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LENOX LIBRARY

NEW YORK

MÉLANGES.

(SUITE.)

ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

AVIS.

Je suis obligé de renouveler mes justes plaintes au sujet de toutes les éditions qu'on a faites jusqu'à présent de mes ouvrages dans les pays étrangers. Ce serait, à la vérité, un honneur pour la littérature de notre patrie que ces fréquentes éditions qu'on fait ailleurs des livres français, si elles étaient faites avec fidélité et avec soin. Mais elles sont d'ordinaire si défigurées, on y mêle si souvent ce qui n'est pas de nous avec ce qui nous appartient, on altère si barbarement le sens et le style, que cet honneur devient en quelque manière honteux et ridicule; je ne suis pas assurément le seul qui s'en soit plaint, et qui ait prémuni le public contre ce brigandage; mais je suis peut-être celui qui ai le plus de raisons de me plaindre. L'édition des Ledet d'Amsterdam, et celles d'Arkstée et Merkus, sont surtout pleines, à chaque page, de fautes et d'infidélités si grossières, qu'elles doivent révolter tout lecteur; on a même poussé l'abus de la presse jusqu'à insérer dans ces éditions des pièces scandaleuses, dignes de la plus vile canaille. Je me flatte que le public aura pour elles le même mépris que moi; on sait assez à quel excès punissable plusieurs libraires de Hollande ont poussé leur licence. Ces livres aussi odieux que mal faits, qu'ils débitent et qu'ils regardent uniquement comme un objet de commerce, ne font tort à personne, si ce n'est aux lecteurs crédules qui achètent imprudemment ces malheureuses éditions sur leurs titres. J'ai cru qu'il était de mon devoir de renouveler cet avertissement.

Ce 20 janvier 1748.

Louis XIV était, comme on sait, le plus bel homme et le mieux fait de son royaume. C'était lui que Racine désignait dans Bérénice par

ces vers:

Qu'en quelque obscurité que le sort l'eût fait naître,

Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître.

Le roi sentit bien que cette tragédie, et surtout ces deux vers, étaient VOLTAIRE. XVIII

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faits pour lui. Rien n'embellit d'ailleurs comme une couronne. Le son de sa voix était noble et touchant. Tous les hommes l'admiraient, et toutes les femmes soupiraient pour lui. Il avait une démarche qui ne pouvait convenir qu'à lui seul, et qui eût été ridicule en tout autre. Il se complaisait à en imposer par son air. L'embarras de ceux qui lui parlaient était un hommage qui flattait sa supériorité. Ce vieil officier qui, en lui demandant une grâce, balbutiait, recommençait son discours, et qui enfin lui dit : « Sire, au moins je ne tremble pas ainsi devant vos ennemis, » n'eut pas de peine à obtenir ce qu'il demandait.

