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de la discipline. Les voitures de déménagement et les charrettes de foin entraient dans Paris comme le cheval de bois dans Ilion, cachant des soldats dans leurs flancs; si les préposés de l'octroi avaient sondé cette sorte de contrebande nouvelle, ils eussent piqué plus d'un mobile en flagrant délit de désertion. Ces désordres cessèrent dès que l'ennemi fut sous nos murs; mais il n'y aura de vraie discipline que le jour où l'officier, comme il arrive dans quelques bataillons, ne sera pas contraint de faire la sourde oreille à un mot impertinent. On s'aperçoit trop que la hiérarchie sociale fait défaut dans notre ville, et que Paris ne connaît pas la distinction. des châteaux et des chaumières. Heureusement ces enfans terribles redeviennent des hommes le jour du combat; c'est aux officiers, dont la tâche est ici bien plus difficile, de suppléer à l'imperfection de la discipline par leur prudence et leur dévoùment. Telle est, pour ainsi dire, la physiologie des mobiles parisiens. Ils formaient 18 bataillons de 1,100 à 1,500 hommes par bataillon. Si l'on y ajoute deux détachemens d'artilleurs tirés de Saint-Denis et de Vincennes, ils composaient en tout un effectif qui dépassait le chiffre de 25,000.

Il suffit de sortir de l'enceinte de la capitale pour être frappé de la différence qui sépare la jeunesse des départemens de celle de Paris; la plus saillante résulte naturellement du genre de vie des populations agricoles. Les hommes sont moins expansifs, ils gardent le silence; en revanche, ils écoutent beaucoup, ils observent tout. On passe immédiatement d'un monde de citadins dans la société des paysans. Cependant moins on s'éloigne de la grande ville, plus on sent l'effet de son influence. Autour de nous, dans les départemens de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne, pourvu qu'on ne s'approche pas trop de la Beauce et de la Champagne, on retrouve la mobilité d'esprit de notre vieille Ile-de-France. C'est encore Paris, moins peut-être le sentiment d'orgueil qui rend notre ville digne d'être à la tête d'un grand pays. Il faut avoir fait la guerre ou l'avoir supportée pour connaître cette fierté. Les grands et beaux jeunes gens de Pontoise, de Mantes, de Corbeil, d'Étampes, font leur devoir de Français; mais ils sont n's dans des murs qui n'avaient pas entendu retentir le canon depuis la ligue ou même depuis le temps de Jeanne d'Arc. Saint-Germain était déjà du temps du caustique Mercier une ville de rentiers, et Versailles depuis la révolution est devenu un second Saint Germain plus magnifique et plus royal; mais tous deux se souviennent des visites cruelles qu'ils recurent des alliés en 1815. Le malheureux Sèvres fut pillé une semaine durant par les Prussiens à cette époque; ne parlons pas des pages qu'il vient d'ajouter à son martyrologe. Quels comptes

LA GARDE MOBILE.

les enfans de ces villes n'avaient-ils pas à régler avec l'ennemi! Les bataillons de Seine-et-Marne ont eu plus d'occasions de combattre durant notre siége; mais combien de souvenirs leur avaient légués leurs devanciers! Quels récits de combats, de violences, de passages perpétuels de troupes, n'ont pas entendus dans la veillée les paysans des environs de Montereau, de Provins et de Meaux! Cette dernière ville a vu partir son bataillon au moment même où les ennemis allaient y entrer. Quelques-uns que nous avons entendus laissaient une femme, des enfans; leurs concitoyens, sans un soldat, presque sans armes, songeaient pourtant à se défendre. Orléans, quoique à 30 lieues de Paris, semble un faubourg de la capitale par sa richesse, et surtout par son esprit alerte, plein de saillies. Appelée par la destinée à jouer dans nos invasions un rôle qui le cède à peine à celui de Paris, cette noble ville, prise, reprise deux ou trois fois en 1814 et 1815 comme en 1870, nous a envoyé des bataillons dont la tournure déjà militaire, dont les blouses blanches n'avaient rien de grossier ni de rustique. On eût dit des francstireurs armés à la légère pour aller à la chasse de l'ennemi. Tout le monde sait les pertes nombreuses que le sort des combats leur a infligées; on ferait une longue liste de ceux de leurs officiers qui sont venus mourir sous nos murs. Pithiviers n'avait pas oublié le pillage ordonné par l'hetman des cosaques, Platov. Montargis, la ville guerrière, inscrira sans doute plus d'un nom nouveau sur les panneaux de sa salle des élections, où elle grave le souvenir de ceux qui sont morts pour la patrie. Pourrions-nous oublier ici le brave colonel de Montbrison, qui les commandait? Il a succombé à la suite de la fatale journée de Montretout, comme si cette âme guerrière s'était refusée à la douleur de voir la chute de Paris. Ancien officier dans l'armée, ayant largement payé ce qu'il devait au pays, il s'était engagé, au commencement de la guerre, dans une ambulance. Après avoir prouvé sa valeur, il se croyait obligé de d'armes. mettre son humanité au service de ses anciens compagnons Quand les circonstances devinrent plus graves, il crut que son ancienne dette, augmentant avec les malheurs de la France, n'était plus soldée au gré de son honneur. Il reprit cette épée que l'on a vue briller pour la dernière fois le 19 janvier. Il la dressait en l'air portant au bout son k pi pour être mieux vu de ses soldats. L'ennemi le voyait aussi : une balle prussienne vint le frapper mortellement.

