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souverain ne pourrait entreprendre la conquête. Il faut obtenir du roi d'Allemagne la cession de ses droits, cession qu'il peut accorder, s'il est vrai, comme on le dit, qu'il possède déjà ou qu'il doive acquérir le droit de transmettre son royaume à ses héritiers (1). Dans le cas contraire, on pourrait traiter avec les électeurs de l'empire, surtout si l'on obtenait le consentement du pape. « On arrêterait ainsi les excès des Lombards contre les autres nations, les rapines, les vols, les homicides, les usures, les rébellions, les guerres de terre et de mer, et beaucoup d'autres péchés dont ils sont notoirement coupables. » Si les Lombards résistent, on les affamera, on les ruinera, on les forcera à rendre les trésors incalculables qu'ils ont accaparés par leur astuce, on les obligera de payer les tributs qu'ils doivent aux rois d'Allemagne et qu'ils ne paient pas. Si cela ne suffit pas, on les écrasera en rase campagne. Pour cela, il suffit que le roi lève dans ses états une armée de 80,000 fantassins et de 2,000 cavaliers pris parmi ces nobles pauvres qui ne possèdent que peu ou point de terre; en supposant que cette armée ne revînt pas, la population n'en paraîtrait pas pour cela diminuée. «En effet, dit l'auteur, vous possédez un trésor inépuisable d'hommes qui suffirait à toutes les guerres qui peuvent se présenter. Oui, si votre majesté connaissait les forces de son peuple, elle aborderait sans hésitation et sans crainte les grandes entreprises que je viens d'exposer et celles dont je parlerai bientôt. »

Du Bois ne s'arrête pas en si beau chemin. Le roi pourrait d'abord obtenir, pour son frère Charles ou pour quelqu'un des siens, la main de l'héritière de l'empire de Constantinople, et, par une convention préalable, se faire reconnaître comme seigneur de cet empire en récompense des secours qu'il fournirait pour le recouvrer. Le ro suivrait la même marche pour établir son autorité en Espagne. Il promettrait des secours à son cousin, le petit-fils de saint Louis (Alphonse de La Cerda), afin de le faire rentrer en possession de ce royaume, mais à la condition que l'Espagne relèverait de la couronne de France, et qu'elle aiderait de tout son pouvoir à la conquête des autres nations.

L'auteur passe ensuite à la conquête de la Hongrie. Le roi de Sicile (Charles II d'Anjou) pourra l'entreprendre avec le secours du roi de France, et toujours à la condition de lui en céder la souveraineté. Cette fois encore nous saisissons le fil qui relie les conseils de Du Bois aux intrigues ambitieuses de la maison capétienne. C'est justement en 1300 que tombent les premiers efforts pour faire arriver Charobert au trône de Hongrie. Quant au royaume d'Allemagne,

(1) Ce fut la préoccupation constante de Rodolphe de Habsbourg; Albert d'Autriche put l'avoir aussi. Du Bois regardait alors l'hérédité comme déjà établie dans la maison de Habsbourg.

Du Bois avoue son embarras. « Sur ce point et sur d'autres, dit-il, on doit s'en remettre au Seigneur Dieu des armées, qui saura bien établir un chef unique pour le temporel, comme il en existe un déjà pour le spirituel. Il est difficile en effet qu'il se passe un temps bien long avant que le roi d'Allemagne, pressé par des guerres, n'ait besoin de réclamer votre secours. D'ailleurs les fils de votre sœur (1), qui doivent succéder au trône d'Allemagne et à quelques provinces de ce royaume, pourront être élevés dans votre palais, en sorte qu'un jour, avec la grâce de Dieu, vous verrez vos vœux accomplis par leur intervention ou par leur volonté. »

Notre utopiste prévoit une objection: occupé de tant de grandes entreprises, le roi de France sera presque toujours hors de ses états et ne pourra jamais être en paix. « C'est le contraire, dit-il, qui arrivera par la grâce de Dieu : vous avez et vous aurez beaucoup de frères, de fils, de neveux et d'autres proches que vous mettrez à la tête de vos armées pour diriger vos guerres, tandis que vous resterez dans votre pays natal pour vaquer à la procréation des enfans, à leur éducation, à leur instruction et à la préparation des armées, ordonnateur et dispensateur de tout le bien qui se fera et qui pourra se faire dans les royaumes situés en-deçà de la mer méridionale. >>

