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les plus évidens, les plus difficiles à éviter; point de retraite possible: devant soi l'ennemi, derrière soi la frontière. Battu, il fallait se rejeter sur la terre neutre et se laisser désarmer par les corps d'observation belges échelonnés de Namur à Arlon. Quelle étrange combinaison stratégique, dont les périls éclatent aux yeux du plus ignorant dans la matière pour peu qu'il interroge une carte géographique! L'histoire dira, il est vrai, s'il n'entrait pas dans l'esprit de quelques-uns et surtout de l'empereur un désir caché de se rapprocher d'une frontière où l'on pouvait du moins trouver un asile en cas de revers. Je n'ai point suivi l'armée dans sa marche vers les Ardennes. Je quittais Reims à l'heure où le départ du prince impérial pour Réthel, départ qui forçait trois trains de pauvres soldats affamés à demeurer en gare durant plusieurs heures, occasionnait cette révolte, ce désordre, ce pillage de voitures de pains par les troupes, triste et pénible scène dont les journaux ont alors entretenu le public. Les soldats étaient exaspérés. Leur indiscipline venait des hésitations et de la démoralisation visible des chefs. On dirigeait les troupes sur Réthel: de là, elles devaient se porter sur Stenay et Montmédy, et rejoindre l'armée de Metz à travers les Ardennes; mais, il faut le redire, le mouvement était commencé trop tard. Le prince Frédéric-Charles, prévenu, lançait de petits corps d'armée de Briey à Longwy et à Montmédy, bataillons ou escadrons qui inquiétaient les populations, se montraient partout, occupaient les villages, apparaissaient ou disparaissaient, suivaient nos soldats comme à la piste, et, éparpillés mathématiquement, manœuvraient de façon à se masser aux jours de combat. D'un autre côté, le prince royal, arrivé à Châlons, rebroussait chemin et marchait à la rencontre de nos troupes, qu'il voulait prendre à revers. Peu importait ce danger, si, mettant à profit l'élan français, nos généraux eussent regagné au dernier jour le temps perdu à Châlons ou à Reims; mais il suffit de lire les dépêches officielles datées de ces journées de marche pour se rendre compte de l'incapacité de nos officiers. Cette incapacité atteint des proportions ironiquement douloureuses. Tant de désordre a l'air d'une gageure. L'empereur cherche son armée, s'inquiète, interroge, tâtonne; les généraux, mal assurés, n'en savent pas plus que lui. Tout se fond et se confond comme dans un brouillard, et on frémit si l'on compare ces corps 'd'armée hésitans aux soldats esclaves d'un plan de campagne depuis longtemps mûri, aux adversaires si terriblement automatiques qu'ils ont à combattre.

Postés le long de la frontière, les grenadiers et les artilleurs belges assistaient sérieusement émus à cette lutte, qui se déroulait presque sous leurs yeux. On a beaucoup médit de la Belgique avant cette guerre, et on s'est singulièrement mépris sur les senti

mens qui l'animaient. La Belgique était loin d'être hostile à la France. Inquiète à bon droit des projets et des ambitions de l'homme qui tenait alors les destinées de notre pays, elle pouvait à coup sûr souhaiter intérieurement la défaite de l'empereur; mais assurément aussi elle gardait au fond de son cœur un sentiment de dévoûment fraternel pour la France et le peuple français. Combien de fois avons-nous été touché, touché jusqu'aux larmes, par les marques de sympathie et l'amicale effusion qui accueillaient un soldat français réfugié sur la terre belge! Il n'y avait là rien de joué, rien d'apprêté. Les populations wallones, françaises de langage et de souvenirs, frémissaient en entendant gronder vers Longwy le canon prussien; elles se portaient en foule à la frontière, attendant les blessés, les encourageant, les consolant, les soignant, et l'armée belge, j'en puis témoigner, un peu grisée par cette odeur de poudre et de salpêtre qui lui venait de France, se sentit plus d'une fois prise de cette sorte de fièvre que Dante appelle l'appétit de la rixe et du combat.

A Givet, où je demeurai, on s'occupait d'armer la citadelle, une des plus fortes du pays, juchée comme un autre Gibraltar sur une colline rocailleuse, et qui, se dressant en pleins nuages, semble défier l'assaut; mais à Givet, comme partout, l'administration avait laissé les fortifications sans canons, sans affûts, sans munitions. Les Ardennais des environs accouraient, cherchant à Givet un refuge que le château-fort, aussi difficile à défendre que s'il eût été démantelé, ne pouvait leur offrir. On construisait en hâte des remblais, on exerçait les jeunes gens du pays, et des paysans mobilisés montaient la garde en blouse bleue auprès des canons servis par des artilleurs volontaires. Cependant le bruit se répandait peu à peu de succès obtenus çà et là sur les Prussiens. Des récits de victoires agitaient la petite ville, et ce n'était pas sans émotion qu'on voyait ces femmes, ces enfans, ces gens inquiets, se rattacher soudain à toutes ces frêles espérances. Les Prussiens avaient été battus à Buzancy, d'autres disaient à Attigny. On parlait vaguement d'une rencontre à Varennes, de canons pris, de uhlans défaits. Ce qui était certain, c'est que des francs-tireurs avaient brûlé, en y jetant du pétrole enflammé, les bois de Mont-Dieu et des Grandes-Armoises, où s'étaient réfugiés et tapis les Prussiens comme avant Wissembourg et Forbach. Tout à coup au milieu de ces bruits rassurans, que chacun de nous acceptait avec cette crédulité facile qu'on accorde aux nouvelles ardemment désirées, la nouvelle nous arriva des combats de Beaumont, de Mouzon et de Carignan.

