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qui nous est faite. De quelque nom qu'on nomme cette phase nouvelle des événemens, si douloureux que soit l'aveu, il faut bien se le dire, c'est toujours la fin du siége de Paris, c'est la grande ville désarmée devant l'implacable ennemi qui la cerne. La fortune a été sans pitié pour nous, elle a refusé à Paris le prix de ses efforts, et, comme pour ajouter à ce qu'il y a de poignant dans ce malheur nouveau, tout nous a manqué au moment où l'on se reprenait à l'espérance, où tous les regards sondaient avec anxiété l'horizon, attendant l'arrivée de nos armées de province, croyant voir poindre l'aube de la délivrance. Rien n'est venu : l'inexorable nécessité s'est appesantie sur nous et a décidé du sort de Paris; tout ce qu'on a pu faire a été de sauvegarder l'honneur de cette vaillante défense par des conditions où se laisse voir le respect de l'ennemi. Le coup n'a pas été moins dur. Il devait nécessairement retentir au plus profond de l'âme de cette population parisienne échauffée par cinq mois de luttes, aguerrie à tous les périls et à toutes les souf-, francès, éprouvée par le feu comme par la misère, et toute prête encore à combattre jusqu'au bout; il a causé une sorte de stupeur mêlée de patriotique colère, comme si l'on ne pouvait se résigner à cette terrible nécessité dont on sentait la contrainte. On a voulu protester, comme si les protestations désarmaient la fatalité. L'émotion a serré toutes les âmes, il n'en pouvait être autrement en face d'une de ces catastrophes qui ressemblent toujours à une foudroyante surprise, même quand elles ne peuvent plus être entièrement imprévues. C'est un deuil cruel, nous le savons bien tous, et on ne peut pas se dissimuler non plus la portée immense, décisive peut-être, de cette cessation de la résistance de Paris au milieu de ce vaste et sanglant conflit dans lequel la France se débat; mais, si douloureuse que soit cette épreuve nouvelle, il y a deux sentimens dont il faut également se défendre : il ne faut ni désespérer ni se jeter dans de vaines récriminations.

Aujourd'hui comme hier, la France est pour nous la France. Une nation comme la nôtre ne périt pas pour une défaite; elle peut se retremper au contraire dans ces crises douloureuses, si elle a le courage de regarder en elle-même, de sonder ses plaies, de s'avouer virilement ses faiblesses et les causes de ses désastres. Ce n'est pas la première fois que notre infortunée patrie se sera vue poussée jusqu'au bord de l'abîme, qu'elle aura été foulée par les invasions; elle a toujours fini par se sauver en se dégageant de ces étreintes sanglantes, parce qu'il y a en elle une séve inépuisable, une puissance de vitalité qui se retrouve au lendemain des plus grands revers. Voulût-on lui faire subir des mutilations qui seraient aussi meurtrières pour ses ennemis que pour ellemême, on n'aurait tari ni le sang de ses veines, ni la fécondité de ses ressources, ni l'énergie de son intelligence, ni la puissance expansive de son génie. Elle échappe, elle échappera à tous les coups des destructeurs; concentrée dans son unité et dans sa force, elle se repliera

en elle-même pour réparer le mal qu'on lui aura fait, pour se reconstituer, et ceux qui ont cru en elle, ceux qui l'ont servie dans ses prospérités la serviront d'un dévoûment plus ardent encore dans son infortune. Non, ce n'est pas le moment de se décourager et surtout de désespérer des destinées de la France, c'est bien plutôt en de pareilles heures que le vrai patriotisme se ravive, fécondé par le sang de tous ceux qui sont déjà morts pour leur pays, et qui ne peuvent pas avoir fait un sacrifice inutile.

