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Les moyens d'exécution et les champs sur lesquels on opère étant à peu près identiques dans les originaux et dans les copies, il n'y a point là une interprétation particulière qui vient s'interposer entre le type primitif et l'élève. Celui-ci peut avoir confiance dans cette seconde édition en quelque sorte d'un texte littéralement transcrit; mais dès que l'imitation a pour objet une image de la réalité palpable, dès qu'il s'agit de simuler sur une surface plane les saillies relatives d'un corps et les oppositions de lumière et d'ombre qui en résultent, pourquoi ne pas laisser l'élève chercher lui-même les moyens de rendre ce relief? Pourquoi commenter d'avance, pourquoi subordonner à un certain mode de traduction ce qui a son caractère formel, sa signification déterminée? De deux choses l'une: ou l'élève se souviendra systématiquement des pratiques antérieures quand le moment sera venu de copier une statue ou un bas-relief, et alors il ne saura plus voir son modèle qu'à travers les procédés dont on lui avait imposé la tradition, ou bien, en ne reconnaissant rien dans ce modèle des formules accoutumées, il se déconcertera et n'osera tenter l'aventure. Dans les deux cas, il y aura danger pour lui, puisque d'une part ce sera sa bonne foi qui se trouvera compromise, de l'autre ce sera l'ardeur de son zèle ou sa sagacité. Le nouveau cours de dessin n'est donc pas encore le dernier mot d'une réforme que tant d'abus ont rendue indispensable, la réalisation complète du progrès attendu. Quelque préférable qu'il soit aux recueils du même genre publiés depuis le commencement du siècle, il continue à certains égards la fausse doctrine qui les avait inspirés, et tend plutôt à transformer des habitudes conventionnelles qu'à supprimer en réalité la convention.

Tout le problème ne serait pas résolu d'ailleurs par cela seul qu'on aurait réussi à répandre des modèles gravés ou lithographiés avec un goût et une sobriété d'outil irréprochables; tout ne serait pas non plus partie gagnée pour les élèves, lors même qu'on les aurait amenés à reproduire à souhait ces modèles. L'imitation de la forme déjà transcrite, si instructive qu'on la juge avec raison, n'est et ne saurait être qu'un acheminement vers la fin véritable de l'art, l'imitation de la forme vivante. L'étude d'après la bosse ne marque elle-même qu'une seconde étape dans la voie qui conduit à ce but: quoi de plus sage par conséquent que d'habituer tout d'abord les jeunes intelligences à se rendre compte du caractère secret des œuvres fournies comme exemples, à en pénétrer l'esprit de manière à ne se trouver ensuite ni intimidées par la nature, ni préoccupées outre mesure des moyens mécaniques qu'il conviendra d'employer? L'élève que l'on aura exercé de bonne heure à reproduire indifferemment avec le crayon ou avec la plume et le lavis une es

tampe ou une lithographie sera mieux préparé sans doute à interpréter la réalité même que celui qui ne se sera préalablement servi que d'un procédé invariable. L'essentiel à ses yeux consistera dans la fidélité morale pour ainsi dire de la copie, dans l'imitation exacte de la physionomie propre à un type, non dans le maniement plus ou moins adroit de l'instrument matériel. Pour compléter à cet égard son expérience, ne serait-il pas bon d'ajouter à l'emploi alternatif de certains moyens la diversité même des développemens ou des traductions abrégées que peut comporter chaque modèle? Que l'on dessine une fleur ou une plante uniquement avec la volonté de donner à l'image une stricte vraisemblance, c'est là une excellente besogne, c'est par là qu'il faudra commencer, puisqu'il s'agit avant tout d'accepter et de rendre le fait naturel; mais n'arrivera-t-on pas à se l'approprier plus sûrement encore, à en analyser plus rigoureusement les conditions, si, en agrandissant ou en réduisant les proportions de cette plante ou de cette fleur, on se trouve obligé soit d'insister sur chaque détail, soit de résumer chaque vérité essentielle? Vienne plus tard l'occasion de convertir en motif d'ornement un objet ainsi étudié dans sa structure et dans ses caractères organiques, dans sa raison d'être intime, on s'acquittera d'autant mieux de la tâche qu'elle aura été pressentie de plus loin, et qu'on se sera plus sincèrement appliqué d'avance à en scruter l'esprit et les

termes.

