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du passé, ailleurs, particulièrement en Angleterre, on sentait le besoin de relier le présent à un avenir dont on préparait, dont on fécondait les ressources. Bientôt les résultats venaient donner raison à cette studieuse prévoyance de l'esprit national. On se rappelle l'émotion et la surprise produites, lors de la dernière exposition universelle à Londres, par les témoignages des progrès réalisés en peu d'années. L'art industriel anglais, si longtemps inférieur, entrait maintenant en rivalité avec le nôtre, et menaçait presque de le déposséder des priviléges qui avaient paru le plus sûrement lui appartenir. De là les justes craintes que M. Mérimée exprimait en 1862 dans son rapport sur cette exposition, et plus tard l'insistance d'autres écrivains à demander pour la France des institutions équivalentes au South Kensington museum et aux établissemens qui en dépendent; de là aussi chez certains chefs d'industrie et chez certains artistes une sollicitude profitable au progrès, nous l'espérons, mais en tout cas plus honorable et plus sensée que la tranquillité d'esprit où nous vivions sur la foi de nos anciens succès.

Toutes les questions que soulèvent les exemples fournis par l'Angleterre, et plus récemment par la Belgique et l'Autriche, ne sauraient être exposées, encore moins discutées en quelques pages. Il ne nous est permis d'indiquer qu'en passant l'utilité qu'il pourrait y avoir en France à rendre plus ordinaires pour tout le monde les occasions d'étude, à multiplier sinon les musées, au moins les collections d'objets d'art usuels, sauf à se conformer sur ce point aux aptitudes innées ou aux traditions de chaque province. Réunir, comme on l'a fait depuis peu à Limoges, les spécimens d'un art spécial dans le lieu même où il a été autrefois le plus brillamment pratiqué, ce n'est pas seulement honorer des souvenirs et recueillir des documens historiques, c'est surtout rajeunir la signification de ces souvenirs, c'est en perpétuer l'influence et stimuler, en même temps qu'un légitime orgueil patriotique, le désir des découvertes nouvelles ou la recherche du mieux par de nouveaux efforts. De même, à un point de vue moins limité et pour répondre à des besoins plus généraux encore, ne conviendrait-il pas de créer dans notre pays quelques-uns de ces muséums d'ornementation maintenant établis en Angleterre, collections toutes différentes de nos collections purement archéologiques, et dans lesquelles une série d'œuvres sévèrement choisies fournit à chaque genre d'industrie des leçons d'autant plus utiles qu'elles intéressent à la fois le goût luimême et les secrets de la fabrication? Bien d'autres vœux pourraient être exprimés, bien d'autres lacunes signalées dans les institutions qui régissent l'art français nous ne parlerons aujourd'hui que c'e l'enseignement du dessin. Même réduite à ces termes, la question

demeure assez vaste. En tout cas, par les graves conséquences qu'elle peut entraîner comme par la multiplicité des intérêts qu'elle embrasse, elle mérite d'être étudiée de près et d'exciter, quand le moment sera venu, le zèle de l'administration des beaux-arts.

I.

Avant tout, il faut se défaire des préjugés qui prétendent établir une ligne de démarcation absolue, une limite infranchissable entre ce qu'on appelle l'art industriel et ce qui n'appartiendrait qu'à l'art proprement dit. L'art est un. Il y a sans doute des degrés dans la valeur esthétique des produits, une hiérarchie toute naturelle dans les diverses manifestations du talent; on ne saurait, cela est évident, estimer au même prix un morceau peint ou sculpté par un maître et une œuvre fabriquée par un artisan habile. S'il s'agissait donc simplement d'apprécier l'importance relative des résultats, rien ne serait plus juste que la distinction qu'on entend maintenir; mais là où le principe lui-même est en cause, où les conditions générales sont à déterminer et les moyens d'instruction préparatoire à fournir, il n'y a pas deux manières d'envisager les choses, il ne doit y avoir qu'un ordre de préceptes et qu'un mode d'enseignement. Le but commun et unique de cet enseignement élémentaire, c'est de donner aux élèves, quels qu'ils soient, des idées saines et des notions exactes; c'est non pas d'approprier les procédés de l'art au futur métier de chacun, mais au contraire d'initier chaque intelligence aux secrets du beau, aux lois du vrai, à tout ce qui peut l'alimenter dès à présent, la fortifier, la prémunir. Sous ce rapport, les tentatives de l'Union centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie nous semblent véritablement méritoires. Au lieu d'un enseignement subordonné aux préférences ou aux convenances personnelles, c'est-à-dire spécialisé en raison des diverses professions auxquelles les élèves se destinent, l'Union centrale entend donner un enseignement général, installer une doctrine fixe, établir une étude toute scolaire du dessin. Elle veut aussi, et rien n'est plus sage, débarrasser cette étude des inutiles difficultés qui la compliquent, en simplifier et en renouveler les conditions dans la pratique, enfin substituer partout l'action de l'esprit et les recherches sincères à la patience ou aux habitudes routinières de la main.