A Beaumont, le 30 août, le général de Failly, par un aveuglement inexplicable, redoutait si peu le voisinage des Prussiens, dont il ignorait la marche, que les boulets ennemis vinrent surprendre

nos soldats établis en grande halte, les rangs mêlés, entre deux files de voitures de bagages sur la route, et pris en quelque sorte au milieu de ces carrioles de réquisition et de ces impedimenta de toute espèce. Qu'on s'imagine la situation d'une armée arrêtée ainsi et fusillée à l'improviste. Loin de la protéger, ces voitures, ces charrettes, ces chevaux qui piaffent 'ou tombent des deux côtés du chemin, ces paysans effarés qui lâchent les rênes et s'enfuient, tout la trouble, tout augmente le désordre. Au moment d'une agression soudaine, furieuse, nos soldats, campés sans ordre de bataille, comme au hasard, étaient, par l'impardonnable faute du général, à demi vaincus avant d'avoir pu combattre. Ils résistèrent pourtant. L'ennemi leur opposait des forces considérables, une armée entière contre un corps comparativement faible. Les Prussiens continuaient leur système d'écrasement. En toute sincérité, les soldats du général de Failly combattirent un contre six. Le soir, malgré leur courage, la bataille était perdue; mais rien encore n'était définitivement compromis, et Mac-Mahon à la tombée de la nuit, envoyant de Carignan au général de Failly des renforts vigoureux, avait empêché que le nouvel échec du 5° corps ne se changeât en déroute.

La bataille devait recommencer le lendemain. L'ennemi comprenait qu'il ne fallait laisser aucun répit à ces troupes héroïques, mais épuisées et mal nourries, car ces soldats français, on hésite à l'écrire, mouraient de faim dans des villages français désertés, vides ou effrayés. L'ennemi, qui n'ignorait rien des difficultés auxquelles on se heurtait, redoublait d'audace. Après une journée de lutte, une nuit sans repos, nos soldats devaient combattre encore, et pour se soutenir ils avaient à peine mangé la soupe, bu quelque gorgée, ou dévoré, tout en marchant, un peu de pain.

La bataille de Carignan, plus terrible que le combat de Mouzon, fut aussi plus désastreuse; c'est elle en réalité qui a décidé du sort de la campagne, et l'effroyable journée du lendemain ne fut vraiment que la suite de cette mêlée ardente où, plus qu'en aucun autre combat peut-être, la lutte devint une boucherie, lutte corps à corps et combat d'artillerie. L'ennemi, décimé par nos mitrailleuses, revenait sur nous à la charge avec une épouvantable furie. Il vainquit, on peut le dire, à prix de sang. Les eaux rougies de la Chiers traînaient des cadavres allemands. Sous le feu des obus, 'dans l'incendie de Carignan, Mac-Mahon retrouvait son énergie militaire, cet héroïsme sublime de Reischofen qui fait de lui, sinon un général éminent, du moins un admirable soldat. Contraint de céder une fois de plus devant le nombre, il abandonna Carignan après l'avoir intrépidement défendu, et, chief d'armée encore vaincu, il eut du moins cette consolation amère de laisser à l'ennemi un champ de bataille où les morts prussiens et bavarois se comp

taient par milliers. Le soir, l'empereur, écrasé par la défaite, télégraphiait à l'impératrice cette incroyable dépêche, datée de Carignan« Il y a eu encore un engagement aujourd'hui sans grande importance. Je suis resté à cheval assez longtemps. »

Le 1er septembre, après les combats du Petit-Rémilly et de Bazeilles, à l'aube d'une journée sereine, le carnage, qui durait depuis trois jours, recommençait plus horrible. Mac-Mahon, replié sous le canon de Sedan, étendant son armée sur la rive droite de la Meuse, faisant face aux Saxons et aux Wurtembergeois postés à Rémilly et commandés par le prince de Saxe, va maintenant avoir contre lui toutes les forces de l'armée prussienne, excepté le corps d'armée du prince Frédéric-Charles, qui tient tête à cette heure même aux troupes de Metz, et recule un moment devant leur violent effort. Qu'on se figure ce coin de terre française inondé d'ennemis, fourmillant de troupes allemandes. Sur les collines qui enserrent Sedan et forment autour de la place comme un vaste cercle en entonnoir où la citadelle semble enfoncée, nos troupes, épuisées, harassées, avec l'amertume au cœur, sans confiance dans leurs chefs, sans espoir maintenant, sans autre foyer d'héroïsme dans l'âme que la rage sourde du soldat battu,-nos troupes sont désorganisées, railleuses; elles jettent dans les rangs de tristes lazzis, des mots à double entente contre les généraux. Ces soldats rangés en bataille et naguère habitués à combattre au pas de charge, baïonnette baissée et fanfare au vent, ces soldats n'attaquaient plus : depuis trois jours, ils se défendaient, ils se défendront encore.

