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blante de l'entendement humain, il y a peu de pages dans le Pentateuque que nous puissions admettre, suivant les règles établies par les hommes pour juger des choses humaines. D'ailleurs tout le monde avoue qu'il est impossible de concilier la chronologie confuse qui règne dans ce livre; tout le monde avoue que la géographie n'y est pas exacte en beaucoup d'endroits : les noms des villes qu'on y trouve, lesquelles ne furent pourtant appelées de ces noms que longtemps après, font encore beaucoup de peine, malgré la torture qu'on s'est donnée pour expliquer des passages si difficiles.

Quand milord Bolingbroke a appliqué les règles de sa critique au livre du Pentateuque, il n'a point prétendu ébranler les fondements de la religion; et c'est dans cette vue qu'il a séparé le dogmatique d'avec l'historique, avec une circonspection qui devrait lui tenir lieu d'un très-grand mérite auprès de ceux qui l'ont voulu décrier. Ce puissant génie a prévenu ses adversaires en séparant la foi de la raison, ce qui est la seule manière de terminer toutes ces disputes. Beaucoup de savants hommes avant lui, et surtout le P. Simon, ont été de son sentiment; ils ont dit qu'il importait peu que Moïse lui-même eût écrit la Genèse et l'Exode, ou que des prêtres eussent recueilli, dans des temps postérieurs, les traditions que Moïse avait laissées. Il suffit qu'on croie en ces livres avec une foi humble et soumise, sans qu'on sache précisément quel est l'auteur à qui Dieu seul les a visiblement inspirés pour confondre la raison.

Les adversaires du grand homme dont nous prenons ici la défense disent << qu'il est aussi bien prouvé que Moïse est l'auteur du Penta« teuque, qu'il l'est qu'Homère a fait l'Iliade. » Ils permettront qu'on leur réponde que la comparaison n'est pas juste. Homère ne cite dans l'Iliade aucun fait qui se soit passé longtemps après lui. Homère ne donne point à des villes, à des provinces, des noms qu'elles n'avaient pas de son temps. Il est donc clair que si on ne s'attachait qu'aux règles de la critique profane, on serait en droit de présumer qu'Homère est l'auteur de l'Iliade, et non pas que Moïse est l'auteur du Pentateuque. La soumission seule à la religion tranche toutes ces difficultés; et je ne vois pas pourquoi milord Bolingbroke, soumis à cette religion comme un autre, a été si vivement attaqué.

On affecte de le plaindre de n'avoir point lu Abbadie. A qui fait-on ce reproche? A un homme qui avait presque tout lu; à un homme qui le cite. Il méprisait beaucoup Abbadie, j'en conviens; et j'avouerai qu'Abbadie n'était pas un génie à mettre en parallèle avec le vicomte de Bolingbroke. Il défend quelquefois la vérité avec les armes du mensonge; il a eu sur la Trinité des sentiments que nous avons jugés erronés, et enfin il est mort en démence à Dublin.

On reproche au lord Bolingbroke de n'avoir point lu le livre de l'abbé Houteville, intitulé: La vérité de la Religion chrétienne prouvée par les faits. Nous avons connu l'abbé Houteville. Il vécut longtemps chez un fermier général qui avait un fort joli sérail; il fut en

1. Page 94 du tome Ier de ses Lettres; à Londres, chez Milier.

suite secrétaire de ce fameux cardinal Dubois, qui ne voulut jamais recevoir les sacrements à la mort, et dont la vie a été publique. Il dédia son livre au cardinal d'Auvergne, abbé de Cluni, propter Clunes. On rit beaucoup à Paris, où j'étais alors (en 1722), et du livre et de la dédicace; et on sait que les objections qui sont dans ce livre, contre la religion chrétienne, étant malheureusement beaucoup plus fortes que les réponses, ont fait une impression funeste, dont nous voyons tous les jours les effets avec douleur.

