avec les mitrailleuses défoncées sans avoir pu faire une seule dé- (1) J'en ai vu entre les mains de l'ennemi de toutes neuves, étincelantes, n'ayant point tiré. une clameur immense, formidable, un sauvage hurrah de triomphe s'élevait et venait jusqu'à nous, cri de joie brutale échappé à la fois de 300,000 poitrines, et qui saluait au retour de son excursion le roi Guillaume, le vainqueur de Sedan. .Ce hurrah insultant, ces acclamations, ces applaudissemens, partaient comme des traînées de poudre, sortaient du fond des bois, grandissaient, et devant le passage du roi les musiques prussiennes, jouant un hymne religieux de Wagner, un air lent, mélancolique et rêveur, un cantique sacré, une prière, melaient cette harmonie à ces hurrahs brutaux, si bien que tout ce que l'art a de plus élevé et tout ce que la guerre a de plus horrible s'unissaient pour composer l'acclamation la plus douloureuse qu'on puisse entendre, pour causer l'émotion la plus profonde qu'on puisse éprouver. Ah! les rages impuissantes du vaincu, les larmes fiévreuses du patriote ! Je me retournais vers ces masses noires comme poir les maudire ! Un commencement d'incendie bientôt étouffé s'allımait dans la paille du camp. Je souhaitais un anéantissement complet de cette foule, un écrasement de cette horde. J'arrivai à La Chapelle épuisé. J'avais hâte de me sentir loin de l'ennemi, libre de mes réflexions et de mes colères. Un officier français prisonnier m'accompagna jusqu'au bout du village, sur la route de Belgique, me répétant les fautes commises, impardonnables, et contant ces batailles dernières avec des frémissemens dans la voix. Vous allez trouver la république à Paris, sans doute, me dit-il; c'est une consolation. Et comme en ce moment deux ou trois coups de feu, dont je ne voyais pas la direction, retentirent derrière nous: - Al-lons, ajouta le capitaine S... en me serrant la main, ces balles sont pour moi. On trouve que je m'écarte un peu trop, et on craint que je ne veuille m'échapper. Je rentre. - Et il reprit le chemin de La Chapelle, tandis que je suivais la route de Belgique. Nous n'avions plus trois cents pas à faire pour atteindre la frontière, nous apercevions déjà la maison des douaniers belges, lorsque tout à coup sur la lisière d'un bois, au bout d'un pré, un homme apparut, un artilleur français, grand, maigre, couvert de poussière, qui s'abattit brusquement de toute sa hauteur sur l'herbe, comme si une balle l'eût frappé; nous le crûmes mort. Nous accourons vers lui. Il buvait, il lapait un peu d'eau au courant d'un ruisseau, comme un chien altéré; au bruit de nos pas, l'homme se redresse. Sa moustache et ses oreilles blanches de poussière, la visière tordue de son képi, ses vêtemens sordides, lui donnaient l'aspect d'un vieillard et d'un pauvre. Il portait sa carabine en bandoulière et fit un mouvement pour la saisir.— Nous sommes Français.—Ah! dit-il d'un ton rauque, et il se releva en essuyant ses genoux. Nous vou lûmes alors le faire parler, lui demandant s'il avait faim.—Non, je JULES CLARETIE. L'ENSEIGNEMENT DU DESSIN EN 1871 L'épreuve terrible que traverse notre pays décourage la pensée de toute occupation, de toute étude étrangère aux périls de l'heure présente et aux devoirs qu'elle prescrit. Quand chacun se doit tout entier à la défense de la patrie outragée, qui songerait à déserter la lutte pour se réfugier dans le domaine des contemplations paisibles, des pures spéculations de l'esprit? L'art et ses euvres laissent aujourd'hui à la critique des loisirs trop légitimes, et ce serait faire acte d'un triste sang-froid que de s'obstiner en face de l'ennemi à disserter sur un morceau de sculpture ou sur un tableau. Suit-il de là qu'il faille se désintéresser absolument de ce qui ne saurait avoir une application immédiate? Sous la vie maintenant suspendue de l'art, n'est-il pas permis de pressentir, d'interroger les symptômes de la santé à venir ? Peut-être cette inquiétude du lendemain estelle encore une des formes du patriotisme; peut-être ceux-là mêmes qui seraient mal venus à s'immobiliser dans le Jilettantisme historique ont-ils le droit et le devoir de rechercher au prix de quels efforts, dans quelles conditions, dans quelle mesure, les progrès prochains pourront s'accomplir. Parmi les questions qui doivent appeler notre sollicitude après la guerre, une des moins susceptibles d'ajournement est sans contredit la question relative au perfectionnement de l'éducation pittoresque. Il y va non-seulement de l'honneur de notre école, mais de l'accroissement que pourrait prendre ou du dommage que pourrait subir une partie très importante de nos ressources industrielles et commerciales, - celles que procurent à notre pays tant de produits dont l'élément principal est la pratique du dessin. Or, si nos sculpteurs ornemanistes et nos orfévres, nos peintres céramistes et nos verriers, si tous ceux qui par profession manient les procédés de l'art n'en ont reçu que des notions superficielles ou équivoques, il est certain que leurs œuvres se ressentiront toujours de cet apprentissage incomplet. Au lieu d'étendre l'influence du goût français et d'en consolider la bonne renommée, elles ne serviront plus qu'à entretenir chez nous certaines habitudes banales. Il y aura ou plutôt il y a là dès à présent la menace d'une sorte d'anémie intellectuelle qui d'ailleurs avait éveillé déjà des inquiétudes et provoqué des tentatives de guérison dont il n'y a que justice à tenir compte. Les efforts poursuivis par les fondateurs d'une société de l'Union centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie, par ce Congrès pour l'avancement des arts utiles dont la Revue résumait, il y a un an, les vœux et les travaux (1), — les écrits et les discours publics d'un artiste qui fait autorité par l'élévation de sa doctrine autant que par son talent, M. Guillaume, — les développemens donnés à l'étude du dessin dans les écoles primaires de la ville de Paris, — d'autres essais, d'autres entreprises encore, prouvent que depuis quelque temps l'attention était généralement attirée sur ce point, à peu près négligé jusqu'alors. Sans doute ce n'était pas la première fois qu'on s'occupait en France d'organiser l'enseignement du dessin; mais pour la première fois peut-être on songeait à en fixer méthodiquement les principes, et, dût le mot paraître un peu ambitieux, à en déterminer les conditions philosophiques. Si les événemens n'ont permis d'agir que très incomplétement en ce sens, on n'en a pas moins entrepris de secouer le joug de la routine; si toutes les réformes nécessaires sont encore loin d'être réalisées, quelques-unes paraissent en voie de s'accomplir. C'est là un commencement de progrès qu'il convient d'autant mieux d'encourager que ce qui se passe à l'étranger ne nous permet ni un temps d'arrêt qui serait plus funeste, ni une confiance prématurée dans le succès. Il faut bien le reconnaître en effet, le mouvement qui tend à s'opérer en France n'a ni le mérite de la spontanéité, ni l'autorité imprévue d'un exemple : l'exemple au contraire nous a été donné par ceux-là mêmes qui naguère recevaient de nous des leçons. Tandis que tout se bornait ici à la pratique des procédés accoutumés, tandis que nous suivions au jour le jour les usages ou les traditions (1) Voyez, dans la Revue du 1" décembre 1869, l'Art contemporain, par M. Charles d'Hcnriet. |