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surer notre bonheur: sachons d'abord nous aider. La Providence n'est point comme une nourrice qui accourt aux cris de l'enfant nouveau-né, et veille, inquiète, autour du berceau ; elle ressemble plutôt à la mère qui arme pour le combat son fils adolescent, et l'envoie braver les dangers.

« Voilà les vérités qu'il faut méditer sans cesse,» ajoute Synésius. Mais cette théorie de la Providence, telle qu'il la conçoit, peut-elle nous satisfaire? L'action divine, dans ce système, n'est-elle pas trop réduite? Sans doute il ne faut pas que l'homme, par un excès de confiance dans la protection de Dieu, s'abandonne lui-même et déserte sa propre cause aide-toi, le ciel t'aidera. Mais ces réserves faites, pourquoi ne pas reconnaître, dans les affaires humaines, le concours constant, quoique souvent caché, de la Providence? Pourquoi ne point lui faire sa part, et la plus grande, dans les événements? Que l'homme trouve dans son énergie personnelle des ressources précieuses pour agir sur sa destinée, c'est une vérité qu'il ne faut pas lui laisser oublier, afin d'ôter tout prétexte, toute excuse à son inertie et à ses lâchetés: mais affirmer qu'il peut seul, à l'aide de son courage et de sa prudence, triompher de tous les obstacles, c'est tomber dans une évidente exagération. S'il en était ainsi, le vaincu serait toujours coupable de sa défaite; et cependant la conscience nous dit qu'il y a des revers glorieux :

Disce, puer, virtutem ex me verumque laborem,
Fortunam ex aliis.
(Énéid. XII, 435.)

C'est le cri d'un héros qui, trahi par la fortune, se sent supérieur à sa destinée (1).

Les erreurs de Synésius dérivent d'une fausse notion mé

(1)

Faites votre devoir et laissez faire aux dieux.

Ce vers, souvent applaudi, mis par Corneille dans la bouche du vieil Horace, exprime admirablement ce sentiment de résignation active et courageuse, qui doit être si fréquemment la règle de notre vie.

taphysique. Son Dieu, c'est le Dieu des Alexandrins, l'Unité absolue, immobile, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus contraire à l'idée de la Providence. Pour combler l'intervalle qui sépare Dieu du monde, il a fallu admettre toute cette série de divinités intermédiaires, dont les moins élevées s'occupent seules du monde : encore ne s'en occupent-elles qu'à regret, et à certaines heures. Synésius ne garde de la Providence que juste ce qu'il en faut pour préserver le monde 'd'une ruine complète; elle n'apparaît qu'au moment de la crise, pour débrouiller le drame, comme dans une pièce de théâtre :

Nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus.

Voyez d'ailleurs quel singulier rôle joue la Providence. La vraie philosophie, si nous l'interrogeons, nous répond qu'il a suffi à Dieu d'ordonner une fois le monde d'après des lois immuables; et que si ces lois, établies par lui, pouvaient jamais cesser d'exister, ce ne serait que par un acte de sa volonté. Mais le principe dualiste, posé par Synésius, produit des conséquences toutes différentes. Les bons et les mauvais esprits se disputent la terre, qui subit tour à tour les influences les plus opposées. Comme un artisan dont l'œuvre incomplète a toujours besoin d'être retouchée, Dieu ne produit qu'un ordre éphémére; dès que sa main se retire des rouages, la machine vacille et se disloque; la Divinité est condamnée à rajuster sans cesse des ressorts qui vont encore se déranger.

Cette Providence accidentelle, intermittente, avec ses langueurs et ses impuissances, n'est point du tout celle que nous concevons. En voyant le crime prospérer et la vertu souffrir, T'homme tressaille étonné, et se demande si de tels spectacles ne sont pas en contradiction avec l idée d'un gouvernement divin. Synésius, je m'imagine, dut éprouver

:

quelque impression de cette nature en assistant au triomphe de Gaïnas et au bannissement d'Aurélien il continua cependant de croire en la Providence; mais pour s'expliquer comment elle restait inactive, il admit qu'elle ne devait se manifester que par de rares apparitions. Or limiter dans le temps l'action providentielle, n'est-ce pas en réalité la supprimer? Une raison supérieure aurait appris à Synésius que si les voies de Dieu nous échappent, que si la Providence ne se révèle pas toujours clairement à nos regards troublés, elle ne s'en exerce pas moins sûrement : tantôt elle se cache, tantôt elle éclate; mais jamais il n'y a d'interruption dans son œuvre. Peu d'années avant l'époque où le chef des Goths opprimait Constantinople, un autre barbare, à force de ruses et de violences, avait établi sa fortune dans l'empire : témoin de la scandaleuse élévation de Rufin, Claudien indigné se demandait s'il existe des dieux; et pour raffermir sa religion ébranlée, il fallait que le supplice de l'odieux ministre vint absoudre le ciel :

Abstulit hunc tandem Rufini pœna tumultum,
Absolvitque Deos.