Milord Bolingbroke avance que depuis longtemps le christianisme tombe en décadence. Ses adversaires ne l'avouent-ils pas aussi ? ne s'en plaignent-ils pas tous les jours? Nous prendrons ici la liberté de leur dire, pour le bien de la cause commune, et pour le leur propre, que ce ne sera jamais par des invectives, par des manières de parler méprisantes, jointes à de très-mauvaises raisons, qu'on ramènera l'esprit de ceux qui ont le malheur d'être incrédules. Les injures révoltent tout le monde, et ne persuadent personne. On fait trop légèrement des reproches de débauche et de mauvaise conduite à des philosophes qu'on devrait seulement plaindre de s'être égarés dans leurs opinions. Par exemple les adversaires de milord Bolingbroke le traitent de débauché, parce qu'il communique à milord Cornsbury ses pensées sur l'histoire.

On ne voit pas quel rapport cette accusation peut avoir avec son livre. Un homme qui du fond d'un sérail écrirait en faveur du concubinage, un usurier qui ferait un livre en faveur de l'usure, un Apicius qui écrirait sur la bonne chère, un tyran ou un rebelle qui écrirait contre les lois; de pareils hommes mériteraient sans doute qu'on accusât leurs mœurs d'avoir dicté leurs écrits. Mais un homme d'État tel que milord Bolingbroke, vivant dans une retraite philosophique, et faisant servir son immense littérature à cultiver l'esprit d'un seigneur digne d'être instruit par lui, ne méritait certainement pas que des hommes qui doivent se piquer de décence imputassent à ses débauches passées des ouvrages qui n'étaient que le fruit d'une raison éclairée par des études profondes.

Dans quel cas est-il permis de reprocher à un homme les désordres de sa vie? C'est dans ce seul cas-ci peut-être, quand ses mœurs démentent ce qu'il enseigne. On aurait pu comparer les sermons d'un fameux prédicateur de notre temps avec les vols qu'il avait faits à milord Galloway', et avec ses intrigues galantes. On aurait pu comparer les sermons du célèbre curé des Invalides 2, et de Fantin, curé de Versailles, avec les procès qu'on leur fit pour avoir séduit et volé leurs pénitentes. On aurait pu comparer les mœurs de tant de papes et d'évêques avec la religion qu'ils soutenaient par le fer et par le feu; on aurait pu mettre d'un côté leurs rapines, leurs bâtards, leurs assassinats, et de l'autre leurs bulles et leurs mandements. C'est dans de pareilles

1. Milord Galloway, autrefois comte de Ruvigny, était né Français, et devint pair d'Angleterre. (ED.)

2. Il s'appelait La Chetardie. (ÉD.)

occasions qu'on est excusable de manquer à la charité, qui nous ordonne de cacher les fautes de nos frères. Mais qui a dit au détracteur de milord Bolingbroke qu'il aimait le vin et les filles? Et quand il les aurait aimées, quand il aurait eu autant de concubines que David, que Salomon, ou le Grand-Turc, en connaîtrait-on davantage le véritable auteur du Pentateuque?

Nous convenons qu'il n'y a que trop de déistes. Nous gémissons de voir que l'Europe en est remplie. Ils sont dans la magistrature, dans les armées, dans l'Eglise, auprès du trône et sur le trône même. La littérature en est surtout inondée; les académies en sont pleines. Peuton dire que ce soit l'esprit de débauche, de licence, d'abandonnement à leurs passions qui les réunit? Oserons-nous parler d'eux avec un mépris affecté ? Si on les méprisait tant, on écrirait contre eux avec moins de fiel; mais nous craignons beaucoup que ce fiel qui est trop réel, et ces airs de mépris qui sont si faux, ne fassent un effet tout contraire à celui qu'un zèle doux et charitable, soutenu d'une doctrine saine et d'une vraie philosophie, pourrait produire.

