ses épîtres roulent sur lui-même, sur ses querelles avec ses ennemis le public ne prend aucune part à ces pauvretés; on ne se soucie pas plus de ses vers contre La Motte que de ses roches de Salisbury: qu'importe

.....Qu'entre ces roches nues,

Qui par magie en ces lieux sont venues,
S'en trouve sept, trois de chacune part,
Une au-dessus, le tout fait par tel art,
Qu'il représente une porte effective,
Porte vraiment bien faite et bien naïve,
Mais c'est le tout; car qui voudrait y voir
Tours ou châtel, doit ailleurs se pourvoir'.

Ces détestables vers et ce malheureux sujet peuvent-ils être comparés à la plus mauvaise tragédie que nous ayons? Nous sommes rassasiés de vers une denrée trop commune est avilie. Voilà le cas du ne quid nimis. Le théâtre où la nation se rassemble est presque le seul genre de poésie qui nous intéresse aujourd'hui; encore ne faudrait-il pas avoir des poëmes dramatiques tous les jours:

Namque voluptates commendat rarior usus 3.

AVERTISSEMENT

AUX ÉDITEURS DE LA TRADUCTION ANGLAISE.

(1761.)

M. de Voltaire a l'honneur d'avertir messieurs les éditeurs de la traduction anglaise de ses ouvrages, qu'on fait actuellement à Genève une édition nouvelle, augmentée et très-corrigée. Que l'édition de l'Essai sur l'histoire générale est imparfaite et fautive.

Que l'évaluation sur les monnaies est absurde, les copistes ayant mis des sous pour des livres, et ayant altéré les chiffres. Qu'il y manque un chapitre sur le Védam et l'Ézour-Védam des brachmanes; que l'auteur ayant eu, par la voie de Pondichéri, une traduction fidèle de l'EzourVédam, il en a fait un extrait, lequel est imprimé dans cette histoire générale; qu'il déposera dans la bibliothèque de S. M. T. C. le manuscrit de l'Ézour-Védam tout entier; manuscrit unique dans le monde.

Qu'il manque aussi à l'édition précédente les chapitres sur l'Alcoran, sur les Albigeois, sur le concile de Trente, sur la noblesse, les duels, les tournois, la chevalerie, les parlements, l'établissement des quakers et des jésuites en Amérique, les Colonies, etc.; que tout est resti

1. Ces vers sont de la Grotte de Merlin, allégorie IV du livre Ier. (ED.)
2. Térence, Andrienne, I, 1. (ED.) 3. Juvenal, XI, 208. (ED.)
4. Intitulé depuis Essai sur les mœurs et l'esprit des nations. (ED.)

tué dans l'édition présente, commencée à Genève; que tous les chapitres sont très-augmentés; que cette histoire est poussée jusqu'au temps présent.

Qu'il est d'ailleurs prêt à faire à messieurs les éditeurs de Londres tous les plaisirs qui dependront de lui. Qu'il n'a eu d'autre but, en travaillant à cet ouvrage immense, que de s'instruire, et qu'il ne se flatte pas d'instruire les autres.

Au château de Ferney, en Bourgogne, 3 mars 1761.

RESCRIT

DE L'EMPEREUR DE LA CHINE,

A L'OCCASION DU PROJET DE PAIX PERPÉTUELLE.

(1761.)

Nous, l'empereur de la Chine, nous sommes fait représenter, dans notre conseil d'Etat, les mille et une brochures qu'on débite journellement dans le renommé village de Paris, pour l'instruction de l'univers. Nous avons remarqué, avec une satisfaction impériale, qu'on imprime plus de pensées, ou façons de penser, ou expressions sans pensées, dans ledit village situé sur le petit ruisseau de la Seine, contenant environ cinq cent mille plaisants, ou gens voulant l'être, que l'on ne fabrique de porcelaines dans notre bourg de Kingtzin sur le fleuve Jaune, lequel bourg possède le double d'habitants, lesquels ne sont pas la moitié si plaisants que ceux de Paris.

Nous avons lu attentivement la brochure de notre amé Jean-Jacques, citoyen de Genève, lequel Jean-Jacques a extrait un Projet de paix perpétuelle du bonze Saint-Pierre, lequel bonze Saint-Pierre l'avait extrait d'un clerc du mandarin marquis de Rosni, duc de Sully, excellent économe, lequel l'avait extrait du creux de son cerveau.

Nous avons été sensiblement affligé de voir que dans ledit extrait rédigé par notre amé Jean-Jacques, où l'on expose les moyens faciles de donner à l'Europe une paix perpétuelle, on avait oublié le reste de l'univers, qu'il faut toujours avoir en vue dans toutes ses brochures. Nous avons connu que la monarchie de France, qui est la première des monarchies; l'anarchie d'Allemagne, qui est la première des anarchies; l'Espagne, l'Angleterre, la Pologne, la Suède, qui sont, suivant leurs historiens, chacune en son genre, la première puissance de l'univers, sont toutes requises d'accéder au traité de Jean-Jacques. Nous avons été édifié de voir que notre chère cousine l'impératrice de toute Russie était pareillement requise de fournir son contingent. Mais grande a été notre surprise impériale, quand nous avons en vain cherché notre nom dans la liste. Nous avons jugé qu'étant si proche voisin de notre chère cousine, nous devions être nommé avec elle; que le

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