Il y a un autre sentiment dont il ne faut pas moins se défendre, parce qu'il serait plus dangereux et plus puéril qu'un morne découragement: c'est cette passion de récriminer, d'accuser, de se renvoyer mutuellement la faute de tout ce qui nous arrive. Nous l'avons trop entendu depuis quelque temps, ce concert assourdissant de récriminations et de plaintes les soldats accusant leurs généraux de ne pas savoir les conduire à la victoire, les généraux accusant les soldats de manquer d'élan ou de solidité, les civils se plaignant des militaires, et les militaires jetant la pierre aux civils, tout le monde criant contre le gouvernement, et le gouvernement ayant peut-être, lui aussi, son mot à dire. C'est la triste et fatale loi des jours de désastres: chacun veut s'innocenter luimême en accusant les autres. On éprouve le besoin de se renvoyer de l'un à l'autre la responsabilité des misères qu'on a été obligé de supporter ensemble. Que dans un premier moment d'émotion douloureuse on se laisse aller à cet étrangè penchant, qui en définitive n'a pour résultat que de déconsidérer tous ceux qui ont pris part à de grands événemens, on ne peut pas trop s'en étonner encore, c'est l'explosion spontanée d'une douleur irréfléchie, d'une déception qui ne peut se contenir; mais tout ce bruit a déjà presque trop duré. N'enlevons pas du moins à notre malheur la dignité qui lui reste; n'allons pas donner à une défaite qui n'a pas été sans gloire ce triste épilogue des ressentimens inutiles, des accusations qui ne servent à rien, des agitations qui ne feraient qu'aggraver nos épreuves en les avilissant. Puisque la présence de l'ennemi sous nos murs a suffi depuis cinq mois pour maintenir l'union patriotique de toutes les volontés en décourageant tous les fauteurs de divisions, que sa victoire ait du moins pour nous ce salutaire effet de nous imposer cette réserve qui est la pudeur des vaincus. Paris a gardé intact jusqu'au bout l'honneur de sa longue et vaillante résistance; il doit le préserver plus que jamais aujourd'hui, lorsque toutes les discordes et toutes les récriminations ne seraient plus qu'un spectacle stérile et sans péril offert à nos ennemis, qui peuvent désormais nous observer du haut de ces forts où ils n'ont pu entrer que le jour où la faim nous a menacés de sa redoutable étreinte. La dignité de l'attitude est notre dernière force contre ceux qui nous tiennent sous le feu de leurs canons, et cela ne guérirait pas nos malheurs de chercher à nous

consoler en rejetant la responsabilité du dénoûment sur tous ceux qui ont mis la main à la défense commune.

Assurément, nous ne voulons pas dire le contraire, ce gouvernement du 4 septembre qu'un effroyable désastre militaire jetait au pouvoir, et qui devait lui-même avoir son étape cruelle dans cette voie de patriotiques épreuves où nous sommes entrés, ce gouvernement n'est pas sans reproche. On peut bien l'accuser: d'abord cela soulage de trouver un coupable de toutes les fautes et de tous les revers dans ces crises ex- trêmes, et puis tout n'est point évidemment injuste dans ce qu'on dit de ce malheureux gouvernement. Il a péché souvent par condescendance et par faiblesse, par défiance des autres et de lui-même, par inexpérience et par hésitation; il a porté la peine de son origine et de son incohérence en face d'une situation qui eût fait pâlir les gouvernemens les plus éprouvés. Tout ce qu'il aurait pu faire, il ne l'a certainement pas fait, et en revanche il a laissé faire bien des choses qu'il aurait pu ou qu'il aurait dû empêcher. Il a vécu un peu à la grâce de Dieu, sacrifiant à la popularité, suivant pas à pas l'opinion dans ses mobilités ou dans ses faiblesses, au lieu de la conduire, et ne se considérant jamais assez comme un capitaine qui a seul la charge de son navire dans la tempête. Ce qu'on peut dire de lui, nous ne l'ignorons pas. Si dès la première heure il avait cherché à déconcerter cet investissement progressif qui a fini par nous étreindre jusqu'à nous étouffer; si, au lieu de préparer de grandes batailles plus meurtrières qu'efficaces, il eût multiplié les opérations autour de Paris sans laisser un instant de repos à l'ennemi; si en certains momens il eût déployé toutes les forces de la défense avec plus de suite, avec une persistance mieux combinée, il serait arrivé peut-être à changer la fortune du siége, tout au moins à créer de grands obstacles à ces armées allemandes successivement accumulées devant nous, ou, s'il ne pouvait mieux faire, à les occuper, à les retenir, pour les empêcher de se porter sur nos armées de province. Si novices que fussent les forces qu'il avait sous la main, il pouvait les employer, les aguerrir, puisque tout le monde lui demandait un signal d'action, et il ne se serait pas du moins exposé à ce reproche qu'on lui adresse aujourd'hui d'avoir suscité un élan dont il n'a rien fait. Si, au lieu de craindre d'inquiéter la population en lui mesurant les vivres, il eût songé il y a deux mois à rationner le pain comme il rationnait déjà la viande, il eût évité sans doute bien des gaspillages, et même avec un assez large rationnement nous ne serions pas aujourd'hui au bout de nos dernières ressources; si dans toutes les parties de l'administration il y avait eu autant d'expérience et de prévoyance que de bonne volonté, il est clair qu'on eût évité bien des bévues et qu'on aurait pu prolonger la défense sans aggraver les souffrances de la population, en allégeant au contraire toutes ces privations, toutes ces vexations qui ont été une des misères du siége. Si enfin le gouverne

