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sur une des deux rives de la Moselle, de couper en deux l'armée qui investissait Metz en détruisant le pont de Malroy, le seul par lequel elle pût passer dans la direction de Thionville, et de rentrer sous le canon des forts, ou mieux encore de gagner la campagne avec des vivres frais avant que les deux tronçons des forces ennemies eussent pu se rejoindre. Mais il était écrit que, dans tout le cours de cette guerre, pendant que nos ennemis ne perdaient ni une occasion ni une heure propice. nous ne saurions rien faire ni à temps ni à propos.

Les Prussiens, qui, sans tout savoir, savaient pourtant que les vivres ne manquaient pas à la garnison de Thionville, renoncèrent à l'idée de la bloquer et de la prendre par la famine. Ils se contentèrent d'installer autour de la place les énormes batteries qu'ils avaient amenées à grand'peine pour le siége de Metz, et que la capitulation du maréchal Bazaine rendait désormais inutiles. A l'abri derrière ces ouvrages en terre qu'ils élèvent si rapidement et avec tant d'art, ils ouvrirent alors sur toutes les parties de la ville le feu le plus meurtrier. C'est là qu'ils essayèrent leurs bombes nouvelles de 60 centimètres de longueur et du poids de 156 livres. Qu'on juge de l'effet produit par de tels projectiles sur une place qui occupe une superficie moins grande que celle de Saint-Denis, et où les feux convergeaient de tous les côtés à la fois! Aucune maison ne se trouvait hors de la zone atteinte par les obus, aucun autre asile que les caves ne restait aux malheureux habitans. A Paris, on pouvait du moins se sauver, emporter à la hâte les objets les plus précieux et chercher un refuge dans les quartiers épargnės; mais là, nuit et jour, sans trêve, sans espoir, il fallait vivre sous la menace de l'incendie et de la destruction. Toute la population s'y résigna cependant avec l'énergie que développe dans les âmes le sentiment d'un devoir à remplir envers la patrie. Il ne s'agissait pas pour ces victimes sacrifiées d'avance, abandonnées sur la frontière, éloignées de nos armées, d'espérer quelque jour la délivrance, d'attendre patiemment l'heure du salut, de se consoler des maux présens par les promesses de l'avenir. Elles savaient qu'après la capitulation de Metz toute espérance était perdue pour elles, qu'on ne viendrait pas à leur secours, qu'on ne les sauverait pas; elles résistèrent, souffrirent et moururent pour honorer leur pays, pour attester leur dévoûment à la France, pour montrer au monde que la patrie n'est pas un vain mot, et qu'il y a quelque chose de supérieur à l'intérêt légitime de la conservation personnelle, un besoin mystérieux qui pousse les âmes généreuses à se dévouer sans récompense pour l'unique satisfaction du devoir accompli. Lorsque le commandant de Thionville rendit la place, il capitula sur des ruines, et les vainqueurs, en pénét: ant dans la ville, purent

reconnaître que bien peu de maisons avaient été épargnées par leurs obus.

II.

Le désastre de Metz, le malheur de Thionville, ne découragèrent pas le petit nombre de défenseurs qui résistaient encore dans le département de la Moselle. A chaque extrémité de ce département, à plus de trente lieues l'une de l'autre, les deux forteresses de Bitche et de Longwy, sommées de se rendre dès le mois d'août, ne se sont pas encore rendues, et l'armistice les trouvera occupées par des soldats français. On ne peut penser sans reconnaissance à ces sentinelles isolées qui, après six mois de guerre et de défaite, tiennent encore le drapeau de la France si près de la frontière allemande. Elles ne se font assurément aucune illusion sur leurs chances de salut, elles n'attendent rien de l'avenir, elles ne résistent pas pour se sauver; mais elles gardent un poste de combat et s'y défendent jusqu'au bout. Les officiers qui commandent ces deux places et les habitans qui y vivent ne se croient déliés d'aucun de leurs devoirs parce qu'autour d'eux tout a succombé; ils pensent au contraire que la patrie a d'autant plus besoin de leur courage qu'elle est plus malheureuse.