A ceux qui trouveraient insolite cette manière de gouverner, Du Bois oppose l'exemple de quelques empereurs romains qui ont ainsi administré bien des royaumes; il cite encore le roi des Tartares, qui vit en repos au centre de ses états, et envoie dans les différentes provinces des lieutenans qui combattent pour lui quand la nécessité l'exige. « Votre majesté, ajoute-t-il, n'ignore pas les malheurs qu'entraîne la fin prématurée d'un prince qui meurt dans une expédition lointaine, alors même qu'il ne périt point par le sort des armes. Une triste expérience vous en a donné des preuves bien éclatantes et bien manifestes dans les personnes illustres de votre père et de votre aïeul. Les combats avaient cessé autour d'eux quand ils ont payé le tribut à la nature. C'est à l'intempérie des saisons et à la corruption de l'air qu'ils ont succombé, alors que les lois ordinaires de l'humanité et la force évidente de leur constitution semblaient leur assurer une longue existence. Et si l'on me dit que cet événement était réglé d'avance par le destin, et qu'ils n'auraient pu éviter ce genre de mort, je réponds que c'est là une opinion erronée, combattue par les vrais philosophes et par les théologiens. » Ici l'auteur avoue que les mouvemens des astres exercent une grande influence sur nos actions; mais il prétend que cette

(1) Blanche, fille de Philippe le Hardi, qui épousa Rodolphe d'Autriche, fils d'Albert Ier, vers le mois de janvier 1300.

influence n'est pas irrésistible, et que notre libre arbitre nous permet toujours de régler notre conduite d'après les conseils de la raison et de l'expérience. Le souvenir des causes passées et des effets qu'elles ont produits depuis l'origine du monde, la connaissance des causes présentes et l'habitude de conjecturer les effets qu'elles doivent vraisemblablement produire, voilà, selon l'auteur, ce qui fait l'habileté des démons à deviner l'avenir. C'est par des calculs et des prévisions de cette nature que les Grecs et les Romains ont réussi à dominer le monde, et il ne doute pas que Philippe le Bel n'atteigne le même but.

Dans la seconde partie de l'ouvrage, l'auteur traite des sujets de moins haute portée et plus accommodés à ses fonctions habituelles. Le grand mal du temps est à ses yeux l'empiétement de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction royale. Une foule de procès qui devraient relever de cette dernière sont entraînés devant cellelà, grâce surtout à l'abus des excommunications. L'avocat du roi ne suffit pas pour empêcher le mal. Sa situation est difficile à l'égard des autres avocats, qui se réunissent pour l'attaquer en s'écriant: «Voilà cet homme qui est toujours disposé à combattre, comme un apostat, la juridiction et la liberté ecclésiastiques. » Ces clameurs et ces haines causent plus de tort aux avocats du roi que ne valent les salaires qu'ils perçoivent. Lorsque les juges royaux reprochent aux officiers d'usurper la juridiction royale, ceux-ci répondent qu'ils ont toujours été en possession des droits qu'ils exercent. « Ce qui est vrai, dit l'auteur, c'est qu'à moins d'une possession de cent années, on ne peut prescrire contre le roi; le droit canon et le droit civil sont d'accord sur ce point. Or il y a moins de cent ans qu'ils ont usurpé toute leur juridiction; on peut le savoir par les vieillards, qui ont vu comment cela s'est fait. C'est même depuis l'an 1240, car alors l'exercice de leur juridiction se réduisait à si peu de chose qu'on ne percevait rien en Normandie pour les sceaux de l'archevêque et des évêques, qui maintenant rapportent annuellement 20,000 livres parisis et plus, déduction faite des frais. Ces abus s'introduisirent au commencement du règne de saint Louis, qui sûrement les aurait réprimés, s'il les avait connus. »

Comme remède, Du Bois propose un projet de lettre adressée par le roi à Boniface VIII. Il recommande de munir cette lettre d'un sceau pendant, afin qu'elle obtienne plus de créance. Elle devra être lue en consistoire; le pape et les cardinaux y verront un avertissement solennel, et sans doute ils prendront en considération la dévotion habituelle du royaume de France, si différent des autres états, où l'église n'a aucune juridiction. Si cela ne suffit pas, le roi créera, avec le consentement des évêques, des tabellions royaux auxquels on devra accorder la même foi qu'aux tabellions (notaires

