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renversée de ses malheurs présens. Cependant il y a des différences, et elles sont à notre honneur. J'ai déjà rappelé que l'armée prussienne de 1806, forte de 150,000 hommes, était commandée par le vieux duc de Brunswick, âgé de soixante-douze ans, obstiné dans les vieilles tactiques du grand Frédéric. Quand Napoléon, à Iéna, vit de la hauteur du Landgrafenberg les premières manœuvres de l'armée : « Ah! ces perruques-là! s'écria-t-il; ils se trompent furieusement. » Les jeunes officiers étaient très braves, mais presque tous fanfarons, comme ce colonel qui disait à l'évêque Eybert: « C'est une pitié que les héros de Frédéric combattent les Français avec des fusils et des sabres; des couteaux suffiraient. » L'armée du grand Frédéric, d'après un autre témoin, fut menée au combat avec aussi peu de réflexion ou de savoir militaire qu'une troupe d'écoliers à une révolte de college. La cour, l'armée, le corps législatif, les écrivains français, se sont précipités en 1870 dans les mêmes périls avec le même aveuglement; mais du moins la France, menée étourdiment à la guerre, se sera mieux conduite pendant ses désastres que la Prusse de 1806. Stettin capitula devant l'escadron de cavalerie de Lasalle, Davout entra sans combat dans Cüstrin, Ney dans Magdebourg, où il trouva huit cents pièces de canon; nulle résistance, rien de semblable à la belle défense de Strasbourg, à celle de Metz, Phalsbourg, Verdun, Toul, Bitche, Montmédy, Châteaudun, Belfort, et surtout à la longue et opiniâtre défense de Paris, cédant à la famine, sans avoir été pris ni par le génie, ni par la force. Plus d'un grand homme capitula aussi, et on vit Jean de Muller, le grand historien de la Suisse, prendre la plume pour flatter le vainqueur en calomniant sa patrie. En France, les forteresses se sont défendues, et les âmes n'ont pas capitulé.

Cependant Napoléon rencontra devant lui trois femmes vaillantes la duchesse de Saxe-Weimar, la princesse de Hatzfeldt et la reine Louise. Il fut clément pour les deux premières, mais il ne fut pas doux pour la reine Louise. Blessée dans son orgueil national, affligée de la situation faite à la Prusse, pleine de confiance dans l'armée de Frédéric, entourée de ses sœurs et de ses parens dépouillés de leurs états, la reine Louise n'avait pu contenir son âme ardente, et avait certainement beaucoup contribué à la déclaration de la guerre. Ses historiens ont prétendu qu'elle était alors aux eaux de Pyrmont, et que le roi avait tout préparé sans la prévenir; mais Napoléon ne douta jamais de sa participation. Pendant la nuit qui suivit la victoire d'léna, un témoin encore vivant d'Iéna et même de Hohenlinden, le comte Philippe de Ségur, entra dans la chambre où dormait l'empereur pour lui annoncer les derniers résultats de la journée. L'empereur avait le sommeil léger et le ré

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veil très clair. Quelles nouvelles? dit-il à son aide-de-camp. Sire, nous avons failli prendre la reine de Prusse. Ah! c'eût été bien fait, repartit l'empereur, car elle est la cause de la guerre.— M. de Ségur était aussi présent, lorsque Napoléon, entrant quelques jours après dans la chambre à coucher de la reine à Charlottenbourg, alla droit à son secrétaire et trouva dans ses lettres intimes la preuve de l'aversion qu'il lui inspirait. De là sa rancune personnelle et les insinuations que Napoléon publia dans les bulletins de la grande armée et dans le journal officiel, le Télégraphe, sorte de moniteur français qu'il fit paraître à Berlin peu de temps après son entrée solennelle.

Quel conquérant, quel législateur, quel génie couronné peut être comparé à Napoléon pendant les années 1806 et 1807? Il avait en deux ans distribué entre ses frères et ses lieutenans les principaux trônes de l'Occident, fondé l'Université, rétabli les finances, embelli les villes, et, grand dans la paix, plus grand dans la guerre, il venait de terrasser l'Autriche, d'écraser la Prusse, de bloquer l'Angleterre, où Pitt mourait désespéré. Vainqueur des Russes à Eylau, reçu en Pologne comme un libérateur, il vivait au commencement de 1807 dans une espèce de grange du petit village d'Osterode, envoyant de ce lointain quartier jusqu'à Paris ses ordres pour l'encouragement des manufactures, ses idées sur la réforme de l'éducation, ses décrets pour l'expulsion de Mme de Staël, ordres, idées, décrets, obéis comme des lois souveraines. C'était aussi dans une bien petite ville, à Memel, que la reine Louise de Prusse, après un court séjour à Koenigsberg, avait conduit ses enfans, et le roi l'y avait rejointe. Ils y retournèrent après Tilsitt, et ce lieu fut témoin de leurs années de détresse. La famille royale habitait une si petite maison que le prince royal et le prince Guillaume durent accepter l'hospitalité d'un marchand nommé Argelander. On raconte qu'un vieux memnonite, Abraham Nickell, vint à pied avec sa femme du fond de la Prusse pour offrir à la reine 3,000 écus dans une bourse de cuir et un panier plein de beurre et d'œufs; la reine pleura, et, sans dire un mot, elle prit le châle qu'elle portait et en couvrit les épaules de la brave femme. Il avait dépendu de la reine de faire accepter par le roi, avant la bataille d'Eylau, un armistice séparé; mais elle avait voulu demeurer fidèle aux Russes, ses alliés. Contente d'avoir obéi à l'honneur, soutenue par sa foi, résignée à la pauvreté, environnée des témoignages les plus touchans de l'affection de son peuple, la reine était descendue cependant au dernier degré de l'infortune; elle ne savait ce que deviendraient ses enfans, et le titre qu'elle portait lui rappelait seulement que le roi n'avait plus ni sujets, ni soldats, ni royaume. Jamais on ne vit en face l'une de l'autre tant de gloire et tant de détresse.

