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L'absence du mal, voilà donc à quoi se réduit le rôle tout négatif de la vertu. L'activité humaine est frappée de stérilité à l'intelligence seule est réservée la production du bien. Entre les vertus (car Synésius adopte la division établie par la plupart des anciens philosophes), celles qui se rapportent à l'intelligence sont les plus nobles, et l'emportent sur toutes les autres : ainsi la prudence doit être placée au premier rang. Mais toutes ensemble elles ne sont pour ainsi dire que l'alphabet de la sagesse savoir ses lettres, c'est le fait d'un écolier qui commence; mais cela ne suffit point pour lire couramment dans le livre (1).

Ces théories prouvent assez que Synésius était encore loin de la foi chrétienne. Bien au-dessus de la science, en effet, le christianisme a placé la charité. Le Dieu de l'Évangile se révèle d'ailleurs plus sûrement aux enfants et aux humbles de cœur qu'aux sages enflés de leurs vaines connaissances (2). Le christianisme aurait sans doute préservé Synésius de ces erreurs; mais il pouvait encore les éviter, à l'aide des seules lumières de la raison. Quatre siècles plus tôt, la philosophie, unie à un admirable bon sens pratique, avait mieux inspiré Cicéron. Dans son livre des Devoirs, l'illustre Romain, dont la vie tout entière avait été consacrée au service de ses concitoyens et de l'État, proclamait la supériorité de l'action sur la spéculation : « Il serait » contre le devoir, écrivait-il, de négliger les affaires pour » les études, car le prix de la vertu est principalement dans » l'action.... Si tout l'univers n'est qu'une famille, comme » on n'en saurait douter, par une suite nécessaire, le de» voir qui tend au maintien de cette société est le premier » de tous; car la contemplation, la connaissance de la na» ture, est, en quelque manière, imparfaite et insuffisante,

(1) Dion, p. 50.

(2) Confiteor tibi, Pater Domine cœli et terræ, quia abscondisti hæc a sapientibus et prudentibus, et revelasti ea parvulis. Saint Matthieu, XI, 25.

» si elle n'est suivie d'aucune action. Or cette action con>> siste principalement à être utile aux hommes. La justice » appartient donc plus spécialement à la société du genre >> humain, et on doit, pour cette raison, la préférer à la pru» dence..... Une conduite sage devant être le résultat de » toute science et de toute prudence, il en résulte que de >> bien faire vaut mieux que de bien penser (1). »

Nous avons vu plus haut que Synésius dit que l'objet de la vertu est de purger l'âme; il ne faut pas voir dans cette expression une métaphore. Comme la matière est le principe du mal, dans le mal il y a toujours quelque chose de matériel; le vie est une véritable souillure qui, en se déposant sur l'âme, la matérialise et l'épaissit. Dans cet état, l'âme est comme une étoffe couverte de taches, qu'il faut livrer au foulon si l'on veut lui rendre sa première blancheur. De là, pour le coupable, la nécessité d'une expiation corporelle; le châtiment, et le châtiment seul, lave toutes les fautes: théorie dont nous avons déjà montré ailleurs la fausseté (2).

(1) Les Devoirs (traduction de M. Victor Le Clerc). L. I, ch. 6, 43, 44, 45. (2) Voyez p. 89.

CHAPITRE V.

PHILOSOPHIE DE SYNÉSIUS (SUITE).

Traité des Songes.

De l'imagination. - Légitimité de la divination.
De la divination par les songes.

Lettre à Pæonius sur le don d'un astrolabe.

Si l'âme peut, à certains instants, et par un effort su turel, remonter vers la source de toute vérité, dans son ordinaire elle ne connaît guère cependant que les ol contingents. Et de quelle manière les connaît-elle ? Ici 1 rencontrons une théorie développée dans le Traité des ges, livre curieux, sur lequel nous devons nous arrêter qui contient à peu près toute la psychologie de Synésius

L'intelligence renferme en soi les images des choses sont réellement, c'est-à-dire des intelligibles, et l'âme images des choses qui naissent (1). Mais ces dernières images doivent être en quelque sorte réfléchies dans l'imagination comme dans un miroir. L'intelligence communique avec l'âme par l'intermédiaire de la raison; l'intermédiaire entre l'âme et l'animal, c'est l'imagination: elle est le sens par excellence. Mais ce sens ne se produit pas au dehors; il a son siége dans la tête, d'où il domine l'animal. L'ouïe,

