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tr'ouvrir. Le moins ne se souffre pas après le plus. Font eau de toutes parts. Quelle plate expression! rend-elle l'idée de Virgile? L'onde ennemie est reçue dans les flancs entr'ouverts. Que ne traduisait-il mot à mot; il eût au moins donné une idée faible, mais vraie de Virgile:

Tantane vos generis tenuit fiducia vestri? (v. 136.)

Quelle confiance audacieuse votre naissance vous inspire? L'abbé Desfontaines dit: Race téméraire, qui vous inspire tant d'audace ?

Ce n'est pas là le sens de son auteur.

Hic fessas non vincula naves

Ulla tenent, unco non alligat anchora morsu. (172-73.)

« Dans cette rade, les vaisseaux n'ont besoin ni d'ancres ni de câbles. »

Premièrement, il n'est point ici question d'une rade; il s'agit d'un très-beau port que Virgile peint admirablement; et c'est même, comme on sait, le port de Naples, qu'il se plut à décrire sous le nom du port de Carthage.

Secondement, quelle platitude! n'ont besoin ni d'ancres ni de cables. Virgile dit dans son style, toujours figuré, animé, et métaphorique :

Les vaisseaux fatigués n'y sont retenus ni par des liens, ni par l'ancre recourbée qui mord l'arène.

Optata potiuntur Troes arena. (176.)

Les Troyens jouissent enfin du rivage.

Desfontaines dit : « Les Troyens descendirent avec empressement. » Suscepitque ignem foliis, atque arida circum

Nutrimenta dedit, rapuitque in fomite flammam. (179-80.)

:

Cela veut dire Il reçoit le feu, il lui donne des aliments arides qu'il enflamme.

Voilà des images nobles d'une chose ordinaire. Desfontaines dit : «Par le moyen de quelques feuilles sèches et d'autres matières combustibles, il alluma promptement du feu. » Est-ce là traduire? n'estce pas avilir et défigurer son original?

Le moment d'après, il fait dire à Enée : « Vous avez échappé à mille dangers.... c'est en triomphant de mille obstacles qu'il faut que nous abordions en Italie. »

Ces lâches et fastidieuses expressions, surtout de près, après mille dangers, mille obstacles, ne se rencontrent pas certainement dans le texte d'un auteur tel que Virgile.

Illi se prædæ accingunt. Desfontaines dit : « Ils apprêtent le gibier. Virgile s'est-il servi d'un mot aussi peu poétique dans sa langue, que le terme gibier l'est dans la nôtre?

Et jam finis erat, quum Jupiter, etc. « Jupiter, dit-il, pendant ce

temps-là, etc. » Virgile a-t-il rien mis qui réponde à cette plate façon de parler, pendant ce temps-là ?

Cette belle expression de populum late regem, que Virgile donne aux Romains, peuple-roi, est-ce la rendre que de traduire, Peuple triomphant? Que de fautes, que de faiblesse dans les deux premières pages! Qui voudrait examiner ainsi la traduction entière trouverait que nous n'avons pas même une froide copie de Virgile.

On en peut dire presque autant de la traduction que Dacier a faite des Odes d'Horace; elle est plus fidèle, à la vérité, dans le texte, plus savante et plus instructive dans les notes; mais elle manque de grâce. Elle n'a nulle imagination dans l'expression, et on y cherche en vain ce nombre et cette harmonie que la prose comporte, et qui est au moins une faible image de celle qui a tant de charmes dans la poésie. Je lisais un jour avec un homme de lettres, d'un goût très-fin et d'un esprit supérieur, cette ode d'Horace, où sont ces beaux vers que tout homme de lettres sait par cœur Auream quisquis mediocritatem. Il fut indigné, comme moi, de la manière dont Dacier traduit cet endroit charmant.

<< Ceux qui aiment la liberté plus précieuse que l'or, ils n'ont garde de se loger dans une méchante petite maison, ni aussi dans un palais qui excite l'envie. » Voici à peu près, me dit l'homme que je cite, comme j'aurais voulu traduire ces vers:

Heureuse médiocrité,

Préside à mes désirs, préside à ma fortune;
Ecarte loin de moi l'affreuse pauvreté,

Et d'un sort trop brillant la splendeur importune.

