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Il n'a été que trop aisé de trouver dans tous les rangs de la population et de l'armée des hommes à qui il était facile de se faire passer pour Français, tant ils parlaient notre langue avec pureté et sans accent allemand.

Il est une sorte de caractères moins faciles à préciser que ceux dont il a été question jusqu'ici, et qui n'en sont pas moins réels. Je veux parler des instincts, des aptitudes, des qualités et des défauts qui donnent à chaque civilisation, à chaque société humaine, sa physionomie, sa signification historique. En cas de croisement, il en est de ces caractères comme des autres. Chaque race apporte sa part au fonds commun, et la race mixte ne saurait récuser quoi que ce soit dans cet héritage. Il est donc important de rechercher ce qu'étaient à ce point de vue les élémens aujourd'hui plus ou moins fusionnés en Prusse.

Le Finnois de la Baltique tel que le peint l'histoire et qu'il se montre de nos jours encore là où il s'est conservé est assez laborieux, médiocrement industrieux, patient, obstiné même, hospitalier, quoique se livrant difficilement aux étrangers. Doué d'instincts poétiques, surtout d'instincts musicaux, il était, il est encore très attaché à ses croyances religieuses ou superstitieuses. Amoureux de l'indépendance, il a résisté courageusement à la conquète, s'est révolté souvent, et, bien que réduit au plus dur servage, a conservé une certaine fierté personnelle. Malheureusement ce qu'il y a de bon dans ce tableau est gâté par un trait qui semble être vraiment national. Le Finnois ne pardonne jamais une offense vraie ou supposée, se venge à la première occasion, et n'est pas difficile sur le choix des moyens. On explique ainsi la fréquence des assassinats en Finlande chez les paysans appartenant à cette race (1).

Rien n'indique que l'esprit de conquête ait jamais animé les populations finnoises dont nous parlons. Cet esprit se montre au contraire chez le Slave, comme chez tous les Aryens qui ont abordé l'Europe. Comme eux, il y est arrivé en barbare; il en avait les qualités et les défauts, fort bien résumés par M. A. Thierry (2). Toutefois il se distinguait de ses frères par sa manière de combattre. Sa guerre était celle des ambuscades. Il excellait à se tapir derrière une pierre, à ramper parmi les herbes, à se cacher des journées entières, attendant l'ennemi pour le frapper à l'improviste d'un long javelot empoisonné.

Je ne veux pas placer ici en regard l'une de l'autre les races germaniques et françaises. Dans les circonstances actuelles, je serais

(1) Voyez Prichard et Malte-Brun. La plupart de ces traits de caractère répondent parfaitement au peu que nous savons des Pruczi ou Prussiens primitifs.

(2) Voyez les Fils et successeurs d'Attila dans la Revue du 1er novembre 1854.

trop facilement accusé d'injustice ou de partialité. Je me borne à signaler la différence des rôles joués par chacune d'elles dans la contrée qui nous occupe. Les Germains arrivèrent en Prusse en conquérans sans pitié, et imposèrent aux populations une domination qui suscita de nombreuses et terribles révoltes. C'est par le fer et le sang qu'ils assirent leur domination. Les Français apportèrent avec eux une civilisation incontestablement supérieure, les arts, l'industrie, une foule d'élémens de progrès pacifiques. La différence des temps et des circonstances est évidemment pour la plus grande part dans ce contraste. Toutefois, quelles qu'en aient été les causes, le fait est indiscutable, et il n'est pas sans intérêt de le constater.

On croit généralement que, lorsque deux ou plusieurs races d'une même espèce se croisent, le produit est d'emblée et toujours intermédiaire entre les parens. C'est là une grande erreur. Les phénomènes du croisement sont bien autrement multiples et complexes. Chacun des types primitifs peut l'emporter tour à tour et accuser sa prépondérance dans des proportions très diverses. De la combinaison de traits, de qualités, d'aptitudes différentes, sortent à chaque instant des caractères nouveaux, à peu près comme le vert résulte du mélange du jaune et du bleu. Souvent aussi l'atavisme intervient, quelque complet que soit le mélange, et ressuscite en quelque sorte les élémens premiers. A la longue toutefois, l'ensemble se rapproche d'une moyenne tenant plus ou moins des souches originelles tout en ayant acquis son cachet spécial, et la race croisée, la race métisse finit par constituer un type nouveau. Ces phénomènes se sont nécessairement accomplis en Prusse, et nécessairement ils ont éloigné des races germaniques même les classes élevées de la société, même la bourgeoisie prussienne.