Le corps du prince de Saxe occupe le centre de l'armée ennemie. A sa droite, de Brévilly à Pouru, les Bavarois, qui viennent d'incendier Bazeilles, attendent et se massent, renforcés de la garde royale prussienne. Ce sont les Bavarois qui doivent attaquer. Le matin venu, ils engagent un feu vif de tirailleurs sur La Moncelle, puis d'un élan à la baïonnette ils se jettent, cette fois la poitrine découverte, dans les rues du village. Nos soldats les repoussent; les Bavarois reculent, se reforment et reviennent. Cette position de La Moncelle, qu'il faut occuper à tout prix, est pour les Prussiens la clé même de la bataille. Les Bavarois ont le poste d'honneur et le poste de danger. Maison par maison, il faut attaquer La Moncelle, enlever les barricades des rues pavé par pavé. C'est une lutte exaspérée et furieuse où les morts bavarois s'entassent et s'écrasent dans la grande rue montante. On les voyait fauchés par grappes, les cadavres faisant appui aux cadavres, et ces morts demeuraient ainsi sans tomber. La garde royale à la même heure attaquait Douzy, Rubecourt, petits villages adossés aux bois de l'Ardenne, blancs, coquets, enchâssés comme en des écrins verts, et où pas

sait la mort, la mort furieuse et frappant sans relâche. De l'aube à onze heures du matin, nos soldats résistaient intrépidement, rejetaient dans leurs lignes ces grenadiers poméraniens et ces chasseurs de Munich; mais, tandis que les nôtres luttaient ainsi en désespérés, voyant se briser contre eux les bataillons ennemis, par une marche d'une rare prudence et d'une hardiesse singulière à la fois, une autre armée prussienne, la plus nombreuse, l'armée victorieuse de Wissembourg et de Worth arrivait comme à pas de loup sur le champ de bataille.

C'était l'armée du prince royal, l'armée que Mac-Mahon attendait à Châlons, qu'il eût peut-être anéantie là, et qui, débouchant à Mourmelon pour y trouver nos baraquemens fumans encore, sans prendre de repos, subitement résolue à rejoindre l'adversaire qu'elle ne rencontrait pas, s'était aussitôt mise en marche, doublant les étapes, brûlant le terrain, par un de ces coups d'audace comparable à la fameuse marche de flanc qui harassa l'armée prussienne, mais décida la victoire à Sadowa. On attendait cette armée depuis deux jours. Le roi avait attaqué, certain que le prince royal arriverait au jour voulu. Le prince royal avait assurément entendu le canon de Carignan. Il redoubla de promptitude dans la nuit du 31 août au 1er septembre, et son armée, venant de Châlons par Vouziers, passait la Meuse à Donchery au moment même où les Bavarois attaquaient La Moncelle, et où le prince de Saxe tirait son premier coup de canon. Dès lors le prince royal pouvait faire entrer son armée en ligne. Il fit mieux, il fit rapidement longer à ses soldats le cours de la Meuse. Tout en prenant position sur la rive du fleuve, il lançait, contournant le champ de bataille, un corps d'armée sur Floing et Givonne, tandis que la cavalerie, commandée par le prince Albrecht, le frère du roi de Prusse, pénétrait dans les bois de l'Ardenne, et, déployant de Flégneux à Pouru-aux-Bois ses uhlans, ses hussards, ses dragons, cachés, blottis derrière les arbres, attendait nos soldats, qu'on allait ainsi prendre entre trois feux, pour leur couper la retraite.

A onze heures, nos troupes défendent avec un admirable et victorieux acharnement La Moncelle et le terrain de Bazeilles; elles forçaient, comme on l'a vu, les grenadiers de la garde royale à se replier devant elles à Rubecourt; elles tenaient en échec, elles allaient vaincre, elles allaient faire reculer ces masses profondes des soldats de Prusse, de Saxe, de Baden et de Wurtemberg, toute l'Allemagne en un mot, lorsque brusquement, à onze heures, le canon du prince Fritz ouvre son feu sur Floing, sur Givonne, écrase de loin nos combattans étonnés, effarés de cette canonnade inattendue, de cet ennemi nouveau qui accourt avec des bataillons plus épais

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