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tèrent avec le plus grand courage, comme le faisaient hier encore les Parisiens bombardés dans les quartiers de la rive gauche et les marins de nos forts. Il y avait d'ailleurs dans la place un commandant très résolu, le général Marmier, - d'excellens régimens de cavalerie d'Afrique que le maréchal Bazaine avait été obligé de distraire de son armée pour accompagner l'empereur jusqu'à Verdun, entre les deux batailles de Borny et de Gravelotte, des officiers de toutes armes qui, venus par le chemin de fer de Châlons pour rejoindre leur corps devant Metz, trouvaient la route fermée. Au début, les vivres abondaient. Une partie des approvisionnemens destinés à l'armée du Rhin attendait nos troupes sur le chemin vers lequel celles-ci paraissaient se diriger. L'intendance militaire préparait tout pour que le maréchal Bazaine pût opérer une marche rapide de Metz sur Verdun sans de trop lourds bagages, en n'emportant des vivres que pour quelques jours, et se ravitailler dans une place forte avant de continuer sa retraite ou de reprendre l'offensive. Ces approvisionnemens que l'armée du Rhin n'atteignit jamais servirent du moins à nourrir les habitans et la garnison de la ville assiégée.

Mais tout a un terme, même les provisions les plus abondantes. L'investissement avait été si rapide et tout de suite si complet que les ressources de l'intendance durent suffire presque seules aux besoins de 15,000 habitans et de 10,000 soldats. On subit avec beaucoup de constance un bombardement prolongé, qui détruisit une partie des quartiers les plus élevés de la ville et endommagea la cathédrale. Il fallut cependant se rendre pour ne pas mourir de faim, non sans avoir bien des fois harcelé l'assiégeant et prévenu ses attaques en l'assaillant lui-même. Nulle part, même contre des murailles aussi exposées que celles de Verdun, les troupes allemandes ne se décidèrent à tenter les chances d'un assaut. Il est avéré maintenant qu'elles bloquent les villes, mais qu'elles ne les emportent pas de vive force. Leur tactique générale consiste à enfermer les assiégés, à les isoler de toute communication avec le dehors, à les empêcher absolument de se ravitailler, puis à se retrancher avec beaucoup d'art et de travail dans des positions aussi fortes que des remparts, à y établir des batteries mobiles d'où elles lancent des obus à coup sûr, à y soutenir un siége aussi facilement derrière des murailles, si on les attaque, sans jamais prendre que elles-mêmes l'offensive, ce qui leur permet d'attendre pendant des mois que la faim ou le bombardement fasse son œuvre

La guerre de siéges n'est à leurs yeux qu'une guerie de patience et d'industrie, non de courage et de coups d'audace, comme nous le croyons trop aisément. La grande erreur de la défense de Paris sera d'avoir cru qu'il suffisait de rendre Paris imprenable, de fortifier ses remparts, de miner ses abords et de barricader ses

avenues, comme si l'ennemi songeait à nous attaquer. Pendant que nous travaillions fort inutilement à nous mettre en garde contre une offensive à laquelle on n'a jamais pensé, l'ennemi se fortifiait de son côté, il remuait des monceaux de terre, il élevait des forteresses aussi imprenables que les nôtres, et nous condamnait à l'assiéger dans des positions formidables, chaque fois que nous essaierions de sortir. Ce n'est donc pas au dedans, c'est au dehors, aussi loin que possible, en avant de nos forts, qu'il eût fallu porter l'activité des cinq cent mille bras dont disposait la défense. C'est la pioche à la main qu'il eût été habile de combattre, en reculant la ligne d'investissement jusqu'à la rompre, en opposant à chaque ouvrage que l'ennemi tenterait d'établir un ouvrage plus fort et mieux armé, en portant au-devant de lui, au lieu de les immobiliser, nos pièces de gros calibre pour écraser son artillerie de campagne et bouleverser ses travaux. Que de résultats n'eût-on pas obtenus, si l'on eût fait hors de l'enceinte tout ce qui s'est fait sans utilité dans l'intérieur de la place! La commission des barricades eût rendu beaucoup plus de services hors de Paris que dans Paris. Si, malgré les proclamations emphatiques et les fastueuses paroles qu'on adressait à la population en lui promettant chaque semaine la victoire et la délivrance, on n'avait eu en réalité d'autre ambition que de se tenir sur la défensive, d'attendre indéfiniment le secours de la province, pourquoi appeler à Paris avant le 19 septembre cent mille gardes mobiles et quatre-vingt mille soldats qui se fussent mieux exercés, mieux disciplinés au dehors que dans nos murs, dont nous n'avions aucun besoin pour nous défendre, et qui, joints aux troupes de Bourbaki et de Chanzy, nous eussent peut-être délivrés? S'il ne s'agissait que de résister derrière nos forts et nos remparts, les marins, les artilleurs, les régimens de douaniers et de forestiers, les gardes républicains, les anciens sergens de ville, les nombreux corps de volontaires, les gardes natio naux, suffisaient amplement à une besogne dont la prudence bien connue de l'ennemi diminuait les difficultés et les dangers. En ce cas aussi, les vivres étant nos armes les meilleures, il fallait, du 4 au 18 septembre, annoncer à la population qu'on allait soutenir un long siége, engager sérieusement toutes les bouches inutiles à quitter la place, y accumuler par tous les chemins de fer restés libres des approvisionnemens pour une année, et dès le lendemain de l'investissement y rationner le pain comme dans une ville de guerre.

