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vre, et bientôt l'on vit fonctionner cette justice exceptionnelle avec une attention, un scrupule et un esprit de justice remarquables. Le code militaire est d'une extrême sévérité; la discipline le veut. La peine de mort y revient à chaque instant et à propos de faits qui, en matière de droit commun, entraîneraient tout au plus une simple condamnation correctionnelle. Ce code serait-il appliqué dans toute sa rigueur aux citoyens que les soudaines nécessités de la défense nationale avaient brusquement jetés sous les armes? Il était à craindre que, saisis de pitié ou d'effroi, les juges ne fussent portés en dépit des faits à des acquittemens qui seraient allés à l'encontre des exigences du service et de la discipline. Un décret du 21 octobre vint aplanir la difficulté en autorisant les conseils de guerre de la garde nationale à déclarer dans les affaires qui leur seraient soumises l'existence de circonstances atténuantes, de manière que la peine pût être abaissée d'un ou de plusieurs degrés. Est-ce là un bien ou un mal? L'humanité a sans doute gagné ce que la stricte discipline a pu perdre à cette mesure; mais en somme la compensation a-t-elle eu du moins ce résultat, que la fermeté de la garde nationale n'en ait pas été trop ébranlée? En présence des événemens de chaque jour, la question n'est plus à résoudre : dans toutes les occasions, il est démontré que la garde nationale a tenu avec non moins de solidité que la troupe devant l'ennemi. En plusieurs rencontres, son énergie et sa bravoure n'ont-elles pas surpris l'armée elle-même? Il n'est donc point à regretter que des adoucissemens aient été apportés à la pénalité dont l'eût frappée sans nécessité le code militaire dans sa rigoureuse application

Les décisions des conseils de guerre peuvent être révisées par un tribunal supérieur qui, à l'exemple de la cour de cassation, recherche, sans revenir sur les faits, s'il a été donné satisfaction à la loi et à toutes les garanties de la défense. Ce tribunal, qui a été directement formé par le conseil de l'ordre des avocats, se compose de cinq juges et d'un commissaire du gouvernement choisis parmi les avocats à la cour d'appel et à la cour de cassation, les avoués à la cour et au tribunal. Il a pour président et vice-président MM. Dufaure, Plocque, anciens bâtonniers, et siége dans une des chambres de la cour de cassation. Là, plus d'uniformes; le tribunal est en habit de ville et procède avec une simplicité tout américaine. Il a fallu peu de temps à cette magistrature improvisée, mais rompue aux affaires, pour donner de sa sagacité et de sa science la plus haute idée. Ses décisions ont frappé par leur précision. On conçoit que, dans certains projets d'organisation judiciaire, on se soit attaché à recruter les tribunaux chez les hommes qui ont marqué au barreau ou parmi les officiers ministériels.

Tel est à peu près l'aspect du palais dans ces lamentables con

jonctures. Si les audiences s'ouvrent parfois pour se refermer bientôt, c'est que plaideurs, avocats et juges estiment que la justice à la rigueur peut chômer, non la défense nationale; mais la justice est sur son siége, accessible à tous et prête à entendre toutes les causes. Elle est là dans ce monument, incommode, bizarre, que l'empire laisse à moitié refait, à moitié en ruine, et dont l'exacte image est celle du bouleversement et du désarroi où sont aujourd'hui tant de choses en France. Sera-t-il jamais achevé? La salle des Pas-Perdus cessera-t-elle un jour de s'appuyer sur les gigantesques béquilles qu'on lui donna il y a quelque vingt années? La faveur du dernier gouvernement n'était point de ce côté; elle allait droit aux théâtres et aux casernes : elle y est allée si bien que le Palais lui-même en est environné. La justice a dû attendre tout un règne, elle attendra encore qu'on lui prépare enfin un asile plus digne d'elle. N'est-ce pas là d'ailleurs que vit également le barreau, cet ordre de mécontens qui respectèrent si peu les procédés administratifs du grand entrepreneur de l'Hôtel de Ville, sans s'incliner précisément devant les agissemens des Tuileries? N'est-ce pas de là que sortirent ces plaidoiries qui traversèrent l'Europe, et retentissaient déjà comme le tocsin à l'heure où le pays sommeillait encore dans ses fausses sécurités? Oui, cette maison est aussi celle du barreau, et c'est bien de là que furent portés les premiers coups qui entraient au vif dans les plaies de l'empire. Comment donc l'empire eût-il aimé le Palais? Aussi bien c'est ici l'occasion de parler de ce même barreau, qui a pris une si large part dans les affaires du pays. Suivons-le donc à son tour, et, s'il le faut, même en dehors du Palais, où il se trouve surtout aujourd'hui. Nous reviendrons ensuite à la magistrature et chercherons à préciser la situation que l'empire a faite à cette belle institution, dont le renom fut si éclarant, et qui plus que jamais doit résider à ces hauteurs où les esprits sensés et les politiques honnêtes ne cesseront de l'élever dans tous les temps et sous tous les règnes.