ment eût agi un peu plus de toutes manières, eût fait un peu moins de proclamations, il ne se serait pas exposé à promettre plus qu'il ne pouvait tenir et à laisser sur nos murailles la trace de bien des paroles qu'on peut aujourd'hui tourner contre lui. Tout cela est assez vrai, tout cela veut dire que, s'il y avait eu au 4 septembre un gouvernement naissant un peu moins au hasard, ayant un peu plus de temps pour faire face à toutes les difficultés, réunissant des hommes un peu mieux préparés à tenir tête aux redoutables éventualités qui se dressaient subitement devant nous, nous aurions pu être plus heureux. Pour cela, nous en sommes bien convaincus, et plus d'un membre du gouvernement, sans l'avouer, en est lui-même tout aussi persuadé.

Oui, sans doute, des fautes ont été commises, et on ne voit que ces fautes à la lumière sinistre du dénoûment qui a éclaté comme un coup de foudre; mais en toute justice n'y a-t-il donc que ce dénoûment, et ce pouvoir qu'on accuse aujourd'hui presque de trahison n'est-il pas le même qui a lutté, qui a combattu, qui a soutenu la défense depuis cinq mois? C'est lui en définitive qui a organisé cette défense dont les élémens existaient à peine au lendemain du 4 septembre, au moment où les Prussiens, arrivant devant Paris, auraient pu peut-être par une brusque attaque enlever la ville de vive force. Lorsque l'investissement commençait, le jour du premier combat de Châtillon, qui admettait par la pensée que ce siége, dont on acceptait virilement toutes les chances, allait durer près de cinq mois? On ne le croyait pas plus à Paris que dans le camp prussien. On avait même de la peine à croire aux assurances de l'administration déclarant qu'il y avait des approvisionnemens pour six ou sept semaines. On ne voyait rien au-delà. Et cependant Paris a tenu quatre mois et demi. Trois ou quatre grandes batailles ont été livrées, l'ennemi n'a pu pénétrer jusque dans nos lignes de défense; il a cerné la grande ville sans l'entamer, et, s'il a fini par la bombarder, ce n'est pas même à son artillerie qu'il doit sa victoire. Paris en un mot a été préservé jusqu'au bout, et le gouvernement y est sans doute pour quelque chose. Croit-on qu'il n'était pas le premier intéressé à couronner cette grande lutte par une dernière victoire qui eût été notre délivrance? Soit, disent naïvement certaines gens, le gouvernement a fait durer le siége, il a prolongé la résistance, il a demandé aux Parisiens de combattre et de souffrir; mais c'était bien la peine de prolonger ainsi la lutte, d'imposer à une population tout entière les privations les plus cruelles, pour en venir à cette suprême catastrophe ? Eh sans doute, quelque pénible que soit le dénoûment, c'était la peine de tenir aussi longtemps qu'on l'a pu, de tenter cette périlleuse lutte, sans savoir si on parviendrait à vaincre la mauvaise fortune.

