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seule force de l'initiative privée comme une protestation contre les tendances de l'administration de l'agriculture, tolérée et gênée pendant dix-huit mois par cette même administration, enfin légalement autorisée après bien des démarches et bien des peines au mois de janvier 1870, compte à présent plus de trois mille membres qui lui sont venus de tous les points du territoire. Elle a tenu à Paris deux sessions générales, et ses délibérations ont acquis une véritable autorité. Elle a créé des prix, publié des travaux et des mémoires remarquables; elle a ouvert l'été dernier le plus important concours de machines à moissonner qu'il y ait eu en France. Elle a surtout fondé l'institution des congrès agricoles régionaux, sortes de réunions de premier examen, où tous les ans les questions qui doivent être agitées dans l'assemblée générale de la société sont d'abord soumises par les agriculteurs des diverses régions à des débats et à un vote préparatoires. On voit par là que la part des comices, des sociétés, des associations de toute nature, peut être assez belle; mais il faut bien se mettre en garde contre l'idée de substituer leurs délégués à une représentation élective de l'agriculture. Quelque reconnaissance qu'elles méritent, quelque prépondérance qu'elles acquièrent, ces associations, n'étant pas elles-mêmes issues de l'élection, ne représentent pas en droit autre chose que leurs souscripteurs.

Et maintenant, aussitôt que s'éclaircira l'horizon, nous devrons songer à préparer les progrès de l'avenir. Dieu sait s'il nous en reste à faire! On n'y réussira qu'en formant l'alliance étroite de la science et de la pratique. C'est pourquoi tant d'esprits éminens attachent le plus haut prix à la restauration, ou, pour mieux dire, à la création de l'enseignement agricole, qui a été chez nous systématiquement négligé. Il faut instituer cet enseignement à tous les degrés, primaire, secondaire, supérieur. M. Duruy est le seul ministre de l'empire qui l'ait compris; il s'en est occupé avec son bon vouloir habituel; nous l'avons entendu lui-même exposer dans une réunion de la Société des agriculteurs de France les mesures qu'il avait prescrites et les instructions qu'il avait données aux instituteurs primaires des villages. « Vingt-six mille de nos écoles primaires ont déjà un jardin, disait-il, et j'ai pris, il y a quatre ans, un arrêté par lequel je déclarais qu'il ne serait accordé de subvention aux communes sur les fonds de l'état pour la construction d'une école qu'autant que le plan comporterait un jardin. Dans beaucoup de départemens, l'école normale fait déjà parvenir chaque année aux instituteurs des graines, des greffes, des plants dans les meilleures conditions. Que cet usage se généralise, et vous voyez qu'il sera facile de rattacher même les hameaux de l'empire au mouvement bienfaisant que vous voulez produire. Ces louables

efforts ne pouvaient être que stériles. Il ne s'agit pas de mettre aux mains de nos 40,000 instituteurs, qui n'y sont guère préparés, la houe, la bêche ou le greffoir. S'il en est parmi eux qui aient le goût du jardinage, ou même une aptitude particulière pour les travaux des champs, ce sont des exceptions dont il faut se féliciter, mais ce sont des exceptions assez rares. La plupart de ceux qu'on obligerait à enseigner la pratique d'un métier qu'ils n'entendent point ne feraient rien d'utile, les supposât-on pleins de zèle. Ce qui importe, c'est de modifier le programme d'études dos écoles rurales. On y apprend la lecture, l'écriture et les quatre règles, c'est bien, et il faut étendre à tous cette instruction première; mais de quoi charget-on, après cela, la mémoire des écoliers.? On les oblige à débrouiller la généalogie des rois de Juda et d'Israël; les plus intelligens sont quelquefois initiés aux mystères de l'analyse grammaticale. Quant aux dictées, le maître les prend au hasard dans des Morceaux choisis des grands écrivains de la France, depuis Pascal jusqu'à Chateaubriand. Jugez de l'étrange chaos que cela doit produire dans le cerveau d'un jeune paysan. Ne pourrait-on substituer à cette routine prétentieuse quelque chose de plus modeste et de plus solide, faire apprendre par cœur aux élèves une sorte de catéchisme agricole où seraient réunis les principes clairs, incontestables, des bons assolemens, des bonnes fumures, de tout ce que vingt ans de labour n'ont jamais enseigné à un charretier?. Joignez-y des notions de comptabilité à l'usage des petits domaines, un peu de droit usuel, un peu d'arpentage, et même, si le maître en est capable, un peu d'histoire naturelle et de chimie élémentaires. Détruisez enfin ce qui reste de vieux préjugés par la lecture de quelques livres de bon sens. L'enseignement secondaire, qui fait également défaut, serait naturellement plus complet et plus relevé; il conviendrait, jusqu'à l'âge de quinze ou seize ans, aux jeunes fils de cultivateurs destinés à suivre la carrière de leurs pères. L'empire nous a laissé une loi (celle du 21 juin 1865) qui ajoute au programme d'études des lycées et colléges des notions générales d'agriculture. Une pareille loi ne peut être que lettre morte, parce que les professeurs manquent, surtout parce qu'on ne prend au sérieux dans les établissemens universitaires que ce qui mène au baccalauréat. Les cours secondaires d'agriculture ne seront utilement suivis que sous des maîtres spéciaux dans des écoles spéciales. L'enseignement supérieur enfin, qui seul peut nous donner une bonne agronomie, n'attend qu'un mot du gouvernement pour renaître, car il brillait, il y a quelque vingt ans, du plus vif éclat dans cet institut de Versailles dont la suppression a causé autant d'étonnement que de regrets. On a senti depuis quelle faute avait été commise, et l'on a recouru à divers expédiens pour la faire oublier.