Le fort de Bitche, situé à la limite de la Bavière rhénane, au point même où finissent les Vosges françaises, garde la route qui va de Wissembourg à Sarreguemines et à Forbach, en longeant notre frontière. Cette situation l'exposait à une des premières visites de l'ennemi, qui y arriva en effet dès le début de la campagne en poursuivant les débris de la division Douai, qu'il venait de surprendre et d'écraser dans la malheureuse journée du 4 août. Le général de Failly aurait pu s'y trouver encore, car c'était le poste qui avait été assigné à ses soldats pour relier les forces du maréchal Mac-Mahon à celles du général Frossard; mais il ne s'y trouvait pas plus qu'il ne se trouvait à la bataille de Forbach et à celle de Reischofen. Il errait sur les routes, dans les défilés des montagnes, pendant qu'à sa droite et à sa gauche, à quelques lieues de lui, deux corps d'armée français étaient écrasés par des forces supérieures. De ces deux engagemens livrés si près de lui, ce général ne connut que la déroute dans laquelle il se laissa entraîner avec ses 35,000 hommes, sans pouvoir ni s'arrêter ni se reformer avant Châlons. Du même coup, il avait perdu tous ses bagages et toutes ses rations de vivres, qui heureusement furent recueillis par le commandant du fort de Bitche. C'est de ces magnifiques approvisionnemens que vit encore aujourd'hui la petite garnison de la place. Il y avait peut-être là de quoi la nourrir pendant un an.

Tout danger de famine écarté, Bitche ne redoute guère une attaque. de vive force. Le mamelon isolé sur lequel s'élève la ville est situé au milieu d'une plaine marécageuse où les canons s'embourberaient, et si l'on parvenait avec beaucoup de peine à installer des batteries à portée de la ville, les habitans et les soldats échapperaient facilement aux effets du feu en se réfugiant dans des casemates impénétrables. Les Prussiens paraissent penser jusqu'ici que l'entreprise présente plus de difficultés que d'avantages, et se contentent d'observer les lieux sans attaquer. On dit même que, par une sorte de convention tacite, on s'épargne des deux parts d'inutiles hostilités. Tant qu'on ne l'attaque pas, le commandant se tient sur la défensive; mais il s'est bien promis de conserver son fort intact: il nous le garde patiemment pour nous le rendre en même temps que les munitions et les effets du corps de Failly. Ce sera un faible dédommagement de tout ce qu'a perdu de nouveau ce malheureux général à la bataille de Beaumont.

La forteresse de Longwy, quoique admirablement située, devait échapper moins facilement que Bitche aux chances d'un siège en règle. Au début de la campagne, pendant les grandes opérations qui se faisaient autour de Metz, l'éloignement du lieu de l'action la protégea d'abord. Elle se trouve en effet dans un angle de notre extrème frontière et comme protégée par la double neutralité de la Belgique et du grand-duché de Luxembourg, dont elle est la voisine immédiate. Tandis qu'en 1792 les Prussiens, venant de Luxembourg et d'Arlon, la rencontraient sur leur route en pénétrant sur le territoire de la France, cette fois il fallait la chercher et vouloir la prendre pour s'aventurer sur le coin de terre qu'elle occupe. Aussi ne reçut-elle au commencement que la visite de quelques uhlans, qui sommèrent pour la forme le commandant de se rendre, et disparurent après une réponse négative. On n'avait pas eu besoin de cet avertissement pour se tenir sur ses gardes. Dès la fin du mois de juillet, la garde nationale s'organisait sous le commandement de M. d'Adelsward, ancien officier d'état-major, ancien représentant du peuple; la petite garnison préparait ses armes, et le génie faisait abattre tous les arbres sur les glacis de la place. On attendait les Prussiens, et, comme ils ne venaient pas, on alla audevant d'eux. De petits détachemens, auxquels s'adjoignaient en volontaires quelques chasseurs du pays, excellens tireurs rompus à toutes les fatigues, fouillaient les bois dans la direction de Montmédy ou de Thionville, dont le canon s'entendait jusqu'à Longwy, et ramenaient des prisonniers ou interceptaient des convois ennemis. Pendant trois mois, cette guerre de reconnaissances et d'escarmoushes se continua avec succès. Ni la reddition de Metz, ni la prise de Thionville, ni même celle de Montmédy, ne ralentirent l'ardeur belli

queuse d'une population naturellement brave et d'une garnison vigoureusement commandée. Dans la nuit du 27 décembre, le commandant de la place poussait encore une reconnaissance par Villersla-Chèvre et Fresnoy-la-Montagne jusqu'à Tellancourt, le point le plus élevé du département de la Moselle, sur la route de Longuyon et de Montmédy.