apostoliques) établis par le préfet de Rome, Pierre de Vico. Ces tabellions royaux vivront de leurs honoraires, et assisteront toujours les laïques quand ceux-ci déclineront pour cause d'incompétence la juridiction des officiaux; ils instrumenteront pour eux et leur indiqueront la manière de procéder, en sorte que le roi aura le double avantage de recouvrer avec de grands profits la majeure partie de la juridiction qu'il avait perdue, et de déjouer bien des ruses en procurant ce qu'il est à peu près impossible d'obtenir aujourd'hui, c'est-à-dire le ministère d'un officier instrumentant avec fidélité pour quiconque voudra décliner la compétence d'un juge ecclésiastique. Il faudra aussi établir près de chaque officialité un procureur du roi qui, après avoir appelé un tabellion et au besoin un avocat, proposera, au nom des personnes citées à comparaître, les exceptions d'incompétence. Le roi, qui doit protéger tous ses sujets, a bien le droit sans doute de constituer un procureur pour empêcher que par l'excommunication on ne soumette au pouvoir de Satan les laïques qui refusent de comparaître devant un juge étranger ou qui diffèrent le paiement d'une somme d'argent. Il y a des lieux où les personnes soumises à la capitation sont excommuniées chaque année, et parce qu'elles s'endurcissent dans l'excommunication, leurs œuvres sont frappées de mort; plusieurs même trépassent dans cet état, qui fait concevoir de justes craintes pour leur damnation éternelle. Les prélats qui s'efforcent d'étendre ce pouvoir d'excommunier semblent être vraiment des amis de Satan, puisqu'ils préparent et multiplient les moyens de perdre les âmes. « Qu'est-ce en effet que ces excommunications fréquentes, habituelles, quotidiennes, sinon un piége de Satan, par lequel, chaque jour où les officiaux tiennent séance, plus de dix mille âmes en France sont précipitées de la voie du salut et de la vie dans les mains du démon? Si les prélats aimaient ardemment le salut des âmes, agiraient-ils ainsi au préjudice de Dieu, père et sauveur de tous les hommes, pour lesquels il a voulu que son fils mourût, non moins qu'au préjudice du roi, à qui ils enlèvent sa juridiction et les avantages qu'elle rapporte? >>

L'auteur trace ensuite le plan d'une vaste enquête destinée à découvrir les abus. On sent dans toute cette partie du travail un officier civil des plus intelligens, animé de l'amour du bien. Il ne faut pas, dit-il, en pareille matière, attendre la plainte des intéressés. « J'en ai vu un exemple dans la personne d'une riche veuve qui venait de perdre un fils en bas âge. Les biens meubles de cette succession, valant 300 livres, étaient réclamés par l'évêque d'une part, et de l'autre par deux filles de la mère. Je représentais le roi dans cette affaire, et, en cette qualité, je soutenais la cause des filles; mais la mère se tenait du côté de l'évêque contre ses propres filles

et contre le roi, et c'était, disait-on, dans la crainte d'encourir une correction pour les déréglemens auxquels la voix publique l'accusait de s'être livrée avec un prêtre. »

Armée de l'excommunication, l'église pouvait tenir en échec toutes les tentatives de réforme. L'avocat de Coutances ne dit pas en propres termes qu'il faut braver les anathèmes ecclésiastiques, mais c'est bien là le fond de sa pensée. Il montre avec beaucoup de logique que, si la puissance royale devait s'arrêter devant l'excommunication, elle aurait un supérieur sur la terre, ce qui n'est pas. Le roi d'Angleterre, dont la souveraineté n'est pas aussi indépendante du pape que celle du roi de France, emprisonne fréquemment ses prélats. Le roi de France ne sera maître chez lui que quand il établira une pénalité sévère contre toute atteinte portée à sa juridiction. Cette pénalité doit être la confiscation des biens, laquelle atteindrait également ceux qui troubleraient les juges. royaux dans la connaissance desdites usurpations. Quant à ceux qui oseraient s'immiscer dans l'administration des biens confisqués, ils sont menacés de la pendaison.

Le publiciste fait des observations pleines de sens sur la discipline ecclésiastique. Bien des lois établies par les pères de l'église sont fâcheuses et n'engendrent qu'hypocrisie, comme on peut le voir à Rome. Si les pères vivaient encore, ils révoqueraient plusieurs des défenses qu'ils ont faites sous peine de péché mortel, comme le fit saint Augustin. Au jour du jugement, plusieurs se plaindront d'avoir été damnés par eux. « Pourquoi, diront-ils, nous avoir tendu ces piéges? Les prescriptions de l'ancien et du Nouveau-Testament ne suffisaient-elles pas? Les apôtres et les évangélistes, Étienne, Laurent, Denys, Martin, Nicolas, ne vous avaient-ils pas autorisés de leur exemple? C'est vous qui les premiers vous êtes montrés les amis de Satan; il n'est pas étonnant qu'il vous ait épargné les tentations de la chair. En échange de vos âmes, vous lui en avez donné un nombre infini d'autres. »

Ces règlemens dont Du Bois regrette la rigidité étaient surtout les vœux de continence, qu'il dit avoir été imposés dans l'origine par des vieillards auxquels il n'était plus difficile de pratiquer cette vertu. Ils ont ainsi éloigné du saint ministère les hommes qui vivaient dans le mariage; mais ils n'ont pas repoussé les fornicateurs, les adultères, les incestueux, qui se disent continens. Tous font vœu de continence, mais peu l'observent. L'apôtre permettait à chacun d'avoir une épouse et de l'avoir publiquement; on a maintenant des concubines et des amantes adultères en feignant de n'en point avoir. C'est ce que savent les frères mineurs et les frères prêcheurs, qui connaissent mieux que d'autres le véritable état de la

TOME XCI.

1871.

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