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>>toire au-dessus de laquelle on ne peut rien placer; puis » l'élégance de la diction, mérite qui n'est pas à dédaigner, » vous viendra par surcroît. Dans ces amusements littéraires » le philosophe délassera son esprit comme le Scythe détend » son arc. Les songes peuvent aussi fournir aux rhéteurs » d'admirables textes pour leurs discours d'apparat. Je ne >> comprends guère quel intérêt ils trouvent à venir célé– »brer les vertus de Miltiade, de Cimon, ou même d'un >> personnage anonyme; à faire parler le riche et le pauvre >> luttant l'un contre l'autre à propos des affaires publiques. >> J'ai vu pourtant des vieillards se quereller à ce sujet sur le >> théâtre, et quels vieillards! Ils affichaient la gravité phi>>losophique, et laissaient pendre une barbe qui pouvait >> bien, j'imagine, peser plusieurs livres. Mais leur gravité »> ne les empêchait point de s'injurier, de s'emporter, de » soutenir, à grand renfort de gestes outrés, leurs longs >> discours. Je me figurais qu'ils plaidaient la cause de quel» que parent: mais quelle surprise quand j'appris plus tard » que les personnages qu'ils défendaient, loin d'être de leur >> famille, n'existaient même point, n'avaient jamais existé, >> et ne pouvaient exister! Où trouver en effet une répu»blique qui, pour récompenser les services d'un citoyen, » lui permît de tuer son ennemi (1)? Lorsqu'à l'âge de >> quatre-vingt-dix ans on vient encore disserter sur des >> inventions aussi pitoyables, à quelle époque de la vie >> ajourne-t-on les travaux et les discours sérieux? Mais ces >> gens-là ne savent donc pas le sens des mots ? Ils ignorent >> que déclamation veut dire exercice préparatoire; ils >> prennent les moyens pour la fin, la route pour le but » même qu'il faut atteindre. Disette de pensée, abondance » de mots, voilà ce qui caractérise ces gens toujours prêts à

(1) Un riche et un pauvre sont ennemis : le riche promet de fournir des aliments au peuple, si on l'autorise à tuer le pauvre cette permission lui est accordée. Mais le riche ne nourrit pas les fils du pauvre, qui meurent de faim: il est accusé. Voilà le sujet auquel Synésius fait allusion.

» parler, même quand ils n'ont rien à dire (P. 153–156). » A ces vaines parades, Synésius veut substituer des études plus graves. Sa critique est juste sans doute; mais luimême, lorsqu'il recommande d'écrire l'histoire des rêves, ne tombe-t-il pas dans le défaut qu'il reproche aux sophistes? Est-ce en se traînant sur d'aussi futiles sujets que l'éloquence et la philosophie peuvent se relever de l'abaissement dont il se plaint?

Il serait impossible de trouver dans le Traité des Songes la trace d'une seule idée chrétienne: l'auteur évidemment est encore attardé dans le paganisme. Le titre d'évêque qu'il porta plus tard semble cependant avoir fait illusion à quelques esprits. Au xive siècle, un moine grec, Nicéphore Grégoras (1), juge cet ouvrage comme un livre inspiré par une philosophie orthodoxe, et le commente longuement. C'est ainsi qu'il lui arrive de citer saint Paul à l'appui des imaginations de Synésius. Mais à part cette singularité, le commentaire de Nicéphore offre un secours précieux pour l'intelligence du texte, dont il éclaircit souvent les difficultés.

Nous avons recueilli aussi exactement que nous l'avons pu les doctrines de Synésius: les Hymnes, le Traité de la Providence et le Livre des Songes sont les ouvrages que nous avons dû surtout étudier. Toutefois, en dehors de ces écrits, il en est un que nous n'avons pas encore cité, assez court, il est vrai, et d'une importance très-secondaire; mais nous devons en dire au moins quelque chose. La lettre à Pæonius, sur le don d'un astrolabe, trouve sa place naturelle parmi les écrits philosophiques de notre auteur.

Voici à quelle occasion fut composée cette lettre. Pæonius était, vers 399, l'un des personnages les plus considérables de la cour de Constantinople. Synésius, pendant son ambassade, avait trouvé en lui un appui. Pour lui té

(1) C'est par erreur que le P. Pétau en fait un patriarche de Constantinople.

