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de local; ils viennent de tous les côtés, du nord et du midi. C'est un bill de confiance donné à l'homme qui représente le mieux l'esprit de la France au moment où nous sommes, et M. Thiers entre évidemment dans l'assemblée avec une sorte de délégation nationale qui fait de lui le chef naturel d'un gouvernement nouveau, le plénipotentiaire désigné dans les négociations qui vont s'ouvrir. Si triste et si difficile que soit ce devoir, M. Thiers le remplira sans nul doute. Après avoir raconté les grandeurs de notre pays, après l'avoir gouverné dans des temps plus prospères, il lui rendra ce dernier service de le guider dans les incomparables épreuves que nous traversons. Il ralliera nécessairement autour de lui dans l'assemblée tous ceux qui mettent la France bien au-dessus de tous les intérêts et de toutes les préférences de parti. Il est bien clair que la signification du dernier mouvement électoral et de cette multiple nomination de M. Thiers est toute pacifique. On entrera dans les négociations sans arrière-pensée, on fera la paix, si on le peut; on ira jusqu'à la limite des concessions compatibles avec l'honneur d'une nation qui peut bien se résigner à s'avouer vaincue, sans consentir à signer son propre avilissement, et au fond c'est là justement la difficulté de trouvér cette limite.

La signification assez claire des élections qui ont produit l'assemblée de Bordeaux est pacifique sans doute; est-ce à dire que ce soit la paix quand même et à tout prix? Ce n'est point là évidemment cé que la France a voulu dire. Depuis quelques jours, c'est à qui énumérera les conditions possibles ou vraisemblables de la paix, les exigences du vainqueur, les propositions des neutres. Toutes les versions courent dans la publicité européenne. Ce qu'il y a de plus clair, c'est que personne ne sait rien; ceux qui le savent n'en ont rien dit, et il n'est point impossible que l'attitude de l'assemblée de Bordeaux n'exerce quelque influence sur les résolutions de la Prusse elle-même. Pour le moment, l'essentiel est une prolongation de l'armistice qui expire dans quatre jours, avant qu'une négociation sérieuse ait pu s'ouvrir, peut-être même avant que l'assemblée ait pu s'organiser et constituer un gouvernement. Or c'est ici précisément qu'on va rencontrer la première difficulté. Lá Prusse consentira-t-elle à une prolongation de l'armistice, si la base essentielle de la paix n'est point admise avant tout, et cette base ellemême, quelle est-elle? Voilà la question. M. de Bismarck plus que tout autre tient aujourd'hui entre ses mains la fortune de deux grandes nations. S'il a une clairvoyance égale à son audace, s'il ne veut que des garanties légitimes pour l'Allemagne, s'il se préoccupe moins d'exercer des représailles ou d'assouvir un vain orgueil militaire que d'assurer l'avenir de son œuvre par une modération habile, la paix est possible et même vraisemblable, parce que la Prusse ne nous offrira que des conditions que nous puissions accepter, et l'Allemagne y est en vérité aussi intéressée que la France. Si M. de Bismarck, entraîné par l'esprit de

conquête, persiste dans ses prétentions exorbitantes, s'il veut pousser la France à bout, il n'arrivera qu'à un résultat : ce sera de rendre la paix impossible, inacceptable pour ceux-là mêmes qui la désirent, et qui seraient prêts à se résigner à d'inévitables sacrifices. Parce qu'il a la force et que ses armées ont eu jusqu'ici la victoire, parce qu'il a réussi à dompter la résistance de Paris par la famine et que ses soldats occupent une partie de notre territoire, M. de Bismarck peut se laisser aller à croire que rien ne doit lui résister désormais, que la France doit subir dans toute sa dureté la loi du vainqueur. S'il croit cela, c'est qu'il est décidé d'avance à rouvrir cette arène sanglante où deux nations s'entre-tuent depuis six mois; mais il se tromperait étrangement, s'il pensait que la France peut et doit tout accepter. La France n'est point heureusement aussi épuisée qu'il le suppose. Elle a pu être compromise par la confusion et l'imprévoyance. Elle a encore assez de sang pour combattre, assez de ressources pour soutenir la lutte, si on la pousse à une résistance désespérée. Elle se défendra par tous les moyens, et cette fois elle n'aura pas seulement à sa tête un gouvernement improvisé dans une heure de révolution, elle sera représentée et conduite par une assemblée qu'elle a élue, qui restera la légitime personnification du pays, et qui, après avoir rendu témoignage de son esprit de modé ration pacifique, sera d'autant plus autorisée à reprendre avec une énergie nouvelle la défense de notre nationalité en péril.