Or, pour faire prévaloir sur ces coutumes mécaniques les principes et les vues d'ensemble, quel meilleur moyen que de proposer dès le début aux élèves des modèles consacrés par l'admiration unanime, que de les familiariser tout d'abord avec les exemples

excellens Pourquoi s'y prendrait-on en matière d'enseignement du dessin autrement qu'on ne procède dans le domaine de l'éducation littéraire? Si l'on met entre les mains des élèves de nos lycées les grands monumens de la littérature antique, c'est apparemment qu'on suppose ceux-ci à la portée même des plus jeunes intelligences, c'est qu'on juge avec raison que l'apprentissage de la pensée ne saurait être commencé en trop bon lieu, et qu'il n'est jamais trop tôt pour provoquer chez ceux qui sont appelés à devenir des hommes l'essor des idées viriles. Quelle nécessité de changer d'avis là où il s'agit des facultés pittoresques et des moyens les plus propres à les développer? C'est précisément parce que les chefs-d'œuvre des maîtres sont des chefs-d'œuvre qu'il convient d'en prescrire l'étude à l'exclusion du reste. En accoutumant les commençans à n'envisager l'art que dans son expression la plus haute, ils ôtent d'avance au médiocre toute influence, ils le discréditent par le contraste, ils élèvent le niveau des idées de telle sorte que les envahissemens du faux goût ne peuvent y atteindre, ni les menues séductions s'y exercer.

Reste toutefois une objection. En prodiguant ainsi, dira-t-on, les occasions de connaître et d'étudier ce que l'art nous a légué de plus beau, en livrant tout d'abord et à tout venant des trésors inappréciables, on courra le risque d'en favoriser le gaspillage ou d'abuser sur leur propre compte les gens que l'on prétendait instruire. L'habitude chez ceux-ci n'arrivera peut-être qu'à engendrer la satiété, ou bien, fascinés et trompés par l'éclat même des modèles qu'on leur propose, ces simples apprentis se croiront de taille à devenir à leur tour des artistes, au lieu de se préparer sans arrière-pensée au rôle plus humble qui leur est réservé. De là les fausses vocations, les vanités, les ambitions stériles, et par conséquent des déceptions ou des misères dont seront en réalité responsables ceux qui auront prescrit cette familiarité prématurée avec les maîtres.

Cela est vrai; plus d'une méprise pourra se produire, plus d'une intelligence céder inconsidérément à la tentation, sauf à reconnaître trop tard qu'elle a fait fausse route. Tel qui se serait assuré une place parmi les ouvriers habiles n'aura réussi, en portant trop haut ses visées, qu'à grossir le nombre des peintres ou des sculpteurs médiocres; mais, pour empêcher quelques-uns de se laisser éblouir, faudra-t-il cacher à tous la lumière? De peur d'encourager les imprudens, sera-t-il juste de désarmer ceux qui ne songeraient pas à courir les aventures? Et d'ailleurs le danger n'est pas plus grand dans les ateliers que dans les classes, où tous les écoliers qui traduisent Virgile et Thucydide n'en viendront pas pour cela, au sortir

du collège, à s'enrôler parmi les poètes ou les historiens de profession. De même que l'éducation universitaire n'a pas pour objet unique de former des littérateurs, bien qu'elle repose tout entière sur l'étude des chefs-d'œuvre littéraires, de même l'enseignement élémentaire du dessin doit répondre à des besoins généraux et procéder d'une doctrine supérieure aux exigences ou aux fantaisies individuelles. En un mot, il en va de cet enseignement comme de l'enseignement de toute langue, de tout moyen d'expression pour la pensée humaine : il doit être fondé sur des principes et des exemples qu'il n'appartient à personne de supprimer ou de diversifier à sa guise, sur des règles une fois reconnues dont un examen rationnel sera le contrôle, et la série des grandes œuvres la démonstration naturelle. Pourquoi dès lors marchander aux élèves les secours qui leur deviendraient profitables le plus sûrement et le plus tôt? Étrange moyen de fortifier les jeunes esprits que de ne leur donner, à l'âge où l'on a le plus besoin d'alimens généreux, qu'une nourriture fade ou insuffisante!