En parcourant les bataillons provinciaux dont il nous reste à parler, nous avons fait comme un tour de France. Chacun des départemens nous est apparu avec sa physionomie. Au nord la Picardie, avec sa loyauté et sa cordialité proverbiales, n'a pas manqué à

l'appel. Les témoins de nos différens combats ont pu s'assurer que, si les enfans de la Somme sont braves comme leurs camarades des autres régions, ils montrent un calme qui promet dans l'occasion la solidité si nécessaire au courage. Marcher au secours de leurs frères du reste de la France est devenu une tradition historique pour eux. Amiens n'a jamais été révolutionnaire. Un de ses députés en 1793 l'accusa d'incivisme; Amiens répondit en envoyant huit cents de ses gardes nationaux à Lille, que l'ennemi bombardait. En 1814, 1,200 paysans et ouvriers de Doullens et des environs marchèrent avec un détachement de la jeune garde contre les cosaques du baron de Geismar. Abbeville, plus énergique encore, fournit 600 volontaires au siége de Lille en 1792, 800 à Dunkerque menacé, tandis que trois bataillons ruraux de 3,400 hommes couraient à la frontière. Si la Somme n'a pas été mêlée aux engagemens les plus importans du siége de Paris, il faut reconnaître qu'elle a eu le prix de la promptitude; il faut y ajouter peut-être celui de la bonne tenue. Convoqués à la citadelle d'Amiens, dernier reste des fortifications de cette ville autrefois guerrière, les mobiles du 1er bataillon partaient quelques jours après tout équipés, et venaient se cantonner au collège Sainte-Barbe, en jetant gaîment aux Parisiens ces cris « Picardie! la Somme! » Ils étaient fiers et avec raison de leur belle taille, de leur fourniment irréprochable. Ce bataillon modèle réjouit durant des semaines la rive gauche de ses marches militaires, du son de ses fanfares variées.

Le seul bataillon de l'Aisne qui ait pu nous rejoindre, celui de Villers-Cotterets, de la Ferté-Milon et de Château-Thierry, est moins brillant, mais aussi solide et bien plus nombreux. Partagé entre la Champagne et l'Ile-de-France, son arrondissement est agricole et forestier. Vigoureux et sains, durs à la besogne, ces jeunes paysans sont représentés par leurs officiers comme de vrais et bons enfans, très attachés à leur terre, à leur famille, que les larmes aux yeux ils ont laissée en proie à l'ennemi. Tout campagnards qu'ils sont, ils ne manquent pas d'instruction; sous ces blouses blanches que Paris vit arriver avec étonnement le 6 septembre au soir, il y avait plus d'un bachelier. Le moyen de deviner qu'il y avait un diplôme dans les poches de certains de ces hommes portant tous leur petit paquet sur l'épaule, et la baïonnette enfilée dans une volaille ou dans des bottes de légumes, modestes et prudentes provisions achetées ou recueillies sur la route par ces compatriotes de Racine et de La Fontaine? Ces villageois produisirent une vive sensation en parcourant le boulevard Sébastopol pour se rendre au lycée Saint-Louis. C'était le premier bataillon que les Parisiens voyaient arriver dans cet accoutrement rustique. La tunique et le fusil Chas

sepot les eurent bientôt transformés. Ils avaient eu en route leur petite odyssée, les circonstances dramatiques n'avaient pas manqué à leur départ. Ils étaient à Villers-Cotterets; presque tout le monde quittait le pays; le corps du général Vinoy opérait précipitamment sa retraite, l'ennemi dépassait Reims. Les seize cents hommes du bataillon semblaient oubliés dans leur petite ville ouverte. Le commandant voulut prendre en quelque sorte sur lui de se diriger sur Paris. Les dernières troupes du général Vinoy passaient; on partit avec elles, le 5 au soir, après une fatigante journée d'exercice. Une étape de plus de 12 lieues, de Villers-Cotterets à Dammartin, fut faite dans la nuit. Il y avait un contraste frappant entre les mobiles et les troupes qui revenaient de concert avec eux les premiers étaient tristes de quitter leur pays, laissé à la merci de l'invasion, mais ils espéraient combattre, résister, se venger tôt ou tard. Les autres, découragées, abattues, ne semblaient même plus croire à la possibilité de se défendre. A Dammartin, par une pluie battante, il fallut attendre toute la journée du 6 qu'un train pût être organisé. Le soir, ils entraient dans Paris, commençant le défilé de ces 90,000 mobiles qui durant huit jours sont venus s'enfermer

avec nous.