Cette résistance de Paris, c'était pour la France la possibilité de retrouver ses forces et de se relever, c'était une sorte de protestation ou de réhabilitation de l'honneur national humilié à Sedan et à Metz. C'était

la preuve parlante, éclatante de la vitalité française momentanément concentrée dans nos murs, et cette défense qui finit comme un désastre nous a du moins rendu la dignité en forçant l'ennemi à respecter ceux qu'il n'a pu réduire qu'en trouvant la faim pour complice. Cette défense, elle ne nous a pas sauvés, il est vrai, elle nous a pourtant valu quelques égards dans notre suprême détresse. Certes nous ne chercherons pas à déguiser ce qu'il y a de poignant dans ces cruels articles de ce qu'on veut bien appeler un armistice; nous ne pouvons pas nous méprendre sur ce qu'ils signifient: c'est la reddition de Paris attestée par la présence des Allemands dans nos forts; mais enfin, si notre armée est prisonnière de guerre, elle reste parmi nous et ne va pas rejoindre les 300,000 hommes que nous avons en Allemagne, nos officiers n'ont pas l'humiliation de livrer leur épée. Une de nos divisions est intacte, la garde nationale tout entière reste avec son organisation et ses armes, les Prussiens n'entrent pas enfin dans Paris. Nous ne leur en savons pas gré, ils se sont évidemment inspirés de leur propre intérêt en ayant l'air de faire une concession, en s'abstenant de pousser une population sous les armes à un acte de résistance désespérée. C'est du moins une sorte d'allégement pour les douleurs patriotiques de Paris, et cette réserve d'un ennemi qui ne passe pas pour scrupuleux montre que tout n'a pas été inutile dans cette lutte où bien des causes rendaient la victoire difficile.

Qu'on accuse le gouvernement seul de cette triste fin du siége de Paris, c'est une consolation, si l'on veut; malheureusement il y a depuis cinq mois dans nos affaires un élément qui a joué un grand rôle, et qui explique la vivacité de nos déceptions: c'est cette puissance obstinée d'illusion que nous avons gardée jusqu'au bout, et qui se retrouve peutêtre encore jusque dans ces récriminations d'aujourd'hui. L'illusion, elle n'a cessé de nous accompagner et de nous fasciner, même après ces premiers désastres de la guerre qui auraient dû pourtant nous guérir. Elle s'est enfermée avec nous à Paris, et ici comme partout elle nous a souvent fait voir les choses comme nous voulions les voir, non comme elles étaient. Il faut bien l'avouer aujourd'hui, nous nous sommes trop souvent contentés de mirages et de fictions. Est-ce qu'on ne se souvient pas de toutes ces histoires qu'on nous racontait jusque dans ces derniers temps? Tantôt c'était le prince Frédéric-Charles qui avait été blessé, fait prisonnier, et dont l'armée battait en retraite; on n'en pouvait pas douter, une bouteille lancée dans la Marne avait porté la merveilleuse nou- ! velle. Une autre fois, et il n'y a pas si longtemps encore, c'était bien mieux: le général Bourbaki était en pleine Allemagne, dans le grand-duché de Bade, et au même instant notre flotte paraissait devant Hambourg, portant 60,000 hommes qui allaient débarquer, délivrer nos prisonniers et prendre sans doute Berlin! Comment n'aurait-on pas cru à Paris qu'on devait se délivrer, lorsqu'on écoutait avec complaisance ces fables pro

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