La forteresse de Montmédy, quoique beaucoup plus petite, est mieux située que celle de Verdun pour soutenir un siége. Plus élevée que les terrains environnans, elle domine le pays du haut de ses remparts et surveille de loin les opérations de ceux qui l'assie

gent. Ses défenseurs, autant que le permettait leur petit nombre, profitèrent de l'avantage de la position pour inquiéter fréquemment les Prussiens et pour démonter même quelques batteries; mais les assiégeans leur opposèrent la patience du chasseur qui guette sa proie à coup sûr. Après avoir réussi à installer non sans peine leurs pièces de siége, ils couvrirent la ville d'obus suivant leur habitude, y détruisirent beaucoup de maisons, en mutilèrent les principaux édifices, et attendirent que la garnison, étroitement investie, fût obligée de capituler. Ils comptaient sur la faim, leur auxiliaire habituelle. Cette fois ils se trompèrent dans leurs calculs. Montmédy, qui avait été désigné à l'intendance comme un des points où se rejoindraient peut-être les armées du maréchal Bazaine et du maréchal Mac-Mahon, regorgeait de vivres. Tant que la ligne des Ardennes n'avait pas été coupée, on y avait envoyé de nos places du nord et de Paris des salaisons, du riz, du café, du biscuit, de la farine, de quoi nourrir pendant quelques jours plusieurs centaines de mille hommes. La place ne capitula donc pas faute de pain. Le commandant déposa les armes sous la menace d'un danger non moins terrible que la famine, sous une pluie d'obus qui, tombant depuis plusieurs mois presque sans interruption dans l'étroite enceinte d'une forteresse à peine aussi grande que la place de la Concorde et y détruisant successivement tous les abris, avait failli à plusieurs reprises faire sauter les poudrières, quelques précautions qu'on prît pour les protéger. Il eût accepté pour lui et pour la garnison ce péril du soldat; il était de son devoir de n'y point exposer la population civile, les femmes et les enfans, qu'une seule explosion dans un si petit espace eût nécessairement anéantis. Sans cette raison d'humanité, la place de Montmédy tiendrait encore, comme le fait aujourd'hui sa voisine, l'intrépide forteresse de Longwy.

Avec Phalsbourg et Montmédy, la résistance, qui avait duré plus de quatre mois dans les deux départemens de la Meurthe et de la Meuse, s'éteignait faute de points d'appui. Les jeunes gens néanmoins ne renonçaient point à combattre, et beaucoup s'enfuyaient de leurs maisons pour aller rejoindre dans la montagne les francstireurs des Vosges. D'autres essayaient de gagner le département de la Moselle, où ils savaient que la lutte de la Lorraine contre l'étranger se continuait avec énergie. Là en effet, dans cette contrée patriotique d'où sont sortis tant de soldats de la révolution et du premier empire, rien n'a pu décourager l'intrépidité de nos derniers défenseurs, ni la prétention des Prussiens de garder la rive droite de la Moselle, depuis Sierck jusqu'à Metz, ni la désastreuse capitulation du maréchal Bazaine. Que de larmes cependant ont été versées par une population si fière de ses glorieux souvenirs, si pé

TOME XCI. - 1871.