M. de Bismarck ne sera plus seulement en présence d'un gouvernement de Paris ou d'un gouvernement de Bordeaux; il sera en face de la France elle-même tout entière en armes, et c'est une question de savoir si, par l'excès de sa politique, il ne contraindrait pas enfin l'Europe à sortir de l'indifférenee où elle s'est renfermée jusqu'ici. Nous ne nous faisons certes point illusion, nous n'avons pas été gâtés par la faveur européenne depuis six mois. Il y a cependant un degré où les entreprises de la force deviennent une menace pour tout le monde, et il est bien certain que les malheurs de la France excitent des sympathies croissantes dans le monde civilisé, en ravivant le sentiment de la mission bienveillante que notre pays a toujours remplie en dépit des fautes commises en son nom. L'Angleterre elle-même, l'Angleterre surtout vient de nous donner des marques touchantes de ces sympathies par son empressement spontané et désintéressé à venir au secours des misères de Paris, et l'opinion publique commence à supporter impatiemment l'impartialité inactive du gouvernement. M. de Bismarck, malgré son imperturbable audace, y regardera peut-être à deux fois avant de donner par l'excès de ses prétentions un nouveau signal de guerre qui retentirait douloureusement en Europe, en Allemagne même, en ralliant autour de la France toutes les sympathies éparses du monde.

CH. DE MAZADE.

Histoire de la littérature allemande, par M. Heinrich, 2 vol. in-8°; Franck 1870.

Si nous avons pu nous convaincre que les Allemands, tout en sachant notre langue, nous connaissent mal et de façon à commettre en tout ce qui nous concerne d'étranges et dangereuses erreurs, il faut bien nous attendre à pénétrer nous-mêmes avec peine leur caractère et leur génie, si différens des nôtres. Aussi faut-il accueillir avec gratitude des livres de savoir intelligent et de goût, destinés à nous rendre une telle étude plus prompte et plus facile. De ce nombre est l'Histoire de la littérature allemande, de M. Heinrich, publiée il y a seulement quelques mois. Des trois volumes qui composeront cet ouvrage, deux ont paru, résultat de dix années d'un enseignement à la fois solide et brillant à la faculté des lettres de Lyon; ils comprennent toute l'histoire des lettres allemandes jusqu'aux dernières œuvres de Goethe, de sorte que le troisième volume sera tout entier réservé à la littérature contemporaine.

L'histoire littéraire ne doit plus se borner à enregistrer chronologiquement et par catégories les diverses œuvres épiques, lyriques, dramatiques, en se bornant à faire connaître la biographie de chaque écrivain ou de chaque poète, avec une analyse et au besoin des citations de ses principaux ouvrages. Elle aspire à interpréter par une synthèse plus intelligente un génie national qu'elle étudie dans sa formation, qu'elle suit avec un intérêt dévoué dans toutes les grandes manifestations de sa virilité, dont elle signale enfin les causes de caducité ou de nouveau progrès, soit présentes, soit prochaines. Il lui faut, pour cela, consulter l'histoire politique et morale, se faire universelle par une large sympathie avant de se faire particulière par une habile critique.

Où commencera cependant une histoire de la littérature allemande? M. Heinrich n'a pas hésité à y comprendre ce qu'il appelle justement les origines germaniques. A ce compte, il a raison de commenter d'abord la Germanie de Tacite. Il n'y a pas de livre dont les Allemands encore aujourd'hui soient plus fiers. Dès l'époque de la renaissance, les manuscrits qui nous ont conservé l'œuvre de l'historien romain l'appellent le « livre d'or de la Germanie. » On sait en effet de quel prix sont les observations qui le composent, et combien nous eussions perdu à ne pas les conserver; mais l'Allemagne moderne a-t-elle bien le droit de revendiquer pour elle seule le bénéfice de cet héritage? Ne pourrait-on pas démontrer que le génie anglo-saxon est l'héritier très direct de certains traits du caractère que Tacite a dépeint? Une foule de traditions germaniques ne se sont-elles pas transmises plus intactes en Scandinavie que dans l'Allemagne moderne, toute pénétrée d'influences classiques, slaves, etc.? La France elle-même n'a-t-elle pas, dans son travail de fusion que la force peut seule rêver de dissoudre, admis des élémens

germaniques qu'il serait facile encore de reconnaître? Les diverses nations de l'Europe ont donc à divers degrés le droit de reporter leurs souvenirs vers le livre de Tacite.

De la mythologie scandinave, que M. Heinrich expose ensuite avec un certain détail, ne peut-on pas dire quelque chose de semblable? Il est bien vrai que cette mythologie, conservée dans les deux Eddas, nous transmet, sous une forme qu'on est fondé à croire non tout à fait altérée, l'ancienne mythologie de la race germanique; mais ces traditions, dispersées bientôt par des invasions et des migrations multiples, se sont mêlées aux croyances de toute l'Europe, au lieu de rester le domaine exclusif des Allemands. Il suffit d'avoir parcouru les livres de Jacques Grimm, particulièrement sa Mythologie et ses Antiquités du droit allemand, pour se faire une idée de cette dispersion opérée par le germanisme avant même qu'au centre de l'Europe il se soit formé une Allemagne chrétienne et moderne. Compterez-vous dans la littérature allemande ces chants guerriers que les Germains, au témoignage de Tacite, récitaient en marchant au combat, et qui célébraient leurs dieux et leurs héros? Quelle sorte de Germains les chantaient? Des Goths, des Francs, qui ont été s'établir en de tout autres pays que la future Allemagne; c'est Charlemagne, nous raconte Eginhard, qui avait pris soin de faire recueillir ces chants, et Charlemagne, quoi qu'on en dise audelà du Rhin, n'est pas un Allemand, c'est un Franc.