Au fond le doute de Claudien est plus respectueux pour la Divinité que la foi de Synésius : le poëte veut un Dieu vraiment digne de nos hommages, et dans lequel nous puissions placer notre confiance, comme dans l'auteur de tout bien. Mais qu'est-ce que ce Dieu incomplet, mutilé, pour ainsi dire, que nous présente le philosophe? Et l'esprit peut-il se reposer dans l'idée d'une demi-Providence?

Nous avons exposé l'ensemble des croyances de Synésius sur la Divinité : sa théodicée nous est suffisamment connue. Mais si nous redescendons du ciel sur la terre, si nous abaissons notre pensée sur nous-mêmes, qu'est-ce que notre âme? Quelle est notre nature et notre fin? Questions capi

tales, car de la solution qu'elles doivent recevoir dépend la règle morale de la vie.

L'idée d'une âme universelle, idée admise, comme nous l'avons vu, par Synésius, n'était point nouvelle dans les écoles. Énoncé surtout par les stoïciens, ce dogme avait conquis depuis longtemps la plupart des esprits élevés du paganisme; à Rome, Virgile l'avait exposé en vers magnifiques, comme l'expression la plus haute des croyances philosophiques de son époque :

Principio, cœlum ac terras, camposque liquentes,
Lucentemque globum Lunæ, Titaniaque astra
Spiritus intus alit; totamque infusa per artus
Mens agitat molem et magno se corpore miscet.
Inde hominum pecudumque genus, vitæque volantum,
Et quæ marmoreo fert monstra sub æquore pontus.
Igneus est ollis vigor, et cœlestis origo

Seminibus, quantum non noxia corpora tardant,
Terrenique hebetant artus, moribundaque membra.
(Énéid. V1.)

Une parcelle échappée de cette âme et tombant dans la matière, voilà l'âme humaine. Avant d'habiter ce corps où elle est captive, elle vivait d'une autre vie (1). Tout ce qu'il y a de noble et d'élevé dans notre nature, c'est à cette céleste origine que nous le devons; c'est l'âme universelle • qui nous inspire quand nous pensons bien; c'est elle qui » nous reprend quand nous pensons mal. Nous ne tenons » pas moins d'elle la raison que la vie. Elle est comme un ⚫ grand océan de lumière : nos esprits sont comme de pe> tits ruisseaux qui en sortent, et qui y retournent pour s'y

(1) « Je ne pourrai jamais admettre que l'âme ait une origine postérieure à celle du corps. » Αμέλει τὴν ψυχὴν οὐκ ἀξιώσω ποτὲ σώματος ὑστερογενῆ voμletv. L. CV, P. 249. B. Au moment où on le pressait d'entrer dans l'épiscopat, Synésius, pour expliquer son refus, allègue sa croyance à une existence antérieure des âmes.

» perdre (Fénelon, Télémaque. L. IV). » Ce qui est notre principe est donc aussi notre fin. Mais ce n'est pas sans peine que la goutte remonte à sa source: notre vie ici-bas n'est qu'une longue lutte. Souvent l'âme tombe sous le joug des passions terrestres; esclave, elle s'affaisse chaque jour davantage vers la matière. D'autres fois, se souvenant de son origine, elle cherche à briser ses chaînes corporelles; heureuse quand elle peut, d'un élan puissant, remonter jusqu'à Dieu (1).

Une des conséquences de cette doctrine, c'est que l'âme, immortelle dans son principe (2), n'a cependant, comme substance distincte du grand Tout, qu'une existence transitoire. Si elle doit se confondre avec l'Ame du monde, la personnalité humaine disparaît (3); l'homme n'est plus qu'un phénomène qui passe, c'est-à-dire qu'il n'est plus rien. Tout autre est le dogme chrétien : s'il ne reconnaît point à l'âme le privilége d'être une portion de l'Intelligence universelle, s'il lui assigne une origine plus modeste, du moins il enseigne que cette âme, une fois produite, ne cessera plus d'être, qu'elle gardera toujours un état qui lui sera propre : l'homme persiste, comme individu, par delà les siècles; il durera autant que Dieu lui-même : l'Étre suprême, si grand qu'il soit, n'absorbe en lui aucune des existences humaines.

Dans le système adopté par Synésius, il n'y a plus de place pour les peines et les récompenses d'une autre vie.

(1) Hymne I, 93–134. III, 558-568, 708. IV, 711-719. V, 47.passim.

Songes,

(2) Dans la Lettre IV, P. 164, C, Synésius, faisant allusion à un vers d'Homère, parle d'âmes qui périssent dans les flots. Mais tout le passage indique qu'il ne faut voir dans ces mots qu'une plaisanterie.

(3) Dans cet ordre d'idées la résurrection ne se comprend plus : aussi ce dogme est-il un de ceux auxquels Synésius, près d'entrer dans l'Église, refusait de se soumettre. Τὴν καθωμιλημένην ἀνάστασιν ἱερόν τι καὶ ἀποῤῥητον ἤγημαι, καὶ πολλοῦ δέω ταῖς τοῦ πλήθους ὑπολήψεσιν ὁμολογῆσαι. L. CV, P. 249, B.

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