Il est certain qu'on ne devrait traduire les poëtes qu'en vers. Le contraire n'a été soutenu que par ceux qui, n'ayant pas ce talent, tâchaient de le décrier; vain et malheureux artifice d'un orgueil impuissant. J'avoue qu'il n'y a qu'un grand poëte qui soit capable d'un tel travail; et voilà ce que nous n'avons pas encore trouvé. Nous n'avons que quelques petits morceaux, épars çà et là dans des recueils; mais ces essais nous font voir au moins qu'avec du temps, de la peine, et du génie, on peut, parmi nous, traduire heureusement les poëtes en vers. Il faudrait avoir continuellement présente à l'esprit cette belle traduction que Boileau a faite d'un endroit d'Homère :

L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie.
Pluton sort de son trône; il pâlit, il s'écrie;
Il a peur que ce dieu, dans cet affreux séjour,

D'un coup de son trident ne fasse entrer le jour, etc.

Mais qu'il serait difficile de traduire ainsi tout Homère ! J'ai vu des traductions de quelques passages du poëme bizarre du Paradis perdu, de Milton. M. de Voltaire et M. de Racine le fils ont tous deux mis en vers une apostrophe de Satan au soleil. Je n'examine pas ici l'extraordinaire et le sauvage du fond; je m'en tiens uniquement aux beautés qu'une traduction en vers exige.

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M. Racine s'exprime ainsi :

Toi, dont le front brillant fait pâlir les étoiles,
Toi qui contrains la nuit à retirer ses voiles,
Triste image, à mes yeux, de celui qui t'a fait,
Que ta clarté m'afflige, et que mon cœur te hait!
Ta splendeur, ô soleil! rappelle à ma mémoire
Quel éclat fut le mien dans le temps de ma gloire;
Elevé dans le ciel, près de mon souverain,
Je m'y voyais comblé des bienfaits que sa main,
Sans jamais se lasser, versait en abondance.

Voici les vers de M. de Voltaire :

Toi, sur qui mon tyran prodigue ses bienfaits,
Soleil, astre de feu, jour heureux que je hais,
Jour qui fait mon supplice et dont mes yeux s'étonnent,
Toi qui sembles le dieu des cieux qui t'environnent,
Devant qui tout éclat disparaît et s'enfuit,
Qui fais pâlir le front des astres de la nuit;
Image du Très-Haut, qui régla ta carrière,
Hélas! j'eusse autrefois éclipsé ta lumière.
Sur la voûte des cieux élevé plus que toi,

Le trône où tu t'assieds s'abaissait devant moi.

Je suis tombé, l'orgueil m'a plongé dans l'abîme.

Il est aisé de voir pourquoi les vers cités les derniers sont au-dessus des autres : c'est qu'ils sont plus remplis d'enthousiasme, de chaleur, et de vie; qu'ils ont plus de nombre et de force; qu'en un mot, ils sont d'un poëte; et ils ont surtout le mérite d'être une traduction plus fidèle.

DU VRAI DANS LES OUVRAGES. - Boileau a dit, après les anciens (ép. IX, 43-44) :

Le vrai seul est aimable;

Il doit régner partout, et même dans la fable.

Il a été le premier à observer cette loi qu'il a donnée. Presque tous ses ouvrages respirent ce vrai; c'est-à-dire qu'ils sont une copie fidèle de la nature. Ce vrai doit se trouver dans l'historique, dans le moral, dans la fiction, dans les sentences, dans les descriptions, dans l'allégorie.

Mais Boileau s'est bien écarté de cette règle dans sa satire de l'Equivoque. Comment un homme d'un aussi grand sens que lui s'est-il avisé de faire de l'équivoque la cause de tous les maux de ce monde? N'est-il pas pitoyable de dire qu'Adam désobéit à Dieu par une équivoque? Voici le passage (sat. XII, 56-60):

N'est-ce pas toi, voyant le monde à peine éclos,
Qui, par l'éclat trompeur d'une funeste pomme,
Et tes mots ambigus, fis croire au premier homme

Qu'il allait, en goûtant de ce morceau fatal,

Comblé de tout savoir, à Dieu se rendre égal?

Voilà de bien mauvais vers; mais le faux qui y domine les rend plus mauvais encore.

Tu fus, comme serpent, dans l'arche conservée. (V. 78.) Cela est encore pis; l'équivoque avec les animaux, dans l'arche renfermée, comme serpent! Quelle expression, et quelle idée!

On ne reconnut plus qu'usurpateurs iniques. (V. 121.)

C'est avoir une terrible envie de rendre l'équivoque responsable de tout, que de dire qu'elle a fait les premiers tyrans. En un mot, rien n'est vrai dans cette satire. Aussi c'est sa plus mauvaise, de l'aveu des connaisseurs.