Voilà cependant le parti qu'on a cru devoir adopter jusqu'à présent. Chacun sait ce que sont les modèles de dessin dans nos écoles, depuis les écoles communales et les lycées jusqu'à l'École polytechnique, à quels inutiles tours d'adresse ces modèles condamnent les crayons qui entreprennent de les reproduire. Qu'il s'agisse des prétendues têtes d'étude publiées au commencement du siècle par Lemire et Lebarbier, ou bien de ces académies lithographiées par M. Julien, qui hier encore défrayaient les travaux de la jeunesse française tout entière, il semble qu'on n'entende exiger des élèves rien de plus que la dose de patience nécessaire pour s'initier aux mystères de la hachure ou à la science du pointillé. De là, chez les victimes de cette triste méthode, le dégoût ou tout au moins l'ennui pendant les années d'apprentissage, et, en fin de compte, quelque chose de pis que l'ignorance, un goût à jamais perverti, une incapacité absolue, même pour les plus habiles, de concevoir et de rendre le vrai. Demandez à l'élève réputé le plus fort en dessin de son collége, à celui qui aura remporté tous les prix, demandez-lui de copier, non plus un modèle dédié à la gloire du «< crayon manié, mais un objet réel, si peu compliquées qu'en soient les formes, il se trouvera en face de ces formes, muettes pour ainsi dire, aussi empêché, aussi dépourvu, qu'il se sentait sûr de la réussite lorsqu'il n'avait à s'approprier que l'éloquence mensongère de la pratique et les bavardages du procédé.

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Les exemples de calligraphie pittoresque décorés du nom d'études ou de principes que l'on met d'ordinaire sous les yeux des élèves ont donc ce double inconvénient de faire prévaloir une dextérité

vulgaire sur le travail intellectuel, et de compromettre ou d'altérer si bien la signification de l'art qu'elle se confond avec les vanités de l'artifice. Rien de plus opportun que les tentatives récemment faites pour remédier à un aussi grave abus; reste à savoir pourtant si, dans ces nouvelles entreprises, les moyens employés répondent complétement aux intentions, et si le progrès qu'elles résument a toute l'autorité d'une réforme ou seulement le caractère d'un accommodement.

Parmi les publications où l'on pourrait le mieux reconnaître une volonté sérieuse d'abandonner les erremens du passé, le Cours de dessin lithographié par M. Bargue sous la direction de M. Gérome mérite d'être cité en première ligne. Ici en effet le perfectionnement est notable tant sous le rapport de l'exécution matérielle qu'en ce qui concerne le choix et la succession des modèles; mais il ne s'ensuit pas que ce nouveau cours de dessin satisfasse encore pleinement à toutes les exigences. La partie du recueil composée de pièces en fac-simile d'après les maîtres anciens ou contemporains ne mérite guère, il est vrai, que des éloges. A peine pourrait-on çà et là regretter quelques choix malheureux, ceux qu'on a faits, par exemple, dans les ouvrages de Flandrin, de deux figures aussi peu propres à expliquer à des commençans les beautés naturelles qu'à leur donner une juste idée du talent de l'artiste. Partout ailleurs les cmprunts ont été aussi judicieusement calculés qu'habilement mis en œuvre, et les reproductions des crayons d'Holbein en particulier sont des spécimens excellens de ce qu'il importe surtout de recommander aux élèves, une parfaite simplicité dans le faire unie à l'ingénuité du sentiment. En revanche, l'autre partie de la collection, celle qui comprend les types lithographiés d'après la bosse, nous semble de nature à mettre en péril cette sincérité nécessaire. A quoi bon ces ombres noires jusqu'à l'effacement de la forme, jusqu'au vide? A quoi bon ce modelé anguleux, ces contours si secs qu'au lieu de laisser pressentir les parties fuyantes des corps, ils semblent enserrer ceux-ci dans les limites d'une ligne coupante, affilée comme le tranchant d'une lame, et supprimant non-seulement l'apparence de la souplesse, mais l'idée même de l'épaisseur? On peut du reste étendre au principe même ces critiques sur la manière dont il a été appliqué : à quoi bon en général ces dessins d'après la bosse faits pour être redessinés à leur tour?

Il n'est pas prudent en pareil cas, je crois, de substituer des explications individuelles, des procédés intermédiaires, à l'étude franche et directe de la réalité. Que l'on reproduise par la gravure ou par la lithographie des dessins, des fragmens de tableaux même, pour les proposer en exemples aux commençans, rien de mieux

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