Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

de celles que l'on répudie du jour au lendemain. En eût-elle la volonté, la Grande-Bretagne n'aurait pas la force de reprendre aujourd'hui dans les conseils européens la part prépondérante qui lui revient à juste titre.

L'écrit anonyme dont nous parlions en commençant est, dit-on, l'œuvre de M. Gladstone. Ce serait alors, sous une forme moins suspecte et plus littéraire, une de ces œuyres de louange officielle dont une triste expérience nous apprend à nous défier. Après avoir été pendant une année et plus le chef du gouvernement, M. Gladstone ne peut avouer que son pays soit moins heureux maintenant qu'à la fin de 1868. Or, il y a treize ou quatorze mois, à l'époque où cet illustre homme d'état devenait premier ministre avec l'appui d'une majorité compacte et nombreuse, comme on en voit rarement sous le régime parlementaire, l'Angleterre avait tous les bonheurs, nous en convenons bien volontiers. A l'intérieur, le libre jeu des institutions aplanissait toutes les difficultés. Il y en a une preuve bien éloquente, quoique peu remarquée : depuis longtemps, le ministre de l'intérieur, home department, a été, sauf une ou deux exceptions, l'un des membres les plus insignifians du cabinet. La réforme parlementaire était venue à point pour calmer les agitations ouvrières, et c'était justice qu'elle y eût réussi, car elle était plus encore une promesse pour l'avenir qu'un gage pour le présent. L'industrie était prospère, le commerce florissant. Le chancelier de l'échiquier annonçait triomphalement chaque année une réduction simultanée de l'impôt et de la dette publique. A l'extérieur, l'Europe était calme. Le gouvernement anglais affectait de ne s'intéresser qu'à deux questions, la neutralité de la Belgique et le maintien de l'empire ottoman. Or Anvers et Constantinople n'étaient que tout juste assez menacées pour que l'Angleterre se crût obligée de conserver une faible armée de terre. Encore les esprits froidement calculateurs, il y en a bon nombre dans les îles britanniques, déclaraient-ils cette armée trop onéreuse, et le secrétaire du war office s'ingéniait à réduire chaque année le budget de son ministère. Le parlement l'encourageait dans cette voie d'économies exagérées.

Hors d'Europe, la guerre d'Abyssinie avait été l'une de ces fantaisies coûteuses, mais non sans gloire ni profit, que peuvent se payer de temps en temps les peuples riches; elle avait eu pour conséquence de consolider l'influence anglaise en Orient. L'Inde était tranquille, en voie de se transformer par les canaux, les routes et les chemins de fer. En Chine, l'accord entre la race blanche et la race jaune semblait durable; on s'attendait si peu à la recrudescence d'animosité dont les derniers paquebots nous ont apporté les douloureux récits, que l'ambassadeur de sa majesté chinoise était

reçu avec autant d'égards à Londres que les ambassadeurs des nations civilisées, concession étrange en faveur d'un potentat qui, dans ses audiences officielles, traitait le représentant de l'Angleterre sur le même pied que celui des Thibétains, ses vassaux. Les possessions anglaises de l'Amérique du Nord venaient de s'unir dans le Dominion of Canada avec de chaleureuses protestations d'attachement à la couronne britannique. Les colonies de l'Océan austral n'étaient ni moins loyales ni moins tranquilles que le Canada. Un dissentiment, il est vrai, s'était élevé entre la Nouvelle-Zélande et la mère-patrie à propos d'une garnison de troupes métropolitaines que les colons voulaient conserver sans en payer la dépense; mais ce dissentiment avait été en définitive une occasion de bien poser en principe qu'une colonie n'est digne de se régir elle-même qu'à la condition de se suffire. Le devoir imposé aux établissemens lointains de s'armer et de se défendre par leurs propres ressources rendait possible une nouvelle réduction de l'armée, nouvelle source d'économies que le chancelier de l'échiquier se gardait de négliger. Dans ce ciel sans nuages de l'horizon britannique, l'œil le plus attentif ne pouvait discerner qu'un léger brouillard, d'où il n'était guère probable que la tempête pût sortir. Les États-Unis s'obstinaient à réclamer la réparation qu'ils se croyaient due pour de prétendues faveurs illicites que la Grande-Bretagne aurait accordées aux confédérés pendant la guerre de sécession. Les élémens de cette affaire assez complexe ont été exposés dans la Revue (1er et 15 septembre 1870). Le gouvernement de Washington paraissait peu pressé de terminer cette contestation, et les Anglais avaient. quelque espoir que le temps éteindrait des griefs qu'ils refusaient d'admettre comme légitimes.