Mais combien la reine vaincue sut se montrer moralement plus grande que le triomphateur! Il faut lire, à côté des bulletins inconvenans de Napoléon, comparant la reine à Armide et se moquant de ses chiffons mêlés aux papiers politiques, les pages nobles et touchantes du journal de la malheureuse reine; il faut lire surtout les lettres pleines de courageuse résignation qu'elle écrivit à son père, le duc de Mecklembourg, du fond de son exil de Memel.

<< Memel, 1807.

« C'est avec l'émotion de cœur la plus profonde' et des larmes de la plus reconnaissante affection que j'ai lu votre lettre du 14 avril..... Quelle consolation et quel soutien pour moi au milieu de mes épreuves! Quand on est aussi tendrement aimé, on ne peut être complétement malheureux. De nouveaux et d'écrasans fardeaux nous sont imposés encore, et nous sommes à la veille d'être obligés de quitter le royaume. Pensez à ce que cela va être pour moi! Malgré tout, au nom de Dieu, je vous en conjure, ne vous méprenez pas sur votre fille. Ce n'est pas la crainte qui m'humilie. Deux raisons fondamentales m'élèvent audessus de malheurs si étranges. La première est que nous ne sommes pas le jeu d'un sort aveugle, nous sommes dans les mains de Dieu. La seconde, c'est que nous tombons avec honneur.

« Le roi a prouvé au monde qu'il ne désirait que l'honneur, et qu'il ne méritait pas l'ignominie. Il n'y a pas eu un seul de ses actes où il ait pu faire autrement sans manquer à son caractère et sans trahir son peuple. Ceax-là seulement qui ont l'âme haute comprendront quelle force je trouve dans cette pensée; mais revenons au fait. Par la perte de la malheureuse bataille de Friedland, Koenigsberg tombe dans les mains des Français. Nous sommes pressés par l'ennemi, et, si le danger approche plus près encore, il me faudra quitter Memel avec mes enfans. Le roi rejoindra l'empereur. Je partirai pour Riga aussitôt qu'un péril imminent m'y contraindra. Dieu me donnera la force de supporter l'heure où il me faudra quitter le royaume. La force me sera nécessaire; mais je lève mes yeux vers le Tout-Puissant, source de tous les biens et dont les décrets insondables permettent que le mal s'accomplisse; ma ferme croyance est qu'il ne nous enverra rien au-delà de ce qu'il nous est possible de supporter. Encore une fois, mon bien-aimé père, nous tombons avec honneur, respectés et aimés d'autres nations, et nous aurons des amis fidèles parce que nous le méritons. Je ne puis trouver d'expression pour dire combien cette pensée me console. Je supporte tout avec le calme qu'une conscience tranquille et une ferme soumission peuvent donner. Soyez donc assuré, mon bon père, que je ne puis être complétement malheureuse, et que d'autres, chargés d'une couronne et de tous les dons de la fortune, ne sont pas en paix comme

nous. D

« Memel, 24 juin 1807.

« L'armée a été obligée de 'se retirer; il y a une suspension d'hostilités et un armistice de quelques semaines. Les nuages se lèvent, et se dissipent souvent au moment où ils semblent menaçans. C'est peut-être ce qui arrive en ce moment. Personne ne le désire plus vivement que moi; mais les désirs sont des désirs, et ils sont sans consistance. Tout vient d'en haut!... Ma foi ne faillira pas. Vivre ou mourir dans les voies de la droiture, vivre de pain et de sel, s'il le faut, ne sera jamais pour moi un malheur suprême; mon malheur est de ne plus espérer. Ceux qui ont été ainsi arrachés de leur paradis terrestre ont perdu la faculté d'espérer. Si le bonheur peut un jour se lever, ah! personne ne le recevra avec plus de reconnaissance que moi; mais je ne puis l'espérer. Quand le malheur nous écrase, il peut un instant nous embarrasser, mais il ne peut nous humilier tant qu'il n'est pas mérité. Le mal et l'injustice de notre côté m'auraient menée au tombeau; je ne succomberai pas dans notre disgrâce, car nous pouvons lever le front haut. >>