II.

Le conseil de l'ordre des avocats, qui est également une des juridictions du Palais, a tenu lui-même ses séances. Il s'est réuni, mais là aussi il existait des vides. Ceux-là, il est vrai, la politique surtout les avait faits. Le gouvernement de la défense nationale avait pris à ce conseil MM. Jules Favre et Picard; la préfecture de police, M. Cresson; la diplomatie, M. Senard, en mission à Florence; le parquet de la cour d'appel, M. Leblond, procureur-général. Le gouvernement comptait encore dans les membres du barreau MM. Crémieux, Emmanuel Arago, Gambetta et Jules Ferry.

D'autres avocats enfin ont trouvé à utiliser dans certains emplois leurs connaissances spéciales. On s'est élevé contre ce qu'on a appelé l'ingérence du barreau dans les affaires publiques, et l'on a demandé avec aigreur si la robe de bure couvrait nécessairement des talens aussi divers. La malignité s'est mise de la partie, si bien que peu s'en est fallu que le barreau ne parût menacé d'être surpris en flagrant délit d'usurpation dans les différentes sphères de l'administration publique. Il serait dérisoire de se livrer à des calculs comparatifs pour savoir jusqu'à quel point le barreau mérite ce reproche, il ne le serait pas moins de s'appesantir sur la composition du gouvernement de la défense nationale, puisqu'il fut formé des seuls députés du département de la Seine, et que ces députés n'appartenaient pas exclusivement au barreau; n'oublions pas non plus, bien que ce soit l'histoire d'hier, qu'il fut des heures difficiles. où le barreau vint résolûment au secours de la presse, c'està-dire au secours du pays réduit au silence. Pendant qu'un petit groupe à la chambre tenait tête contre une majorité compacte, d'énergiques défenses se faisaient entendre ailleurs, et les noms de Berryer, Dufaure, Jules Favre et tant d'autres disent assez les services rendus à la cause de la liberté devant la justice.

S'il en est ainsi, s'il est vrai que le barreau, à la chambre et dans les causes de la presse, ait lutté avec persistance contre les audacieux abus et les déprédations du gouvernement tombé, qu'y a-t-il de surprenant qu'au jour de la chute les regards se soient tournés vers ceux qui avaient le plus énergiquement combattu, et que ceux-ci, touchés à leur tour de cette gratitude, aient encore essayé de conjurer les nouveaux périls dont il restait menacé? Soyons donc plus constans, plus justes, et ne cherchons point à nier que les membres distingués du barreau qui se sont trouvés dès le premier jour à la tête des affaires aient pleinement rassuré le pays. Dans leurs mains, loin de vaciller, le drapeau de la défense a été tenu haut et ferme. Qui donc n'a pas battu des mains à ces loyales et éloquentes circulaires qui ont rappelé le pays à lui-même et l'ont si subitement électrisé? C'étaient là non pas seulement de grandes pages pour notre histoire, comme l'a si bien dit le bâtonnier de l'ordre, M. Rousse; c'étaient aussi de nobles protestations qui sauvaient en définitive l'honneur national. Voilà ce qu'il était bon de rappeler peut-être, afin qu'il ne se glissât aucun malentendu entre le pays et les hommes qui ont essayé, mais en vain, hélas! de le tirer de l'abîme, et qui ne tarderont pas à remettre leurs pouvoirs d'un instant à qui sera désigné par le pays lui-même, dès qu'il sera rentré dans la plénitude de son indépendance et de ses droits. Alors sans aucun doute, il sera fait appel à toutes les bonnes volontés, à tous les courages, à ceux en un mot qui, par leur autorité et leur

expérience, pourront apporter le plus large contingent dans les différentes sphères du service public. En attendant, rendons au barreau cette justice, qu'il a consciencieusement poursuivi son œuvre; son amour du bien restera dans tous les cas hors de conteste.

