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qu'ils emploient, sont appréciées par des juges que l'Université délègue à cet effet. Rien de semblable pour les professeurs de dessin et pour la manière dont ils s'acquittent de leurs devoirs. Bien plus, on ne songe pas même à leur demander ce qu'on exige à si juste titre des candidats aux chaires de littérature, de mathématiques ou d'histoire, un brevet préalable de capacité, un diplôme conquis à la suite d'examens et constatant des preuves déjà faites. H leur suffit, pour être choisis, d'avoir obtenu la bienveillance d'un ministre ou quelque recommandation puissante auprès de lui, sauf ensuite à ne justifier que très imparfaitement la faveur dont ils auront été l'objet.

A défaut d'autre contrôle, chaque professeur de dessin trouvet-il du moins un obstacle à ses caprices ou un correctif à ses méprises dans l'autorité exercée par le chef de l'établissement auquel il appartient? Comment les proviseurs des lycées ou les généraux placés à la tête des écoles militaires seraient-ils en mesure de trancher des questions de cet ordre? Puisqu'on ne s'en rapporte pas à eux seuls dans les cas où leur expérience personnelle pourrait être le plus utilement invoquée, puisqu'on en appelle à d'autres arbitres de ce qui se passe dans les cours littéraires ou scientifiques, il semblerait assez imprudent de leur attribuer un pouvoir souverain là où très probablement ils seront le moins compétens. Non, c'est à des hommes spéciaux, à des inspecteurs fonctionnant comme les inspecteurs universitaires, qu'il faudrait confier le soin de juger si les choses vont bien ou mal. Pour reconnaître les inconvéniens du régime négatif qu'on a laissé s'installer et pour y découvrir un remède, il suffit en vérité de prendre conseil du simple bon sens. Nous ne concevrions pas qu'on persistât à excepter de la jurisprudence ordinaire une des branches de l'enseignement par cela seul qu'elle ne se rattache pas d'une façon directe aux études classiques, qu'elle dépend de l'art et non de la science dans l'acception littérale du mot.

Qu'importe après tout, dira-t-on, si, au sortir du conege, de l'école de Saint-Cyr ou de toute autre école spéciale, on se trouve en assez mauvais point du côté du dessin? Combien d'élèves qui, après avoir crayonné quelques années durant des têtes et des académies, ne toucheront plus un crayon de leur vie, ou ne le reprendiont que par hasard! Les pratiques défectueuses auxquelles leur main aura été rompue demeureront donc en réalité sans conséquence et les vices de leur éducation première sans contagion. Soit; mais faut-il compter pour rien leur goût irrévocablement faussé, les doctrines erronées dont il leur restera, sinon le respect, au moins l'habitude? Qu'ils le veuillent ou non, ils conserveront du passé des

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souvenirs qui les tromperont toujours sur les vraies conditions de l'art. Incapables de produire pour leur propre compte, ils seront par surcroît impuissans à juger şainement les productions d'autrui, et n'arriveront en définitive qu'à grossir le nombre de ces ignorans prétentieux dont les admirations, aussi déplacées que les critiques, empêchent le plus souvent la justice de se faire, et les opinions sensées de prévaloir.

En regard de l'influence exercée sur des gens pour lesquels l'étude du dessin n'aura été qu'une occupation accidentelle, que l'essai, suivant l'expression consacrée, d'un « art d'agrément,» si l'on examine les résultats d'une mauvaise éducation reçue dans les écoles professionnelles, le dommage apparaîtra naturellement plus grave et plus significatif encore. Ici en effet le mal ne s'arrête pas à des erreurs d'opinion et de théorie; c'est dans la pratique même qu'il se manifeste, c'est par leurs œuvres que le propagent les hommes qui, élevés autrefois auprès de maîtres négligens ou insuffisamment instruits, sont devenus des artistes à leur tour. On sent trop souvent dans ces travaux de l'art industriel que le dessin, qui devait en être la condition fondamentale et l'inspiration raisonnée, ne sert guère qu'à en enjoliver les surfaces, que l'ambition comme la science chez ceux qui les ont exécutés ne dépassent pas la sphère du caprice ou des procédés de fabrication rapides, et que, faute d'avoir appris de bonne heure à se munir du nécessaire, l'esprit d'invention, rusant avec lui-même, se résout en dextérité superflue. De là ce déclin progressif, cet abaissement trop peu équivoque des succès et de l'influence qui nous avaient si longtemps et si légitimement appartenu; de là déjà plus d'une atteinte à l'autorité jadis universelle de l'art français, et bientôt peut-être, si nous n'y prenons garde, la supériorité des produits étrangers sur les nôtres.