moigner sa reconnaissance, il lui envoya son astrolabe, ou planisphère, en argent, et à ce don il joignit une lettre. Nous ne saurions pas combien il s'était occupé d'astronomie, que cette lettre seule pourrait nous l'apprendre. Le planisphère, plus complet qu'aucun de ceux qui avaient été construits jusqu'alors, était de l'invention même de Synésins (P. 308, A); sur les indications qu'il avait données, d'habiles ouvriers l'avaient exécuté. Bailly, dans son Histoire de l'astronomie, signale ce perfectionnement; il ajoute qu'un ouvrage dans lequel Synésius décrivait cet astrolabe, est perdu. Mais c'est là une pure supposition: il n'y a point eu d'autre ouvrage que la lettre même, et l'erreur de Bailly est d'autant plus singulière qu'il avait cette lettre sous les yeux, qu'il l'a étudiée, et qu'elle lui a servi à donner de l'appareil une idée exacte: « Ce planisphère, dit-il, selon » les apparences, était fait en grand et suivant les règles de » la projection. Nous présumons que l'œil était placé au » pôle, de ce qu'on dit que les intervalles des étoiles voi» sines du pôle paraissaient plus grands que les autres. Dans » le planisphère d'Hipparque, si l'on se rapporte à un pas»sage de l'épître de Synésius, on s'était contenté de mar» quer les seize étoiles de la première grandeur, qui ser>> vaient à connaître l'heure la nuit; dans celui-ci, on avait » marqué jusqu'aux étoiles de la sixième grandeur. » Ces détails, que note Bailly, ne sont pas les seuls qu'il aurait pu relever.

Pour qu'un présent de cette nature pût lui être agréable, Pæonius devait se plaire aux travaux de l'esprit. Une communauté de goûts et d'études l'avait en effet rapproché de Synésius, qui le félicite d'avoir su, dans le métier des armes et dans l'administration des affaires, rester fidèle à la philosophie: alliance dont les derniers siècles, dit il, offrent trop rarement l'exemple, mais que l'on voyait réaliser par les sages des temps anciens. Charondas et Zaleucus donnaient des lois aux cités; Timée gouvernait sa patrie; Zénon délivrait ses

concitoyens; Xénophon ramenait de Perse dix mille Grecs; Dion affranchissait la Sicile de la tyrannie. Plus tard la politique a fait divorce avec la philosophie: il appartient à Pæonius de les unir de nouveau. La philosophie ne compte plus qu'un petit nombre de sincères adorateurs: beaucoup feignent de l'aimer qui ne songent qu'aux intérêts de leur vanité et de leur réputation: tels sont les sophistes qui recherchent les applaudissements et les couronnes de théâtre. Mais Pæonius professe pour la sagesse un véritable amour; voilà pourquoi un planisphère sera pour lui un don précieux : « Je veux, dit Synésius, favoriser les penchants que je vois >> en vous pour l'astronomie, et par là vous élever plus haut: >> l'astronomie est déjà par elle-même une noble science, et › elle mène à une science plus divine encore. Je la consi» dère comme la préparation aux mystères de la théologie: » elle a pour objet le ciel, dont les révolutions semblent à » d'illustres philosophes une imitation des mouvements de » l'âme; elle procède par démonstrations, et elle s'appuie » sur la géométrie et l'arithmétique que l'on peut regarder » comme la règle infaillible de la vérité. » (P. 307, C.)

Présenter les études mathématiques comme la plus sûre initiation à la philosophie, est une idée empruntée aux écoles de Pythagore et de Platon. Les doctrines de Synésius ne sont guère que des souvenirs de ses lectures: cette remarque que nous avons dû faire souvent peut servir de conclusion à cette partie de notre travail. Si notre analyse a été fidèle, ne sommes-nous pas en droit d'affirmer que notre auteur ne se distingue pas de son époque par lensemble de ses idées Dieu posé comme l'unité immobile; au-dessous de Dieu des séries de divinités et de démons; les deux principes du bien et du mal se disputant le monde; l'unification avec Dieu assignée à l'homme comme le but suprême de ses efforts et la perfection par excellence: ces idées, qui avaient cours dans les écoles, ont été acceptées et reproduites par Synésius; elles sont le fond même de sa philosophie.

CHAPITRE VI.

SYNÉSIUS ET LES SOPHISTES.

Lutte de Synésius contre les sophistes. Il compose, pour se justifier et confondre ses adversaires, le Dion ou Traité de sa vie. - Lui-même cependant il écrit, à la manière des sophistes, le Traité de la Calvitie.

Des mérites réels comme écrivain distinguaient Synésius de la plupart des littérateurs, ses contemporains. Incontestablement supérieur aux beaux esprits de Constantinople et d'Alexandrie, il est cependant de leur école; il porte la fâcheuse empreinte de son époque. Nous avons eu plus d'une fois l'occasion de le remarquer, il y a du sophiste dans son talent. Comment se fait-il donc qu'il accable si souvent les sophistes de ses railleries et de ses colères? Il tourne en ridicule leur démarche, leurs paroles, leur habillement; il s'indigne de leurs vaniteuses prétentions. Mais cette contradiction apparente s'explique assez naturellement. Des différences de mœurs et de conduite, plutôt que des oppositions de principes et de doctrines, séparaient Synésius des sophistes. Homme de vie élégante, indépendant par fortune et par caractère, il aimait le plaisir; toutes les jouissances que la vertu n'interdit point et que la richesse peut donner, il les accueillait, il les recherchait volontiers. Il se faisait des travaux de l'esprit moins une occupation qu'un délassement. Sans être insensible à la réputation que pouvaient lui rapporter ses œuvres, il ne poursuivait point le

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