Dans ces efforts persévérans contre les envahissemens du pouvoir, contre ses tendances à tout abaisser, à tout corrompre, le barreau ne sépara jamais son œuvre de celle de la magistrature; il s'étudia au contraire à proclamer sans cesse que cette œuvre était commune, qu'un seul lien les unissait, celui du devoir envers la loi, envers le pays, et que, si en dernière analyse les gouvernemens disparaissent, la justice est toujours là, parce qu'elle est l'éternel pivot de la société. Rappelons-nous comment Berryer, devant une des chambres du tribunal où il défendait avec l'énergie du lion un droit qu'il croyait sacré, en face des menées du pouvoir, avertissait les magistrats par l'autorité de sa grande parole des piéges qui étaient préparés à leur intégrité, à leur conscience. <«< Vous avez, comme nous, s'écriait-il, traversé bien des révolutions. Vous pouvez subir toutes les conditions que les pouvoirs divers vous imposent pour demeurer dans le sacerdoce judiciaire; mais vous y demeurez avec le sentiment de votre dignité. Les pouvoirs passent, ils imposent leurs conditions passagères. On vous respecte à travers tous ces gouvernemens qui se succèdent, sous lesquels vous restez sur vos siéges, rendant la justice et la rendant avec dignité; mais si vous sortiez de ce rôle élevé, si vous l'abandonniez un moment, ce sentiment de respect pour votre vie, ce sentiment supérieur à toutes les mutations, à toutes les transfigurations politiques, ferait place à un sentiment tout à fait contraire. Vous en êtes incapables, et vous vous maintiendrez compétens. » C'est en 1852 que Berryer parlait ainsi. Devinait-il que la justice, comme les autres institutions, entrait avec le nouveau gouvernement dans une phase périlleuse où son indépendance serait incessamment assaillie? Si l'empire en effet n'a point anéanti la magistrature, il a pesé sur elle, et de mille manières il a essayé de la courber à ses volontés. Elle lui était apparue comme une de ces puissantes digues qui arrêtent certains courans quand il le faut. Pour l'affaiblir, il fixa le terme de la carrière à l'âge de soixantedix ans; en rendant ainsi les vacances plus nombreuses, il allait fournir à l'avancement des compétitions qu'il se réservait de satisfaire à sa manière. En 1852, le conseil d'état avait appris comment on peut faire son chemin en quelques heures. L'affaire des biens de la maison d'Orléans avait donné au gouvernement la bonne occasion de récompenser les conseillers qui s'étaient montrés dociles à ses vues et de destituer ceux qui avaient cru de leur conscience d'y résister. Vis-à-vis de la magistrature inamovible,

l'entreprise était plus scabreuse; mais par l'avancement, par les distinctions et les faveurs, ne pouvait-il pas conserver encore une certaine prise sur elle?

Le vice du mode de recrutement avait frappé tous les yeux, et le moyen de l'extirper au plus vite fut recherché par les publicistes. On se demanda encore une fois d'où venait la justice, et s'il était conforme aux principes du droit public que le choix de ses organes fût laissé à la discrétion du pouvoir exécutif; on retrouva bientôt le fil perdu des enseignemens de la science. Montesquieu n'avait-il pas dès longtemps formulé à cet égard des règles certaines? Il avait élevé la justice à la hauteur d'un véritable pouvoir, et il n'admettait pas que ce pouvoir se confondit avec aucun autre ou fût subordonné à aucun autre. « Si la justice, disait-il, était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. » Le mot est à retenir, car il explique et le règne qui vient de finir et les efforts que fit le pouvoir pour absorber l'action de la justice. Vainement l'assemblée constituante avait-elle inscrit dans la constitution la grande division des pouvoirs publics, en faisant ressortir comme il le méritait le pouvoir judiciaire. L'empire ne parla plus que de « l'autorité judiciaire. » La restauration, remontant à la féodalité, avait posé en règle que « toute justice émane du roi. » La confusion s'était encore une fois répandue sur l'un des grands principes de notre droit public, et le nouvel empire se garda bien de la dissiper. Il ne dit rien de l'institution, se chargea de la façonner à sa manière; il s'efforça de l'attirer à lui, d'en faire une dépendance du pouvoir exécutif, de la rendre oppressive pour les libertés publiques; le recrutement de la magistrature, il l'espérait du moins, lui suffirait pour atteindre ce but. Afin de ramener l'institution à ce qu'elle doit être, il faut d'abord rappeler, avec Montesquieu et la constituante, que la justice est un véritable pouvoir dans l'état, qu'elle a droit à une indépendance absolue. Le principe une fois posé et bien entendu, il s'agira d'en tirer les conséquences pratiques. Or l'indépendance du magistrat peut-elle se concilier avec l'action indirecte que le pouvoir exécutif était parvenu à exercer sur lui? Qui oserait l'affirmer? Il faudra donc anéantir cette action dissolvante pour la justice; mais alors d'où viendra le choix? On est remonté à l'origine des choses, et l'on a remarqué que le pouvoir judiciaire n'avait pas une autre source que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, qu'il est lui-même une émanation du pays, et que c'est le pays qui délègue les deux autres pouvoirs. On s'est alors demandé pourquoi le pays ne déléguerait pas également le pouvoir judiciaire: là est tout le problème. Il se complique, il faut le reconnaître, d'une question d'aptitude; la capacité du candidat est une des choses à considérer, et sous ce rap

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