C'est pour conjurer en partie ce danger que, depuis quelques années, l'administration municipale de Paris a entrepris de réorganiser l'enseignement du dessin dans les écoles placées sous son patronage, et il n'y a que justice à tenir compte des efforts accomplis par elle afin d'améliorer la situation. A partir de 1865, des sessions annuelles d'examens furent ouvertes; ceux qui aspiraient à devenir professeurs durent, pour obtenir ce titre, subir des épreuves et mériter un diplôme qu'on avait eu le tort de ne pas exiger de leurs devanciers. On divisa l'enseignement du dessin en enseignement d'art et en enseignement géométrique, on établit des concours à époque fixe entre toutes les classes de dessin, on confia la surveillance des études à deux inspecteurs; en un mot, grâce à une commission instituée par le préfet pour étudier la question, grâce surtout à l'intervention de l'artiste éminent qui dirigeait alors les travaux d'ar

chitecture et de beaux-arts, M. Baltard, rien ne fut négligé de ce qui pouvait amener un commencement de régénération et offrir des garanties plus sérieuses que par le passé dans l'éducation donnée aux élèves des écoles primaires de la ville (1); mais, à côté de cette louable sollicitude de l'administration municipale, quelle étrange inertie à Paris même dans tout ce qui tient à l'organisation ou à la direction par l'état de l'enseignement élémentaire du dessin! Qu'est devenu le projet, annoncé il y a déjà quelque temps, de remettre sur un nouveau pied ou plutôt de rendre sagement à sa destination primitive cette école de dessin et de mathématiques établie rue de l'École-de-Médecine, et fondée au XVIIIe siècle avec une intelligence si nette des besoins auxquels elle devait répondre, des progrès qu'il lui appartenait de déterminer ou de préparer? Et si nos regards se portent sur les écoles de dessin ouvertes dans les villes des départemens, qu'y voyons-nous, à de bien rares exceptions près? La routine installée à la place des règles et de la doctrine, l'enseignement officiel réduit à n'être plus, pour ceux qui le reçoivent, qu'un exercice mécanique, pour ceux qui le donnent, qu'un moyeu de s'assurer quelques chétives ressources personnelles. Nulle initiative d'ailleurs, nul essai de réforme pareil aux tentatives que poursuit à Paris l'Union centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie. Partout l'indifférence ou le sommeil, dans les conseils-généraux aussi bien que dans les chambres de commerce, dans les académies locales comme dans les sociétés des amis des arts, si nombreuses pourtant sur le sol de la France. Il semble que tout doive se borner à continuer aujourd'hui ce qui se pratiquait hier, et que l'on ait assez fait pour le salut de l'art national quand on a, bon an mal an, ouvert trois ou quatre expositions départementales de tableaux et placé en quantité raisonnable des billets de loterie. Au-delà des frontières, il faut le redire, ce n'est pas ainsi qu'on entend le progrès, c'est par des procédés plus radicaux qu'on travaille à le susciter, et malheureusement les résultats obtenus prouvent assez que les calculs les plus justes et la meilleure méthode ne sont pas de notre côté.

Il n'y a donc pas de temps à perdre pour arrêter les menaces du dehors et pour empêcher à l'intérieur le mal de s'aggraver. Une ré

(1) Quelques chiffres suffiront pour résumer les faits. De 1865 à 1867 inclusivement, 353 candidats se présentèrent aux examens pour l'obtention du certificat d'aptitude aux fonctions de professeur; 70 reçurent ce diplôme, dont 51 pour le dessin d'art et 19 pour le dessin géométrique. En 1863, une maigre somme de 30,000 francs était inscrite au budget de la ville pour subventions à quelques classes de dessin qui ne comptaient que 2,888 élèves; en 1867, la ville ne consacrait pas moins de 312,000 fr. à cet enseignement, donné alors à 12,000 élèves, tant des classes du jour que des classes du soir.

novation complète de l'enseignement du dessin et des institutions qui le régissent, voilà le devoir principal et le remède, voilà le plus sûr moyen de reconquérir ce que nous avons perdu, au moins en partie, et de recouvrer pleinement nos anciens priviléges. Cela ne saurait suffire assurément pour faire naître les grands artistes, et si de meilleures institutions peuvent favoriser l'éclosion du talent, il va sans dire qu'elles ne donneront le génie à personne; mais cela suffira pour préserver les jeunes intelligences des dangers de l'incertitude, pour élever le niveau de l'art et par suite celui du goût général. Encore une fois, la chose est grave, puisqu'elle intéresse l'honneur de notre école, la prospérité de notre industrie, et nous comprendrions peu qu'elle n'inspirât à ceux qui ont le devoir et le pouvoir d'agir qu'un intérêt distrait ou quelques simples velléités de zèle.