De là en effet devait venir le danger. Les Prussiens, après avoir écrasé la place de Montmédy sous le feu de 70 ou 80 pièces de gros calibre et mutilé toutes les maisons de la ville haute, songèrent à transporter cette formidable artillerie sous les murs de Longwy. Ils ne le firent pas sans de grandes difficultés, si on en juge par le temps qu'exigea l'opération. Dès le 27 décembre, leur marche était déjà signalée, et d'après les journaux allemands c'est le 10 janvier seulement qu'ils arrivèrent devant la place. La vaillante forteresse les attendait depuis cinq mois et les a reçus vigoureusement du haut de ses remparts construits par Vauban. Peu de positions sont à la fois plus pittoresques et plus propres à la défense que celle qui a été choisie par notre plus grand ingénieur pour y bâtir une ville de guerre. A l'extrémité du plateau des Ardennes, sur un promontoire soutenu par des rochers escarpés d'où l'on domine le cours du Chiers, d'où l'on découvre le pays belge jusqu'à l'église d'Arlon et le grand-duché jusqu'aux collines derrière lesquelles se cache Luxembourg, la tour carrée de Longwy se dresse comme un phare que les voyageurs reconnaissent à plusieurs lieues de distance. De trois côtés, la forteresse s'appuie sur la roche nue audessus de l'abîme béant; à l'ouest seulement elle se rattache au plateau qu'elle termine par une langue de terre où le génie a déployé toute sa science pour la couvrir par d'épaisses murailles, par des fossés profonds, par des fortins, qui en défendent les approches. A l'intérieur de la place, toutes les constructions portent leur date et comme la marque de l'art sévère qui les a créées : pont-levis, poternes, sombres voûtes, hautes murailles, rues régulières coupées à angles droits, façades uniformes en pierre de taille, semblables à des murs de rempart qu'on aurait percés de fenêtres, toits en ardoise, place carrée bordée de monumens symétriques. Au premier abord, on croirait entrer dans une caserne: magnifique caserne en effet où se logeraient facilement 8,000 soldats sans gêner les habitans; mais si, des murs grisâtres, çà et là tachés de mousse, qui enferment la forteresse, on porte ses regards sur la campagne, rien de plus saisissant que le contraste d'une architecture si menaçante et d'une nature si aimable. Sur les flancs des collines descendent des jardins suspendus d'étage en étage comme des bouquets de verdure ramassés dans des plis de montagne; de tous côtés s'ouvrent des vallées fraîches dont le gazon s'enfonce sous les voûtes des grands

bois. A ces beautés pittoresques, de puissantes usines, qui animent le cours du Chiers, associent l'activité et la richesse de l'industrie.

Aujourd'hui sans doute l'artillerie prussienne a ravagé l'œuvre des hommes et bouleversé le paysage; mais si les arbres tombent, si les murailles s'écroulent sous le poids des obus, les courages ne se laissent point facilement abattre. Les habitans de Longwy connaissaient depuis longtemps le sort qui les attendait. L'exemple de Thionville et de Montmédy leur apprenait ce qu'ils auraient à souffrir. Ils savaient que, dans la guerre actuelle, avec la tactique nouvelle de nos ennemis, il ne s'agissait plus comme autrefois de ces luttes corps à corps où la bravoure personnelle peut décider du succès, où le plus hardi trouve son jour de gloire et d'héroïsme. Ils n'ignoraient pas qu'ils rencontreraient difficilement un ennemi insaisissable, et qu'il leur faudrait lutter non contre des hommes, mais contre du fer. On les avait prévenus que leur ville serait bombardée, que leurs toits s'effrondreraient sur leurs têtes, qu'il ne resterait peut-être pas dans l'étroite enceinte de la forteresse un seul endroit qui ne fût balayé par les projectiles ennemis. On leur avait montré dans le bois du Chat la place où s'établiraient certainement les batteries allemandes pour s'élever au même niveau que les remparts de Longwy; mais la conscience du péril certain auquel ils s'exposaient n'ébranla point leur résolution de résister jusqu'au bout, tant que les casemates pourraient les abriter. Ils ne craignaient point la famine: toutes leurs précautions étaient prises pour vivre pendant de longs mois; d'ailleurs l'intendance avait fait entrer dans la ville par la Belgique huit cent mille rations destinées à l'armée du maréchal Bazaine. Beaucoup avaient déjà offert à la patrie le sacrifice de leur fortune détruite par la guerre; ils étaient prêts à y ajouter le sacrifice de leur vie, sachant bien qu'ils combattaient pour une cause presque perdue, n'espérant même pas que leur courage servirait au salut de la France. Ils agissaient comme des marins qui, cernés par des forces supérieures à mille lieues de la patrie et sommés d'amener leur pavillon, n'y voudraient point consentir, et engageraient pour l'honneur du drapeau un combat désespéré, sans aucune chance d'être secourus ni même d'être vengés. C'est dans ces sentimens d'indomptable patriotisme que l'armistice les surprend aujourd'hui; il arrache à la ruine ce que le canon prussien n'a pas encore détruit dans les murs de Longwy.

Il serait assurément hors de propos de nous flatter nous-mêmes en ce moment et de nous dissimuler l'étendue de nos désastres. On nous permettra cependant, au milieu de ce naufrage momentané de notre grandeur nationale, de recueillir, comme des épaves qui porteront l'avenir, tout ce qui nous reste encore de nos anciennes vertus. Ce qui a survécu chez nous aux langueurs énervantes du régime

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