y a peu d'années, M. Duruy voulut transformer le Muséum d'his

toire naturelle en école supérieure agronomique; mais ce projet tomba sous les critiques impitoyables de l'agriculture et de la science, qui se liguèrent contre le ministre. On songea aussi à développer davantage l'enseignement de l'économie rurale dans les cours du Conservatoire des arts et métiers, puis à créer à l'École centrale une classe d'ingénieurs agronames; ces tentatives furent abandonnées à cause de leur insuffisance. Ce que demandait l'opinion, c'était qu'on relevât l'institut agronomique de Versailles, et dans ces derniers temps la commission supérieure de l'enquête agricole se rendit enfin au sentiment public. De son côté, la Société des agriculteurs de France renouvela dans les termes les plus pressans le vœu que venait d'exprimer la commission de l'enquête. Malgré les événemens qui sont survenus, à cause même de ces événemens, il est temps d'accéder à de si justes désirs, si l'on ne veut que notre agriculture reste inférieure à celle des autres nations.

L'avenir est bien trouble, et ce que seront nos destinées, nul ne peut le dire; mais, pour l'agriculture, comme pour l'industrie, les arts, la science, la politique, c'est d'un effort commun, incessant, opiniâtre, que dépendra la réparation plus ou moins prochaine de tant de désastres. De graves et cruels soucis ne laisseront maintenant sans doute que peu de liberté d'esprit à nos gouvernans. Prêtant l'oreille encore aux derniers échos de la guerre, remplis de l'unique pensée de sauver la France et de conserver son honneur, occupés à fonder, au bruit des dissensions politiques, la paix, l'ordre et la liberté, ne seront-ils pas détournés de beaucoup d'objets importans qu'ils considéreront comme respectables sans doute, mais secondaires et auxquels il sera toujours temps de songer? Qu'on ne l'oublie pas, nous ne sommes plus, par malheur, en situation de nous laisser distraire un seul instant des intérêts matériels du pays, quand ces intérêts se résument en ces deux mots : le travail et le pain. Il faut aussi que l'agriculture elle-même réponde à l'espoir qu'on a mis dans son bon sens, dans son patriotisme et dans son courage. Elle a souffert et souffrira beaucoup encore; mais, au lieu de se répandre en plaintes qui ne sauraient que l'amollir et l'aigrir, elle doit se mettre virilement à l'œuvre, sans perdre une journée, quels qu'aient été d'ailleurs ses désespoirs et ses tristesses, quelle que soit aussi l'insuffisance des moyens dont elle peut à présent disposer. Qu'elle le sache cependant, jamais peut-être une plus favorable occasion ne s'est offerte à son activité. Si l'agriculture donne ces exemples d'initiative et de mâle énergie, elle ne sera pas seule à en recueillir les fruits, car elle aura contribué à préparer pour la France de nouveaux jours de prospérité et de grandeur.