Qu'on ne nous accuse pas, dans cette question de l'éducation pittoresque, d'exagérer l'influence de l'élément scientifique, de surfaire le prix de ce qui s'apprend au détriment de ce qui s'imagine. Sans doute l'art du dessin n'est pas une géométrie inflexible dont on a pour unique devoir de se mettre dans la tête les théorèmes et de pratiquer mathématiquement les lois; mais il n'est pas non plus, tant s'en faut, une affaire de pur instinct, et, si l'on était réduit à choisir entre deux abus, mieux vaudrait encore le parti-pris de tout résoudre en préceptes et en règles que la volonté systématique de tout abandonner au sentiment. Le sentiment! combien d'erreurs, combien d'entreprises défectueuses n'a-t-on pas, depuis un demisiècle, excusées ou encouragées avec ce mot! N'est-ce point par une sorte de fanatisme pour les libertés qu'il implique que l'école romantique, comme on disait autrefois, a compromis l'efficacité de ses tentatives et intro uit des habitudes de désordre dont nous subissons encore aujourd'hui les conséquences? Il est clair que dans l'exécution, à plus forte raison dans l'invention de toute œuvre d'art, le sentiment est un agent nécessaire, indispensable; mais seul il ne suffit à rien, il ne peut avoir toute son utilité qu'à la condition d'être réglé par la réflexion, soutenu et fortifié par le savoir. Quoi que prétendent à ce sujet bon nombre d'écrivains contemporains et quelquefois les artistes eux-mêmes, il n'est pas vrai que l'habileté pittoresque ne soit qu'un don fortuit, le symptôme d'un « tempérament» ou le résultat fatal des circonstances et des milieux; il n'est pas vrai que, là où il s'agit de rendre la nature et de formuler des idées, la simple émotion puisse tenir lieu du reste, ou que, par je ne sais quel pro lige de génération spontanée, le talent surgisse tout armé du jour au lendemain.

Contraste singulier, c'est au pays dans lequel tous les arts ont

le plus directement et le plus continuellement procédé de la raison, des calculs patiens, des coutumes méditatives de l'esprit, c'est aux descendans de Jean Juste et de Poussin, de Bernard Palissy et de Nanteuil, qu'on essaie d'imposer la foi dans les seuls hasards de l'imagination! Certes une prétention aussi malencontreuse mériterait d'ètre condamnée comme un démenti à l'histoire et au génie de notre école, s'il ne fallait avant tout la repousser au nom des principes mêmes et du bon sens. Tant que, dans le domaine de l'art comme ailleurs, on n'aura pas découvert le moyen de posséder à son gré le secret des choses, d'arriver à la certitude sans avoir étudié, de savoir sans avoir appris, nous garderons le droit de placer, à l'exemple de nos pères, nos plus sûres espérances dans les efforts consciencieux, notre plus ferme confiance dans le travail. Nous croirons à l'impérieuse nécessité d'un apprentissage; mais, pour que cet apprentissage porte ses fruits, le bon vouloir et les aptitudes personnelles de ceux qui l'entreprennent ont besoin d'une sage direction, de leçons plus solidement instructives, d'une méthode moins effacée ou moins conventionnelle que les traditions et les usages ayant cours aujourd'hui dans les lycées et dans les écoles.

C'est à la réforme de l'enseignement élémentaire qu'il est grandement temps de s'appliquer, c'est cette première éducation de l'artiste, de l'ouvrier, de l'homme du monde, que l'on doit travailler à rendre plus sérieuse, sous peine de voir de ce côté aussi notre ancienne autorité faiblir, et la prééminence nous échapper. Hélas! de nos jours assez de fautes ont été commises, assez de malheurs se sont succédé: n'ajoutons point par notre imprévoyance des torts nouveaux, des regrets prochains, à ces lamentables souvenirs. Sans doute, à l'heure où nous sommes, on ose à peine arrêter sa pensée sur ce qui n'a pas pour objet la défense immédiate, la délivrance à main armée de notre sol; mais quand, avec l'aide de Dieu, la lutte sacrée que nous soutenons aura eu son terme, quand l'injure nationale aura été vengée, d'autres tâches nous seront imposées encore, d'autres devoirs nous resteront, à l'accomplissement desquels il est au moins permis de se preparer dès à présent.

HENRI DELABORDE,

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