Pourquoi traiterons-nous plus durement les déistes, qui ne sont point idolâtres, que les papistes, à qui nous avons tant reproché l'idolâtrie? On sifflerait un jésuite qui dirait aujourd'hui que c'est le libertinage qui fait des protestants. On rirait d'un protestant qui dirait que c'est la dépravation des mœurs qui fait aller à la messe. De quel droit pouvons-nous donc dire à des philosophes adorateurs d'un dieu, qui ne vont ni à la messe ni au prêche, que ce sont des hommes perdus de vices?

Il arrive quelquefois que l'on ose attaquer avec des invectives indécentes des personnes qui, à la vérité, sont assez malheureuses pour se tromper, mais dont la vie pourrait servir d'exemple à ceux qui les attaquent. On a vu des journalistes qui ont même porté l'impudence jusqu'à désigner injurieusement les personnes les plus respectables de l'Europe et les plus puissantes. Il n'y a pas longtemps que, dans un papier public, un homme emporté par un zèle indiscret' ou par quelque autre motif, fit une étrange sortie sur ceux qui pensent « que de sages lois, la discipline militaire, un gouvernement équitable, et des exemples vertueux, peuvent suffire pour gouverner les hommes, en laissant à Dieu le soin de gouverner les consciences. >>

Un très-grand homme était désigné dans cet écrit périodique en termes bien peu mesurés. Il pouvait se venger comme homme; il pouvait punir comme prince; il répondit en philosophe : « Il faut que ces misérables soient bien persuadés de nos vertus, et surtout de notre indulgence, puisqu'ils nous outragent sans crainte avec tant de brutalité. »

Une telle réponse doit bien confondre l'auteur, quel qu'il soit, qui,

1. Il s'agit de Formey, qui, tome XI de la Nouvelle Bibliothèque germanique, page 78, dans un article sur les OEuvres de Zimmermann, avait fait une sortie indécente contre l'incrédulité et les incrédules. (Note de M. Beuchot.) 2. Le roi de Prusse Frédéric le Grand. (ED.)

en combattant pour la cause du christianisme, a employé des armes si odieuses. Nous conjurons nos frères de se faire aimer pour faire aimer notre religion.

Que peuvent penser en effet un prince appliqué, un magistrat chargé d'années, un philosophe qui aura passé ses jours dans son cabinet, en un mot tous ceux qui auront eu le malheur d'embrasser le déisme par les illusions d'une sagesse trompeuse, quand ils voient tant d'écrits où on les traite de cerveaux évaporés, de petits-maîtres, de gens à bons mots et à mauvaises mœurs? Prenons garde que le mépris et l'indignation que de pareils écrits leur inspirent ne les affermissent dans leurs sentiments.

Ajoutons un nouveau motif à ces considérations, c'est que cette foule de déistes qui couvre l'Europe est bien plus près de recevoir nos vérités que d'adopter les dogmes de la communion romaine. Ils avouent tous que notre religion est plus sensée que celle des papistes. Ne les éloignons donc pas, nous qui sommes les seuls capables de les ramener; ils adorent un dieu, et nous aussi; ils enseignent la vertu, et nous aussi. Ils veulent qu'on soit soumis aux puissances, qu'on traite tous les hommes comme des frères; nous pensons de même, nous partons des mêmes principes. Agissons donc avec eux comme des parents qui ont entre les mains les titres de la famille, et qui les montrent à ceux qui, descendus de la même origine, savent seulement qu'ils ont le même père, mais qui n'ont point les papiers de la maison,