La nature lui avait donné un tempérament robuste. Il fit parfaitement tous ses exercices, jouait très-bien à tous les jeux qui demandent de l'adresse et de l'action; il dansait les danses graves avec beaucoup de grâce. Sa constitution était si bonne qu'il fit toujours deux grands repas par jour sans altérer sa santé; ce fut la bonté de son tempérament qui fit l'égalité de son humeur. Louis XIII, infirme, était chagrin, faible, et difficile. Louis XIV parlait peu, mais toujours bien. Il n'était pas savant; mais il avait le goût juste. Il entendait un peu l'italien et l'espagnol, et ne put jamais apprendre le latin, que l'on montre toujours assez mal dans une éducation particulière, et qui est de toutes les sciences la moins utile à un roi. On a imprimé sous son nom une traduction des Commentaires de César. Ce sont ses thèmes; mais on les faisait avec lui ; il y avait peu de part; et on lui disait qu'il les avait faits. J'ai ouï dire au cardinal de Fleury que Louis XIV lui avait un jour demandé ce que c'était que le prince quemadmodum, mot sur lequel un musicien, dans un motet, avait prodigué, selon leur coutume, beaucoup de travail; le roi lui avoua, à cette occasion, qu'il n'avait presque jamais rien su de cette langue. On eût mieux fait de lui enseigner l'histoire, la géographie, et surtout la vraie philosophie, que les princes connaissent si rarement. Son bon sens et son goût naturel suppléèrent à tout. En fait des beaux-arts, il n'aimait que l'excellent. Rien ne le prouve mieux que l'usage qu'il fit de Racine, de Boileau, de Molière, de Bossuet, de Fénelon, de Lebrun, de Girardon, de Le Nôtre, etc. Il donna même quelquefois à Quinault des sujets d'opéra, et ce fut lui qui choisit Armide. M. Colbert ne protégea tous les arts, et ne les fit fleurir que pour se conformer au goût de son maître ; car M. Colbert, étant sans lettres, élevé dans le négoce, et chargé par le cardinal Mazarin de détails d'affaires, ne pouvait avoir pour les beaux-arts ce goût que donne naturellement une cour galante, à laquelle il faut des plaisirs au-dessus du vulgaire. M. Colbert était un peu sec et sombre; ses grandes vues pour la finance et pour le commerce, où le roi était et devait être moins intelligent que lui, ne s'étendirent pas d'abord jusqu'aux arts aimables; il se forma le goût par l'envie de plaire à son maître, et par l'émulation que lui donnait la gloire acquise par M. Fouquet dans la protection des lettres, gloire qu'il conserva dans sa disgrâce. Il ne fit d'abord que de mauvais choix; et, lorsque Louis XIV, en 1662, voulut favoriser les lettres, en donnant des pensions aux hommes de génie, et même aux savants, Col

bert ne s'en rapporta qu'à ce Chapelain dont le nom est devenu depuis si ridicule, grâce à ses ouvrages et à Boileau; mais il avait alors une grande réputation qu'il s'était faite par un peu d'érudition, assez de critique, et beaucoup d'adresse: c'est ce choix qui indigna Boileau, jeune encore, et qui lui inspira tant de traits satiriques. M. Colbert se corrigea depuis, et favorisa ceux qui avaient des talents véritables, et qui plaisaient au maître.

Ce fut Louis XIV qui, de son propre mouvement, donna des pensions à Boileau, à Racine, à Pellisson, à beaucoup d'autres; il s'entretenait quelquefois avec eux; et même lorsque Boileau se fut retiré à Auteuil, étant affaibli par l'âge, et qu'il vint faire sa cour au roi pour la dernière fois, le roi lui dit : « Si votre santé vous permet de venir encore quelquefois à Versailles, j'aurai toujours une demi-heure à vous donner. » Au mois de septembre 1690, il nomma Racine du voyage de Marly; et il se faisait lire par lui les meilleurs ouvrages du temps.

L'année d'auparavant il avait gratifié Racine et Boileau, chacun de mille pistoles, qui font vingt mille livres d'aujourd'hui, pour écrire son histoire, et il avait ajouté à ce présent quatre mille livres de pension.

On voit évidemment par toutes ces libéralités répandues de son propre mouvement, et surtout par sa faveur accordée à Pellisson, persécuté par Colbert, que ses ministres ne dirigeaient point son goût. Il se porta de lui-même à donner des pensions à plusieurs savants étrangers; et M. Colbert consulta M. Perrault sur le choix de ceux qui reçurent cette gratification si honorable pour eux et pour le souverain. Un de ses talents était de tenir une cour; il rendit la sienne la plus magnifique et la plus galante de l'Europe. Je ne sais pas comment on peut lire encore des descriptions de fêtes dans des romans, après avoir lu celles que donna Louis XIV. Les fêtes de Saint-Germain, de Versailles, ses carrousels, sont au-dessus de ce que l'imagination la plus romanesque a inventé. Il dansait d'ordinaire à ces fêtes avec les plus belles personnes de la cour; il semblait que la nature eût fait des efforts pour seconder le goût de Louis XIV. Sa cour était remplie des hommes les mieux faits de l'Europe, et il y avait à la fois plus de trente femmes d'une beauté accomplie. On avait soin de composer des danses figurées, convenables à leurs caractères et à leurs galanteries. Souvent même les pièces qu'on représentait étaient remplies d'allusions fines, qui avaient rapport aux intérêts secrets de leurs cœurs. Non-seulement il y eut de ces fêtes publiques dont Molière et Lulli firent les principaux ornements, mais il y en eut de particulières, tantôt pour Madame, belle-sœur du roi, tantôt pour Mme de La Vallière : il n'y avait que peu de courtisans qui y fussent admis; c'était souvent Benserade qui en faisait les vers, quelquefois un nommé Bellot, valet de chambre du roi. J'ai vu des canevas de ce dernier, corrigés de la main de Louis XIV. On connaît ces vers galants que faisait Benserade pour ces ballets figurés, où le roi dansait avec sa cour; il y confondait presque toujours, par une allusion délicate, la personne et le rôle.