C'est au mois de juin que cette lettre était écrite, et au mois de juillet, après Friedland, les deux empereurs Alexandre et Napoléon, s'enivrant l'un l'autre des rêves de leur ambition colossale, firent venir à Tilsitt l'infortuné roi Frédéric-Guillaume, et y appelèrent la reine elle-même. « Ce que cela me coûte, a-t-elle écrit alors dans son journal, Dieu seul le sait. Je ne hais pas cet homme; mais il a fait le malheur du roi et de la nation. J'admire ses talens, je ne puis souffrir son caractère fourbe. Je ne sais comment être polie envers lui; mais il le faut, et je suis faite aux sacrifices. » On connaît tous les détails de la célèbre entrevue de Tilsitt, racontés avec tant d'éloquence par M. Thiers. Les écrivains allemands seuls ont cité une noble réponse de la reine Louise au conquérant. — Comment avezvous commencé la guerre avec moi, vainqueur de tant de puissantes nations? Sire, la gloire du grand Frédéric nous a fait illusion sur nos forces; elle permettait de se tromper.

La paix de Tilsitt promit au roi de Prusse la restitution de ses états; mais cette restitution ne fut pas immédiate. Le roi et la reine de Prusse quittèrent cependant Memel, et ils ramenèrent leurs enfans dans le petit château de Hufen, près de Koenigsberg. La vie de la reine fut toute consacrée à l'étude et à l'éducation de ses six enfans. Ses lectures favorites étaient l'Écriture sainte et les Psaumes, qu'elle appelait un alleluia dans les larmes, les notices de Suvern sur les grands hommes de l'Allemagne, et aussi les premiers écrits de Pestalozzi sur l'instruction primaire, dont elle encourageait avec ardeur la propagation. A la fin de l'année 1808, elle accompagna le

roi à Saint-Pétersbourg, et ils auraient pu revenir à Berlin, évacué par les troupes françaises, sans la campagne de Wagram. Il fallut passer à Hufen l'été de 1809. C'est à cette date que se rattache une troisième lettre de la reine Louise à son père, lettre dont les événemens qui suivirent et qui amenèrent la chute de Napoléon firent en quelque sorte une prophétie. Devant cette leçon adressée aux peuples qui s'abusent avec leur gloire passée, et aussi aux conquérans qui abusent de la victoire présente, la France et le nouvel empereur d'Allemagne ont l'une et l'autre à réfléchir. A nous, peuple pour le moment déchu, la reine déchue prêche la confiance dans l'avenir; à son fils, victorieux et triomphant, la mère rappelle les retours possibles de la fortune.

« Hufen, 1809.

<< Mon bien-aimé père, tout est perdu, si ce n'est pour toujours, au moins pour le présent. Je n'espère plus rien durant ma vie. Je suis à présent résignée et soumise aux volontés de la Providence. Je suis tranquille. Dans le calme de la résignation, si je n'ai pas le bonheur, je trouve un bien plus grand dans la paix de l'esprit. Il devient plus clair pour moi chaque jour que tout ce qui est arrivé devait être. La Providence voulait amener un nouvel ordre de choses pour renouveler le vieux système usé de notre politique, qui ne pouvait plus durer. Nous avons dormi sur les lauriers du grand Frédéric, qui avait, comme le héros de son temps, commencé une ère nouvelle; nous n'avons pas fait les progrès que les événemens exigeaient de nous, et nous avons été dépassés. Personne ne voit cela plus clairement que le roi. Tout à l'heure j'ai eu une longue conversation avec lui à ce sujet, et il me disait tristement: « Tout ceci doit être changé. Il faut réformer beaucoup de choses. » Les meilleurs et les plus sages faillissent, et l'empereur des Français est habile et politique. Quand même les Russes et les Prussiens se seraient battus comme des lions et que nous n'aurions pas été conquis, nous aurions été obligés d'abandonner la lutte, et l'ennemi serait resté avec tous ses avantages. Nous pouvons apprendre beaucoup de Napoléon. Ce qu'il a fait ne sera pas perdu pour nous. Ce serait un blasphème de dire que Dieu a été avec lui; mais en apparence il est un instrument dans la main du Tout-Puissant pour couper les branches qui n'ont plus de séve et qui ont grandi et se sont identifiées au tronc de l'arbre. Certainement des temps meilleurs viendront. Notre foi dans celui qui est le bien par excellence m'en répond. Le bien seul produit le bien. C'est pourquoi je ne puis croire que l'empereur Napoléon soit ferme et assuré sur son trône resplendissant. La vérité et la justice seules sont immuables; il n'est que sage, c'est-à-dire que politique. Il n'agit pas d'après les lois éternelles, mais selon les circonstances qui s'élèvent devant lui. Aussi son règne est souillé d'injustice. Il n'agit pas généreusement envers l'humanité, son but n'est pas légitime. Son ambition désordonnée n'a d'autre fin que son

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