Un déiste est un homme qui est de la religion d'Adam, de Sem, de Noé. Jusque-là il est d'accord avec nous. Disons-lui & Vous n'avez qu'un pas à faire de la religion de Noé aux préceptes donnés à Abraham. Après la religion d'Abraham, passez à celle de Moïse, à celle du Messie; et, quand vous aurez vu que la religion du Messie a été corrompue, vous choisirez entre Wiclef, Luther, Jean Hus, Calvin, Mélanchthon, Ecolampade, Zuingle, Storck, Parker, Servet, Socin, Fox, et d'autres réformateurs ainsi vous aurez un fil qui vous conduira dans ce grand labyrinthe depuis la création de la terre jusqu'à l'année 1752. » S'il nous répond qu'il a lu tous ces grands hommes, et qu'il aime mieux être de la religion de Socrate, de Platon, de Trajan, de Marc-Aurèle, de Cicéron, de Pline, etc., nous le plaindrons, nous prierons Dien qu'il l'illumine, et nous ne lui dirons point d'injures. Nous n'en disons point aux musulmans, aux disciples de Confucius. Nous n'en disons point aux Juifs mêmes, qui ont fait mourir notre dieu par le dernier supplice; au contraire, nous commerçons avec eux, nous leur accordons les plus grands priviléges. Nous n'avons donc aucune raison pour crier avec tant de fureur contre ceux qui adorent un dieu avec les musulmans, les Chinois, les Juifs, et nous, et qui ne reçoivent pas plus notre théologie que toutes ces nations ne la reçoivent.

Nous concevons bien qu'on ait poussé des cris terribles dans le temps que d'un côté on vendait les indulgences et les bénéfices, et que de l'autre on dépossédait des évêques, et qu'on forçait les portes des clottres. Le fiel coulait alors avec le sang; il s'agissait de conserver ou de

détruire des usurpations: mais nous ne voyons pas que ni milord Bolingbroke, ni milord Shaftesbury, ni l'illustre Pope, qui a immortalisé les principes de l'un et de l'autre, aient voulu toucher à la pension d'aucun ministre du saint Évangile. Jurieu fit bien ôter une pension à Bayle; mais jamais l'illustre Bayle ne songea à faire diminuer les appointements de Jurieu. Demeurons donc en repos. Prêchons une morale aussi pure que celle des philosophes, adorateurs d'un dieu, qui, d'accord avec nous dans ce grand principe, enseignent les mêmes vertus que nous, sur lesquelles personne ne dispute; mais qui n'enseignent pas les mêmes dogmes, sur lesquels on dispute depuis dix-sept cents ans, et sur lesquels on disputera encore.

AVERTISSEMENT

SUR LA

NOUVELLE HISTOIRE DE LOUIS XIV.

L'auteur du Siècle de Louis XIV prépare une nouvelle édition de cet ouvrage qui était la suite d'une histoire universelle depuis Charlemagne, de laquelle il a paru quelques fragments dans le Mercure et dans d'autres papiers publics. L'objet de ce travail était de joindre aux révolutions des empires celles des mœurs et de l'esprit humain, plutôt que de donner une suite d'époques et de dates sur lesquelles on a assez de secours. Toute la partie qui regarde les arts depuis Charlemagne, et celle de l'histoire publique depuis François Ier, ont été perdues'. Si quelqu'un est en possession de ce manuscrit encore imparfait, et qui ne peut guère servir qu'à son auteur, il est prié très-instamment de vouloir bien le lui remettre.

A l'égard du Siècle de Louis XIV, l'édition qu'on en a donnée à Berlin n'est qu'un essai qui ne peut être conduit à quelque perfection que par le secours des personnes instruites qui ont la bonté de communiquer leurs lumières à l'auteur. Il a déjà reçu beaucoup de remarques importantes tant de France que des pays étrangers. Le grand nombre de vérités dont cet essai est plein, et l'impartialité assez connue avec laquelle elles sont énoncées, semblent inviter les lecteurs à faire part à l'auteur des connaissances particulières qu'ils peuvent avoir. L'histoire du siècle de Louis XIV doit être en quelque façon l'ouvrage du public. On sent assez combien pénible et délicate est l'entreprise d'écrire l'histoire de son temps. Celui qui parle d'Alexandre n'a qu'à suivre tranquillement Quinte-Curce; mais ici il faut s'écarter de presque tous ceux qui ont composé l'histoire de Louis XIV; aucun d'eux n'a écrit à Paris; aucun n'a été à portée de consulter les courtisans, les

1. Un manuscrit donné par Voltaire à Frédéric avait été pris par les hussards autrichiens en 1745. (ED.)

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