Eh bien! n'est-ce pas un peuple heureux que celui qui peut parcourir l'Europe et faire le tour du globe sans rencontrer des visages ouvertement hostiles? N'y a-t-il pas aussi dų bonheur à se dire qu'aucune question politique intérieure n'est assez menaçante pour exiger une solution hâtive d'où la sagesse et la maturité seraient exclues? L'union des partis était telle que les vieilles dénominations de whigs et de tories tombaient elles-mêmes en désuétude. Les tories, représentans du parti conservateur, avaient proposé et fait voter l'extension de la franchise électorale. Un ministère whig, sans rencontrer d'opposition violente, avait démoli l'édifice caduc de l'église établie en Irlande. Encore une fois, la paix dans les relations internationales, le calme à l'intérieur, l'aptitude à résoudre chacune à son heure les questions dont les progrès du siècle imposent l'examen, cela ne constitue-t-il pas le régime d'un peuple heureux? Oui, sans doute, ce serait assez, si c'était durable. Par malheur, ce régime reposait sur des bases instables. Nous laisserons à d'autres

le soin de rechercher si la prospérité intérieure de la Grande-Bretagne est minée par des vices encore cachés, nous contentant de faire voir que sa sécurité à l'extérieur n'avait d'autre appui que l'équilibre européen, et qu'elle a été en péril dès que cet équilibre, dont elle disait ne plus se soucier, a été détruit par les événemens.

[ocr errors]

I.

Nous nous proposons donc de passer en revue successivement la situation de l'Angleterre vis-à-vis des grandes puissances. Commençons par les États-Unis et rappelons d'abord les anciens sujets de litige entre les deux nations. Les États-Unis reprochent à l'Angleterre d'abord d'avoir accordé aux insurgés du sud la qualité et le bénéfice de belligérans dès le début des hostilités, en second lieu d'avoir autorisé la construction dans ses chantiers maritimes de corsaires confédérés, le plus célèbre est l'Alabama, armés et équipés par des négocians anglais, montés en grande partie par des matelots anglais, ravitaillés dans des ports anglais, et qui ont causé au commerce de l'Union des dommages évalués à plus de 60 millions de francs. La guerre de sécession étant terminée depuis longtemps, le premier de ces deux griefs n'a plus qu'un intérêt théorique; le gouvernement de Washington ne le maintient que comme question de forme. Quant au second, il se résoudrait naturellement par une question d'indemnité pécuniaire que le cabinet de Londres, dans un esprit de conciliation, propose de déférer au jugement d'un arbitre. Cette solution, formulée en un traité diplomatique, a été rejetée d'un commun accord par le sénat et par le président de l'Union. En effet, ce n'est pas de l'argent que les Américains veulent tirer de cette contestation. Après avoir traîné l'affaire en longueur d'une manière propre à inspirer quelques soupçons aux gens impartiaux, ils ont enfin avoué leurs secrètes intentions par l'organe de quelques politiques aventureux. L'histoire ne laisse pas que d'en être curieuse. Il s'agit, souvenons-nous-en, de navires du commerce capturés à la mer. Quelles ont été les victimes de ces faits de guerre ? Les armateurs et chargeurs? Nullement, nous diton, car ils s'étaient fait assurer contre les risques de guerre; les compagnies d'assurances les ont indemnisés. Sont-ce donc les assureurs? Non encore, car ils ont fait entrer en ligne de compte dans leurs contrats les chances de capture par les corsaires confédérés, et ils ont réglé leurs tarifs de garanties en conséquence. Si l'indemnité que paiera l'Angleterre était versée aux assureurs, ceux-ci devraient en bonne justice restituer les primes d'assurances qu'ils ont perçues. Que si au contraire les armateurs et chargeurs recevaient l'argent de la Grande-Bretagne, il y aurait double décompte

:

à faire restitution des indemnités payées par les compagnies et des primes payées par les assurés. En l'un comme en l'autre cas, il faudrait revenir sur des contrats déjà anciens et liquidés par un commun accord des parties, opération qui serait mauvaise partout et qui le serait plus encore chez une nation essentiellement commerçante. Qu'en conclure, si ce n'est que l'argent anglais doit tomber dans la caisse de l'Union? S'il en est ainsi, l'affaire devient facile à arranger. On nous cite un précédent dont nous ne pouvons, dans les circonstances actuelles, vérifier l'exactitude. Vers la fin du XVIIIe siècle, le commerce américain avait à faire valoir des réclamations de même nature contre des corsaires français. Les traités de 1800 et de 1803 mirent fin au litige, non par le paiement d'une indemnité pécuniaire, mais par l'abandon de la Louisiane aux ÉtatsUnis. Les Américains ont donc suggéré que l'affaire s'arrangerait facilement par la cession de la Jamaïque, des Bermudes et de l'archipel des Bahama. Puis, sans s'inquiéter davantage de ces îles isolées dont ils se soucient médiocrement, ils ont avoué qu'il leur faut en guise de compensation toutes les possessions anglaises de l'Amérique du Nord, y compris le Canada.

