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tin, Porphyre, Jamblique, avaient d'habiles interprètes; on méditait leurs idées; leurs ouvrages étaient lus, expliqués, commentés dans des chaires publiques Mais de tous les maîtres qui enseignaient le néoplatonisme, nul n'était aussi célèbre qu'une femme, Hypatie. Elle exerça sur l'esprit de Syné ius une grande influence, qu'il est facile de comprendre, comme nous allons le voir.

Fille de Théon d'Alexandrie, célèbre mathématicien, Hypatie eut pour premier maître son père. Douée d'une rare intelligence, à l'âge où, d'ordinaire, on aborde à peine les sérieuses études, elle avait déjà approfondi les mathématiques et la philosophie. Dans le déclin des mœurs païennes, la femme, depuis longtemps, avait cessé de se renfermer dans l'intérieur du gynécée à l'exemple d'Asclépigénie, dont elle avait sans doute été la disciple à Athènes, avant de devenir son émule, Hypatie monta dans la chaire du professeur. Bientôt de nombreux auditeurs se pressèrent aux leçons de cette jeune fille, vêtue du manteau de philcsophe. Elle éclipsa les maîtres les plus savants; elle ne pouvait sortir qu'environnée d'une foule d'admirateurs qui lui faisaient cortége. Plus d'une fois elle dut s'arrêter sur la place publique pour expliquer Platon et Aristote. Sa beauté, sa science, le charme de sa parole, tout en elle justifiait ce titre de Muse que lui décerna souvent l'enthousiasme de ses contemporains. Les grâces de sa personne durent sans doute ajouter beaucoup aux séductions de son éloquence: comment ne point aimer la sagesse

se placer sa visite à Athènes; car dans une lettre écrite d'Attique à son frère il parle d'Hypatie en homme qui la connaît (L. CXXXVI–135); d'un autre côté, on ne peut guère reculer ce voyage après son ambassade : car à dater de 397, on connait assez exactement les circonstances de sa vie, et on ne voit pas en quelle année il aurait été en Grèce. D'ailleurs n'est-il pas naturel de croire qu'il dut se rendre dans les écoles d'Athènes peu de temps après avoir quitté celles d'Alexandrie, pour comparer les deux enseignements ?

sortie d'une telle bouche? A l'admiration que faisait naître Hypatie, se joignit souvent un sentiment plus tendre; elle l'inspira, mais sans l'éprouver jamais. En renonçant à cette existence obscure et modeste qui sied si bien à la femme, elle n'avait pas voulu garder les passions de son sexe; elle s'était retirée tout entière dans les choses de l'esprit. Nul soupçon contre la pureté de sa vie ne se mêla à ce concert d applaudissements qui s'élevait vers elle d'une foule ardente et enivrée. Elle se maria, mais sans se donner jamais, dit-on, à son époux; la femme resta vierge la jeune néoplatonicienne n'avait voulu voir dans le mariage qu'une union des intelligences.

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Hypatie enseigna longtemps. Elle devint une puissance dans Alexandrie: on invoquait son crédit; les magistrats la consultaient sur les affaires publiques. Mais cette autorité causa sa perte. Le préfet d'Égypte, Oreste, qui passait pour se conduire d'après ses conseils, eut des démêlés avec le patriarche Cyrille. Le peuple souffrait de cette mésintelligence: il accusa Hypatie, contre laquelle l'indisposait d'ailleurs la passion religieuse. A quelque idée qu'elle obéisse, si pures que soient les doctrines au nom desquelles elle prétend agir, la populace est la même dans tous les pays et dans tous les temps. Au mois de Mars 415, une bande de furieux, excités par un lecteur chrétien nommé Pierre, arracha Hypatie de son char, tandis qu'elle se rendait à son école. On l'entraîna dans l'église Césarée: dépouillée de ses vêtements, elle fut tuée avec des débris de vases et mise en pièces. Ses membres déchirés furent traînés dans les rues, et livrés enfin aux flammes sur la place Cinaron. Cyrille ne put que verser des larmes sur ce crime affreux qui déshonorait son église.

Telle fut la fin de cette femme dont l'enseignement avait jeté tant d'éclat. Elle était jeune encore quand Synésius vint écouter ses leçons : l'impression qu'elle fit sur lui fut profonde et durable. Plus tard, rentré dans la Cyrénaïque, il

se félicite avec un de ses amis d'avoir connu ce prodige : « Ho» mère, écrivait-il, dit, pour célébrer Ulysse, qu'il apprit beau» coup dans ses longs voyages, et connut les mœurs et les vil>> les d'un grand nombre d'hommes; mais c'étaient des Lestri» gons et des Cyclopes, peuplades sauvages: comment aurait-il >> donc chanté notre voyage, nous à qui il a été donné de véri>> fier des merveilles dont le récit nous paraissait incroyable? » Nous avons vu, nous avons entendu celle qui préside aux » mystères sacrés de la philosophie. » (L. CXXXVII-136.) Ailleurs il dit qu'elle est sainte et chère à la Divinité; ses auditeurs sont le chœur heureux qui jouit de sa voix divine (L. IV)..

