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sincères donnés à des noms, à des vertus qu'ils ignorent; je ne me lasserai point de jeter des fleurs sur les tombeaux de nos défenseurs; j'élèverai encore ma faible voix; je dirai : « Ici a été tranchée dans sa fleur la vie de ce jeune guerrier dont les frères combattent sous nos étendards, dont le père a protégé les arts à Florence sous une domination étrangère. Là fut percé d'un coup mortel le marquis de Beauvau son cousin, quand le digne petit-fils du grand Condé forçait la ville d'Ypres à se rendre2. » Accablé de douleurs incroyables, entouré de nos soldats, qui se disputaient l'honneur de le porter, il leur disait d'une voix expirante: « Mes amis, allez où vous êtes nécessaires, allez combattre; et laissez-moi mourir. » Qui pourra célébrer dignement sa noble franchise, ses vertus civiles, ses connaissances, son amour des lettres, le goût éclairé des monuments antiques enseveli avec lui? Ainsi périssent d'une mort violente, à la fleur de leur âge, tant d'hommes dont la patrie attendait son avantage et sa gloire; tandis que d'inutiles fardeaux de la terre amusent dans nos jardins leur vieillesse oisive du plaisir de raconter les premiers ces nouvelles désastreuses.

O destin! ô fatalité! nos jours sont comptés; le moment éternellement déterminé arrive, qui anéantit tous les projets et toutes les espérances. Le comte de Bissi, prêt à jouir de ces honneurs tant désirés par ceux mêmes sur qui les honneurs sont accumulés, accourt de Gênes devant Mastricht, et le dernier coup tiré des remparts lui ôte la vie; il est la dernière victime immolée, au moment même que le ciel avait prescrit pour la cessation de tant de meurtres. Guerre qui as rempli la France de gloire et de deuil, tu ne frappes pas seulement par des traits rapides qui portent en un moment la destruction! que de citoyens, que de parents et d'amis, nous ont été ravis par une mort lente, que les fatigues des marches, l'intempérie des saisons, traînent après elles!

Tu n'es plus, ô douce espérance du reste de mes jours! ô ami tendre, élevé dans cet invincible régiment du roi, toujours conduit par des héros, qui s'est tant signalé dans les tranchées de Prague, dans la bataille de Fontenoi, dans celle de Laufelt où il a décidé la victoire! La retraite de Prague pendant trente lieues de glaces jeta dans ton sein les semences de la mort, que mes tristes yeux ont vues depuis se développer familiarisé avec le trépas, tu le sentis approcher avec cette indifférence que les philosophes s'efforçaient jadis ou d'acquérir ou de montrer; accablé de souffrances au dedans et au dehors, privé de la vue, perdant chaque jour une partie de toi-même, ce n'était que par un excès de vertu que tu n'étais point malheureux, et cette vertu ne te coûtait point d'effort. Je t'ai vu toujours le plus infortuné des hommes, et le plus tranquille. On ignorerait ce qu'on a perdu en toi, si le cœur d'un homme éloquent n'avait fait l'éloge du tien dans un ouvrage consacré à l'amitié, et embelli par les charmes de la plus touchante