Après ces origines, M. Heinrich institue ce qu'il appelle un « premier âge classique, » et cet âge comprend, à son sens, les divers cycles de poésie que le moyen âge de l'Allemagne a enfantés: cycle héroïque avec les poèmes sur le héros Sigurd et sur les Niebelungen, cycle chevaleresque avec les poèmes concernant Charlemagne et la Table-Ronde. Légendes pieuses, poésie mystique, premiers jets de satire morale, viennent s'y ajouter pour faire de ce premier âge une époque déjà originale. — L'auteur dut rencontrer ici pour la première fois une difficulté nouvelle, difficulté plus grande pour un Français que pour tout autre quand il s'agit d'interpréter le génie allemand. D'où vient le mépris aveugle des Allemands d'aujourd'hui pour la littérature française? Comment M. Mommsen par exemple déclare-t-il que les races anglo-saxonnes et germaniques connaissent seules la poésie, et que c'est tout au plus depuis Alfred de Musset et Lamartine que la France la soupçonne? Il faut bien qu'il y ait ici un malentendu. Il est clair que les Allemands qui parlent ainsi n'accordent le nom de poésie qu'à une inspiration tout intime et, comme ils disent, toute subjective. Peut-être est-il juste de reconnaître que le génie allemand, dès les premiers temps du moyen âge, se montre aisément capable de cette sorte d'inspiration. Ainsi s'expliquerait l'absence de goût qu'on y remarque; l'expression poétique n'est pas pour lui une création extérieure qu'il juge à distance et au point de vue plastique, ce serait plutôt une manifestation naïve, tout individuelle

et comme inconsciente. Ainsi se comprendrait aussi une autre diffi culté qui doit s'offrir à l'historien de la littérature allemande. On a pu croire qu'on écrivait l'histoire de la littérature française en donnant une série d'études critiques sur chacun de nos plus beaux génies; une pareille méthode, toujours incomplète, le serait surtout, si on prétendait F'appliquer à l'histoire des lettres allemandes. Surtout au moyen âge, le mouvement des esprits s'est produit au-delà du Rhin sous la forme d'une féconde efflorescence, et, jusque dans les temps les plus modernes, chaque poète n'y a compté qu'à la condition de se faire l'interprète direct du sentiment populaire et universel.

Le XVIIe siècle et la première moitié du xvine furent pour la littéra ture allemande une triste époque d'asservissement à l'imitation étran-gère; M. Heinrich fait sagement de ne pas y consacrer un long examen. H réserve avec beaucoup de raison toute son attentive étude pour les hommes qui mirent un terme à cette période d'inertie. Son second vo→ lume s'ouvre avec Klopstock et Lessing. Ce furent eux qui suscitèrent l'esprit public, et donnèrent le branle au puissant mouvement qui depuis ne s'est pas interrompu. Klopstock, avec son inspiration religieuse, se chargea de ramener les âmes vers les hautes pensées et de ranimer chez ses compatriotes le goût des grandes choses. Il prétendit réveiller dans sa Messiade le respect d'un christianisme austère et élevé. En même temps il s'efforçait, dans ses poésies, de glorifier le héros de l'antique Germanie, Hermann, afin de retremper dans ces souvenirs les vertus qu'il croyait essentiellement allenrandes, l'enthousiasme, la loyauté, la simplicité religieuse et le dévoûment à la patrie. Lessing, lui, avait un autre rôle. Avec sa vive et alerte intelligence, il travaillait à aiguiser les esprits en les armant de la critique, de l'érudition, de la philosophie. Inutile de dire que M. Heinrich consacre à ces deux noms plusieurs importans chapitres. Sa tâche est là simplifiée par la grandeur des œuvres qu'il doit faire connaître. La seule analyse de ces œuvres, faite avec talent et esprit, comme la sait faire notre auteur, devient ici le nécessaire. Wieland paraît ensuite, qui, après avoir donné à l'Allemagne beaucoup d'espérances, ne tient pas assurément toutes celles qu'avaient fait concevoir les deux maîtres du mouvement nouveau. On l'a comparé bien maladroitement à Voltaire, dont l'influence a été tout autrement énergique et vive. M. Heinrich propose à son tour de le comparer à Sainte-Beuve; mais, au milieu des témoignages qu'il invoque pour légiu timer sa propre comparaison, le lecteur, non convaincu trouvera impar tialement mêlés bien des argumens contre cette comparaison même. Ce second volume de M. Heinrich se termine par une ample étude sur Schiller et Goethe, qui, à l'exemple de Kant et Herder, avaient repris l'héritage de Klopstock et Lessing, et lancé désormais l'esprit allemand dans les voies où il a marché depuis. A. G.

C. BULOZ.

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