Synésius fut remarqué par Hypatie: il s'établit entre eux une de ces amitiés qui ne finissent qu'avec la vie. Il nous reste de cette liaison sept lettres adressées à la philosophe, c'est le titre qu'elles portent: ty qikoróg Toutes témoignent de la vive affection de Synésius pour Hypatie; il la nomme sa bienfaitrice, son maître, sa sœur, sa mère ; il lui donnerait un autre titre, s'il pouvait en trouver un qui témoignât mieux sa vénération (1) : « Quand même les morts oublie» raient dans les enfers, lui dit-il, moi je m'y souviendrai >> encore de ma chère Hypatie. C'est pour vous seule que je » pourrais dédaigner ma patrie. (L. CXXIV). Il recommande à son crédit des jeunes gens auxquels il s'intéresse (L. XXXI—80); c'est par son entremise qu'il fait parvenir les lettres qu'il adresse à ses amis d Alexandrie. Il la consulte sur ses ouvrages, et déclare s'en remettre au jugement qu'elle portera, tout prêt à les offrir aux poëtes et aux orateurs, ou à les ensevelir dans l'oubli, selon qu'elle doit les approuver ou les condamner (L. CLIV-153). Enfin c'est auprès d'elle que dans ses chagrins il cherche des consola

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(1) Μῆτερ, καὶ ἀδελφὴ, καὶ διδασκαλε, καὶ διὰ πάντων τούτων εὐεργετικὴ, καὶ ἅπαν ὅ τι τίμιον καὶ πράγμα καὶ ὄνομα. L. XVI.

lations (L. X et XVI); le cœur d'Hypatie est, avec la vertu, son plus sûr asile (!).

A l'exemple d'Hypatie, dont il suivait les leçons, Synésius ne se livra point exclusivement à la philosophie. Avide de science, et recherchant la réputation que procurent les lettres, il passait avec une égale facilité de l'astronomie à l'éloquence, des mathématiques à la philosophie. Les ouvrages qu'il nous a laissés attestent à chaque instant la flexibilité de son esprit et la variété de ses connaissances.

Ce fut sans doute peu de temps après son voyage à Alexandrie que Synésius voulut visiter les écoles d'Athènes. Quoique déchue de son ancienne splendeur, Athènes restait consacrée, pour ainsi dire, par le souvenir toujours vivant de ses grands hommes. Des maîtres nombreux y distribuaient l'enseignement à des jeunes gens venus de tous les côtés de l'empire. C'est là qu'environ quarante ans auparavant, assis non loin de Julien, le futur César, Basile et Grégoire de Nazianze, échappant à la société de leurs bruyants condisciples, avaient, sur les bancs, contracté cette amitié qui ne devait finir qu'au tombeau. Autour de la chaire des professeurs, il se formait de véritables partis. Chaque sophiste comptait des élèves passionnés, qui couraient, recruteurs volontaires, à certaines époques de l'année, se mettre en embuscade dans les diverses parties de l'Attique, pour saisir les nouveaux venus et les enrôler sous la bannière de leur maître. Quelquefois même, dans cette république tumultueuse des écoles, les rivalités d'enseignement dégénéraient en luttes sanglantes (2).

Si stérile que fût pour les lettres ce mouvement et cette activité, Athènes gardait encore par là sa vieille réputation.

(1) Καί σε μετὰ τῆς ἀρετῆς ἀγαθὸν ἄσυλον ἀριθμῶ. L. LXXXI - 80.

(2) On peut consulter, sur les mœurs singulières des écoles à Athènes, Libanius, De Vita; S. Grégoire de Nazianze, Poëme sur sa vie, et Oraison funèbre de S. Basile; Eunape, In Proær. Jul.

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« On ne pouvait se dispenser de visiter la patrie de Platon » et de Démosthènes, dit Libanius, la ville chérie des hom>> mes et des dieux -Les maîtres avaient vieilli dans le luxe >> et dans la mollesse, ajoute le même écrivain; eux-mêmes >> auraient eu besoin de maîtres pour apprendre à combat>>tre avec la parole, et non pas avec les armes... Mais les » jeunes gens devaient toujours achever leurs études dans » cette terre privilégiée, pour revenir en apparence, sinon en réalité, plus instruits » (L. 627). Synésius fit comme tant d'autres. Il avait alors besoin de chercher dans l'éloignement un refuge contre les chagrins que lui donnait le triste état de son pays; d'ailleurs, d'après certains songes, on l'avait menacé de quelque malheur s'il ne se hâtait de faire ce voyage. Mais ce qui le poussait surtout vers la Grèce, c'était le désir de n'avoir plus à vénérer, pour leur science, ceux qui revenaient d'Athènes : « Ce sont, écrivait-il à son frère, de sim>> ples mortels comme nous autres; ils ne comprennent pas » mieux que nous Aristote et Platon; et cependant ils se >> regardent parmi nous comme des demi-dieux parmi des » malets (1), fiers qu'ils sont d'avoir vu l'Académie, et le » Lycée, et le Pécile où Zénon philosophait; mais le Pécile » ne mérite plus son nom; un proconsul a enlevé tous les > tableaux qui en faisaient l'ornement, et par là il a rabattu » la prétention de ces faux sages. » (L. LIV.)

Voilà donc Synésius en Attique. En touchant ce sol sacré, il a cru se sentir grandi; il parcourt tous ces lieux renommés; il visite religieusement Sphette, Thrium, le Céphise, Phalère, le Pirée mais quoi! le disciple d'Hypatie ne re

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(1) Demi- dieux, demi- dnes, le grec joue sur les mots, èv μovo ημίθεοι.. Un peu plus bas, autre jeu de mots, que Synésius reprodu1t encore, L. CXXXVI-135. Le Pécile, toxiλn otoά, littéralement portique arié, avait été ainsi appelé parce qu'on l'avait orné de différentes peintures qu'un proconsul romain fit enlever plus tard. C'était sous ce portique que Zénon réunissait ses disciples, d'où leur vint le nom de Stuïciens, ceux qui fréquenient le portique.

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