1. Le marquis de Beauvau, fils du prince de Craon. 1744. (ED.)

2. Ypres capitula le 2. juin. (ED.)

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poésie. Je n'étais point surpris que dans le tumulte des armes tu cultivasses les lettres et la sagesse : ces exemples ne sont pas rares parmi nous. Si ceux qui n'ont que de l'ostentation ne t'imposèrent jamais, si ceux qui dans l'amitié même ne sont conduits que par la vanité révoltèrent ton cœur, il y a des âmes nobles et simples qui te ressemblent. Si la hauteur de tes pensées ne pouvait s'abaisser à la lecture de ces ouvrages licencieux, délices passagers d'une jeunesse égarée à qui le sujet plaît plus que l'ouvrage; si tu méprisais cette foule d'écrits que le mauvais goût enfante; si ceux qui ne veulent avoir que de l'esprit te paraissaient si peu de chose, ce goût solide t'était commun avec ceux qui soutiennent toujours la raison contre l'inondation de ce faux goût qui semble nous entraîner à la décadence. Mais par quel prodige avais-tu, à l'âge de vingt-cinq ans, la vraie philosophie et la vraie éloquence, sans autre étude que le secours de quelques bons livres? Comment avais-tu pris un essor si haut dans le siècle des petitesses? et comment la simplicité d'un enfant timide couvrait-elle cette profondeur et cette force de génie ? Je sentirai longtemps avec amertume le prix de ton amitié; à peine en ai-je goûté les charmes; non pas de cette amitié vaine qui naît dans les vains plaisirs, qui s'envole avec eux, et dont on a toujours à se plaindre; mais de cette amitié solide et courageuse, la plus rare des vertus. C'est ta perte qui mit dans mon cœur ce dessein de rendre quelque honneur aux cendres de tant de défenseurs de l'État, pour élever aussi un monument à la tienne. Mon cœur rempli de toi a cherché cette consolation, sans prévoir à quel usage ce discours sera destiné, ni comment il sera reçu de la malignité humaine, qui, à la vérité, épargne d'ordinaire les morts, mais qui quelquefois aussi insulte à leurs cendres, quand c'est un prétexte de plus de déchirer les vivants '.

1er juin 1748.

1. N.B. Le jeune homme qu'on regrette ici avec tant de raison est M. de Vauvenargues, longtemps capitaine au régiment du roi. Je ne sais si je me trompe, mais je crois qu'on trouvera dans la seconde édition de son livre plus de cent pensées qui caractérisent la plus belle âme, la plus profondément philosophe, la plus dégagée de tout esprit de parti.

Que ceux qui pensent mêditent les maximes suivantes :

<< La raison nous trompe plus souvent que la nature. »

<< Si les passions font plus de fautes que le jugement, c'est par la même raison que ceux qui gouvernent font plus de fautes que les hommes privés. » « Les grandes pensées viennent du cœur. >>

(C'est ainsi que, sans le savoir, il se peignait lui-même.)

«La conscience des mourants calomnie leur vie. >>

<< La fermeté ou la faiblesse à la mort dépend de la dernière maladie. » (J'oserais conseiller qu'on lût les maximes qui suivent celles-ci, et qui les expliquent.)

<< La pensée de la mort nous trompe, car elle nous fait oublier de vivre. >> «La plus fausse de toutes les philosophies est celle qui, sous prétexte d'affranchir les hommes des embarras des passions, leur conseille l'oisiveté. »

« Nous devons peut-être aux passions les plus grands avantages de l'esprit. « Ce qui n'offense pas la société n'est pas du ressort de la justice. >> Quiconque est plus sévère que les lois est un tyran. »

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On voit, ce me semble, par ce peu de pensées que je rapporte, qu'on ne peut

PANÉGYRIQUE DE LOUIS XV,

FONDÉ

SUR LES FAITS ET LES ÉVÉNEMENTS LES PLUS INTÉRESSANTS, JUSQU'EN 1749.

LUDOVICO DECIMO QUINTO, DE HUMANO GENERE BENE MERITO.

(1748.)

EXTRAIT D'UNE LETTRE

DE M. LE PRESIDENT HENAULT.

<< Ce panégyrique, d'autant plus éloquent qu'il paraît ne pas prétendre à l'éloquence, étant fondé uniquement sur les faits, est également glorieux pour le roi et pour la nation. Je ne crois pas qu'on puisse lui comparer celui que Pellisson composa pour Louis XIV; ce n'était qu'un discours vague, et celui-ci est appuyé sur les événements les plus grands, sur les anecdotes les plus intéressantes. C'est un tableau de l'Europe, c'est un précis de la guerre, c'est un ouvrage qui annonce à chaque page un bon citoyen, c'est un éloge où il n'y a pas un mot qui sente la flatterie; il devrait avoir été prononcé dans l'Académie avec la plus grande solennité, et la capitale doit l'envier aux provinces où il a été imprimé. »

PRÉFACE DE L'AUTEUR.