Il est un autre point qui réclame une attention toute spéciale, un autre progrès à réaliser qui rencontrera peut-être la plus vive résistance dans nos habitudes ou dans nos préjugés; nous voulons parler de la part à faire dans l'enseignement du dessin à un exercice méthodique de la mémoire. L'organisation présente des écoles met ce moyen d'instruction entièrement hors de cause. Il semble que l'on considère la mémoire comme une faculté dangereuse à laquelle il serait impossible de recourir sans aboutir inévitablement à l'abus, et que l'on doive à tout prix la laisser sommeiller pour ne pas se trouver bientôt forcé de la combattre. Dans combien d'occasions pourtant ce prétendu danger ne deviendra-t-il pas une ressource principale, la seule même dont il sera possible de disposer!

Si l'esprit ne s'est approvisionné à temps d'observations et de souvenirs, comment la main s'y prendra-t-elle pour retracer le mouvement instantané, l'aspect fugitif d'un corps en action, pour représenter par exemple, au milieu d'ornemens sculptés ou sur un panneau d'arabesques, le vol d'un oiseau, le galop d'un cheval, les replis sinueux d'un serpent? A ne parler que de la figure humaine, la présence du modèle demeurerait insuffisante en pareil cas. Lors même que ce modèle vivant, posant dans un atelier suivant la coutume,

réussirait à simuler pendant quelques minutes le mouvement que le crayon doit reproduire, l'immobilité réelle qu'il s'imposerait aurait bientôt détendu ou contracté chaque muscle, altéré chaque forme partielle, décomposé l'élan général. Pour retrouver les apparences de ce qui agit, de ce qui se meut plus ou moins vivement, il faut donc bon gré mal gré les chercher avec les yeux de la mémoire, et c'est au moins un singulier moyen de préparer les gens à cette tâche que de leur prescrire, à l'exclusion du reste, l'étude et l'imitation de la nature au repos.

Nous voudrions au contraire que cette étude immédiate se combinât avec des essais tentés hors de la présence du modèle, avec des efforts réguliers soit pour reconstituer l'image de celui-ci après l'avoir dessinée une première fois face à face, soit pour recueillir les traits distinctifs et les allures rapides d'un type seulement entrevu; nous voudrions qu'au lieu de composer toute l'éducation pittoresque, les procédés de copie directe trouvassent leur développement ou leur contrôle dans une série d'exercices gradués, dans certaines opérations mnémoniques, et ici encore on peut invoquer l'exemple des pratiques suivies en matière d'éducation littéraire. Il n'est pas de jour où dans nos lycées on n'exige des enfans qu'ils récitent par cœur quelque morceau de prose ou de poésie, et pourtant ce que ces écoliers acquièrent ainsi intéresse seulement les progrès de leur goût. A plus forte raison sera-t-il opportun, sera-t-il nécessaire de soumettre la mémoire à un régime analogue là où il s'agit non plus de l'orner, mais de l'instruire, là où ce sont les faits mêmes qu'elle doit s'approprier, et des faits d'autant moins faciles à discerner à première vue que les termes en sont plus variables et les particularités plus subtiles.

Un homme d'un judicieux esprit et d'une grande expérience dans toutes les questions relatives à l'enseignement du dessin, M. Lecoq de Boisbaudran, a depuis quelques années déjà fait ressortir les avantages que pourrait procurer cette sorte de gymnastique intellectuelle, cette application raisonnée de la mémoire à l'image des phénomènes naturels. Non-seulement un traité publié par lui a démontré la justesse du principe (1), mais plusieurs épreuves subies devant les meilleurs juges ont produit des résultats concluans. L'Académie des Beaux-Arts, après avoir vu opérer dans la salle même de ses séances quelques-uns des élèves de M. de Boisbaudran, n'hésitait pas à donner son approbation officielle à la méthode qui les avait formés. De leur côté, des artistes éminens, Horace Vernet, Delacroix, M. Cogniet, M. Guillaume, des savans tels que M. Dunias

(1) Education pittoresque de la mémoire, Paris 1862.

et M. Chevreul, encourageaient personnellement les efforts tentés pour élargir en ce sens le cercle des études, et les signalaient à l'attention des hommes chargés de diriger l'enseignement. D'où vient que, malgré tous ces suffrages, malgré ces actives recommandations, une doctrine aussi digne d'être au moins expérimentée dans nos écoles soit demeurée jusqu'à présent lettre morte? Si l'on reconnaît que la mémoire a un rôle considérable, une fonction nécessaire dans l'exercice de l'art à tous ses degrés, il semble que la logique exigerait qu'on prît à tâche d'en assurer d'avance et d'en féconder les ressources; si l'on accorde que la notion de certaines causes cachées, de la construction anatomique entre autres, dépend avant tout de la fidélité des souvenirs, pourquoi refuser de rendre par des épreuves journalières cette science plus accessible et ces souvenirs plus familiers?