Ce n'est pas là, convenons-en bien vite, la politique officielle du cabinet de l'Union. Tout au plus s'est-il permis de faire entendre, par l'organe de son ambassadeur à Londres, qu'une cession de territoire mettrait fin au conflit. Cette ouverture n'ayant pas été accueillie, il n'a point insisté; mais en Amérique plus qu'en aucun autre pays l'utopie de la veille peut devenir le lendemain une réalité. Il suffit que le projet soit pris en main par un de ces hommes d'état aventureux comme on en rencontre beaucoup au-delà de l'Atlantique. Il y a là-bas un certain général Butler qui est un de ces hommes. Officier équivoque, car il a été révoqué par le général Grant pendant la guerre de sécession, mauvais administrateur, orateur violent, le général Butler a laissé de fâcheux souvenirs partout où il est passé, s'il faut en croire les journaux anglais, qui sont, il est vrai, empreints de partialité à son sujet. Il est doué d'un talent particulier qui le fait surnager malgré tous ces défauts; il s'entend à merveille à manier les électeurs. Il a été élu membre de la chambre des représentans, non point par l'un des nouveaux états de l'ouest, ouvert à tous les intrigans, mais par le Massachusetts, l'un des états les plus éclairés de l'Union. Du reste il est sans vergogne, comme on va voir. Au mois de décembre dernier, il fait un discours à ses constituans à Boston, la capitale intellectuelle de l'Amérique du Nord, où, suivant toute apparence, la loi et la morale ont plus de partisans que partout ailleurs. Et que leur dit-il? Le parti républicain, qui est actuellement au pouvoir, se dissout (M. Butler est républicain en ce moment); les démocrates reprennent faveur et menacent de

-

l'emporter à la prochaine élection présidentielle. Les principales questions de politique intérieure que la pacification du sud avait laissé à résoudre sont maintenant résolues. Le seul moyen de réunir en faisceau les membres épars du parti républicain est d'adopter au dehors une politique vigoureuse, c'est-à-dire de reprendre avec insistance la suite des réclamations contre l'Angleterre, quand même cette ligne de conduite aurait pour effet d'amener une déclaration de guerre. La guerre n'est pas à redouter, elle serait populaire. Ceux qui seront au pouvoir lorsqu'elle commencera sont assurés d'y rester longtemps après. Voilà ce qui se dit tout haut en Amérique. N'est-ce pas notre histoire d'hier que l'on raconte là?

Ce qui ajoute à la gravité de ce fâcheux symptôme, c'est la connexion qui existe entre le général Butler et le président. On raconte que le discours de Boston avait été précédé d'une entrevue de ces deux personnages. On veut même que M. Butler soit destiné à occuper bientôt, en remplacement de M. Fish, homme d'un sens rassis, le poste de secrétaire d'état, le plus important des départemens ministériels. A première vue, il y aurait lieu d'être surpris d'un rapprochement entre le président et son ancien subalterne, qu'il a disgracié pendant la guerre de la sécession; mais la vie publique exige bien des réconciliations étranges. Le général Grant n'a pas tenu comme homme politique ce que d'éminens services militaires avaient fait augurer. Il voudrait bien être réélu en 1872, et comme il s'entend mieux à conduire des soldats qu'à mener une campagne électorale, il lui faut l'appui d'un Butler qui sache manipuler les électeurs. Aussi n'a-t-on été que médiocrement surpris de retrouver dans le message présidentiel de cette année une variante adoucie des déclamations anti-anglaises du député du Massachusetts.

Le message est en effet presque un acte d'accusation contre la Grande-Bretagne, dont les péchés semblent s'accroître d'année en année. D'abord c'est la vieille affaire de l'Alabama, à propos de laquelle le président exprime l'espoir que le cabinet britannique acquiescera enfin en entier aux justes réclamations des États-Unis. Les relations avec le Canada donnent matière à plusieurs griefs. On se plaint que la libre navigation du Saint-Laurent ne soit pas garantie aux marins de l'Union par un acte international, comme celle du Rhin et du Danube l'est aux marins de toute nation par des traités conclus entre les diverses puissances européennes. On réclame encore contre le droit exclusif de pêche que les Canadiens prétendent s'attribuer dans leurs eaux territoriales, suivant l'usage des nations. Dernièrement, un bateau du Massachusetts qui se livrait à la pêche dans la zone réservée a été saisi; en représailles, le sénat s'est mis à délibérer sur une proposition tendant à exclure le pavillon canadien de tous les ports de l'Union. Enfin, et la dernière

« ZurückWeiter »