L'auteur de ce panégyrique se cacha longtemps avec autant de soin qu'en prennent ceux qui ont fait des satires. Il est toujours à craindre que le panégyrique d'un monarque ne passe pour une flatterie intéressée. L'effet ordinaire de ces éloges est de faire rougir ceux à qui on les

pas dire de lui ce qu'un des plus aimables esprits de nos jours a dit de ces philosophes de parti, de ces nouveaux stoïciens qui en ont imposé aux faibles: Ils ont eu l'art de bien connaître L'homme qu'ils ont imagine; Mais ils n'ont jamais deviné

Ce qu'il est ni ce qu'il doit être.

J'ignore si jamais aucun de ceux qui se sont mêlés d'instruire les hommes, a rien écrit de plus sage que son chapitre sur le bien et sur le mal moral. Je ne dis pas que tout soit égal dans le livre : mais si l'amitié ne me fait pas illusion, je n'en connais guère qui soit plus capable de former une âme bien née et digne d'être instruite. Ce qui me persuade encore qu'il y a des choses excellentes dans cet ouvrage que M. de Vauvenargues nous a laissé, c'est que je l'ai vu méprisé par ceux qui n'aiment que les jolies phrases et le faux bel esprit.

donne, d'attirer peu l'attention de la multitude, et de soulever la critique. On ne conçoit pas comment Trajan put avoir ou assez de patience ou assez d'amour-propre pour entendre prononcer le long panégyrique de Pline il semble qu'il n'ait manqué à Trajan, pour mériter tant d'éloges, que de ne les avoir pas écoutés.

Le panégyrique de Louis XIV fut prononcé par M. Pellisson, et celui de Louis XV devrait l'être sans doute à l'Académie par une bouche aussi éloquente. Il s'en faut beaucoup que l'auteur de cet essai adopte l'avis de M. le président Hénault, qui préfère le panégyrique de Louis XV à celui de Louis XIV. L'auteur ne préfère que le sujet. Il avoue que Louis XV a sur Louis XIV l'avantage d'avoir gagné deux batailles rangées. Il croit que le système des finances ayant été perfectionné par le temps, l'Etat a souffert incomparablement moins dans la guerre de 1741 que dans celle de 1688, et surtout dans celle de 1701. Il pense enfin que la paix d'Aix-la-Chapelle 1 peut avoir un grand avantage sur celle de Nimègue. Ces deux paix, à jamais célèbres, ont été faites dans les mêmes circonstances, c'est-à-dire après des victoires mais le vainqueur fit encore craindre sa puissance par le traité même de Nimègue, et Louis XV fait aimer sa modération. Le premier traité pouvait encore aigrir des nations, et le second les réconcilie. C'est cette paix heureuse que l'auteur a principalement en vue. Il regarde celui qui l'a donnée comme le bienfaiteur du genre humain. Il a fait un panégyrique trèscourt, mais très-vrai dans tous ses points; et il l'a écrit d'un style très-simple, parce qu'il n'avait rien à orner. Il a laissé à chaque citoyen le soin d'étendre toutes les idées dont il ne donne ici que le germe. Il y a peu de lecteurs qui, en voyant cet ouvrage, ne puissent beaucoup l'augmenter par leurs réflexions; et le meilleur effet d'un livre est de faire penser les hommes. On a nourri ce discours de faits inconnus auparavant au public, et qui servent de preuves. Ce sont là les véritables éloges, et qui sont bien au-dessus d'une déclaration pompeuse et vaine. La lettre qu'on rapporte, écrite d'un prince au roi, est de monseigneur le prince de Conti, du 20 juillet 1744 celle du roi est du 19 mai 1745 en un mot, on peut regarder cet ouvrage intitulé panégyrique comme le précis le plus fidèle de tout ce qui est à la gloire de la France et de son roi; et on défie la critique d'y trouver rien d'altéré ni d'exagéré.

