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LES

GUERRES DES FRANCAIS

ET LES

INVASIONS DES ALLEMANDS

La Prusse accuse la France d'avoir, par son insatiable ambition, apporté sans cesse le trouble dans le monde. A entendre nos ennemis, c'est pour assurer la paix de l'Europe qu'ils doivent réunir à l'Allemagne l'Alsace et la Lorraine. Selon, eux, c'est au plus grand profit de l'humanité et de la civilisation que s'écroulera notre prépondérance politique et militaire. Quand on lit leurs manifestes, leurs discours, leurs articles de journaux, on dirait vraiment que nous sommes le seul peuple qui ait jamais tenté de s'agrandir, que l'Allemagne est restée absolument étrangère à de semblables projets, et que, si elle tira l'épée, ce fut uniquement pour défendre son sol menacé, envahi par des voisins ombrageux ou avides. On s'étonne que cette thèse se soit produite dans un pays où fleurissent les études historiques, où l'érudition est populaire. Certes il n'est pas besoin d'avoir pâli sur les livres, fouillé les dépôts d'archives, compulsé les documens originaux, pour savoir que, si la France a parfois été poussée par l'esprit de conquête, si elle a eu ses jours d'ivresse guerrière, les autres états européens n'ont pas moins de reproches à s'adresser à cet égard. Chacun a eu ses accès d'orgueil et de convoitise, chacun, à diverses époques, a tenté de fonder sa propre grandeur sur l'abaissement ou la ruine d'un rival. Ainsi l'autorisait un droit que je qualifierais d'ancien, si les événemens contemporains ne s'étaient chargés de démontrer qu'il est encore en vigueur, si certains politiques ne continuaient à en suivre les maximes. Les guerres ont toujours été d'ailleurs une façon de ter

TOME XCI.

15 FÉVRIER 1871.

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miner un litige. Faute de s'entendre sur le choix d'un tribunal arbitral assez respecté pour imposer l'exécution de ses sentences, on recourt aux armes, comme au moyen âge on vidait les procès en champ clos; mais il s'est rencontré de tout temps des plaideurs honnêtes et des plaideurs de mauvaise foi, bien que le plus souvent chacune des parties croie sincèrement avoir de son côté le bon droit. La même observation est applicable aux nations quand elles se font la guerre, et cependant aucune n'a le privilége d'avoir eu l'équité constamment en sa faveur. Les avocats, pour gagner leur cause, ne négligent, on le sait, ni argumens, ni subtilités, ils ne se font pas faute de mauvaises chicanes; de même, dans les luttes armées, on a employé toutes les inventions de l'adresse et de la ruse. Il était au demeurant fort naturel que souverains et gouvernemens en agissent jadis de la sorte, puisque populations et provinces avaient été assimilées à des biens-fonds, à des immeubles; comme telles, on les aliénait, on les échangeait, on en faisait donation, on les constituait en dot ou on les transmettait par héritage, et c'est ainsi que se sont territorialement formés la plupart des états de l'Europe. Certains princes, certains pays, dans ces contestations armées, dans ces transactions, dans ces transmissions, ont été sans doute plus favorisés que d'autres. Quelques souverains réussirent à s'arrondir largement, plusieurs ont au contraire gaspillé leur avoir; mais tous ou presque tous, heureux ou malheureux, ont obéi aux mêmes mobiles intéressés. C'est la peur, l'imprudence, l'inhabileté, bien plus que la modération et la générosité, qui ont empêché naguère tel ou tel état de s'étendre et de dominer ses voisins, car aucun, quand il a été assez fort pour guerroyer avec chance de succès, ne s'est fait scrupule de troubler la paix du monde. La France, l'Angleterre, l'Autriche, la Russie, la Pologne, la Suède, l'Espagne, ont procédé de même. Si la Prusse est moins souvent que nous descendue dans la lice, c'est tout simplement parce qu'elle apparut plus tardivement sur la scène politique, parce que son élévation est toute récente.

Que les Allemands aient la franchise de l'avouer, ce ne peut être pour punir et refréner l'ambition de la France qu'ils veulent à cette heure l'humilier et l'amoindrir, car la Prusse, dont ils suivent la bannière, n'est certainement pas plus irréprochable que notre pays. Les acquisitions successives de l'électorat de Brandebourg dans des contrées germaniques et dans des contrées slaves au mépris des traités mériteraient certes d'être expiées autant que les conquêtes de Louis XIV et de Napoléon Ier, et nous pourrions, nous aussi, comme le font les Prussiens, invoquer le Dieu justicier. Le vrai, c'est que la France et l'Allemagne sont deux puissances rivales qui, conduites par des vues différentes, sont entrées en lutte quand des complications venues d'un autre côté, des embarras intérieurs,

ne s'opposaient plus à ce qu'elles se fissent la guerre. Par ambition, les deux pays ont tour à tour forfait à la justice; ils ont usé de moyens que la morale condamne, mais que la politique se permet, et que le succès fait trop facilement excuser.