Dira-t-on que l'habitude de consulter sa mémoire peut aisément amener un jeune artiste à se contenter dans ses travaux de l'à-peuprès, le réduire même à une impuissance véritable en face de la nature, lorsqu'il s'agira de la retracer telle qu'elle se présente et d'en envisager les apparences au point de vue rigoureux du portrait? Sans doute il y a là un danger contre lequel on fera bien de se tenir en garde, mais il ne s'ensuit pas que le seul moyen de s'en préserver soit tout uniment de s'y dérober par la fuite. Qu'on le veuille ou non d'ailleurs, la mémoire interviendra forcément dans l'exécution d'une œuvre d'art quelconque. Même quand tout se borne à l'imitation textuelle du modèle qu'on a devant les yeux, même quand tout résulte de comparaisons faites sur place, n'est-ce pas elle qui agit dans l'intervalle, si court qu'il soit, entre le moment où l'on a regardé ce modèle et celui où l'on en fixe l'image sur le papier ou sur la toile? Là encore, c'est à ses propres souvenirs qu'on se fie, c'est avec le secours de la mémoire qu'on opère: pourquoi dès lors répudier en principe ce qu'on ne peut dans l'application s'empêcher d'utiliser? Nous ne prétendons pour cela ni exagérer l'office et les droits de la mémoire, ni substituer dans. l'expression du vrai l'interprétation préconçue ou détournée à l'observation directe et actuelle. Il faudrait seulement que, sans changer de fond en comble les procédés d'étude ordinaires, sans sacrifier ce qu'ils ont de légitime et de rationnel, on s'attachât à les compléter par des innovations qui, en permettant à une faculté admirable de s'exercer plus méthodiquement, permettraient aussi à l'esprit d'accroître ses forces, à la conscience de s'interroger de plus près. Dans le domaine de l'art comme ailleurs, il n'y a d'éducation vraiment fructueuse que celle qui prépare les hommes à exercer de l'action sur eux-mêmes, et l'on ne saurait s'y prendre

trop tôt ni avec trop de zèle pour déterminer ce progrès moral dont dépendra tout l'emploi de la vie, toute la série des actes à venir.

II.

En indiquant quelques-unes des réformes les plus urgentes a notre avis, nous n'avons entendu examiner que la question de doctrine et, pour ainsi parler, la législation même de l'enseignement du dessin. Reste une dernière question assez indépendante de`la théorie, assez délicate, puisqu'elle met en cause toute une classe de personnes, mais qu'il est cependant nécessaire d'aborder: c'est celle qui a trait aux garanties insuffisantes qu'offrent aujourd'hui la plupart des professeurs, et aux mesures qu'il conviendrait de prendre pour obtenir à cet égard les sûretés désirables. Il va sans dire que rien de ceci ne peut s'appliquer à l'Ecole spéciale des beaux-arts, école de haut enseignement, et dans laquelle par conséquent la direction des études est confiée presque toujours à des hommes d'un mérite éprouvé; il s'agit uniquement de ceux qui, dans d'autres établissemens, ont reçu la mission d'enseigner le dessin élémentaire, les premiers principes et la grammaire de l'art.

Nous n'avons garde de méconnaître les services qu'ont pu rendre ou que rendent encore plusieurs d'entre eux; mais est-ce calomnier l'ensemble des maîtres de dessin attachés à nos écoles primaires, à nos lycées, même à nos écoles scientifiques ou militaires, que de dire qu'ils sont le plus ordinairement au-dessous de leur tâche? Peintres ou sculpteurs inoccupés en général, ils se sont réfugiés dans le professorat, et vivent comme ils peuvent d'un métier dont ils ont fait leur pis-aller. Ce serait, à tout prendre, relever une vérité incontestable que de signaler en ce qui les concerne l'absence complète d'une intervention supérieure, d'un contrôle. Une fois en possession de la place à laquelle il a été appelé, un maître de dessin peut s'y comporter à peu près comme bon lui semble, façonner ses élèves au joug qu'il lui plaira d'imposer, ou leur dispenser pour toute doctrine des recommandations uniquement relatives à la propreté du travail. Je n'exagère rien les choses se passent ainsi là même où les hommes chargés de l'éducation pittoresque ont été désignés par l'état, là même où ils remplissent leurs fonctions à côté des professeurs officiels de sciences ou de belles-lettres. Ceux-ci, on le sait, ne demeurent pas si indépendans, si bien isolés de toute surveillance, qu'ils ne puissent recevoir de qui de droit des avertissemens ou des avis. Les classes qu'ils dirigent sont soumises à des inspections régulières; les leçons qu'ils donnent, la méthode

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