A l'égard des censures qu'un journaliste3 a faites, non du fond de l'ouvrage, mais de la forme, on commence par le remercier d'une réflexion très-juste sur ce qu'on avait dit que le roi de Sardaigne choisissait bien ses ministres et ses généraux, et était lui-même un grand général et un grand ministre. Il paraît en effet que le terme de ministre ne convient pas à un souverain.

A l'égard de toutes les autres critiques, elles ont paru injustes et inconsidérées; dans une, on reproche à l'auteur d'avoir écrit un panégyrique dans le style de Pline plutôt que dans celui de Cicéron et dans

1. 18 octobre 1748. (ED.) 2. 10 août 1678. (ED.).

3. Le P. Berthier, dans les Mémoires de Trévoux. (ED.)

celui de Bossuet et de Bourdaloue. Il dit que tout est orné d'antithèses, de termes qui se querellent, et de pensées qui semblent se repousser.

On n'examine pas ici s'il faut suivre dans un panégyrique Pline qui en a fait un, ou Cicéron qui n'en a point fait; s'il faut imiter la pompe et la déclamation d'une oraison funèbre dans le récit des choses récentes, qui sont si délicates à traiter; si les sermons de Bourdaloue doivent être le modèle d'un homme qui parle de la guerre et de la paix, de la politique et des finances. Mais on est bien surpris que le critique dise que tout est antithèses dans un écrit où il y en a si peu. A l'égard des termes qui se querellent, et des pensées qui se repoussent, on ne sait pas ce que cela signifie.

Le journaliste dit que le contraste des quatre rois François Ier, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, et du monarque régnant, n'est pas assez sensible. Il n'y a là aucun contraste; des mérites différents ne sont point des choses opposées : on n'a voulu faire ni de contrastes ni d'antithèses, et il n'y en a pas la moindre apparence.

Il reprend ces mots au sujet de nos alarmes sur la maladie du roi : « Après un triomphe si rare, il ne fallait pas une vertu commune. » On ne triomphe, dit-il, que de ses ennemis : peut-il ignorer que ce terme triomphe est toujours noblement employé pour tous les grands succès, en quelque genre que ce puisse être ?

Il prétend que ce triomphe n'est pas rare. En France, dit-il, rien de plus naturel, rien de plus général que l'amour des peuples pour leur souverain. Il n'a pas senti que cette critique, très-déplacée, tend à diminuer le prix de l'amour extrême qui éclata dans cette occasion par des témoignages si singuliers. Oui, sans doute, ce triomphe était rare, et il n'y en a aucun exemple sur la terre; c'est ce que toute la nation dépose contre cette accusation du censeur.

A quoi pense-t-il quand il dit que rien n'est plus naturel, plus général, qu'une telle tendresse? où a-t-il trouvé qu'en France on ait marqué un tel amour pour ses rois, avant que Louis XIV et Louis XV aient gouverné par eux-mêmes? Est-ce dans le temps de la Fronde? est-ce sous Louis XIII, quand la cour était déchirée par des factions, et l'État par des guerres civiles? quand le sang ruisselait sur les échafauds? Est-ce lorsque le couteau de Ravaillac, instrument du fanatisme de tout un parti, acheva le parricide que Jean Châtel avait commencé, et que Pierre Barrière et tant d'autres avaient médité? est-ce quand le moine Jacques Clément, ahimé de l'esprit de la ligue, assassina Henri III? est-ce après ou avant le massacre de la Saint-Barthélemy? est-ce quand les Guises régnaient sous le nom de François II? Est-il possible qu'on ose dire que les Français pensent aujourd'hui comme ils pensaient dans ces temps abominables?

« Après un triomphe si rare il ne fallait pas une vertu commune. » Le censeur condamne ce passage comme s'il supposait une vertu commune auparavant.

Premièrement on lui dira qu'il serait d'un lâche flatteur et d'un menteur ridicule de prétendre que le prince, l'objet de ce panégyrique, avait fait alors d'aussi grandes choses qu'il en a fait depuis. Ce son

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