La différence qui sépare nos guerres de celles des Allemands n'est pas là; elle réside dans le but qu'on s'efforçait d'atteindre. La France a toujours aspiré à exercer en Europe une prépondérance à laquelle elle croyait avoir droit par la supériorité de sa civilisation et de ses lumières. Monarchique, elle voulait que son nom fût respecté, que ses ennemis fussent mis dans l'impossibilité de lui nuire ou de l'abaisser; révolutionnaire, elle travaillait à imposer ses idées d'affranchissement des peuples, d'égalité des droits du citoyen, de progrès social. L'Allemagne a eu d'autres visées; c'est moins sa domination politique et morale qu'elle prétend établir que des débouchés à l'excès de sa population qu'elle cherche à créer. Ce sont non pas des soldats qu'elle envoie hors de ses frontières, mais des colons armés. Elle fait des invasions, tandis que nous en Europe. nous faisons seulement des guerres. Quand la Prusse transformait toute sa population en une armée et ses états en une vaste caserne, elle avait pour cela ses raisons. Elle organisait ainsi d'une façon formidable les migrations qui s'apprêtaient à sortir de son sol; elle équipait en guerre les hommes qui marchaient à la conquête d'un ciel plus doux, de terres plus riches et plus fertiles. Nos voisins ont expulsé ceux dont ils avaient envahi la patrie, ou ils les ont réduits à l'état de caste inférieure, de classe déshéritée. Nous nous sommes mêlés au contraire aux nations que nous avions vaincues, et nous les avons libéralement associées à nos avantages, laissant les habitans tranquilles possesseurs des biens de leurs pères. Un rapide coup d'œil jeté sur nos guerres et sur celles de nos voisins mettra complétement en relief le parallèle; il est tout à notre honneur, sinon à notre profit.

I.

A une époque qui se perd dans la nuit des âges, le pays qui devait s'appeler plus tard la Gaule fut envahi par les Celtes, dont les tribus s'étaient graduellement avancées de l'Asie jusqu'au centre de l'Europe. Après avoir franchi le Rhin et le Jura, les Celtes subjuguèrent les peuplades encore sauvages qui habitaient de la Manche et de l'Océan à la Méditerranée, puis ils se mêlèrent à elles de façon à ne plus constituer ensemble qu'un seul peuple. Les flots de cette race envahissante se répandirent bientôt au-delà des Pyrénées, où ils rencontrèrent les Ibères, auxquels ils enlevèrent une partie de leurs cantonnemens. Quelques tribus celtiques établies au

septentrion de la Gaule traversèrent la Mer du Nord et le Pas-deCalais, et vinrent se fixer dans la grande île d'Albion. L'inondation celtique fut si vaste, si abondante, qu'elle donna lieu à des remous puissans. A diverses périodes, on vit ce peuple d'émigrans refluer vers l'est, d'où il était arrivé. Les Celtes de la Gaule refoulèrent au nord de l'Italie les Ligures et les Étrusques, et s'avancèrent jusque sur les frontières de l'Ombrie et du Picénum. En Germanie, ils firent des incursions fréquentes, et au commencement de notre ère on rencontre des peuplades celtiques en Vindélicie, en Norique, dans la Bohême, l'Illyrie et la Pannonie, c'est-à-dire dans toutes les contrées du haut et moyen Danube. Ce mouvement démesuré d'expansion se ralentit peu à peu; le fleuve débordé rentra dans son lit, et aux dernières années de la république romaine, les Gaulois étaient définitivement fixés dans le pays auquel ils imposèrent leur nom; des essaims armés n'étaient plus envoyés par eux à la conquête de nouvelles terres. Les Celtes de l'Espagne, de l'Italie et de la Bretagne s'étaient séparés de la souche mère; ceux qui peuplaient notre territoire avaient pris pour leur patrie un attachement qui ne se démentit jamais. Quoique partagés en un grand nombre de nationalités, ils gardaient entre eux une unité de langue, d'institutions, de caractère, qui les faisait reconnaître pour un même peuple; ceux qui se distinguaient par un dialecte un peu différent et un type local, les Belges, n'étaient pas assez séparés de leurs frères, établis au sud de la Seine, pour qu'on les considérât comme une autre race. La conquête romaine ne changea pas les Gaulois; s'ils abandonnèrent leur rude idiome pour la langue plus policée des Latins, ils n'en demeurèrent pas moins ce que César les avait connus, un peuple mobile et léger (in consiliis capiendis mobiles et novis plerumque rebus student), mais plein d'ardeur et d'élan, d'une bravoure impétueuse dans les combats, d'une éloquence entraînante dans les conseils. Ils adoptèrent rapidement les institutions romaines, et, sous l'empire, ils fournirent à la ville éternelle quelques-uns de ses chefs et nombre de ses meilleurs soldats, de savans écrivains et de diserts rhéteurs.