Racine est un homme admirable pour le vrai qui règne dans ses ouvrages. Il n'y a pas, je crois, d'exemple chez lui d'un personnage qui ait un sentiment faux, qui s'exprime d'une manière opposée à sa situation, si vous en exceptez Théramène, gouverneur d'Hippolyte, qui l'encourage ridiculement dans ses froides amours pour Aricie (acte I, SC. I):

Vous-même, où seriez-vous, vous qui la combattez,
Si toujours Antiope, à ses lois opposée,

D'une pudique ardeur n'eût brûlé pour Thésée?

Il est vrai physiquement qu'Hippolyte ne serait pas au monde sans sa mère mais il n'est pas dans le vrai des mœurs, dans le caractère d'un gouverneur sage, d'inspirer à son pupille de faire l'amour contre la défense de son père.

Les autres héros qu'il fait parler ne disent pas toujours des choses fortes et sublimes; mais ils en disent toujours de vraies; au contraire de Corneille, qui s'égare trop souvent dans un pompeux et vain étalage de déclamations ampoulées et frivoles. Il est si condamnable sur cet article que, si la plupart de ses pièces étaient nouvelles, je ne crois pas que les beautés en rachetassent les défauts, quelque grandes qu'elles puissent être.

C'est pécher contre le vrai, que de peindre Cinna comme un conjuré incertain, entraîné malgré lui dans la conspiration contre Auguste, et de faire ensuite conseiller à Auguste, par ce même Cinna, de garder l'empire pour avoir un prétexte de l'assassiner. Ce trait n'est pas conforme à son caractère. Il n'y a là rien de vrai. Corneille pèche contre cette loi dans des détails innombrables.

Molière est vrai dans tout ce qu'il dit. Tous les sentiments de la Henriade, de Zaïre, d'Alzire, de Brutus, portent un caractère de vérité sensible.

Il y a aussi une autre espèce de vrai qu'on recherche dans les ouvrages; c'est la conformité de ce que dit un auteur, avec son âge, son caractère, son état. Le public n'a jamais bien accueilli des vers tendres, pour une Iris en l'air, ni des ouvrages de morale faits par des

gens purement beaux esprits, auxquels il est égal de travailler sur des sujets de dévotion et de galanterie. Ces ouvrages sont presque toujours insipides, parce qu'ils ne sont point partis du cœur d'un homme pénétré. Ce vrai manque trop souvent aux ouvrages de Rousseau.

Et cherchez bien de Paris jusqu'à Rome,

Onc ne verrez sot qui soit honnête homme.

Cela n'est pas dans le vrai. Il y a des esprits extrêmement bornés qui ont beaucoup de vertu; et on ne pourra pas dire que Sylla, Marius, tous les chefs des guerres civiles, les Borgia, les Cromwell, et tant d'autres, fussent des imbéciles, des sots.

Nul n'est, en tout, si bien traité qu'un sot.

Il n'y a rien de si faux que cette maxime. Un sot est peu fêté; et les gens d'esprit, d'un bon caractère, sont l'âme de la société.

Vous êtes-vous, seigneur, imaginé,
Le cœur humain de près examiné,
En y portant le compas et l'équerre,
Que l'amitié par l'estime s'acquière?

Oui, sans doute; elle commence par l'estime; et c'est se moquer du monde, que de prétendre qu'un homme qui a des talents estimables n'ait pas une grande avance pour se faire des amis. Il faut que son caractère les mérite; mais l'estime prépare cette amitié. Il y a même quelque chose de révoltant à supposer que plus on est estimable, et moins on sera en état d'avoir l'amitié des honnêtes gens. Ce sentiment absurde est pernicieux; et, en général, il faut remarquer que tout ce qui n'est que paradoxe déplaît aux esprits bien faits.

Morosophie inventa l'art d'écrire......

Mille autres arts encor plus détestables
Furent le fruit de ses soins redoutables.

C'est outrager la vérité et le bon sens, que de venir nous dire que Morosophie, c'est-à-dire, en bon français, la Folie, a inventé un des arts les plus utiles aux hommes; et, quand on songe que c'est un écrivain qui dit cela, on ne peut s'empêcher de lever les épaules. Il y a cent exemples frappants de ces paradoxes faux et insoutenables dans Rousseau, qu'il faut lire avec une précaution extrême. En un mot, la principale règle pour lire les auteurs avec fruit, c'est d'examiner si ce qu'ils disent est vrai en général; s'il est vrai dans les occasions où ils le disent; s'il est vrai dans la bouche des personnages qu'on fait parler; car enfin la vérité est toujours la première beauté, et les autres doivent lui servir d'ornement. C'est la pierre de touche dans toutes les langues et dans tous les genres d'écrire.

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