Enfin, pour l'homme comme pour les animaux, le sang n'est pas tout dans la constitution d'une race, et le milieu ne perd jamais ses droits. Dans les pays dont nous parlons, le croisement s'est opéré entre deux races locales et deux races immigrantes. Les premières, façonnées depuis des siècles aux influences spéciales du bassin de la Baltique, n'avaient plus de modifications à subir quand vint le moment du mélange. Le Finnois, le Slave, ont pu améliorer leurs conditions d'existence, cultiver leur esprit, élever leur intelligence. Leur nature fondamentale est nécessairement restée la même. Il n'en pouvait être ainsi du Germain de la Souabe, pas plus que du Français originaire du bassin méditerranéen. Tous deux eurent à subir des influences entièrement nouvelles et par conséquent à se modifier. Or l'expérience montre qu'en pareil cas la modification s'opère toujours dans le sens des races locales. Le Germain, le Français, auraient naturellement tourné au Slave ou au Finnois. Les circonstances particulières qui accompagnaient ou mo

tivaient leur émigration aidèrent encore à ce mouvement. Le chevalier teutonique, tout aussi désireux de conquérir que de convertir les paysans, les rudes colons qu'il appelait à son aide eurent à combattre les hommes et la nature; les émigrés de l'édit de Nantes eurent à surmonter les difficultés de leur position. Ces luttes avaient lieu sur une terre ingrate et sous un ciel rigoureux. A cette école, l'intelligence grandit, les volontés s'affermirent, les courages se trempèrent comme les corps; mais aussi les cœurs s'endurcirent, l'ambition se développa et la religion elle-même prit trop souvent un caractère sauvage. Ce ne fut plus le Dieu du Christ, le père commun, que l'on invoqua, ce fut Jéhovah le vengeur.

Ainsi a pris naissance et s'est constituée la race prussienne, parfaitement distincte des races germaniques par ses origines ethniques et par ses caractères acquis (1). Les élémens qui la composent ne sont pas d'ailleurs encore entièrement fusionnés. En dépit d'un vernis de civilisation emprunté surtout à la France, cette race en est encore à son moyen âge. Cela même explique quelques-unes de ses haines et de ses violences. En m'exprimant ainsi, je n'entends méconnaître ou nier aucune de ses fortes et sérieuses qualités. On ne gagne rien à déprécier injustement un ennemi. Vainqueur, on diminue la gloire du triomphe; vaincu, on accroît la honte de la défaite; mais il est bien permis à un Français de n'être que juste envers une race qui déguise si peu ses sentimens à notre égard. Calomniés chaque jour par des feuilles à gages et jusque dans des documens officiels, nous avons bien le droit de protester et de montrer que nous ne sommes pas ce que disent nos ennemis, qu'ils sont loin d'être ce qu'ils prétendent. L'histoire du siége de Paris suffit à cette double tâche. On la fera un jour avec détail, et le moment viendra où nos adversaires eux-mêmes rendront justice à une population de deux millions d'âmes qui, du premier jusqu'au dernier jour, s'est montrée également prête à souffrir et à se battre. Je laisse à d'autres le soin de tracer ce tableau avec les développemens qu'il exige. Professeur au Muséum, je me borne à esquisser à titre d'épisode ce qui s'est passé dans cet établissement pendant le bombardement.

Le Muséum de Paris avec les jardins et bâtimens qui en dépendent forme un quadrilatère irrégulier entièrement isolé entre un quai et trois rues. La surface en est de 225,430 mètres carrés. Au sud, une ligne de maisons complète la rue de Buffon, et cache de vastes espaces occupés par les laboratoires d'anatomie comparée et de physique végétale, par nos pépinières, par des jardins et par

(1) M. Godron, bien que ne tenant compte que du mélange des Slaves et des Germains, a dit avec raison: « Les Prussiens ne sont ni des Allemands ni des Slaves; les Prussiens sont des Prussiens. »>

quelques tanneries. A l'est coule la Seine, fort large en cet endroit. Au nord est placé l'entrepôt des vins et eaux-de-vie, mesurant 141,700 mètres carrés. A l'ouest se trouve l'hôpital de la Pitié dont les bâtimens et les cours occupent 21,777 mètres carrés (1). Il est important de tenir compte de ces chiffres, si l'on veut apprécier les faits à leur juste valeur. Tout d'abord il en résulte que le Muséum est à peu près complétement isolé. Ajoutons qu'un barraquement destiné aux ambulances militaires avait été établi dans le jardin le long d'une allée allant de la grande cour jusqu'au quai. Une autre ambulance fondée par quelques dames du Muséum avait été installée près de la rue Cuvier. Aucun de ces détails n'était certainement ignoré de l'ennemi, toujours si bien renseigné. Il savait bien que notre grand établissement scientifique était devenu une succursale de l'hospice de la Pitié (2).