Par exemple, lorsque le roi, dans un de ces ballets, représentait Apol lon, voici ce que fit pour lui Benserade :

Je doute qu'on le prenne avec vous sur le ton
De Daphné, ni de Phaeton,

Lui trop ambitieux, elle trop inhumaine.

Il n'est point là de piége où vous puissiez donner;
Le moyen de s'imaginer

Qu'une femme vous fuie, ou qu'un homme vous mène!

Lorsqu'il eut marié son petit-fils le duc de Bourgogne à la princesse Adélaïde de Savoie, il fit jouer des comédies pour elle dans un des appartements de Versailles. Duché, l'un de ses domestiques, auteur du bel opéra d'Iphigénie, composa la tragédie d'Absalon pour ces fêtes secrètes; Madame la duchesse de Bourgogne représentait la fille d'Absalon; le duc d'Orléans, le duc de La Vallière, y jouaient; le fameux acteur Baron dirigeait la troupe, et y jouait aussi.

Il y avait alors appartement trois fois la semaine à Versailles; la galerie et toutes les pièces étaient remplies; on jouait dans un salon; dans l'autre il y avait musique'; dans un troisième, une collation. Le roi animait tous ces plaisirs par sa présence. Quelquefois il faisait dresser dans la galerie des boutiques garnies de bijoux les plus précieux; il en faisait des loteries, ou bien on les jouait à la rafle, et Madame la duchesse de Bourgogne distribuait souvent les lots gagnés. C'était au milieu de tous ces amusements magnifiques, et des plaisirs les plus délicats, qu'il forma ces vastes projets qui firent trembler l'Europe; il mena la reine et toutes les dames de sa cour sur la frontière. A la guerre de 1667, il distribua pour plus de cent mille écus de présents, soit aux seigneurs flamands qui venaient lui rendre leurs respects, soit aux députés des villes, soit aux envoyés des princes qui venaient le complimenter; et il suivait en cela son goût pour la magnificence, autant que la politique. C'est sur quoi on ne peut assez s'étonner qu'on l'ait osé accuser d'avarice dans presque toutes les pitoyables histoires qu'on a compilées de son règne : jamais prince n'a plus donné, plus à propos, et de meilleure grâce.

Les plaisirs nobles dont il occupa sans cesse la plus brillante cour du monde ne l'empêchèrent point d'assister régulièrement à tous ses conseils; il les tenait même pendant qu'il était malade, et il ne s'en dispensa qu'une fois pour aller à la chasse : il y avait peu d'affaires ce jour-là; il entra pour dire qu'il n'y aurait point de conseil, et le dit en parodiant ainsi sur-le-champ un air d'un opéra de Quinault et de Lulli:

Le conseil à ses yeux a beau se présenter,

Sitôt qu'il voit sa chienne, il quitte tout pour elle;
Rien ne peut l'arrêter

Quand la chasse l'appelle.

Il avait fait quelques petites chansons dans ce goût aisé et naturel: et dans les voyages en Franche-Comté, il faisait faire des impromptus

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