EUG. LIEBERT.

UN PUBLICISTE

DU TEMPS DE PHILIPPE LE BEL

(1300-1308)

PREMIÈRE PARTIE.

I.

On est quelquefois surpris que le règne de Philippe le Bel, si fécond en résultats de premier ordre, soit enveloppé d'une si grande obscurité. Le souverain qui durant le moyen âge a exercé sur les institutions de son temps l'influence la plus marquée est à peine connu dans sa personne et dans son caractère privé. Ses conseillers et ses agens n'ont été jugés qu'au travers des appréciations de leurs adversaires. Les nombreux pamphlets que les luttes mémorables de ce règne avaient inspirés, et dont plusieurs sont venus jusqu'à nous, étaient restés anonymes. De savantes recherches ont permis récemment de retrouver la vie et de reconnaître les écrits de l'homme qui, entre tous les publicistes de Philippe le Bel, occupa l'un des premiers rangs.

Le nom de Pierre Du Bois n'était connu jusqu'à ces derniers temps que par une seule mention originale. Une des nombreuses pièces qui nous ont été conservées de la lutte de Philippe le Bel et de Boniface VIII porte dans son titre qu'elle a été composée par Petrus de Bosco, advocatus causarum regalium ballivia Constantiensis et procurator universitatis ejusdem loci. Cette pièce fut

connue en original par Jean Du Tillet, qui s'exprime ainsi : « Estant ce disside entre le roy Philippe le Bel et ledit Boniface, plusieurs officiers de sa majesté, pour le devoir de subiection, s'efforcèrent lui donner par escrit plusieurs advis et conseils contenant les moyens destructifs de l'entreprinse d'iceluy Boniface. Entre autres, tant maître Pierre Du Bois, advocat de sa majesté au bailliage de Constantin, qu'un autre personnage de grande litérature légale, lui desduirent par escrit ce que sa majesté pouvait et devait respondre à ladite bulle d'iceluy Boniface. » Le petit recueil des actes du différend de Philippe et de Boniface, publié en 1613 par Vigor, ou, selon d'autres, par François Pithou, a relevé la note de Du Tillet. De son côté, Antoine Loisel dans son célèbre Dialogue des avocats cite Pierre Du Bois comme un « bien habile homme, » et le met parmi les rares avocats qui ont vécu sous le règne de Philippe le Bel. Enfin en 1655 Dupuy publia dans les Preuves de son Histoire du différend d'entre le pape Boniface VIII et Philippe le Bel la pièce qui a servi de base à la tardive renommée de Pierre Du Bois.

En effet, en rapprochant du mémoire connu par Du Tillet et publié par Dupuy différens opuscules anonymes du même temps, on a réussi, de nos jours, à reconstituer la biographie et l'histoire littéraire de l'avocat de Coutances, auteur dudit mémoire. En 1847, M. de Wailly, par d'ingénieuses comparaisons, établit que le Pierre Du Bois en question est l'auteur de cinq autres ouvrages ou opuscules anonymes, et il retrouva plusieurs traits de sa biographie. Plus tard, M. Boutaric découvrit trois mémoires, également anonymes, qui avaient pour le fond et pour la forme une parenté incontestable avec ceux que M. de Wailly avait restitués à Pierre Du Bois. Enfin M. Boutaric vit avec beaucoup de justesse qu'un traité sur les moyens de reconquérir la terre-sainte, depuis longtemps publié par Bongars et riche en données sur la biographie de son auteur, était également de Du Bois. Des travaux de ces deux savans, il est résulté une notice complète sur un homme important dont le nom avant eux n'avait, à ce qu'il semble, figuré dans le récit d'aucun historien. M. Boutaric a lui-même résumé avec beaucoup de talent et de critique ce que nous apprennent les documens découverts par lui et par M. de Wailly sur la vie et les doctrines de notre écrivain (1).

Pierre Du Bois naquit certainement en Normandie et très probablement à Coutances ou aux environs. Il étudia dans l'Université de Paris, où il entendit saint Thomas d'Aquin prononcer un sermon et Siger de Brabant commenter la Politique d'Aristote. Saint Tho

(1) Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1864, p. 84; — Les Idées modernes chez un politique du quatorzième siècle, Paris 1864.

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