Dès le début du siége et dans la crainte trop fondée d'un bombardement, le conseil des professeurs chargés de l'administration du Muséum avait pris les précautions nécessaires pour sauvegarder nos richesses scientifiques. La nature de l'établissement exigeait des mesures entièrement spéciales. Avant tout, il fallait parer au danger résultant de l'accumulation dans les salles d'au moins soixantedix mille vases ou bocaux renfermant les plantes et les animaux conservés dans l'alcool (3). Employés et professeurs mirent la main à l'œuvre. En quelques jours, cette masse d'objets inflammables fut à l'abri dans une espèce de crypte creusée sous le grand labyrinthe. Les pièces les plus précieuses, les échantillons uniques, des collections entières dont la valeur résulte de leur ensemble même, furent descendus dans les caves. On put croire pendant trois mois que c'était autant de peine inutile; mais on sait comment le 8 janvier, entre dix et onze heures du soir, éclata à l'improviste ce bombardement sans précédent qui a motivé une solennelle protestation de la part des puissances neutres. Ne reconnaît-on pas à ce trait le Slave tel que l'ont peint les auteurs classiques et M. Amédée Thierry? Il n'y a là qu'une différence de temps et de science. Au lieu des javelots de ses ancêtres, le Prussien nous envoyait ses obus à longue portée. Les projectiles pleuvaient sur le Muséum. Professeurs, employés

(1) Tous ces chiffres sont tirés du Dictionnaire administratif et historique des rues et monumens de Paris, par MM. F. et L. Lazare, ouvrage dont les matériaux ont été puisés aux sources les plus officielles, l'un des auteurs étant un des chefs de la voirie de Paris.

(2) Dans les premiers temps de l'investissement, on avait aussi placé un certain nombre de bêtes à cornes dans l'allée qui longe la rue de Buffon. L'administration du Muséum en réclama en vain l'éloignement; mais les Prussiens savaient qu'elles avaient disparu depuis longtemps quand s'ouvrit le feu sur Paris.

(3) A elle seule, la collection des reptiles et poissons compte environ trente mille objets de cette nature.

de tout grade, maîtres, domestiques, descendirent dans les caves ou cherchèrent un asile dans les galeries souterraines attenantes aux serres. Sans doute il était impossible qu'une certaine émotion ne se manifestât point à ces premiers momens. Sans doute, quand deux obus, éclatant presque coup sur coup, vinrent fracasser la serre des orchidées à quelques mètres d'une foule composée en majeure partie de femmes et d'enfans, il y eut des momens d'angoisse et des cris d'effroi; mais on se fit vite au sifflement, aux explosions des projectiles. Tous ceux qui ont passé quelques nuits dans cette crypte peuvent attester combien le calme s'y rétablit rapidement. Ils se rappelleront longtemps le mélange de résignation et d'insouciance qui y régnait, les observations pleines de justesse, les réflexions fermes et sérieuses qui sortaient parfois des bouches les plus humbles. Les services marchèrent d'ailleurs avec la régularité accoutumée. Malgré ses quatre-vingt-cinq ans, l'illustre et vénérable directeur, M. Chevreul, parcourant de jour l'établissement, veillant chaque nuit dans la serre, donnait à tous un exemple que chacun voulait imiter. Aussi dans tout le personnel du Muséum, si nombreux et si divers, il n'y eut pas un instant de défaillance. L'effet moral tant attendu, tant annoncé par les Prussiens, fut absolument nul. Comme preuve, il suffira de dire que le vitrage des serres a été rétabli, les brèches des galeries fermées en plein bombardement.

Le bombardement du Muséum a présenté quelques circonstances bonnes à signaler. La colline artificielle du grand labyrinthe, qui n'est séparée de la Pitié que par une étroite terrasse et la rue Geoffroy-Saint-Hilaire, fournissait à l'ennemi un point de repère marqué sur tous les plans, sur toutes les cartes. Il en a évidemment fait usage. Les premiers jours, les projectiles tombaient à peu près exclusivement au sud de ce mamelon. C'est pendant cette période que furent frappées les serres, les galeries de zoologie et de minéralogie, l'ambulance élevée dans la grande allée. La maison historique de Buffon, isolée à l'angle sud-ouest du jardin, fut cernée en tout sens par les obus, et ne fut sauvée que par une sorte de miracle. A partir du 19, le tir fut dirigé d'une manière tout aussi constante au nord du labyrinthe. Alors furent atteints les laboratoires et magasins consacrés aux mammifères, aux oiseaux, aux mollusques, aux zoophytes, aux reptiles, aux poissons, aux insectes, le bâtiment de l'administration et quelques-uns des logemens placés dans le voisinage. M. Edwards eut son lit couvert de décombres. Un obus éclata tout à côté du cabinet de M. Chevreul avec des circonstances telles que, s'il n'eût été absent, le doyen des chimistes était tué à sa table de travail. Au reste, grâce aux précautions prises, les dégâts causés par les obus ont été surtout matériels. Pourtant les serres ont perdu des végétaux précieux qui n'étaient

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