La France de l'est a fourni un bataillon de la Marne, celui de Châlons, ceux de l'Aube et les mobiles de la Bourgogne. La Marne et l'Aube représentent pour nous cette fidèle Champagne qui a tant souffert dans nos invasions précédentes, et davantage encore dans celle qu'une mémoire plus fidèle et une plus sage prévoyance auraient dû nous épargner. Châlons, rendez-vous général de tous les volontaires de la France en 1792, ne pouvait manquer de payer la dette nationale pour son propre compte, après le peu de résistance que, par la faute des hommes ou des circonstances, l'ennemi a trouvée dans son enceinte : elle l'a payée aussi au nom du département, qui n'a pas oublié qu'un grand nombre de ses communes ont donné leurs noms à nos batailles de 1814. C'est là qu'est Valmy, où la France íut sauvée en 1792; c'est là qu'est déposé le cœur de Kellermann, et les enfans de ce pays sont venus prouver ici qu'ils avaient gardé ce grand souvenir. Ce n'est pas l'Aube qui pouvait manquer de mémoire. Interrogez sur ce point les mobiles. Troyes avait à peine réparé ses anciennes pertes quand elles sont venues s'accroître. Nogent-sur-Seine avait vu brûler ses édifices et cent quarante maisons par simple mesure de vengeance. Arcis-surAube, presque détruit, Villenauxe, livrée au pillage durant une semaine, achèvent l'histoire des vieux griefs que ces soldats improvisés espéraient venger sous Paris un demi-siècle après.

Trois des départemens bourguignons, l'Ain, la Côte-d'Or. la

Saône-et-Loire, sont présens à Paris. C'est l'ancienne, la véritable Bourgogne. Ici nous passons sous un autre climat, et le courage de ces jeunes gens a la vigueur, la franchise des vins de leurs crus. Ceux de l'Ain, moins vifs, plus attachés à leur sol, à leurs habitudes, sont, comme les Savoisiens, les vieux Gaulois de la montagne. Ceux de Saône-et-Loire sont partagés entre deux sortes de population, les forestiers d'Autun, dont l'éducation a été faite à travers les siècles par les ordres religieux, les agriculteurs et ouvriers de Charolles, de Loubans, de Châlon et de Mâcon surtout, qui sont capables d'un enthousiasme passionné. Ces paysans, riches pour la plupart, très peu communistes, sont volontiers révolutionnaires. Paris ne s'est pas toujours montré assez dévoué aux principes de 1789 pour contenter Châlon; Mâcon dans tous les temps agités a été montagnard. En revanche, l'étranger n'a pas d'ennemis plus acharnés, la patrie point de défenseurs plus prompts aux sacrifices. Avec la même ouverture de caractère et la même loyauté, les hommes de la Côte-d'Or sont plus fins, plus vifs, plus fertiles en saillies et en épigrammes moqueuses. Piron est né à Dijon. A ces qualités de l'esprit, les enfans de la Côte-d'Or joignent des qualités toutes militaires; une constitution forte et sanguine est au service de leur imagination féconde et brillante. Ils ont la fougue et l'inspiration dans le combat. Ils l'ont bien prouvé dans les différentes journées de ces derniers mois. La Côte-d'Or avec son entrain s'est mise avec les départemens bretons, si solides, à la tête de cette jeune armée de mobiles dont Paris conservera longtemps la mémoire. Le colonel de Grancey, si regretté de tous ceux qui l'ont approché, commandait les excellens bataillons de ce département. Ancien marin, ayant donné sa démission après avoir servi dans toutes les campagnes de Crimée, de Chine, du Mexique, après avoir fait la guerre près de quinze ans, il avait donné sa démission pour se marier dans son pays, où il occupait par sa fortune et sa naissance une position considérable. Dans le péril où se trouvait la France, il reprit son épée. Depuis ce moment jusqu'à la terrible journée de Champigny, il appartint tout entier à ses bataillons. Au point de départ, l'autorité militaire ne lui créait que des obstacles. Officier de marine et dégagé en cette qualité de certains préjugés sur l'instruction militaire, il voulait dès l'abord exercer ses hommes au feu on lui refusa les capsules et les cartouches. Rien ne put le décourager. En deux mois, sans un jour de plus, il fit de ses Bourguignons des soldats. Convoqués le 13 août, les bataillons de la Côte-d'Or étaient, grâce à lui, le 13 septembre à Paris, et le 13 octobre à Bagneux, où ils firent une des choses les plus difficiles pour une troupe nouvelle, la guerre des rues. C'est là qu'on put vérifier

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