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nétrée du sentiment de l'honneur militaire, lorsqu'on apprit que le commandant en chef de l'armée du Rhin venait de livrer à l'ennemi une place réputée invincible, où jamais l'étranger n'avait pénétré, où depuis Sadowa on avait dépensé des millions pour augmenter le matériel de guerre, pour construire et armer six nouveaux forts! La douleur qu'éprouvèrent alors les habitans de Metz, le département tout entier la partagea. Chacun se sentit atteint au plus profond de son cœur, dans son affection la plus chère et dans sa plus noble espérance. On allait donc voir entre les mains des Prussiens, sous la garde des sentinelles prussiennes, ces remparts que CharlesQuint n'avait pu prendre, ces bastions formidables, ces puissantes murailles, couvertes par deux rivières, auxquelles s'attachait l'idée d'une force inexpugnable, d'une résistance dont aucune artillerie ne viendrait jamais à bout. Qui ne comprit dans le département les scènes tumultueuses de la capitulation, le désespoir des gardes nationaux et des volontaires réduits malgré eux à l'impuissance, l'explosion de colère d'une partie des habitans sonnant le tocsin par la ville en courant à l'arsenal pour y chercher des armes? Ils ne voulaient pas croire à la réalité de leur malheur, il ne leur était jamais. venu à l'esprit que leur patrie, que Metz la Pucelle, jusque-là respectée et inviolable dans toutes nos guerres, pût succomber un jour, que l'armée sur laquelle ils comptaient pour la sauver fût précisément la cause de sa perte en épuisant ses vivres. L'irritation était si vive et si générale que le maréchal Bazaine dut quitter la ville en voiture fermée pour se dérober aux insultes de la foule, et que, dans les villages des environs, partout où il fut reconnu, les femmes l'accablèrent d'injures. Le conseil municipal de Metz, plus calme, mais non moins douloureusement ému du malheur public, exprima les sentimens qu'il éprouvait avec beaucoup de dignité dans une proclamation adressée aux habitans, où on lit ces nobles paroles, si modérées et par cela même si accablantes pour le commandant en chef de l'armée du Rhin : « Aucun de nous ne peut se reprocher d'avoir manqué à son devoir. Nous devons nous consoler avec l'idée que nos souffrances ne seront que passagères, et que, dans les faits qui viennent de s'accomplir, les habitans de Metz n'ont assumé aucune part de responsabilité, soit devant leur pays, soit devant l'histoire (1). »

Hélas! Ja population parisienne n'a-t-elle pas le droit de dire aussi au gouvernement de la défense nationale et le devoir des mu

(1) Nous ne connaissions pas ce document lorsque nous avons essayé, dans la Revue dufer décembre 1870, de porter un jugement sur la conduite du maréchal Bazaine. Quoique notre opinion fût faite dès lors et qu'ancun de nos le teurs n'ait pu s'y méprendre, elle aurait été plus sévère encore, si nous avions connu tout ce qui nous a été révélé depuis, surtout si le mémoire du général Deligny eût déjà été publie.

nicipalités éfues n'est-il pas de proclamer en son nom qu'aucune part de responsabilité ne revient aux habitans dans les malheurs qui nous frappent, que Paris a fait son devoir, tout son devoir, que les hommes mûrs sont allés à l'exercice et aux renparts, les jeunes gens aux régimens de marche et au feu, que les vieillards, les femmes les plus délicates, les enfans, les malades, ont supporté courageusement le froid, la faim, la menace des obus, et que, si tout ce dévoûment aboutit à une catastrophe, ceux-là seuls en sont responsables qui, ayant pris en main nos destinées, nous répé taient tous les jours qu'ils nous sauveraient, jusqu'au moment où - nous ont révélé tout à coup que tout était perdu par leur faute? Lorsqu'on apprit dans le département de la Moselle la reddition de Metz et la capitulation du maréchal Bazaine, la douleur fut immense, le désespoir unanime. On ne se découragea point cependont, l'énergie des combattans ne faiblit pas, les armes ne tombèrent d'aucune des mains qui les tenaient encore. La place de Thionville, qui avait été investie quelques jours après Metz, qui continuait à se défendre lorsque sa puissante voisine succomba, qui savait que de nouveaux et plus vigoureux efforts allaient être tentés contre elle, se prépara d'autant plus à une énergique résistance. Les vivres n'y manquaient pas. Sans parler des approvisionnemens que l'intendance dirigeait sur Metz par la ligne des Ardennes, et qui ne purent dépasser la gare de Thionville quand les troupes prussiennes eurent coupé le chemin de fer dans la vallée de la Moselle, les habitans du grand-duché de Luxembourg témoignèrent la plus généreuse sympathie à leurs voisins de France en leur envoyant des vivres et des secours aussi longtemps qu'ils le purent. C'est même sur ce point que, grâce à l'activité d'un agent consulaire français et aux bonnes dispositions des autorités luxembourgeoises, grâce surtout au dévoûment de notre compagnie des chemins de fer de l'Est qui tient sous sa dépendance le chemin de GuillaumeLuxembourg, on avait accumulé à sept lieues du maréchal Bazaine assez de provisions pour ravitailler son armée et la place de Metz pendant plus d'un mois. Le commandant en chef de l'armée du Rhin, qui le savait, ne se justifiera pas de n'avoir point tenté, quand il en était temps encore, quand ses troupes avaient toute leur vigueur et toute leur discipline, le plus énergique effort pour mettre la main sur des ressources qui, en lui permettant de prolonger sa résistance et de retenir l'armée du prince Frédéric-Charles, eussent assuré le salut de notre pays. Qu'on ne l'oublie pas en effet, c'est l'armée du prince Frédéric-Charles qui nous a perdus en arrivant à temps pour arrêter la marche sur Paris de nos armées de la Loire. On nous sauvait en la retenant un mois de plus sur nos frontières de l'est, et il suffisait pour cela de faire faire sept lieues à 150,000 hommes

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