(1) Νοῦς μὲν γὰρ ἔχει τὰ εἴδη τῶν ὄντων, ἀρχαία φιλοσοφία φησί · προσθείημεν δ ̓ ἂν ἡμεῖς ὅτι καὶ τῶν γινομένων ψυχή. Songes, 134, Α.

la vue, le toucher, sont ses auxiliaires : ce ne sont point de véritables sens, mais plutôt de simples organes à l'aide desquels l'imagination communique avec les objets extérieurs. Synésius compare ces organes aux rayons qui aboutissent tous à un même centre: les rayons peuvent-ils se concevoir sans un centre duquel ils dépendent? Admettre le témoignage des sens et rejeter celui de l'imagination, c'est se contredire; c'est oublier que les sens nous trompent parfois. Ils ont leurs causes d'erreur, de même que l'imagination a ses maladies qui la troublent et ne laissent point arriver jusqu'à elle de visions claires (P. 134-136).

L'imagination nous apparaît donc avec un double caractère : elle est tout à la fois matérielle, puisque son action s'exerce par le moyen d'organes physiques, et divine, puisqu'elle communique directement avec l'âme. Déterminer exactement sa nature, c'est une entreprise difficile. Placée entre la matière et l'esprit, elle est le moyen terme qui unit les deux opposés; elle emprunte quelque chose à tous les deux. Toutefois elle peut tenir plus de l'un ou de l'autre, selon qu'elle s'est plus ou moins purifiée. Tandis que le corps, cette enveloppe grossière et terrestre, est toujours asservi aux lois de la matière, et ne peut s'élever à une condition meilleure, l'imagination est soumise à la direction de l'âme, et lui devient semblable. Elle lui sert de char: quand l'âme en effet descend des sphères célestes dans le monde, elle s'empare de l'imagination pour accomplir son voyage. Inséparables ici-bas l'une de l'autre, et dans une sorte de dépendance mutuelle, elles s'élèvent ou s'abaissent ensemble. Si l'âme est exempte de passions et de vices, elle communique alors quelque chose de sa pureté à l'imagination, qui se spiritualise, pour ainsi dire; mais si l'âme contracte quelque souillure, l'imagination prend le dessus; elle s'épaissit, car tout ce qu'il y a de matériel dans sa nature s'étend et s'accroît. En un mot, dans ce commerce intime il faut que l'âme emporte avec elle l'imagination vers

les régions supérieures, ou que l'imagination entraîne l'âme vers la terre. Le vice les appesantit, la vertu les rend légères; et c'est ce qu'avaient déjà compris Héraclite et les autres philosophes qui parlent de l'âme sèche et des ailes de l'âme. Douée de chaleur et de sécheresse, l'âme monte vers le ciel ; au contraire, surchargée d'humidité, elle tombe dans les lieux bas et malsains, séjour des esprits mauvais. Alors elle se plonge dans l'ivresse des voluptés grossières; et, ce qui est le comble du mal, elle ne sent plus son mal et n'essaye point de s'en guérir. Car quiconque se sent malade cherche au moins des remèdes la souffrance est salutaire. Heureuse donc est l'âme quand les douleurs viennent l'avertir et la corriger; les calamités l'aident à rompre avec les vils objets auxquels elle restait attachée. Les terrestres félicités sont un piége que les démons tendent à l'âme; elle s'y laisse prendre; car, à son entrée dans la vie, les douceurs de l'existence sont comme le breuvage qui lui fait oublier sa véritable destinée. Esclave des trompeurs attraits de la matière, elle ressemble à ces insensés qui acceptent la servitude pour vivre avec l'objet qu'ils aiment. Une fois qu'elle s'est laissé enchaîner, il lui est difficile de briser ses entraves; pour sortir de captivité, il lui faut beaucoup de courage et d'énergie; car alors toutes les forces de la matière viennent fondre sur la rebelle pour l'accabler et la punir; elle doit livrer de rudes combats, et c'est là sans doute le sens caché dans l'histoire des travaux d'Hercule. Si l'âme retombe après de vains efforts pour franchir les murs de sa prison, la matière se venge de ces inutiles tentatives par de rigoureux châtiments: ce n'est plus alors cette vie dont parle Homère, mélangée du bien et du mal qui sortent des deux tonneaux placés près de Jupiter; l'existence n'est plus qu'une longue suite de peines (P. 137-139).

Dans sa chute, l'âme peut descendre jusqu'aux demeures entièrement obscures; mais quand elle monte, comme il serait honteux pour elle de ne pas reporter aux globes céles

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