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ne leur est pas confié. Le comité a consigné ces principes dans les articles du titre premier de son projet ; ils établissent l'entière subordination des cours de justice à la puissance législative, et séparent très-explicitement le pouvoir judiciaire du pouvoir d'administrer.

Le troisième abus qui déshonorait la justice en France, était la souillure des privilèges, dont l'invasion s'était étendue jusque dans son sanctuaire. Il y avait des tribunaux privilégiés et des formes de procédures privilégiées, pour de certaines classes de plaideurs privilégiés. On distinguait en matière criminelle un délit privilégié d'un délit commun. Des défenseurs privilégiés des causes d'autrui possédaient le droit exclusif de plaider pour ceux même qui pouvaient se passer de leur secours; car il est bien remarquable qu'aucune loi en France n'a consacré le droit naturel de chaque citoyen, de se défendre lui-même en matière civile, lorsque la loi criminelle le privait d'un défenseur pour la protection de sa vie. Enfin, le droit égal de tous les justiciables, d'être jugés à leur tour, sans préférences personnelles, était violé par l'arbitraire le plus désolant: un président qui ne pouvait pas être forcé d'accorder l'audience, un rapporteur qu'on ne pouvait pas contraindre de rapporter, étaient les maîtres de faire que vous ne fussiez pas jugé, ou que vous ne le fussiez que lorsque l'intérêt d'obtenir le jugement avaient péri par un trop long retardement.

Une sage organisation du pouvoir judiciaire doit rendre impossibles à l'avenir toutes ces injustices qui détruisent l'égalité civile des citoyens dans la partie de l'administration publique où cette égalité doit être la plus inviolable. Il ne s'agit pas là de simples réformes en législation, mais de points vraiment constitutionnels. Le comité a réuni dans le titre 1er de son projet les dispositions qui lui ont paru nécessaires pour anéantir les priviléges en matière de juridiction, les distractions de ressort, les entraves à la liberté de la défense personnelle, et toute préférence arbitraire dans la distribution de la justice.

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Toutes les maximes renfermées dans ce premier titre du pro

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jet, sont les bases nécessaires d'une bonne constitution du pouvoir judiciaire; elles nous ont paru d'une vérité absolue et indépendante du parti que vous voudrez adopter ensuite sur le nombre, la composition et la distribution des tribunaux. La forme des instrumens par lesquels le pouvoir judiciaire peut être exercé, est variable jusqu'à un certain point, mais les principes qui fixent sa nature, pour le rendre propre aux fins qu'il doit renplir dans l'organisation sociale, sont éternels et immuables. Je crois, Messieurs, que vous devez commencer par proclamer ces principes salutaires qui vous guideront dans la suite de votre travail, qui éclaireront les justiciables sur leurs droits, les juges sur leurs devoirs, et qui rendront sensibles à la nation entière les moindres écarts qui menaceraient un jour d'altérer en cette partie la pureté de la constitution.

Lorsque cette première tâche sèra remplie, vous aurez déjà fait un grand pas, et l'ordre naturel du travail vous appellera à déterminer le système général de l'organisation des tribunaux ; ce qui comprend surtout leur classification et la gradation de leurs pouvoirs. Le comité vous a présenté, par le titre II de son projet, un plan sur lequel vous ne pourrez prononcer qu'en décidant tout ce qui doit être regardé comme faisant réellement lé fond de l'ordre judiciaire. On peut le diviser en trois grandes parties, très susceptibles d'être traitées séparément, en s'attachant d'abord à la constitution des tribunaux de première instance, en passant ensuite à celle de tribunaux supérieurs qui jugeront par appel, et en finissant par celle de plusieurs partics du service judiciaire qui peuvent exiger des formes à part et des juges particuliers.

Ce que le comité vous a proposé entraîne la destruction nécessaire de tous les tribunaux existans, pour le remplacer par une création d'établissemens nouveaux. Là se présente cette première question: faut-il régénérer à fond l'ordre judiciaire, ou ne peut-on pas laisser subsister dans le nouvel édifice plusieurs parties de l'ancien?

• La nécessité de la régénération absolue est incontestable. Nor

seulement la constitution ne sera pas complète, si elle n'embrasse pas toutes les parties qui doivent essentiellement la composer; mais elle sera vicieuse, incohérente et sans solidité, si toutes ces parties ne sont pas mises d'accord. Or, rien ne s'accorde moins avec les principes de la constitution actuelle, que ceux sur lesquels l'ancien ordre judiciaire s'est établi.

Vous tenez pour principe que tout pouvoir public qui n'est pas nécessaire, est par cela même dangereux et malfaisant. Les tribunaux, dépositaires d'un des pouvoirs publics, dont l'influence est la plus active, se sont multipliés par l'établissement des juridictions d'exception et de privilége, à un point qui n'a eu et qui n'a pas encore d'exemple chez aucune autre nation. Les abus, inséparables de cette excessive multiplication des tribunaux, ont excité depuis long-temps les plaintes de toute la France. Vous ne pouvez donc pas conserver les tribunaux d'exception, encore moins ceux de privilège.