Le mouvement de migration d'Asie en Europe se continua pendant bien des siècles. De nouvelles tribus s'avançaient sans cesse sur les côtes du Pont-Euxin, pour pénétrer ensuite dans les plaines qu'arrosent le Dniéper, le Danube et la Vistule. Tandis que les unes suivaient la route de l'Europe centrale, comme l'avaient fait les Celtes, les autres gagnaient le littoral de la mer Baltique, et se répandaient parfois jusque dans la Scandinavie; mais ce sol ingrat et glacé ne pouvait nourrir une population nombreuse. Quand les tribus qu'y avait refoulées le flot de migrations postérieures se sentaient trop pressées, quelques-unes quittaient cette terre boréale et des

cendaient dans des contrées plus tempérées. Tel fut le cas pour les Cimbres, pour les Goths, pour les Burgundes. Tant d'invasions sorties de la Scandinavie faisaient croire aux Romains que là était la grande fabrique des nations, officina gentium, comme dit Jornandès. C'est dans ces régions baltiques que s'élabora, pour ainsi parler, la nation germanique. Les Germains apparurent au centre de l'Europe à la suite des Celtes, issus de la même souche, mais constituant une autre race; l'unité de type physique et morale n'était pas moins frappante chez eux que chez les Gaulois. Leurs nombreuses tribus s'étaient distribuées tant dans le nord de l'Allemagne que dans la Chersonèse cimbrique et la presqu'île scandinave. Aussi belliqueux que leurs voisins d'au-delà du Rhin, les Germains étaient plus barbares, et, au lieu de s'être attachés au sol, ils gardaient au commencement de notre ère les habitudes nomades qui s'étaient perdues chez les Celtes. Un climat plus âpre et une vie plus précaire les avaient davantage endurcis aux fatigues de la guerre; subsistant surtout de chasse et du produit de leurs bestiaux, ils n'avaient point de villes et de demeures fixes; ils étaient naturellement enclins à quitter leur patrie pour des cantons plus favorisés de la Providence. La Gaule excita dès lors leur convoitise; ils tendaient à se rapprocher du Rhin, tout prêts à le franchir pour s'établir dans quelques-uns des cantons faiblement peuplés qui étaient situés sur la rive gauche du fleuve. Il en résulta des invasions d'abord partielles, qui se produisirent surtout dans la Gaule belgique et auxquelles était peut-être dû le cachet particulier de la population. Les Trévires et les Nerviens, deux des nations les plus puissantes de cette contrée, s'enorgueillissaient de leur origine germanique. Les Némètes et les Vangions, qui se trouvaient encore sur la rive droite du Rhin au temps de César, étaient, un siècle plus tard, établis sur la rive opposée.

Ces invasions limitées qui s'opéraient comme par infiltration n'étaient pas les plus dangereuses pour les Gaulois; il y en avait d'autres qui présentaient toute la soudaineté d'une inondation, et qui, accomplies par la force des armes, portaient avec elles la désolation et la ruine. On voyait apparaître toute une nation de combattans conduite par quelque chef hardi, traînant à sa suite dans des chariots les femmes et les enfans. Ces Germains étaient-ils vainqueurs, ils exigeaient des Gaulois la cession d'un canton, d'un territoire; arrivaient-ils à s'y maintenir, ils se construisaient des demeures, et, abandonnant leurs habitudes errantes, se livraient à la culture du sol, à l'exploitation des forêts, au trafic. Un siècle avant Jésus-Christ, une irruption de deux puissans peuples germains, les Cimbres et les Teutons, avait ravagé la Gaule; ils s'étaient avancés jusqu'au-delà des Alpes et menaçaient l'Italie, quand

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