C'est une autre maxime constitutionnelle, que tout pouvoir public est établi pour l'intérêt de ceux à qui son exercice est né cessaire; d'où il suit que les tribunaux doivent être composés et distribués de la manière la plus favorable à l'intérêt des justi ciables. Après la suppression des justices seigneuriales déjà dé crétée, et celle des juridictions d'exception indispensable à dé créter, la plupart des tribunaux ordinaires ne se trouvent ni composés ni distribués convenablement pour la nécessité de leur service, pour la facilité des justiciables, ni pour s'assortir au nouvel ordre politique dont ils doivent faire partie. Ils ne peuvent donc pas être conservés dans leur état actuel. Et quant aux cours supérieures qui s'appelaient souveraines, leur composition cal culée plutôt pour l'éclat que pour la bonté réelle du service, plutôt pour soumettre à l'autorité de ces cours d'immenses territoires, que pour mettre l'exercice de cette autorité à la portée de ceux qui en ont besoin, plutôt pour exciter l'intérêt, les préjugés et l'esprit de corps, que pour rappeler aux tribunaux la place qu'ils occupent dans l'ordre des pouvoirs publics, et dont ils ne peuvent sortir sans blesser l'harmonie politique, cette composi

tion, dis-je, vicieuse dans ses principes, oppressive par ses effets, et qui n'était tolérable que sous un seul rappport qui ne se reproduira plus, flétrirait et compromettrait la constitution actuelle, si elle pouvait y surprendre une place.

Si nous parcourons les autres principes sur lesquels notre constitution s'établit, nous serons de plus en plus convaincus qu'ils se réunissent tous pour exiger l'entier renouvellement de nos tribunaux.

Tous les pouvoirs, avons-nous dit dans la déclaration deş droits, émanent essentiellement de la nation, et sont confiés par elle, Il n'y en a pas un qui agisse plus directement, plus habituellement sur les citoyens, que le pouvoir judiciaire, Les dépositaires de ce pouvoir sont donc ceux sur le choix desquels la nation a le plus grand intérêt d'influer. Cependant il n'y a pas dans un seul des tribunaux actuels un seul juge à la promotion duquel elle ait eu part. Tous ceux qui nous jugent ont acquis, ou par succession ou par achat, ce terrible pouvoir de nous jųger. Outre que cette intrusion a violé le droit imprescriptible de la nation, qui nous répondra que, dans le nombre de ceux qui ont traité du pouvoir judiciaire comme d'un effet de commerce, il ne s'en trouvera pas qui continueront de regarder comme une propriété ce caractère public qui n'établit entre eux et nous que la relation du devoir qui les lie et les dévouc au service de la nation? Et si cette erreur fatale dont la chose publique a tant de fois souffert, et dont tant de citoyens ont été victimes, n'est pas détruite jusque dans sa source, qui nous garantira du malheur d'en voir perpétuer les habituels effets? Les articles de la déclaration des droits sont les phares que vous avez élevés pour éclairer la route que vous deviez parcourir. Vous ne pourriez donc plus sans une inconséquence fâcheuse, maintenir les juges que les chances de l'hérédité et du commerce des offices ont placés dans les tribunaux par le plus inconstitutionnel de tous les titres, tant que ces titres ne seront pas purifiés par l'élection libre des justiciables. Ne craignons pas que le scrutin populaire prive la chose publique du service de ces sujets précieux, dont la capa

cité, antérieurement éprouvée dans les tribunaux actuels, n'a point été ternie dans ces derniers temps par une conduite équivoque, ou par une profession ouverte de sentimens anti-patriotiques. Plus d'un exemple a prouvé que le peuple n'est pas si facile à tromper sur ses vrais intérêts qu'on cherche quelquefois à le faire entendre ; et quoiqu'il soit vrai que les élections puissent ne pas donner toujours les meilleurs choix, il l'est en même temps que la nation ne pourra pas se faire autant de mal en exerçant son droit de choisir, qu'il lui en a été fait pendant qu'elle en a été privée, et surtout, depuis quinze ans, par l'abusive fàcilité de l'admittatur des compagnies, et par la funeste insouciance de la chancellerie.

Tous les citoyens, avons-nous dit encore dans la déclaration des droits, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens. Avec quelle force ce principe fondamental de toute bonne constitution ne s'élève-t-il pas contre ceux de ces tribunaux qui ne se trouvent actuellement composés que de clercs et de nobles, parce que ces tribunaux ayant déjà un certain nombre de places affectées aux ecclésiastiques, ont encore porté l'oubli des principes jusqu'à se faire une loi par des arrêtés secrets, mais avoués et exécutés, de n'ad mettre dans leur sein, pour exercer des offices qui n'anoblissent la plupart qu'au second degré, que des citoyens nobles ou déjà anoblis. Ainsi ces tribunaux préférant la noblesse à la capacité pour une fonction publique où la capacité est essentielle, et la noblesse très-indifférente, ont sacrifié les droits de leurs concitoyens, la justice due au vrai mérite, et par-là le bien réel du service, à une inexcusable vanité de corps. La constitution peut-elle conserver ces tribunaux proscrits d'avance par les maximes sur lesquelles elle est établie? Ne violent-ils pas par leur composition le dogme imprescriptible de l'égalité civile? Sont-ils autre chose que des corporations d'anciens privilégiés? Le plus grand nombre des citoyens y trouve-t-il quelqu'un de ses pairs? Conservez ces confédérations d'individus des deux classes qui

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